Titre: La partition de l’Irlande
Date: 2005
Source: Traduit depuis la version anglaise disponible sur struggle.ws (consultée le 4 juin 2016).
Notes: Dernière version : octobre 2005.

        Impérialisme et nationalisme

        Identité communautaire

        Racines historiques

        Unionisme et Loyalisme

        Le Sud

        Républicanisme

        Des années 1960 à nos jours

        Lutte armée

        Le processus de paix

        Le sectarisme dans le Nord aujourd’hui

        Unité ouvrière

        Une fin à la partition ?

      Perspectives à court terme

        Débat avec les loyalistes

        Réforme de l’État des 6 comtés

        Le rôle de l’État britannique

Impérialisme et nationalisme
1.1

En tant qu’anarchistes, nous nous opposons à l’impérialisme[1] et nous croyons qu’il ne peut pas jouer un role progressiste. Le role de l’État Britannique en Irlande est un cas particulier de l’impérialisme auquel nous nous sommes toujours opposés. Les relations de l’État Britannique avec l’Irlande sont impérialistes, car les décisions qu’il a imposées ont toujours été autonomes de la volonté du peuple de l’île et de n’importe quelle section de ce peuple. C’est-à-dire, la politique de l’État Britannique obéit aux besoins de l’État Britannique et non à la volonté du “peuple irlandais”, de ceux qui sont “loyaux à la couronne” ou même de la classe dirigeante.

1.2

Cependant, en nous opposant à l’impérialisme nous ne reconnaissons aucune forme de nationalisme comme offrant une solution définitive ni à la classe ouvrière en Irlande ni à la classe ouvrière de par le globe. Dans l’analyse ultime, le nationalisme prétend qu’il y aurait un intérêt commun entre travailleurs et patrons d’une “nation” contre les travailleurs et les patrons d’une autre. En tant qu’anarchistes, nous promouvons la solidarité internationale des travailleurs contre tous les patrons.

Identité communautaire
2.

Ceci dit, en tant qu’anarchistes vivant sur l’île d’Irlande nous devons prendre en compte plutôt qu’ignorer les divisions de la classe ouvrière qui existent sur des bases communautaires dans le Nord, ainsi que les problématiques de répression étatique qui s’y mêlent. Quand nous parlons d’ “identité communautaire” nous reconnaissons que tous les catholiques ne sont pas nationalistes, tous les protestants ne sont pas unionistes, et tous les nationalistes et unionistes ne sont pas croyants. Il existe cependant deux identités communautaires principales, qui peuvent être résumées comme catholique/nationaliste d’une part et protestante/unioniste de l’autre. Dans ce texte les termes “identité communautaire” et “religion” sont employés de manière interchangeable.

3.

Nous rejetons l’idée selon laquelle il existerait des différences entre travailleurs de différentes religions de l’île qui rendrait la partition désirable ou inévitable. Nous considérons plutôt la partition comme la raison principale pour laquelle des conflits basés sur des divisions religieuses continuent à éxister.

4.

Toutes les sections de la classe ouvrière ont perdu suite à ces divisions religieuses. Dans le Nord, les divisions de la classe ouvrière ont rendu plus difficile, mais pas impossible, l’union contre les patrons. Dans le Nord les divisions ont historiquement impliqué que les travailleurs d’origine catholique ont souffert des discriminations de la part de l’État et furent souvent la cible d’attaques loyalistes et Orangistes. Dans le Sud, la naissance d’une politique socialiste de masse chez la classe ouvrière a été différée pour des décennies, les travailleurs sudistes furent soumis à un régime étatique théocratique qui non seulement interdisait le droit à l’avortement, mais assujetissait également les personnes vulnérables, en particulier les enfants, à des régimes de “discipline” brutaux basées sur des abus physiques et souvent sexuels.

Racines historiques
5.

La partition n’est pas un accident historique, mais plutôt le résultat de siècles d’impérialisme et de luttes contre l’impérialisme. Depuis la Réforme, l’État britannique a encouragé les conflits religieux en Irlande afin de diviser pour mieux règner.

6.1

La rébellion républicaine radicale de 1798 offrit une opportunité de supprimer simultanément le règne de l’État britannique et la prépondérance des conflits sectaires. La défaite de la rébellion, en partie grâce à l’aggravation intentionnelle des divisions sectaires, permit à l’État britannique de non seulement préserver son règne mais d’approfondir et étendre les divisions sectaires qui existaient avant la rébellion.

6.2

Particulièrement significatif fut l’encouragement de l’Ordre d’Orange comme instrument contre-révolutionnaire ouvert aux “Dissidents” ainsi qu’aux Anglicans dans le but commun de réprimer les catholiques et les protestants radicaux. Les mythologies fondatrices nationalistes et loyalistes créées vers la fin du 19ème siècle représentèrent même cette dernière rébellion comme partie d’une histoire homogène d’irlandais catholiques en conflit avec l’État britannique et ses défenseurs loyaux / dupes locaux.

6.3

Ainsi la période des crises du Home Rule et de la guerre d’indépendance vit la création de deux identités nationalistes distinctes qui seraient cimentées par la partition et le carnaval réactionnaire — au Nord et au Sud — qui s’en suivit. Les politiques de classes qui émergèrent — au Nord et au Sud — au début du 20ème siècle s’évanouirent et furent remplacées par le Catholique Irlandais et le Protestant d’Ulster — chacun avec sont mini-État contenant des minorités mécontentes.

6.4

Ces mythes d’identités nationales distinguées continuent à être alimentées par des réactionnaires, au Nord comme au Sud, pour leurs propres fins.

7.1

La trêve de juillet 1921 eut lieu pendant ce que nous considéront maintenant le crépuscule de l’intense lutte des classes en Irlande qui avait commencé avec la grève des dockers en 1907. L’année 1919 vit des occupations de terres et de lieux de travail à grande échelle, ainsi que le “Soviet de Limerick” quand les syndicats dirigèrent la ville pour 14 jours pendant une grève générale. Tout ceci dans le contexte de la révolution en Russie et la tentative de révolution en Allemagne.

7.2

Quand la classe dirigeant du Royaume-Uni et de l’Irlande — dont nombre des nationalistes — s’inquiéta à l’idée d’une révolution, la partition fut un compromis pouvant apporter de la stabilité. Les différences économiques entre le Sud agricole et le Nord industriel permettaient aux dirigeants au Nord comme au Sud d’accepter la partition comme une tragédie inévitable. Les bases militaires nécessaires pour patrouiller l’Atlantique Nord furent garanties à l’Empire Britannique, puisqu’il garda le Nord et les cinq ports du Traité dans le Sud. Et au lieu de la menace d’une classe ouvrière unie dans une lutte pour de meilleurs salaires et conditions de travail, la partition promettait de creuser la division sectaire du milieu ouvrier et de renforcer l’identité nationale plutôt que celle de classe.

Unionisme et Loyalisme
8.1

Les 6 comtés du Nord furent extraites des 9 comtés de l’Ulster afin d’assurer un règne permanent de l’unionisme, en rapprochant les travailleurs protestants avec leurs patrons en échange de privilèges marginaux. Ce ne fut pas un projet secret, au contraire il fut discuté ouvertement par les Premiers Ministres du Nord (comme par exemple la fameuse déclaration de Brookborough sur l’emploi des “bon gars protestants”), en particulier quand les travailleurs commencèrent à s’unir autour de questions économiques communes.

8.2

De fortes divisions sectaires autour de l’accès à l’emploi et au logement existaient déjà, notamment à Belfast. Mais la rhétorique de ceux qui dirigeaient l’État du Nord aida à consolider un sentiment parmi une couche des travailleurs protestants qu’ils devaient activement défendre “leurs maisons et leurs emplois” contre les revendications des travailleurs catholiques pour un partage équitable. Cette couche pouvait être mobilisée non seulement contre les travailleurs catholiques, mais aussi contre les travailleurs protestants qui soit s’identifiaient avec l’appel à une redivision équitable pour des raisons humanitaires, soit voyaient la possibilité que plus pouvait être gagné pour tous les travailleurs s’ils s’unissaient en lutte.

8.3

Cette couche représente une minorité de travailleurs protestants mais elle a été, et reste, une minorité importante. Quand ses interêts ont coïncidé avec la classe dirigeante unioniste, des dizaines de milliers de personnes ont été mobilisées dans la rue, en 1969 en réponse à un mouvement pacifique pour les droits civiques, en 1974 lors de la grève contre le partage du pouvoir qui fit crouler le gouvernement de Stormont, dans les années 1980 pendant les démonstrations massives contre l’accord anglo-irlandais et dans les années 1990 à Dumcree. Mais, comme le montrent les exemples des années 80 et 90, son pouvoir dépend de la correspondance entre ses demandes et celles d’une partie considérable de la classe dirigeante britannique. Quand ce soutien n’est pas présent, le mouvement se fracture et bat en retraite vers une forme de loyauté abstraite envers les symboles plus réactionnaires de l’État britannique (la monarchie, l’Empire et le drapeau), tout en ayant le sentiment d’avoir été trahi par ce même État britannique.

8.4.

Ainsi le loyalisme est une idéologie réactionnaire dans toutes ses formes, y compris celles qui tentent de paraître socialistes. Il ne sert qu’à maintenir le sectarisme et les privilèges protestants, ainsi qu’à protéger les intérêts des classes dirigeantes britanniques et nordiques.

Le Sud
9.1

Toutes les raisons pour lesquelles les travailleurs protestants du Nord soutiennent la partition ne sont pas réactionnaires. Après la partition, l’État du Sud suivit un chemin qui mena effectivement à une forme de “Rome rule” (gourvené par Rome). Une énorme partie du pouvoir formel et informel fut remis à l’Église catholique. De 1937 à 1972, la constitution irlandaise contenait même la déclaration que l’Église catholique tenait une “place spéciale”. Les Taioseachs (Premiers Ministres) prêtaient régulièrement serment d’allégeance à l’Église catholique ou même au pape, comme le fit Costelloe en 1947 dans une lettre promettant “notre dévotion à votre Auguste personne”.

9.2

Ce n’est pas juste une question de déclarations rhétoriques — l’Église catholique fut de facto accordée le contrôle de presque chaque école, hôpital et orphelinat du pays. Jusqu’aux années 1990 elle avait un veto informel mais efficace sur les politiques du gouvernement. Elle n’était pas non plus sujette au système de Justice criminelle — les Garda (police) non seulement ignorèrent des centaines de signalements d’abus physiques et sexuels sur les personnes dans les institutions gérées par l’Église, mais au moins jusque dans les années 1960 ils capturaient les femmes ayant fui les Couvents de la Madeleine et les remettaient aux mains des religieux. Il n’y eut pas d’équivalent des pogromes religieux de l’État nordique dans le Sud, mais la partition fut tout de même suivie d’une migration massive de la minorité protestante du Sud et un rapide déclin du pourcentage de protestants dans la population.

10.

La lutte pour l’unité des travailleurs dans le Nord ne peut pas être séparée de celle pour bâtir un mouvement anarchiste dans le Sud. Un tel mouvement dans le Sud attaquant à la fois le capitalisme et la dominance des lois religieuses ira loin pour rallier les travailleurs Protestants dans le Nord. La position de pouvoir de l’Église catholique dans le Sud a été sévèrement affaiblie dans la dernière décennie. Cependant, elle maintient un rôle dominant dans des domaines cruciaux tels que l’éducation et la santé. La destruction complète de cette dominance aidera dans la construction de liens communs entre les travailleurs du Nord et du Sud.

Républicanisme
11.

Le républicanisme cherche à créer une société où le pouvoir sera plus équitablement partagé, mais où le capitalisme et une classe dirigeante continueront à exister. Le républicanisme en Irlande et internationalement contenait des bases démocratiques radicales, mais avec le développement de politiques de classe ouvrière autonomes, celles-ci furent reléguées aux franges du mouvement afin d’éliminer la menace que la classe ouvrière puisse saisir les rênes au cours des agitations.

12.1

Le républicanisme irlandais est maintenant basé sur une pratique qui cherche d’abord à unir les travailleurs catholiques avec les patrons catholiques dans une lutte commune pour une Irlande unifiée. Le républicanisme possède un soutien considérable parmi des parties de la classe ouvrière catholique dans le Nord, mais il n’a aucun attrait pour les travailleurs protestants, ni de stratégie pour approcher les travailleurs protestants au-delà d’appels rhétoriques.

12.2

Cependant, le républicanisme, au contraire du loyalisme, a souvent développé des courants gauchistes considérables en son sein car, du moins en théorie, il fut basé sur “l’égalité des droits pour tous” plutôt que la “destinée divine du peuple choisi” ou autres variations séculaires de ce thème. Cependant, après la montée du Léninisme, ces courants furent profondément contaminés par des idées socialistes autoritaires. Ceci dit, parfois, comme avec le Congrès Républicain des années 1930, elles pouvaient trouver un soutien parmi de petites sections de la classe ouvrière protestante du Nord, autour du slogan de la république des travailleurs. Bien que nous et d’autres anarchistes avons employé ce slogan par le passé, il n’est plus utile du fait de nos différents politiques avec les républicains, donc nous préférons dire simplement que nous aspirons à “une Irlande anarchiste”.

13.1

Les républicains de gauche parlent de combiner la lutte pour abolir la partition et celle pour le socialisme, en une seule et même lutte. Mais la réalité sectaire du conflit a signifié que quelle que soit la rhétorique, leur seule audience fut parmi les travailleurs catholiques. Et ils n’ont pas de stratégie pour convaincre les travailleurs protestants à part espérer que ces derniers surmonteront leur “fausse conscience”. Ce serait une stratégie bien faible dans tous les cas, mais venant d’organisations qui promeuvent des politiques Léninistes et sont fréquemment vues comme infestées de comportements sectaires, criminels et voyous, ce n’est plus une stratégie du tout. Quelles que soient les variantes du républicanisme qui peuvent être esquissées en théorie, l’histoire des dernières décennies rend le langage républicain inapte à initier un dialogue avec un grand nombre de travailleurs protestants.

13.2

De toute façon, à cause de la mondialisation, la période pendant laquelle le républicanisme constituait une stratégie viable est achevée. L’intégration à l’économie mondiale fait qu’il n’y a plus d’espace pour une petite économie de faire cavalière seule sans s’effondrer.

Des années 1960 à nos jours
14.1

Comme la majorité du monde occidental, l’Irlande dans sa totalité entama un processus de transformation radicale dans les années 1960 — ici comme ailleurs il se focalisa autour de demandes démocratiques pour l’égalité. Dans les 6 comtés cependant, la revendication égalitaire fut perçue, justement, comme sapant les bases de l’État du Nord. Donc, comme ailleurs dans le monde, un mouvement non-violent pour les droits démocratiques se retrouva confronté avec la force physique de l’État et les mobilisations « populaires » des mouvements réactionnaires.

14.2

Dans certaines régions du monde, comme aux États-Unis, l’émergence de mouvements de masse pour les Droits Civiques força le capital à moderniser l’État afin d’obtenir une stabilité — une modernisation qui n’eu lieu qu’au prix luttes intenses, mais qui néanmoins vit le gouvernement fédéral imposer des réformes sur des états individuels. Dans d’autres, comme en Afrique du Sud, l’État fut utilisé pour réprimer violemment le mouvement. Dans le Nord, les réformes et la répression furent déployées côte à côte pendant que des divisions au sein et entre les États britannique et nordique furent mises en jeu sans trouver de résolution réelle. Des réformes importantes furent gagnées par le mouvement des droits civiques, mais une grande partie de l’ancienne structure de pouvoir unioniste resta en place. Et la répression violente qui fut déployée contre le mouvement des droits civiques fit arriver beaucoup de gens à la conclusion qu’il n’existait pas de voie pacifique pour la réforme de l’État du Nord.

15.

Les troupes britanniques ne furent pas envoyées dans le Nord en 1969 pour maintenir la paix, mais plutôt pour fournir du répit aux forces de sécurité nordiques et pour stabiliser dans l’intérêt de la classe dirigeante britannique ce qu’ils redoutaient pourrait devenir une situation révolutionnaire. Ceci resta leur rôle, ce pourquoi nous appelons aux « troupes dehors maintenant ». De plus, elles furent aussi utilisées pour briser le dos de tout mouvement massif de réforme, avec des actions telles que Bloody Sunday en 1972.

Lutte armée
16.1

La tactique de la lutte armée, telle qu’elle est menée par les républicains, n’a jamais été capable de forcer le retrait de l’État britannique, car elle était incapable de fournir une victoire militaire sur l’armée britannique. La classe dirigeante britannique se soucie peu de la mort de soldats individuels dans son armée. La « campagne d’attentats commerciale » tua des victimes civiles et intensifia les tensions sectaires.

16.2

On reprochait également à la lutte armée de se reposer sur l’action d’un petit nombre d’individus, avec les masses reléguées à un rôle inactif, ou à un rôle limité à la fourniture de renseignement et d’abri au petit nombre. Il est prétendu qu’elle servit à maintenir les acquis des années 60 et 70. Les campagnes de masse (désobéissance civile, grèves des loyers et des tarifs, comités de rues, etc.) auraient constitué une protection bien plus importante pour ces acquis que le militarisme élitiste d’une minorité.

17.

L’État britannique est responsable de la longue histoire de conflits armés en Irlande. Tant que l’État britannique demeure en Irlande, la possibilité de lutte armée contre lui subsiste, particulièrement quand il n’y a pas de mouvement de masse comme alternative au militarisme. Nous avons opposé la lutte armée républicaine, car elle constituait un obstacle à l’unité de la classe ouvrière. Elle reposait sur de mauvaises politiques, elle fut une mauvaise stratégie et elle fit usage de mauvaises tactiques. Cependant, nous refusons de blâmer les républicains pour la situation dans les six comtés. Leur campagne fut le résultat d’un problème et ne doit pas être confondue avec sa cause. Dans l’analyse finale, la cause est l’occupation menée par l’État britannique.

18.

L’IRA (Armée Républicaine Irlandaise) ne fut pas responsable de la création du sectarisme. Plutôt, elle fut re-créée en 1969 en réponse aux attaques sectaires par les forces de sécurité et les paramilitaires loyalistes sur ce qui avait été un mouvement pacifique pour les droits civiques. Quand bien même des actions individuelles de l’IRA dans les années depuis ont intensifié les tensions sectaires, elles ne constituèrent pas la raison sous-jacente pour laquelle ces tensions perdurèrent. Pour cette raison, la fin de la campagne de l’IRA ne résulta pas en une fin du sectarisme.

Le processus de paix
19.

Quand le cessez-le-feu de 1994 fut déclaré, nous l’avons bien accueilli, car la fin de la lutte armée ouvre de nouvelles possibilités pour la politique de classe. Nous n’avons pas perçu le cessez-le-feu de l’IRA comme une capitulation. Ce fut la progression naturelle, étant donné les circonstances, de la politique nationaliste, qui allait toujours mener à un compromis avec l’impérialisme.

20.1

L’Accord du Vendredi Saint eut lieu alors que culminait la stratégie de Sinn Féin, qui depuis plus d’une décennie visait la mise en place de divers fronts autour de différentes questions dans une tentative de gain en respectabilité, en intégrant des membres du Fianna Fáil et des personnalités ecclésiastiques. Ceci impliqua l’abandon de toute référence au socialisme afin de conserver l’unité avec « la famille nationaliste plus large ». Cette stratégie n’allait jamais conduire à une Irlande socialiste unifiée, ni à aucune autre amélioration significative à part ceux associés à la « démilitarisation ». Elle représente à la place un durcissement du nationalisme traditionnel et du but d’arriver à une alliance de tous les nationalistes — Sinn Féin, Fianna Fáil, SDLP, l’Église catholique et « l’Amérique irlandaise ». Une telle alliance n’a rien à offrir à la classe ouvrière, du Nord comme du Sud, et nous nous y opposons fermement.

20.2

L’Accord du Vendredi Saint n’offrit rien à part un partage sectaire des dépouilles et a en fait approfondi les divisions sectaires. Nous avions appelé à l’abstention au référendum concernant l’accord, refusant de nous aligner avec ceux qui prônaient un vote « non », en faisant remarquer qu’ils n’avaient rien a offrir hormis une poursuite du conflit qui a ruiné des dizaines de milliers de vies de travailleurs. Les forces républicaines du Mouvement pour la Souveraineté des 32 comtés, la Real IRA, le Sinn Féin Républicain, la Continuity IRA et l’Armée de Libération Nationale Irlandaise n’ont rien à offrir hormis une intensification du communautarisme et du sectarisme. Les partisans loyalistes — aux rassemblements desquels étaient présents des partisans vocaux des escadrons de la mort des Forces Volontaires Loyalistes — aspiraient à un retour à l’époque où les catholiques vivaient comme citoyens de deuxième classe apeurés même d’être perçus comme protestant contre ce statut.

21.

L’Assemblée mise en place avec l’ « Accord du Vendredi Saint » illustre assez clairement le fait que l’effet net de cet accord est de solidifier le sectarisme, les membres élus devant se déclarer « nationaliste » ou « unioniste » pour que leurs votes soient pris en compte. Les partis politiques ont montré qu’ils sont capables de bien s’entendre sur les questions économiques — sans désaccord sur les budgets ou programmes de dépense -, mais des questions comme quelles fleurs devraient être exposées dans le hall ou quels drapeaux devraient battre au-dessus des bâtiments ministériels sont utilisés pour attiser les divisions entre les deux camps.

22.

Le vote massif, au Nord comme au Sud, en faveur de l’accord — qu’importe ce qu’il a pu indiquer par ailleurs — montra assez clairement que la grande majorité du peuple ne veut pas un retour aux violences d’avant le cessez-le-feu. Tout retour à la lutte armée ne créera que plus de souffrance et de répression pour les travailleurs des six comtés.

Le sectarisme dans le Nord aujourd’hui
23.1

Des divisions sectaires perdurent dans le Nord de nos jours. Nous reconnaissons que nombre des manifestations qui ont lieu autour de ces divisions sont destinées à les attiser et à diviser encore plus la classe ouvrière plutôt qu’à les résoudre. Ceci se fait souvent au profit électoral de politiciens locaux ou sert à maintenir le rôle des paramilitaires.

23.2

Nous ne sommes pas neutres sur ces questions. Nous ne soutenons pas le droit de quel groupe qu’il soit à déterminer qui peut ou ne peut pas vivre, travailler ou circuler dans « leur territoire ». L’unique exception que nous faisons concerne les défilés de l’Ordre d’Orange et autres institutions apparentées à cause du rôle d’aggravation de la haine sectaire qu’elles continuent à jouer. Mais nous argumentons que l’opposition à l’Ordre d’Orange doit être fondée sur une base de classe plutôt que de religion. Ce qui implique de fournir de grands efforts visant à convaincre les travailleurs d’origine protestante à s’opposer à l’Ordre.

23.3

Nous soutenons généralement tous les appels à enquêtes publiques et toutes les tentatives de limiter les pouvoirs policiers, même lorsque nous nous trouvons en désaccord avec la politique de ceux qui sont victimes de la répression.

23.4

Nous argumentons en faveur de l’intégration des logements et des écoles et la suppression de tous les symboles religieux et nationalistes dans les bâtiments publics et les rues par ceux qui les utilisent. Nous argumentons en faveur de la dissolution de toute influence cléricale dans les écoles et hôpitaux qui reçoivent des fonds publics, au Nord comme au Sud.

24.

Nous condamnons toutes les actions sectaires (c’est-à-dire effectuée pour des raisons religieuses), y compris celles effectuées par des républicains. Nous combattons le sectarisme non pas en appelant aux forces étatiques, mais en appelant les travailleurs à l’action via des grèves, manifestations, etc. en réponse à ces outrages.

25.

Nous condamnons sans réserve les passages à tabac et fusillades « punitives » de personnes accusées de « comportement antisocial » ou de trafic de stupéfiants qui sont effectuées par les paramilitaires républicains et loyalistes. Ces actions ne sont rien de plus qu’une vulgaire tentative par ces groupes de maintenir le contrôle sur ce qu’ils considèrent être « leurs communautés ». C’est de la brutalité autoritaire. Et ce n’est pas une justification pour ces groupes de prétendre qu’il y aurait un « vide policier » ou que ce serait les communautés qui les poussent à l’action. Aucun de ces groupes n’a de mandat pour appliquer leur « loi ». Et elles n’ont certainement aucun droit à s’installer comme juge, jury et bourreau.

Unité ouvrière
24.

En tant qu’anarchistes, nous aspirons à l’unité entre travailleurs catholiques et protestants et entre travailleurs irlandais et britanniques. Le potentiel de s’unir a été illustré à de nombreuses occasions de l’histoire du Nord, dont la grève des dockers en 1907 et la grève de 1932 qui vit les quartiers du Falls (nationaliste) et du Shankill (loyaliste) éclatèrent en émeute en soutien mutuel. Plus récemment, nous les avons vus s’unir en défense du National Health Service (système de santé publique) et contre l’intimidation sectaire. Des exemples plus restreints d’une telle unité sont contamment impliqués dans les luttes aux lieux de travail dans le Nord.

25.

Nous reconnaissons que bien que les travailleurs protestants ont des avantages marginaux sur les travailleurs catholiques, ceux-ci sont éclipsés par les désavantages crées par la division de la classe ouvrière qui fait que les travailleurs du Nord, catholiques comme protestants, sont moins bien lotis en termes de logement, de chômage et de salaires que n’importe quelle région de taille comparable en Angleterre. Cela est le fruit de la partition.

26.1

Comme partout ailleurs, les travailleurs du Nord ont lutté pour améliorer leur sort et se sont unis pour ce faire. Malgré l’héritage de discrimination à l’emploi, le lieu de travail reste la partie la plus intégrée de la société nordique. Il y a même eu d’importantes grèves contre l’intimidation sectaire au travail.

26.2

Cependant, l’idéologie du loyalisme a été employée pour briser et saper l’unité des travailleurs. Ce n’est pas surprenant, étant donné que les revendications pour l’amélioration des conditions de tous s’opposent à l’idée d’un « État protestant pour un peuple protestant » (Craig, premier Premier Ministre), sur laquelle l’État du Nord fut explicitement fondée. Le nationalisme irlandais de la classe ouvrière catholique ne présente pas forcément d’implications réactionnaires évidentes. Mais, si on se rappelle que l’unité de la classe ouvrière implique l’unité internationale de tous les travailleurs, il est clair que le nationalisme irlandais, comme tous les nationalismes, aspire à une division de la classe ouvrière internationale et le sacrifice des intérêts des travailleurs en faveur de l’ « intérêt national », intrinsèquement capitaliste.

27.

Les intérêts des travailleurs de l’île dictent la nécessité de rompre avec les idéologies du loyalisme et du nationalisme irlandais. Si c’est vrai pour les luttes économiques au jour le jour, c’est cent fois plus vrai dans le cas de la lutte pour le communisme libertaire.

28.

Un mouvement libertaire durable ne peut être construit que sur une base qui inclut explicitement l’anti-impérialisme ainsi que l’opposition à la répression étatique et au sectarisme. Ces questions doivent être débattues au sein de tout mouvement libertaire et ne doivent pas être mises de côté en faveur d’objectifs à court terme.

29.

Nous devons aider les groupes anarchistes britanniques à développer une perspective claire sur la question nationale, afin de retirer le soutien des travailleurs britanniques au règne de l’État britannique en Irlande.

Une fin à la partition ?
30.1

Avec le processus de paix, l’État britannique prétendit que si la population de l’île votait en référendums séparés — Nord et Sud — pour la réunification, il respecterait leur décision. Ce n’est pas une coïncidence que cette concession fut faite pendant une période où la branche élue de l’État britannique imposait un programme de modernisation de la structure étatique. Tous ces changements furent opposés par d’autres factions de la classe dirigeante et pourraient bien s’avérer réversibles. L’histoire du Royaume-Uni et des autres pouvoirs impérialistes montre qu’on ne peut pas compter sur leur parole. Mais en parallèle au processus de paix, un changement a eu lieu dans la politique européenne, avec l’Union Européenne devenant de plus en plus le garant de la stabilité capitaliste. Après tout, il importe peu aux entreprises multinationales quel gouvernement leur assure la stabilité.

30.2

Ceci ouvre une nouvelle voie inquiétante par laquelle la partition pourrait être dissoute. Auparavant, des anarchistes, dont le Worker’s Solidarity Movement, pensaient que la partition ne pouvait être dissoute que par une révolte révolutionnaire qui unirait la classe ouvrière et abolirait donc le sectarisme. La suppression de l’impérialisme était une condition requise pour un tel scénario. Mais maintenant, la partition pour être dissoute via un référendum dans lequel une majorité jusqu’ici inexistante imposerait un nouvel état des choses à une minorité, dans lequel le sectarisme resterait en place. En tant qu’anarchistes nous accueillerions volontiers la suppression de l’impérialisme même en de telles circonstances, mais nous reconnaissons qu’au moins à court terme, elle intensifierait probablement les divisions sectaires chez la classe ouvrière du Nord.

Perspectives à court terme

Débat avec les loyalistes
S1.1

Les organisations politiques liées aux paramilitaires loyalistes sont devenues plus actives depuis le cessez-le-feu loyaliste de 1994. Alors que le Parti Progressiste Unioniste prétend être socialiste, il est important de se rappeler d’où il vient. Il s’agit de la face visible des Forces Volontaires Unionistes, qui menèrent une guerre flagramment sectaire contre la population nationaliste des six comtés pendant deux décennies et demie. À moins qu’il renonce et jusqu’à ce qu’il renonce à ces actions, il il ne peut pas être considéré comme partie du mouvement socialiste.

S1.2

Nous ne soutenons pas, cependant, la position selon laquelle les socialistes ne devraient pas entrer en débat avec des membres de ces partis. Ce n’est qu’à travers de tels débats que l’absurdité de leurs prétentions d’être socialistes alors qu’ils prêtent serment de fidélité à une monarchie pourra être exposée. Afin de rallier les travailleurs protestants des six comtés à la lutte pour l’anarchisme, nous devons d’abord les convaincre de rompre avec l’idéologie sectaire du loyalisme/unionisme.

Réforme de l’État des 6 comtés
S2.

Nous avions précédemment soutenu que l’État des 6 comtés était irréformablement sectaire. Cependant, le processus de paix actuel pourrait mener à un appareil étatique partagé entre forces sectaires en querelle d’une part, et l’encouragement par les politiciens de conflits sectaires communautaires d’autre part. Il semblerait que le capitalisme, incapable de faire marche avant, a contourné le problème d’une façon qui ne résout pas les conflits sectaires de base mais résulte en une « parité d’intervention » par l’État dans ces conflits.

Le rôle de l’État britannique
S3.

Il n’est plus possible d’assigner une intention unique à l’État britannique en ce qui concerne le Nord. Le transfert de pouvoir à l’Union Européenne, la fin de la Guerre Froide et la croissance économique du Sud ont tous eu tendance à efface les raisons historiques pour lesquelles la classe dirigeante britannique dans son ensemble souhaiter garder la main-mise sur le Nord. Maintenant, la faction majoritaire paraît ouverte au partage du pouvoir avec le gouvernement du Sud et même à une éventuelle réunification. La priorité majeure des classes dirigeantes sudistes et britanniques est de maintenir des conditions stables pour le capitalisme.

[1] Voir notre texte sur la mondialisation capitaliste et l’impérialisme.