L’Assemblée autonome
La grève des électeurs et des électrices (et une critique de "Génération Ingouvernable")
LES ÉCHÉANCES ÉLECTORALES N’ONT PAS FINI DE NOUS ENTERRER. Ce qui était déjà perceptible au printemps dernier via les manœuvres aussi rapaces que ridicules de quelques politiciens lors des récentes oppositions à la loi travail et son immonde. Mais, de mémoire, jamais un meeting politique, ni aucune élection n’ont mis en branle quoi que ce soit : et ce sont mine de rien et avec parfois des accents contestataires qui sonnent très faux autant de manœuvres pour ramener le "troupeau" dans le giron du pouvoir.
L’élection serait en effet l’antidote face à une situation sociale, politique et économique qui n’a pas fini de nous bouffer la vie. Nous n’aurions le choix qu’entre diverses formes alternantes de gestion (durable) de la domination et de l’exploitation : l’une par sa gauche, l’autre par sa droite. Quant aux coups de menton des anti système de service “ni droite ni gauche“, il ne faut pas oublier qu’ils et elles appartiennent aux couches les plus intégrées de la société, leurs discours et leurs promesses n’engagent que celles et ceux qui les écoutent. En somme, le changement dans le statu quo.
Et, sur fond d’état d’urgence qui devient un mode de gouvernance social normal, ce que vise en dernière instance ce processus c’est de nous la boucler toujours plus, en imposant le consensus et la paix sociale alors que tout a déjà failli. C’est une nouvelle élection qui donne le coup de sifflet final et arrive à la bonne heure au lendemain d’un mouvement social au terme duquel le pouvoir socialiste n’a pas cillé, donnant au passage une puissance relativement inédite à l’appareil d’Etat, sans concéder la moindre queue de cerise.
Et à la gauche de la gauche, le constat n’est guère plus réjouissant : des jeunes et des vieux loups de la politique se partagent le soin de nous proposer, véritable oxymore, l’insurrection citoyenne par les urnes . A titre d’exemples, de telles levées de rideau de fumée ont déjà eu lieu non loin d’ici : les “volte-faces” des gauches radicales en vue en Grèce comme en Espagne, une fois ces dernières au pouvoir (répression des grèves, expulsions de migrants, expulsions de squats, etc.) ne sont ni des accidents ni des trahisons, mais plutôt les prolongements politiques de logiques alternatives qui font finalement bonne réception à l’ordre des choses étatique et capitaliste.
Et ici, on ne manque déjà pas, à titre de repoussoir, d’agiter l’épouvantail, certes peu ragoûtant, de l’extrême droite : cela devrait suffire à persuader les plus rétifs de céder sur le refus du vote et de l’adhésion au pouvoir. C’est d’un chantage dont il s’agit en réalité. Chantage qui devrait faire le lit de Procuste à un énième front républicain. Etrange imposture que celle-là : on voudrait nous faire croire que la lutte contre l’extrême droite s’opère par les urnes. Ce qui serait simplement comique si cela n’avait effectivement dans les faits des conséquences catastrophiques, parce que beaucoup d’idées et de mesures prises à droite comme à gauche, et que ne renieraient pas l’extrême droite, ont pu s’épanouir ces dernières années : lois de sécurités quotidiennes, constructions de nouvelles prisons, contrôle accru des populations cibles immigrées, proposition de déchéance de nationalité, etc.
Et c’est également oublier un peu vite que l’état a toujours occupé une position privilégiée dans le processus d’assimilation des idées fascisantes. Et, l’expérience simple indique qu’il est possible de se passer de l’Etat, des partis et des représentations de tout poil en privilégiant la lutte et l’action directe. Même si elles n’obtiennent parfois que des succès relatifs, et malgré les coups de boutoirs de la répression, de la collaboration active des partis, des syndicats et des représentants de tout poil, il n’en reste pas moins que les liens qui s’y tissent, l’élaboration collective qui y président, la transformation des individu-e-s qu’elles suscitent, et les moments libérés des carcans institutionnels qu’elles dégagent portent en germe des promesses d’émancipation que rien ne saurait jamais remplacer.
Ni élection, ni piège à con !
SOYONS INGOUVERNABLES ! C’EST PAR CE SLOGAN, que nous pourrions faire nôtre, que tente de se propager un mouvement de perturbation de la campagne présidentielle. Si nous nous sentons ingouvernables, et entendons nous opposer à cette campagne, ce n’est pourtant pas au nom de la même ingouvernabilité que ceux et celles qui ont pris le parti de le lancer. A la suite de la tradition anarchiste et antiautoritaire, c’est bien le pouvoir, la représentation et les formes de lutte indirectes que nous souhaitons anéantir. Les ingouvernables ne visent quant à eux et elles qu’à destituer le pouvoir actuel. Mais sans préciser ce qu’ils et elles entendent lui substituer.
Le week-end de rencontres "Génération ingouvernable" organisé à Paris le 28 et 29 janvier dernier a sonné le point de ralliement. A la suite d’A l’abordage, campagne contre l’université d’été du PS à Nantes annulée par crainte de relancer l’opposition à la loi travail, et Les élections n’auront pas lieu qui lui a fait suite, ces rencontres ont réunis communistes sans Partis, nuit deboutistes, Insurrectionnalistes qui viennent, des militants et des militantes du NPA ou du Front de gauche, quelques Négristes, et quelques libertaires. Dès l’origine, le fond de l’air est indéniablement rouge. Comme dirait l’autre : "Ca sent la grisaille soviétique retouchée à photoshop". Que ressort-il de l’appel initial ? Qu’une génération est en marche. Elle regrouperait pêle-mêle, les occupants et occupantes de la ZAD, les manifestant-es des cortège de tête, les animateurs et animatrices de lieux occupés. Cet appel entend dès son origine représenter un ensemble d’expérimentations et de luttes en cours ou achevées. A la classe de jadis, se substitut la Génération et le Mouvement, et au Parti, des rencontres et l’activation de réseaux. Mais c’est bel et bien sur le front de la représentation que ne manquent pas de s’orienter ces rencontres
C’est d’une génération que l’on vante les mérites et le commun. Etrange génération pourtant que celle dans laquelle quelques vieux briscards et vieilles briscardes d’entre nous croisent de vieux visages connus ou inconnus. Mais pour ces publicitaires l’important n’est pas tant la vérité que toucher le cœur de cible. Depuis le terme génération a été mis de côté, sans doute sous l’impulsion des communistes, en mal de lutte des classes. Mais ce qui est toujours là, c’est bien davantage la volonté de propager le chaos, que de vivre l’insoumission.
Comment fonctionnent ces ingouvernables ? Tout cela reste flou. Des rencontres, des comités ou des assemblées locales, un Facebook pour recenser les activités. Nous sommes ainsi, activistes, assemblées de lutte, collectifs, lieux occupés ou loués, appelés à soutenir les ingouvernables, à envoyer nos compte-rendu d’activités, le tout sans nul doute animé par cette fameuse intelligence collective qui est au nouveau mouvement radical, ce que la main invisible est à l’économie : la promesse d’une bonne claque dans la gueule ! En clair, on nous demande, dans cette novlangue si orwellienne, de devenir des ingouvernables gouvernés, mû par un état major invisible et insaisissable. Or pour notre part nous n’entendons pas plus accepter d’être gouvernés par des politiciens et des politiciennes professionnels qui se succèdent sur les plateaux télé en temps d’élection que par des managers de lutte.
Parce que pour nombre d’ingouvernables le rapport au pouvoir et la représentation est plus qu’ambivalent. Pour certains, comme certains et certaines insurrectionnalistes qui viennent, élu-e-s des « territoires qu’ils et elles habitent », jeudi ça peut être sbeule, et le lundi Conseil Municipal. Pour d’autres, voter ou ne pas voter, n’est pas la question, et l’est d’autant moins que certains et certaines annoncent déjà qu’ils iront porter leur tribu pour faire barrage à un ou une Trump à la française.
Caen ingouvernable n’est pas en reste. Tout d’abord en acceptant de répondre à cet appel à enrôlement. Ensuite en acceptant de reproduire le même flou artistique : "Si nous sommes en mesure de déléguer le pouvoir, d’être gouverné-e-s, nous ne sommes pas que cela. Nous sommes également ingouvernables." Tout vise à maintenir la même composition susceptible d’unir du NPA au RRC en passant par les syndicalistes de lutte. Le samedi c’est tentative de sbeule, le lundi collage électorale ou participation au CA de la fac. Ce qu’il faut rendre ingouvernable c’est bien davantage la situation que son rapport au monde. Ce qui est attaqué, ce n’est pas le pouvoir et la délégation en tant que tels, mais le fait de ne pas le détenir. Quant à voter ou ne pas voter c’est d’autant moins la question qu’elle pourrait conduire à diviser les troupes, et que c’est des troupes qui sont recherchées.
POUR NOTRE PART NOUS N’ATTENDONS PLUS RIEN DE CE NÉANT. C’est à partir d’une toute autre position, moins portée par des visées stratégiques et politiques que par une éthique révolutionnaire que nous appelons à perturber le jeu électoral. Il nous semble important d’affirmer une présence commune qui vise à saper le rapport au pouvoir et à la représentation, tant dans nos vies quotidiennes que dans nos luttes, et d’insuffler un autre souffle à cette période.
Nous ne visons pas plus la destitution du pouvoir car nous ne souhaitons pas nous y incarner du tout, nous visons juste sa destruction. Cette période électorale est donc pour nous l’occasion d’articuler l’anti électoralisme et l’incarnation d’un tel refus via une capacité d’intervention autonome à travers des initiatives variées telles que par exemple la perturbation des campagnes et des permanences électorales, l’organisation de concerts de soutien à l’abstention, etc. Il est temps de fédérer les énergies car il y en a. Cet appel à contrecarrer cette mascarade électorale, mais pas que, nous l’espérons le plus contagieux et le plus extensif possible. Parce qu’aucune élection ne saurait jamais consommer notre soif de liberté même dans le meilleur des mondes !
L’Assemblée autonome.
Caen, février 2017.