Petrogradskaja federacija anarchistov
La Fédération Anarchiste de Petrograd
NDT : Les notes entre [ ] du texte sont de Szarapow, le traducteur russe/anglais du texte. Seules les plus longues ont été reportées en notes de bas de pages. Certaines notes avec des liens sur des sites en langue russe ont été supprimés. Se reporter au texte original.
Ce compte rendu a pour but de fournir aux camarades un aperçu général du mouvement anarchiste à Petrograd. Il est très court et nullement exhaustif, faute de ne pas avoir accès à assez de matériaux historiques.
L’histoire du mouvement dans son ensemble peut être divisée en plusieurs périodes :
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la période de la révolution de 1905–1907 ;
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la période de la réaction ;
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la période de la guerre mondiale ;
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la période de la grande révolution [1917] :
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avant octobre, et
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après octobre ; et
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la période post-révolutionnaire.
Les débuts du mouvement anarchiste à Petrograd pourraient être datés à partir de 1904–1905, bien avant les premiers mois de la révolution de 1905, lorsque les anarchistes russes revenus de l’étranger ont fondé les premiers cercles (dans le sud et le sud-ouest de la Russie, ce mouvement avait commencé avant). Deux groupes furent fondés à l’automne 1905 à Petrograd. L’un comprenait des anarchistes revenus de l’étranger. L’autre incluait des étudiants et des ouvriers. Nous noterons ici que les cercles ouvriers commencèrent à se former à partir de novembre et même de octobre 1905 au-delà du quartier central de Nevskaya Zastava, puis plus tard dans d’autres quartiers. L’agent provocateur Vladimir Degayev, un étudiant, s’y joignit presque immédiatement. Cela entraînait des désaccords au sein du groupe et perturbait le travail. Ce groupe existait depuis environ un an ; Certains de ses membres participaient encore au mouvement anarchiste. Il y eut un essai pour créer une imprimerie, mais sa réalisation fut aussi empêchée par Degayev.
Le second cercle était aussi organisé par un groupe d’exilés revenus de l’étranger (Petr surnommé « Tolstoï » [de son vrai nom Nikolay Divnogorsky, 1882 — 1909], sa femme Marusya, et Nikolay Romanov [alias Bidbey, 1876 — après 1934, aussi appelé Stepan Romanov]), ainsi que de plusieurs intellectuels qui s’étaient joints à aux en Russie. Ce cercle se consacrait principalement à la propagande par le fait,c’est à dire la terreur et les expropriations ; ils éditaient des tracts en ce sens.Il n’a existé que pendant une courte période, infiltré par un agent provocateur, Dmitry Dobrolyubov (Yefimov). Après les avoir entraîné dans un projet d’expropriation, il s’était arrangé pour les faire arrêter lors de sa préparation. Quelques membres du groupe furent jugés et condamnés aux travaux forcés et emprisonnés à la forteresse de Shlisselburg, de laquelle ils furent libérés lors de la révolution de 1917 — Mergaling, N. Romanov, étudiant [Boris Fedorovich] Speransky. La femme de Petr “Tolstoï”, Marusya, devint folle lors de son incarcération précédant le procès dans la forteresse Pierre et Paul, fut transférée à l’Hôpital Saint Nicolas, puis relâchée sous caution. Tolstoï lui-même simula la folie alors qu’il était emprisonné à la forteresse Pierre et Paul et fut transféré à l’hôpital Saint Nicolas. Des camarades l’aidèrent à s’évader et il s’enfuit à l’étranger. Il organisa une attaque de banque à Genève, fut arrêté, passa en procès et fut condamné à la prison à vie. En prison, il s’aspergea de paraffine et se fit brûler vif.
Les membres du groupes qui ne furent pas arrêtés continuèrent à travailler. Les deux cercles avaient commencé à communiquer bien avant les arrestations mais n’avaient pas fusionné, du fait, en partie, de la défiance envers Degayev de la part de membres du cercles de Tolstoï. Peu à peu, de nouveaux membres commencèrent à se manifester — des ouvriers et des intellectuels. Un certain nombres de cercles composés d’ouvriers apparurent, et, à l’été 1906, de tels cercles existaient dans presque tous les quartiers ouvriers. La demande pour de la documentation augmenta. Des tables furent installées à l’université de Bestuzhev pour y vendre de la littérature anarchiste. Ces tables devinrent des lieux où se rassemblaient des membres et des sympathisants et où des anarchistes n’habitant pas la ville se rendaient pour lier des contacts. Des tracts hectographiés étaient publiés ; les efforts pour créer une imprimerie se poursuivaient ; le nombre de membres continuaient à augmenter.
Un intérêt particulièrement grand envers l’anarchisme dans les cercles ouvriers et étudiants était suscité par les conférences de l’orateur Venin (de son vrai nom Olenchikov), qui était revenu de l’étranger en 1906. Kropotkinien dans sa vision, il était un grand conférencier et un homme très érudit. Malheureusement, ses activités ne durèrent pas longtemps. Le gouvernement menait un double jeu à cette époque : n’osant pas encore donner le coupe de grâce à la révolution, il utilisait tous les prétextes pour arrêter et condamner des militants. Le provocateur Degayev, qui avait été arrêté déjà plusieurs fois, était encore entouré d’étudiants qui le croyaient. Il avait organisé, avec ces jeunes, une expropriation réussie (24 000 roubles, autant que je m’en souvienne), et avit donné une toute petite partie de cet argent à Venin qui l’avait accepté,malgré les avertissements de quelques camarades qui se méfient énormément de Degayev. Les participants à l’expropriation furent rapidement arrêtés, ainsi que Venin. Il fut « épinglé » du fait de l’argent accepté ; bien sûr, ce n’était qu’un prétexte, la raison principale était ses activités de propagande. Venin s’échappa du tribunal et s’enfuit à l’étranger. Il est maintenant de retour en Russie mais ne participe pas au mouvement.
Avant la fin de sa première année d’existence, l’organisation prit le nom de Fédération Anarchiste de Petrograd [En russe : Petrogradskaya Federatsiya Anarkhistov ; un anachronisme évident puisque St Petersbourg ne fut pas appelé Petrograd avant 1914, donc, le groupe initial devait probablement s’appeler la Fédération Anarchiste de St Petersbourg, ou Peterburgskaya Federatsiya Anarkhistov]. Il est, bien sûr, impossible de dénombrer ses membres, puisqu’il était impossible d’en tenir un registre du fait de sa nature conspirationniste ; mais on peut avancer sans se tromper qu’il existait des cercles dans tous les principaux quartiers ouvriers. La demande de documentation était très importante ; Il y avait toujours une nombreuse assistance aux conférences de Venin, qui soulevaient beaucoup d’enthousiasme. En 1907, une imprimerie manuelle fut installée pour imprimer des tracts.
A partir d’avril 1907, la réaction commença à s’accélérer et, par conséquent, les partis révolutionnaires à s’enfoncer davantage dans la clandestinité. En 1908, toute trace d’un travail au plein jour avait disparu. Beaucoup de membres de la fédération avait alors été arrêtés et quelques-uns s’en allèrent, mais ceux qui restaient continuèrent à soutenir le mouvement du mieux possible et établissaient même de nouveau contact avec des ouvriers. De temps à autres, des tracts étaient publiés par hectographie (les caractères d’imprimerie avaient été en partie sauvegardés mais il n’y avait nulle part où installer l’imprimerie), et rencontraient un grand succès. The God Pestilence de [Johann] Most fut hectographié en de nombreux exemplaires et fut très populaire parmi les ouvriers. Avec l’aide d’un ouvrier lithographe, nous nous étions débrouillés pour publier une caricature de Nicolas [II] dépeint comme un clown manipulé par un prêtre, un général et un bureaucrate, avec le texte d’un poème humoristique. Trois numéros d’une petite revue furent aussi publiés, deux étaient hectographiés et un lithographié.
Le mouvement n’a jamais cessé de s’étendre, bien que très lentement, et de réunir de nouveaux membres. D’anciens contacts, rompus par les persécutions de la réaction, furent rétablis et maintenus. Des ouvriers des anciens cercles originels s’unirent de nouveau. Les liens avec les nouveaux cercles ne furent jamais rompus. Il y avait peu d’intellectuels dans le groupe initial, seulement quelques personnes ; les ouvriers formaient le noyau dur de la fédération. Pendant tout ce temps, Roman Bergold prit une part active dans le mouvement, lui qui fut récemment exécuté par un peloton d’exécution sur ordre des autorités soviétiques pour ses activités comme agent provocateur. Etait-il un agent provocateur alors, ou l’est-il devenu par la suite, pendant la guerre contre l’Allemagne, ce n’est pas clair aujourd’hui ; mais, à l’époque, on lui faisait entièrement confiance. De temps en temps, des individus, ou même des groupes de personnes, étaient arrêtés mais il n’était en aucune manière possible de porter ces arrestations au crédit de Bergold. Il fut lui-même arrêté plusieurs fois.
Telle était la situation lorsque éclata la guerre mondiale [en 1914]. Comme on le sait, peu après son déclenchement, le mouvement révolutionnaire commença à s’étendre au sein des masses prolétaires. Le milieu anarchiste fut aussi rajeuni : il y avait plus de cercles, des tracts étaient publiés plus fréquemment. Peu à peu, une imprimerie manuelle entièrement clandestine fut installée. Elle était utilisée pour imprimer des proclamations, des tracts, « Faim — ignorance — mort », une petite brochure sur l’anarchisme, extraite de La Conquête du Pain [de Pierre Kropotkine] et actualisée par un camarade. Les cercles ouvriers se développèrent de manière significative en 1916, ainsi que le travail de propagande, mais Bergold passa alors à l’Okhrana, et, en mars 1916, il trahit le mouvement. Un grand nombre de camarades fut arrêté, à la fois du groupe initial et dans les cercles ouvriers. Les caractères d’imprimerie furent sauvés, car très bien cachés. L’ Okhrana ne saisit que le cadre de la machine à imprimer, durant l’arrestation d’un camarade ouvrier. Après ce coup dur, le travail cessa pratiquement. Les camarades restant essayèrent de rétablir les contacts interrompus et de recommencer la propagande, mais Bergold étant à l’origine de l’affaire, rien ne fonctionnait. Lorsque un des camarades du groupe initial essaya de travailler seul à l’automne 1916, il fut arrêté en même temps qu’une camarade ouvrière avec laquelle il avait l’intention de créer un cercle. Les camarades arrêtés au printemps 1916, furent détenus rue Shpalernaya, en attendant un procès qui, comme cela était alors certain, les condamnerait au moins à être exilés dans le sud de la Sibérie, et pour quelques-uns, aux travaux forcés. Mais la révolution se déclencha en février 1917. Les camarades relâchés commencèrent aussitôt à reconstruire la fédération sur de nouvelles bases.
La revue Commune[1] [En russe : Kommuna] fut créée, une vraie imprimerie fut installée, une librairie fut ouverte et des armes furent distribuées. Plus tard, le manoir Durnovo[2] fut occupé et abrita le quartier général de la fédération. Une masse d’émigrés arrivant d’Europe de l’ouest et d’Amérique rejoignit ses rangs. Tous les membres du groupe anarcho-syndicaliste de Golos Truda[3] arrivés d’Amérique commencèrent à publier le journal du même nom, qui était auparavant édité à New York. Malheureusement, ils restèrent quelque peu à l’écart du travail anarcho-communiste quotidien, désapprouvant les manifestations révolutionnaires radicales et, de ce fait, suscitèrent quelques discordes au sein des rangs serrés des anarchistes. L’influence des anarchistes sur les masses ouvrières était importante à l’époque ; les rassemblements où Voline prenait la parole étaient très suivis ; le matériel de propagande circulait bien ; des piles de livres avaient été emportés sur le front et dans les provinces. En même temps que ces succès, un grand choc atteignit le moral de la Fédération, en avril. A partir de document de Okhrana, il fut établi que Bergold, éditeur de Commune, était un agent provocateur. Des camarades voulaient le tuer, mais il s’échappa, fut découvert en province, arrêté et condamné à la privation de ses droits civiques. Ce fut un choc moral pour la Fédération. Des journaux bourgeois, qui avaient toujours calomnié notre mouvement, se servirent de cette situation pour des attaques diffamatoires avec une joie malveillante. Mais la Fédération s’en remit rapidement, et Commune fut publié par une autre équipe d’éditeurs. Des contacts avec les provinces furent établis et un certain nombre d’organisations et d’imprimeries s’y établirent. D’autres contacts solides furent établis avec l’armée et notamment avec la flotte de la Baltique. Un journal anarchiste spécifique vit même le jour à Kronstadt [Vol’nyi Kronshtadt (Kronstadt Libre) selon Avrich, The Russian anarchists p.126].
La période de la grande révolution.
Comme nous le savons, le gouvernement de [Alexander] Kerensky glissait de plus en plus vite vers la droite, dans les bras de la bourgeoisie et de la réaction. Les ouvriers répondaient en protestant par des manifestations, dirigées à la fois contre la guerre qui traînait en longueur et contre la politique perfide de la droite. Les syndicalistes révolutionnaires et les anarchistes y prenaient une part active ; leurs drapeaux noirs flottaient aux premiers rangs. Près au combat, les rangs serrés, chantant des hymnes anarchistes, ils marchaient dans les rues de Petrograd. Naturellement, le gouvernement de [Viktor] Chernov et de Kerensky n’était d’aucun secours, mais ne pouvait que s’inquiéter de la croissance et du développement du mouvement anarchiste, qui unissait des masses toujours plus grandes d’ouvriers, et il décida de les contrer par tous les moyens. A cette fin, les cosaques et les cadets de l’école militaire furent envoyé en juin 1917 pour prendre d’assaut le manoir Durnovo. Celui-ci fut envahi et dévasté. Pendant le siège du manoir, le camarade [Sh. A.] Asin [son nom est également donné comme Asnin ou Askin], qui s’était retranché pendant un long moment dans une pièce barricadée au côté du marin Anatoli Zhelezniakov, fut tué. La presse bourgeoise et menchevique déversait depuis longtemps de la boue sur Asin, le décrivant comme un ancien criminel converti à l’anarchisme alors qu’il purgeait une peine de travaux forcés. Après sa mort, les viles calomnies s’amplifièrent — deux camarades furent obligés de se rendre dans les locaux du journal ô combien socialiste Novaya Zhizn, qui n’avait pas honte de publier toutes sortes de calomnies sur nos camarades décédés, d’appeler son co-directeur Maxim Gorky et de dénoncer les coups bas du journal. Alors seulement, les insinuations cessèrent, du moins celles venant de ce journal.
Aussitôt après la destruction du manoir Durnovo, les cadets de l’école militaires dévastèrent l’imprimerie anarchiste sur les berges du canal Obvodny. Le mouvement redevint alors semi-clandestin mais les manifestations continuaient, rassemblant des masses d’ouvriers, de soldats et de marins.
Puis ce furent les célèbres journées de juillet. Bien sûr, les bolcheviques oublient aujourd’hui de mentionner que les anarchistes se battaient à leurs côtés à l’époque, entraînant des soldats [dans la contestation] et prenaient la parole contre les bandes de Kerensky, puis qu’ils payèrent cela en années de prison. Et seulement les anarchistes, parmi toutes les organisations révolutionnaires. La défaite de juillet contraignit les anarchistes et les bolcheviques à la clandestinité. Commune fut publié clandestinement. Mais Voline continuait à donner ses conférences dans le quartier de Vyborg devant d’immenses audiences d’ouvriers ; il était encore possible d’organiser des rassemblements.
Puis arriva octobre. De nouveau, les anarchistes furent aux côtés des communistes, partout, sur la Place du Palais, lors de la mise à sac de l’École Militaire. L’anarchiste Anatoli Zhelezniakov fut l’un des principaux acteurs de la prise de l’assemblée constituante de Chernov, les anarchistes étaient à Tsarskoye Selo, où Kerensky fut finalement repoussé. L’anarchiste [Iustin] Zhuk — un prisonnier politique qui avait purgé une peine de travaux forcés à Shlisselburg — y conduisit un détachement d’ouvriers pour garder le Smolny [quartier général des soviets] puis à Tsarskoye Selo pour rencontrer Kerensky. Puis les communistes furent aimables et attentionnés : les anarchistes obtinrent les locaux d’imprimerie bien équipés de Novoye Slovo;plus tard, ils héritèrent de ceux du journal de droite Zhivoye Slovo [fermé en octobre 1917]. Un nouveau quotidien, Burevestnik, fut publié. Commune cessa de paraître en septembre.
Plusieurs clubs furent ouverts. Sur la Première Ligne sur l’île Vasilyevsky, la maison du baron [David] Ginzburg fut occupée pour héberger le quartier général et le club anarchiste. Le comité directeur [Soviet] nous demanda de fournir des hommes armés pour fouiller les maisons des Gardes Blancs, ou pour organiser des tours de garde dans les quartiers durant les nuits agitées. De tels souvenirs sont aujourd’hui fort déplaisants pour les communistes.
A la même époque, se déclenche la guerre civile, le front militaire encercle la révolution en Russie.Les anarchistes formèrent leur propres détachements, se joignirent aux rangs communistes et nous devons souligner que nous n’avons pas à avoir honte de nos camarades. Ieronim Zhuk laissa sa vie de manière si héroïque sur le front sud que les communistes eux-mêmes, par la plume de [Grigory] Zinoviev, furent obligés de lui écrire un éloge funèbre honorable [peut-être se réfère t-il à Iustin Zhuk, tué en 1919 sur le front de Carélie]. Anatoly Zhelezniakov, combattit près de la frontière roumaine, dans un train blindé et y fut tué. Marusya Nikiforova conduisit un détachement dans le sud et les soldats qui servirent à ses côtés ont parlé de sa bravoure avec admiration. Elle rejoignit plus tard notre détachement à Petrograd qui était principalement composé d’ouvriers du quartier de Vasileostrovsky.
En même temps, les activités littéraires et de publication de la Fédération de Petrograd continuaient à se développer. Burevestnik était publié quotidiennement. Étaient également publiés des tracts et des pamphlets. L’équipe éditoriale de Burevestnik changea plusieurs fois, ce qui eut naturellement une mauvaise influence sur son activité. Les problèmes financiers étaient fréquents mais n’empêchaient pas le journal d’avoir une grande popularité et audience parmi les ouvriers, les marins et les soldats. L’exemple suivant montre combien la popularité du journal était grande. Les typographes devaient être payés 8 000 roubles, mais il restait rarement de l’argent dans les caisses. Les typographes — qui étaient pour la plupart sans conscience politique, issus de l’ancienne imprimerie de Zhivoye Slovo — refusèrent de travailler une seule minute. Alors, un de nos camarades commença à parcourir Petrograd, un quartier après l’autre, en appelant à des réunions d’urgence — et, à la fin de la journée, l’argent avait été réuni.
Le premier éditeur de Burevestnik fut le camarade [Vladimir] Gordin mais les ouvriers furent bientôt insatisfaits des articles quelque peu étranges et incompréhensibles de ce camarade sans aucun doute talentueux. Une autre équipe éditoriale fut élue et fut dirigée par le camarade Ge [Alexandre Golberg (1879 — 1919)], écrivain et ancien émigré. Peu après, Ge s’aliéna de nombreux camarades du fait de son attitude despotique et, surtout, en attirant dans l’équipe éditoriale et dans l’ organisation quelques personnes totalement inadaptées, tel que l’acteur Mamont Dalsky [1865–1918] et plusieurs journalistes de tabloïdes, qui n’avaient naturellement rien en commun avec les ouvriers et les anarchistes, et qui ne faisaient que discréditer le mouvement. Lors d’une réunion en 1918, Ge fut démis de son poste et une nouvelle équipe éditoriale fut élue, dirigée de nouveau par Gordin avec plusieurs autres camarades.
Mais les jours de Burevestnik étaient déjà comptés. A la mi-mai [1918, les événements commencèrent en réalité en avril], les bolcheviques, de plus en plus forts, décidèrent d’arrêter de soutenir leurs frères d’armes d’hier. Le glissement vers un centralisme d’état extrême et l’intolérance envers toute critique avait alors commencé, qui avait conduit peu à peu les bolcheviques à l’état de pétrification, de bureaucratisation et de capitalisme soviétique, que nous observons en ce moment et les avait poussé à embrasser la Nouvelle Politique Économique. les organisations et la presse anarchiste étaient considérées avec méfiance.
En mai [en réalité en avril] 1918, dans de nombreuses villes (Smolensk, Vologda, Moscou), des clubs, des hôtels et des locaux de journaux anarchistes furent attaqués. Ces attaques, par leur abomination et leur violence, pouvaient être souvent comparées à celles des cadets de l’école militaire de l’ère Kerensky. Aucun incident majeur ne survint à Petrograd, mais un détachement letton expulsa néanmoins les anarchistes de la maison de Ginzburg début mai, et, peu après, Burevestnik fut fermé. Les rassemblements et l’organisation furent interdits et, donc, les anarchistes poussés à la clandestinité. L’organisation à Petrograd avait alors perdu une grande partie de ses membres, qui y avaient joué un rôle important. Beaucoup étaient partis au front, d’autres voyageaient en province pour y mener la propagande, et, enfin, un certain nombres de camarades s’étaient rangés du côté des communistes, où ils occupaient des postes importants ([Vladimir] Shatov [alias Bill Shatov, 1887–1943] avait été nommé commissaire du peuple de la compagnie de chemin de fer de Nikolayevskaya), et s’était détourné totalement de ses camarades.
Le plus gros problème était, bien sûr, le manque d’auto-discipline, qui n’avait pas permis à la Fédération de s’unir dans une entité unique capable de résister aux camarades d’hier devenus les exploiteurs d’aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, en fin 1918 et début 1919, les anarchistes à Petrograd n’avaient ni journal ni d’actions politiques visibles. En 1919, les prises de paroles d’orateurs anarchistes dans des réunions d’usines, déjà rares auparavant, cessèrent complètement. Le club anarchiste de la rue Zhukovskogo survécut petitement pendant quelques temps mais fut aussi fermé plus tard.
De 1919 à aujourd’hui, c’est à dire durant les cinq dernières années, l’histoire de la Fédération Anarchiste de Petrograd est celle de persécutions non-stop qui font partir les camarades les plus énergiques. Peu après le soulèvement de Kronstadt [en 1921], débuta un procès intenté au camarade [Pavel] Kolobushkin [Victor Serge l’a désigné sous le nom de Kalabushkin] et à quelques autres, dans une tentative pour les impliquer dans le soulèvement, mais les bolchevique échouèrent. Après un long emprisonnement, le camarade Kolobushkin fut exilé dans la province de Orenburg, et les autres relâchés peu à peu.
Un autre procès contre des syndicalistes révolutionnaires et des anarchistes eut lieu au printemps 1923. Plusieurs personnes furent condamnées à la peine de mort, commuée en exil dans les îles Solovetsky. A chaque fois que des troubles se déclenchent à Petrograd, des anarchistes sont couverts d’insultes, arrêtés et bannis. Un grand nombre de camarades ont fait beaucoup de tort en se rangeant aux côtés des bolcheviques et en annonçant leur « épiphanie » dans les journaux. Alors qu’une personne qui ne réussit pas à supporter les persécutions et qui baisse les bras peut être éventuellement pardonnée, les gentlemen qui cachent leurs intérêts personnels sous de belles phrases et qui crachent sur leurs camarades d’hier qui croupissent en prison et en exil, ne méritent rien de moins que le mépris.
Les autorités communistes se sont donc débrouillées, grâce à une terreur injustifiée contre les vieux combattants anarchistes, pour détruire la Fédération comme organisation légale ; elles se sont arrangées pour écarter les camarades anarchistes les meilleurs, les plus énergiques, de toute vie sociale, mais ces fous ne devraient pas penser qu’ils ont étranglé l’anarchisme. La graine, semée par les mains des vieux anarchistes compétents et expérimentés, a trouvé un terrain favorable chez les représentant de la génération prochaine, et quelques-uns d’entre eux sont partis en exil et dans les camps de concentration aussi bravement, sans plus de crainte et d’inquiétude que leurs pères spirituels.Les autres, remerciant les vieux combattants pour la graine semée, forgent leurs nouvelles épées en vu de nouvelles batailles et de nouvelles luttes en ces temps de réaction communiste.
[1] Publication de la Fédération Anarchiste-Communiste de Petrograd, édité par I. Bleykhman. Le N°1 a paru 17 mars 1917. Après le soulèvement de juillet, le journal a été interdit par le Gouvernement Provisoire et l’imprimerie de la Fédération des anarchistes-communistes de Petrograd fut saccagée par la troupe. En septembre 1917, fut publié le dernier numéro, le N° 6, et Svobodnaya Kommuna le remplaça. (Note de A. Dubovik)
[2] Ancien manoir aristocratique, propriété pendant un temps, au dix-huitième siècle, de membres de la famille Bakounine.
[3] Golos Truda, publié par les anarcho-syndicalistes en 1917–1918. Le journal succédait à la publication du même nom publié aux USA de 1911 à 1917. Le n° 1 parut le 11 août 1917, édité par V. Rayevsky. Du n° 2 jusqu’en mars 1918 il fut édité par V. Voline. Il parut à l’origine comme un hebdomadaire, puis à partir du 11 novembre 1917, comme un quotidien avec un tirage entre 10 000 et 15 000 exemplaires. 24 numéros ont été publiés avant la fin 1917. Au début avril 1918, la publication fut transféré à Moscou, où le journal fut fermé par la Tchéka le 12 avril 1918. Fin avril 1918, la publication reprit. Le journal fut définitivement fermé le 9 juillet 1918. (Note de A. Dubovik)