Syndicat Intercorporatif de Toulouse de la CNT AIT
Le réformisme est l'allié du capitalisme
Le 21ème congrès de l'Association Internationale des Travailleurs s'est tenu à Madrid en décembre 2000. Un des membres de la délégation de la CNT-AIT, section française, livre ci-dessous, un aperçu des travaux.
Les échanges, tactiques, théoriques, doctrinaux furent riches et variés. Mais aucun principe n'a de valeur sans sa pratique. Nos structures ne peuvent exister sans la logistique gratuite fournie par la militance et rien ne peut se faire sans l'action discrète et généreuse des militants. Nous savons le travail, l'énergie nécessaire à la vie de nos structures. Nos adversaires s'étonnent qu'avec peu de moyens financiers nous soyons capables de produire autant. C'est qu'ils ignorent le bénévolat, habitués qu'ils sont à payer ce type d'activité. Permanents, subventions, salariés introduisent des rapports d'argent et non des rapports militants. Les partis, syndicats, associations de ce type ressemblent plus à des entreprises, des prestataires de services, qui nécessitent beaucoup d'argent pour peu d'efficacité.
Un congrès de l'AIT serait très coûteux si l'AIT, abandonnant son éthique, évoluait vers les subventions, les permanents, etc... Combien de militants et militantes comme chacun de ceux qui y ont participé feraient des milliers de kilomètres et passeraient des jours gratis pour un congrès ? Combien seraient volontaires pour les activités : tracts, banderoles, permanences, délégations, prises de notes, manifestations, vie des journaux, entretien des locaux, etc. ? Les partis et syndicats dits de gauche ont pactisé avec le patronat, l'Etat, de multiples organismes pour obtenir les finances rétribuant leur bureaucratie. Perdant toute indépendance vis-à-vis de la bourgeoisie, ils sont en difficulté pour convaincre leur base qui se rétrécit, de produire de la gratuité. Ce qui accélère leur institutionnalisation.
Une autre satisfaction que permettent les congrès, c'est la rencontre directe et personnelle des compagnons. Ces contacts sont importants humainement, face à nos réalités existentielles, nos espoirs et désespoirs, nos dégoûts et enthousiasmes, nos rêves et réalités avec toutes les problématiques de la vie que nous appréhendons avec notre éthique.
La fatigue, le temps, le barrage de l'idiome compliquent le dialogue de regrets, car on aurait voulu pouvoir échanger davantage avec les autres que l'on croise.
Reste un regard, un geste, un sourire, une attitude qui confirment l'appartenance à cette même humanité et cela réconforte. Notre chemin est difficile mais c'est celui de l'honnêteté, de la clarté, du courage, et de l'anarcho-syndicalisme. Mais peut-on réellement utiliser autre chose dans la lutte anti-capitaliste ?
Les faits sont irréfutables : la gauche et la droite sont coalisées pour exploiter, elles ont la haine de l'égalité. Nous, nous sommes de cette humanité qui ne se tait, ne se soumet, n'exploite, n'humilie pas. Nous avons notre rêve de liberté, dégalité, de fraternité. Pour cela, on nous a réprimés, calomniés, diffamés, licenciés, emprisonnés, torturés, exilés ... pour que nos idées ne deviennent pas celles de tous les opprimés. Notre tâche est dure, nous ne nions pas les difficultés de l'entreprise. Mais que ce soit pour s'en effrayer ou pour s'en réjouir, beaucoup constatent le retour, le maintien ou la résurgence de l'anarcho-syndicalisme, certains tentent même de manipuler ses idées-forces.
Pendant ce congrès de l'AIT, je nous sentais lucides, tranquilles, déterminés, et cela se sent partout dans le monde où nous sommes présents.
Un congrès comme celui de l'AIT se caractérise par un foisonnement d'idées et d'expériences de femmes et d'hommes venus de tous les coins du monde. Une bonne part des échanges, formels ou informels, a été consacrés à l'analyse du système. Voici un résumé de ce qui s'y est dit.
L'économie se fait sur le mode capitaliste à dominante fordiste. L'Homme est réduit à une marchandise (la force de travail) qui se loue et se rétribue sous forme de salaire (salariat). Pour produire des objets, biens ou services qui s'échangent par la vente (marchandise) selon l'offre et la demande (économie de marché). L'objectif étant de dégager des profits, ou plus-values, pour permettre les revenus des propriétaires des structures économiques (patrons, actionnaires). Pour maintenir ou augmenter les parts de marché et la plus-value, les capitalistes utilisent principalement les méthodes suivantes. La fusion des structures économiques dans des ensembles plus vastes, pour réduire les coûts d'exploitation, licencier, etc... La réduction de la masse salariale, constituée par l'ensemble des salaires versés et des prélèvements obligatoires. La réduction de la pression fiscale, y compris sur les salaires, ce qui induit une baisse du salaire indirect, donc des aides sociales. La réduction de la qualité des produits et marchandises qu'il faut changer souvent, quand ils ne sont pas tout simplement dangereux ou nocifs. L'augmentation du travail produit par les salariés c'est-à-dire de la charge de travail. La mise en concurrence des salariés par la délocalisation, la précarité, la flexibilité, le chômage, dont la crainte limite les revendications salariales. Résultat : dégradation des conditions de revenu, de la santé physique et psychologique de beaucoup de personnes, croissance des inégalités sociales, sans parler des guerres et violences. Pourtant le rapport PIB/nombre d'habitants en dit long sur les revenus disponibles par personne.
Au niveau idéologique, le système développe un individualisme associé au grégarisme, les théories de l'innéisme des compétences, de la sociobiologie et du darwinisme social. Sur le plan social, c'est la prédominance de l'individualisme, des inégalités, de l'utilitarisme, du système pyramidal et hiérarchique, de la réification de la personne par les rapports marchands, du consumérisme et mercantilisme, de la privatisation du patrimoine collectif et de la croissance de la propriété privée, et bien sûr de la division de la société en classes [1].
Au niveau politique, toute société humaine est culturelle : elle se gère, s'administre selon certains critères environnementaux, idéologiques ... Le mode d'organisation politique, le type de structure, le régime, l'ensemble du système socio-économique ; l'un s'explique par l'autre. Ils sont imbriqués, s'auto-structurent, sont concomitants. L'idéologie générale d'une société se vérifie dans son idéologie politique ; celle de nos sociétés, c'est l'étatisme. Ce n'est pas un hasard, toute société inégalitaire (esclavage, salariat) doit réprimer, mater, domestiquer les conflits sociaux. L'Etat est apparu comme le meilleur outil pour cet usage, capable d'unir les oppresseurs par delà leurs divisions pour faire perdurer leur pouvoir. Quelle que soit son histoire et ses prérogatives, l'Etat moderne se présente comme l'incarnation de l'intérêt général, de la chose publique. Il est la source du droit, des lois, de la coercition, des guerres. Il est agent économique (fiscalité, monnaie), voire propriétaire (étatisation, nationalisation), agent de vecteur idéologique (éducation, code civil), administrateur (fonction publique).
Son fondement est la communauté (peuple, nation, cité) ; il est régalien. Suivant les nécessités et les rapports de force, son régime sera parlementaire, dictatorial, ou oligarchique. On voit l'intérêt pour une couche sociale à vocation oppressive de créer, développer, instrumentaliser l'Etat.
Nos sociétés sont bien la résultante d'un mode économique (le capitalisme), d'un mode d'organisation politique (l'étatisme), d'un mode de pensée (les idéologies inégalitaires). La fusion des systèmes (politique, de production et idéologique) a abouti à une société globale que l'on peut définir comme bourgeoise et capitaliste.
En matière de choix et tactique politique, l'opprimé peut choisir de détruire le système, du dehors ou bien du dedans, de le faire évoluer ou de le réformer. Le mouvement prolétarien s'est divisé sur la question de l'Etat. D'un côté, ceux ne voulant que limiter les effets des inégalités et ceux qui pensent que l'Etat peut réaliser l'égalité, de l'autre, ceux qui veulent détruire immédiatement l'Etat pour établir le communisme libre. Une fraction dite éclairée et moderniste de la bourgeoisie, a compris que le réformisme, par son rôle idéologiquement intégrateur et pacificateur, permettait de maintenir facilement le système. Voyons comment cela se passe.
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Par le suffrage universel ou catégoriel, l'élection des représentants dans les structures politiques, voire sociales et économiques, la bourgeoisie fait sanctifier l'exploitation par l'élection et se disculpe de son oppression. La loi étant sensée venir du peuple, toute critique devient anti-démocratique, voire dirigée contre le peuple, et on pourra réprimer en toute bonne conscience.
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Les réformistes, pour être éligibles, ne doivent pas enfreindre le cadre légal et constitutionnel forgé par la bourgeoisie (prémices de la pacification et de l'intégration au cadre légal). La bourgeoisie lâchera quelques menus avantages aux élus, pour séduire l'électeur, et créditer la tactique réformiste (début de la collaboration et du partenariat).
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Les réformistes doivent défendre le parlementarisme et l'Etat. L'Etat, selon eux, serait neutre ou arbitre, donc juste, ou bien encore et tout au contraire, utile pour faire du social, redistribuer les richesses. Il pourrait même être progressiste et il deviendrait alors l'Etat prolétarien contrôlé par les travailleurs. L'impasse est faite sur l'origine et la fonction de l'Etat comme outil d'oppression. Dans nos démocraties, les prolétaires peuvent-ils constituer une majorité électorale, vues les couches sociales intermédiaires dites classes moyennes, les divergences entretenues par le corporatisme et les diverses tendances du réformisme ?
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Les salariés, quand ils croient au parlementarisme, s'écartent des révolutionnaires en fondant leur espoir sur la prochaine élection. Pendant ce temps, ils restent corvéables, exploitables et divisés.
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Les organisations politico-syndicales de gauche, pour obtenir le plus de voix et d'élus, combattent les révolutionnaires et les anti-parlementaristes. La bourgeoisie est heureuse que l'attaque contre le radicalisme des salariés vienne des structures de gauche, ce qui accélère les divisions des travailleurs.
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La bourgeoisie va accroître les moyens et les pouvoirs des réformistes : subventions, heures de détachement ou heures syndicales, locaux, indemnités de fonctionnement et de formation, remboursements très généreux de frais de toutes sortes, etc... En fondant l'attribution des moyens sur la représentativité électorale, on élimine toute organisation anti-parlementaire, voire celle favorables aux élections mais trop petites. On les prive des moyens logistiques et de certains droits légaux, voire on peut nier leur existence. Bref, les grosses structures se renforcent, et combattent encore plus violemment toute critique et pratique anti-électorale.
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Le lobby réformiste est puissant, représenté par les syndicats institutionnels dans les lieux de travail et les structures qui en découlent. Il conforte son influence par les partis, dans les parlements ou structures équivalentes (locales, régionales, internationales). Il gouverne, gère ou cogère l'Etat, ses administrations et institutions, ainsi que de nombreuses caisses sociales (retraites, santé, aides sociales, chômage, mutuelles, etc...).
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Les réformistes recrutent pour leurs objectifs du personnel formé dans les écoles de la bourgeoisie. Ces individus recherchent argent et pouvoir, et concourent à embourgeoiser les structures réformistes, et à les intégrer au système social et politique adéquat. Sociologiquement, la croissance des élus, permanents, ... bureaucratise les structures qui se juxtaposent à la réalité sociale (dirigeants, cadres, subalternes). Les adhérents se taisent ou se désaffilient, n'ayant aucun poids face aux dirigeants. Ils servent de main d'oeuvre gratuite.
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La corruption sévit : détournements des protections juridiques, des heures de délégations, dérogations, favoritisme, avantages, passe-droits ; chacun négocie son pouvoir pour ses intérêts personnels.
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Les ressources des partis et syndicats institutionnels proviennent majoritairement des finances publiques, les cotisations étant résiduelles. Résultat, les personnels de ces institutions sont des quasi-fonctionnaires. Elles-mêmes sont devenues, comme l'écrivait Althusser, des appareils idéologiques de l'Etat qui vendent du rêve, de l'espoir, prodiguent des grands principes humanistes pour séduire les électeurs, mais qui ont fonction d'encadrer, domestiquer, discipliner pour réprimer le prolétariat. Ce sont des outils efficaces car plus ils sont puissants, plus les inégalités se maintiennent ou croissent, plus l'oppression est subtile.
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Mais, si par le plus grand des hasards, par un accident de l'histoire, le réformisme et le cadre pseudo-démocratique du parlementarisme, devenaient une gêne, voire une menace, la bourgeoisie, fidèle à ce qu'elle est, ferait un coup d'Etat, établirait la dictature, le temps de liquider les subversifs, de mater les agités, avant de permettre le retour de la pseudo-démocratie.
A l'inverse de ces pratiques réformistes plus ou moins voilées, l'abstention électorale, la défiance, la critique du système pseudo-démocratique ouvrent un espace critique. La lutte contre la dictature et la pseudo-démocratie nécessite une tactique, une stratégie, une doctrine. Le corpus théorique de l'anarcho-syndicalisme y répond. Il doit être vulgarisé, développé pour répondre à ces exigences. J'en rappelle très brièvement pour finir quelques éléments : action directe, anti-parlementarisme, rejet du corporatisme et du nationalisme, fédéralisme, économie planifiée, communisme libertaire, égalité économique et sociale, rejet des structures hiérarchisées et bureaucratiques, etc ... Pour cela, nous devons continuer à refuser de nous intégrer au système, de nous embourgeoiser, de contribuer à l'exploitation. Que chacun réfléchisse à tout cela.
[1] Le fait qu'un prolétaire détienne quelques actions ne change rien à sa condition ; comme salarié, il ne peut décider ni changer l'ordre des choses. Cet actionnariat, c'est du salariat maquillé par les patrons. La bourgeoisie par contre ne se limite pas pour moi aux seuls propriétaires des structures économiques, mais incorpore les cadres dirigeants, les hauts fonctionnaires, les élus, les financiers, les bureaucrates, c'est-à-dire tous ceux qui tirent avantage en pérennisant le système social inégalitaire et capitaliste.