Paul Avrich
Bakounine et les États-Unis
« Mikhaïl Aleksandrovitch Bakounine est à San Francisco », annonçait la une du Kolokol de Herzen en novembre 1861 :
« IL EST LIBRE ! Bakounine a quitté la Sibérie via le Japon et est en route pour l’Angleterre. Nous annonçons avec joie cette nouvelle à tous les amis de Bakounine. »[1]
Arrêté à Chemnitz en mai 1849, Bakounine avait été extradé en Russie en 1851 et, après six années dans les forteresses de Pierre et Paul et de Schlüsselbourg, avait été condamné au bannissement à perpétuité en Sibérie. Le 17 juin 1861, néanmoins, il commençait sa spectaculaire évasion. Parti de Irkoutsk, il descendit le fleuve Amour jusqu’à Nikolaevsk, où il embarqua sur un navire desservant la côte sibérienne. Une fois en mer, il monta à bord d’un navire américain, le Vickery, qui commerçait avec les ports du Japon, qu’il atteignit le 16 août. Un mois plus tard, le 17 septembre, il quitta Yokohama sur un autre navire américain, le Carrington, à destination de San Francisco.[2] Il y arriva quatre semaines plus tard,[3] terminant selon la description de Herzen, « la plus longue évasion au sens géographique ».[4]
Bakounine avait quarante-sept ans. Il avait passé les douze dernières années en prison et en exil, et il avait devant lui seulement quatorze année à vivre — une vie extrêmement active a vrai dire. Il était réapparu comme un fantôme surgi du passé, « revenu d’entre les morts » comme il l’écrivit à Herzen et Ogarev de San Francisco.[5] Son séjour en Amérique, l’un des derniers épisodes notoires de sa carrière, dura deux mois, du 15 octobre, lorsqu’il débarqua à San Francisco, au 14 décembre, lorsqu’il quitta New York pour Liverpool et Londres. Autant que les sources permettent de l’avancer, le présent article racontera cet interlude — les endroits qu’il a visité, les personnes qu’il a rencontré, l’impression qu’il a fait sur eux. Il examinera aussi son attitude envers les États-Unis, à la fois pendant et après son séjour, et la trace que son influence a laissé sur le mouvement anarchiste américain cette dernière centaine d’années.
I
Lorsque Bakounine arriva à San Francisco, il écrivit immédiatement à Herzen et Ogarev à Londres. D’abord et avant tout, il demanda que 500$ lui soient envoyés à New York pour lui permettre de continuer vers l’Angleterre. Pour sa traversée jusqu’à New York, il avait déjà emprunté 250$ à F. P. Coe, un jeune pasteur anglais qu’il avait rencontré sur le Carrington. Ses fonds propres, écrivait -il étaient épuisés et « il n’avait aucun ami, pas même de relations » à San Francisco, si bien que :
« Si je n’avais pas trouvé une personne compréhensive pour me faire un prêt de 250 dollars pour me rendre à New York, j’aurais été en grande difficulté ».[6]
Bakounine demandait à Herzen et Ogarev d’annoncer son évasion à sa famille dans la province de Tver. S’attendant à ce que sa femmes le rejoigne lorsqu’elle apprendrait la nouvelle, il demanda à ses amis de lui trouver un « petit coin pas cher » dans leur quartier.[7]
L’intention de Bakounine était de revenir à Londres pour reprendre ses activités révolutionnaires. Comme un homme sorti de sa transe, comme l’a fait remarqué E. H. Carr, Bakounine était décidé à reprendre le cours de sa vie là où il l’avait laissé une douzaine d’années auparavant. Comme le dit Herzen :
« Il avait préservé intacts les rêves et l’idéal avec lesquels il avait été emprisonné en 1849 à Konigstein et les avait porté à travers le Japon et la Californie en 1861. »[8]
Par dessus tout, il se consacrerait à la libération du peuple slave. Il écrivit à Herzen et Ogarev :
« Mes amis, il me tarde de tout mon être de vous rejoindre et, dès que j’arriverai, je me mettrai au travail. Je vous aiderai sur la question polonaise et slave, qui a été mon idée fixe depuis 1846 et qui fut mon principal domaine d’activité en 1848 et 1849. La destruction, la totale destruction de l’ empire autrichien, sera mon dernier vœu, pour ne pas dire mon dernier acte — ce qui serait trop ambitieux. Pour servir cette grande cause, je suis prêt à devenir joueur de tambour ou même une fripouille, et si j’arrive à la faire avancer, ne serait-ce que d’un cheveu, je serai satisfait. Et ensuite viendra la glorieuse fédération slave libre, la seule issue pour la Russie, l’Ukraine, la Pologne, et pour les peuples slaves en général ».[9]
Le 21 octobre, après six jours à San Francisco, Bakounine partit pour New York via le Panama sur le vapeur Orizaba. Le lendemain,à environ 400 miles de l’isthme, il écrivit de nouveau à Herzen et Ogarev, renouvelant sa demande d’argent (à envoyer à la banque Ballin & Sanders à New York) et demandant des nouvelles de sa famille en Russie.[10] Le Orizaba accosta à Panama le 24 octobre. Le 6 novembre, avec un retard de deux semaines, Bakounine embarqua sur le Champion à destination de New York.[11] Les autres passagers comprenaient le commandant en chef de l’armée de l’Union en Californie, le général Sumner, avec 430 soldats sous les ordres du colonel C. S. Merchant. Il y avait aussi à bord des sympathisants confédérés, l’ex-sénateur de Californie William M. Gwin, Calhoun Benham, un ancien procureur général de San Francisco, et le capitaine J. Brant, un ancien commandant d’une vedette du fisc. Un jour après l’appareillage de Panama, le général Sumner mit les trois hommes aux arrêts comme sécessionnistes commerçant avec le Sud.[12] Pendant ce temps, Bakounine avait lié connaissance avec le sénateur Gwin, qui semble avoir influencé ses vues sur la Confédération.
Bakounine arriva à New York dans la matinée du 15 novembre[13] et élut domicile à la Howard House dans le lower Broadway sur Cortlandt Street. Parmi les gens à qui il fit appel se trouvaient deux vieux camarades allemands, Reinhold Solger et Friedrich Kapp deux quarante-huitards notoires. Solger avait été élevé à Halle et Greifswald, où il obtint son doctorat en 1842, avec l’intention de poursuivre une carrière académique en histoire et philosophie. Hégélien de gauche, il avait pour ami Arnold Ruge, Ludwig Feuerbach et Georg Herwegh. Solger et Bakounine s’étaient rencontrés pour la première fois à Zurich en 1843, après avoir correspondu pendant quelques années et s’étaient rencontrés de nouveau à Paris en 1847, avec Herzen et Herwegh.[14] En 1848, Solger avait rejoint l’armée révolutionnaire à Baden, servant comme adjudant sous les ordres du général Mieroslawski, commandant des forces insurgées. Lorsque l’insurrection fut écrasée, il s’était enfuit en Suisse « sa tête mise à prix » et avait émigré aux États-Unis en 1853, devenant un citoyen américain six ans plus tard.. Orateur et écrivain doué, Solger avait été invité par deux fois à donner des conférences au Lowell Institute de Boston (1857 et 1859) et obtenu deux prix littéraires, en 1859 pour un poème sur le centenaire de Schiller et en 1862 pour une nouvelle sur la vie des américains d’origine allemande. abolitionniste et républicain radical, il avait exercé ses talents oratoires en faisant campagne pour Abraham Lincoln, qui l’avait récompensé d’un poste au ministère des finances. Il termina sa vie comme directeur de banque et mourut en janvier 1866 à l’âge de quarante-huit ans.[15] Comme Solger, Friedrich Kapp avait connu Bakounine et Herzen en Europe durant les années 1840 (pendant un temps, il avait été le tuteur du fils de Herzen)[16] et avait participé à la révolution de 1848. Contraint de s’enfuir à Genève, il avait émigré en Amérique en 1850 et était devenu un brillant avocat à New York ainsi qu’un historien et journaliste réputé qui mobilisait l’opinion publique contre les mauvais traitements et l’exploitation des immigrés. Kapp, tout comme Solger également, était devenu actif dans la gauche radicale du parti républicain, gagnant le soutien des germano-américains à la cause de l’ Union.[17]
Aux alentours du 21 ou 22 novembre, Bakounine interrompit son séjour à New York pour visiter Boston, où il resta un peu plus d’une semaine. Cela se révéla être le moment fort de son séjour en Amérique. Armé d’une lettre de recommandation de Solger et Kapp, il fit appel à bon nombre de personnalités influentes, parmi lesquelles le gouverneur du Massachusetts, John Andrew, un ami de Solger et un républicain radical, qui s’était prononcé contre l’esclavage et collecté des fonds pour la défense de John Brown. Bakounine possédait également de telles lettres à destination du général B. McClellan, Commandant-en-Chef de l’armée de l’Union, qui s’était rendu en Russie en 1855–56 comme observateur de la guerre de Crimée, et des sénateurs du Massachusetts, Charles Sumner et Henry Wilson, républicains radicaux et abolitionnistes comme le gouverneur Andrew. Quelques années plus tard, Bakounine devait faire l’éloge de Sumner, comme « l’éminent sénateur de Boston « , pour avoir adopté une forme de « socialisme » en favorisant la distribution de terres parmi les esclaves libérés du Sud.[18]
Le collègue de Sumner, Henry Wilson, était un ancien cordonnier qui s’était élevé de la pauvreté au poste de Sénateur et, une décennie plus tard, à celui de vice-président des États-Unis sous Ulysses S. Grant. Réformateur et abolitionniste, ses sympathies allaient toujours aux ouvriers dont il était issu des rangs (en 1858, il adressa au Sénat la question « Est-ce que les ouvriers sont des esclaves ? »). Il était plus connu néanmoins comme le champion de la cause anti-esclavagiste, prenant la parole devant le Sénat pour dénoncer les « Agressions du pouvoir esclavagiste « et pour affirmer que « la mort de l’esclavage est la vie de la nation » ; il a publié, plus tard, un ouvrage en trois volumes History of the Rise and Fall of the Slave Power in America (1872–77).[19] Bakounine fit appel aussi à George H. Snelling, un réformateur de Boston qui, comme lui, était un ardent partisan de l’émancipation de la Pologne et le traducteur de l’histoire de l’insurrection polonaise de 1830–31.[20] Bakounine prit donc un plaisir particulier à faire sa connaissances et « lors de leur première rencontre, il l’embrassa avec beaucoup de chaleur », se souvient un témoin de l’époque.[21]
Bref, Bakounine, frayait avec les lumières éminentes de la société progressiste de Boston. Politiciens et généraux, hommes d’affaires et écrivains, ils étaient tous de tempérament libéral et d’opinions politiques et sociales progressistes qui étaient favorable à la l’essor de la démocratie et de l’indépendance nationale en Europe. Comme abolitionnistes et réformateurs, ils étaient conscients du lien entre la libérations des serfs en Russie et leur propre croisade anti-esclavagiste, et Bakounine rencontra parmi eux une grande sympathie pour le peuple russe dans sa lutte continuelle contre l’autocratie.
Martin P. Kennard était l’un de ces réformistes, abolitionniste et associé dans une bijouterie, pour qui Solger avait donné à Bakounine une lettre d’introduction.[22] Bakounine dîna deux fois chez Kennard à Brookline et lui rendit visite à son bureau à Boston. Kennard discret son invité comme « un homme grand à la charpente imposante mais néanmoins bien proportionné, de plus de 1,80m, de port noble, un personnage cordial et séduisant, presque entièrement enveloppé dans un imperméable Mackintosh ». Bakounine, qui se qualifiait avec humour « d’ours russe » trouva en Kennard un auditeur attentif. Comme le note Oscar Handlin, les convictions progressistes de Kennard qui l’avaient conduit dans des sociétés pour protéger les esclaves en fuite, reflétaient un intérêt plus large pour la liberté, en Europe comme en Amérique. Lors de leur première rencontre, Bakounine parla à Kennard « de la lutte pour la vie de la Pologne, de l’unification de l’Allemagne et du mouvement républicain à travers l’Europe, ainsi que de son échec temporaire ». Alors que Bakounine parlait, il était évident pour son hôte que « son courage était encore indompté et son ardeur nullement amoindrie ».[23]
Un jour, alors que Bakounine rendait visite à Kennard dans sa société à Boston, un officier autrichien, qui se préparait à prendre son service dans une unité de l’armée du Nord du Massachusetts se trouvait être dans une autre pièce. L’associé de Kennard, Mr Bigelow, lui demanda si il avait entendu parler de Bakounine. « Oui ! » fut la réponse concise, selon Kennard :
« Mais que savez-vous de lui ? Il est assis là à la comptabilité. » « Oh non ! » répondit l’officier avec assurance, « C’est impossible. Il a été exilé à vie en Sibérie et il a été dit qu’il est mort depuis longtemps. Quiconque ici prétend être Bakounine est un imposteur. » « La porte est ouverte ; il est assis là bien visible ; si vous l’avez déjà vu, regardez et voyez si vous pouvez le reconnaître. » L’officier se dirigea posément vers la porte et jeta à regard à notre étranger. « Effectivement » dit-il en revenant, stupéfait, vers son interlocuteur, « c’est Bakounine ! De grâce, comment peut-il être ici ? (J’omets ses jurons) Dites-le moi. Une telle chose n’est jamais arrivée auparavant. » « Il vient juste de s’évader de Sibérie » répliqua mon associé. « Maintenant dites-moi ce que vous savez de lui. » « Lorsque Bakounine fut jugé et condamné à mort, j’étais en service et mes ordres étaient de le prendre au tribunal et de l’emmener à la prison avec une escorte à cheval. Je l’ai pris en charge, l’ai vu monter dans la calèche, la porte s’est refermée sur lui, j’étais à cheval à côté et l’ai laissé aux portes de la prison. »
Il y a dans cette histoire une belle occasion de réfléchir sur la petitesse du monde et de philosopher sur la rencontre étrange de ces deux hommes aux expériences si divergentes et exceptionnelles, après tant d’années et dans des circonstances si spéciales ; mais je m’en abstiendrai et laisserai ces réflexions à mes auditeurs. »[24]
Comme Kennard et ses autres hôtes, Bakounine était fermement opposé à l’esclavage des noirs, à l’esclavage sous toutes ses formes. Pendant son séjour en Amérique, il a parcourut les milieux abolitionnistes, défendu le mouvement esclavagiste et, au contraire de Proudhon, a soutenu l’Union contre les états du Sud. La guerre civile « m’intéresse au plus haut point » écrit-il à Herzen et Ogarev de San Francisco. « Mes sympathies vont entièrement au Nord ».[25] Ses sentiments sur la question de l’esclavage étaient si tranchés que, si les circonstances l’avaient permis, selon Kennard, « il aurait unit son destin aux américains et rejoint la guerre de tout cœur. »[26] Quelques années plus tard, il condamna les chantres de l’esclavage au Nord en même temps que « l’oligarchie féroce » des planteurs du Sud, comme étant des « démagogues soit foi ni conscience, capable de tout sacrifier à leur avidité, à leur ambition malveillante ». De tels hommes, dit-il, « avaient largement contribué à la corruption de la mentalité politique en Amérique du Nord ».[27]
Non pas que le Sud soit totalement dépourvu de mérite. Bakounine, pas moins que Proudhon, se méfiait de la centralisation croissante du pouvoir de l’Union et appréciait les vertus agraires déclinantes de la Confédération, dont il considérait les structures politiques de certaines manières plus libre et démocratique que celles du Nord.[28] Parvenu à cette conclusion, nous apprenons de Kennard, que Bakounine fut probablement influencé par le sénateur Gwin, « dont il fit la connaissance lors de son voyage de San Francisco via Panama, et qui a été parfois mentionné dans les journaux sous le nom de « Duke Gwin ».[29] Le fédéralisme du Sud, comme Bakounine le souligna rapidement, avait été terni par la « tâche noire » de l’esclavage, avec le résultat que les états confédérés « s’étaient attirés la condamnation de tous les amis de la liberté et de l’humanité ». En outre :
« Avec la guerre inique et déshonorante qu’ils avaient fomenté contre les états républicains du Nord, ils avaient presque renversé et détruit l’organisation politique la plus subtile de l’histoire. »[30]
Peu après son arrivée à Boston, Bakounine s’est rendu à Cambridge pour rendre visite à son « vieil ami » Louis Agassiz,[31] le célèbre naturaliste suisse, qu’il avait rencontré à Neuchâtel en 1843. Agassiz avait émigré aux États-Unis en 1846 et était maintenant professeur de zoologie à Harvard et ami avec Henry Wadsworth Longfellow, pour qui il donna à Bakounine une lettre d’introduction. Longfellow, un sympathisant des idées abolitionnistes, était célèbre pour ses Poèmes sur l’Esclavage, en plus de ses autres écrits ; et lorsque Bakounine dîna à Craigie House, le domicile de Longfellow à Cambridge, George Sumner, un frère du sénateur abolitionniste, était aussi invité. C’était le 27 novembre et selon Van Wyck Brooks, Bakounine arriva à midi et resta jusqu’à presque minuit.[32] Longfellow se souvient de cette rencontre dans son journal :
« George Sumner et Mr. Bakounine à dîner. Mr. B est un gentleman russe, éduqué et intelligent — un géant avec un tempérament ardent et bouillonnant. Il a participé la la révolution de quarante-huit, a connu l’intérieur des prisons — celle de Olmiitz, en particulier, où il a occupé la chambre de Lafayette. Après cela, quatre ans en Sibérie ; d’où il s’est échappé en juin dernier, en descendant l’Amour, et puis sur un navire américain, via le Japon et la Californie, puis l’isthme, jusqu’ici. Un homme intéressant. »[33]
Bakounine avait lu un peu de littérature américaine, dont les œuvres de James Fenimore Cooper dans leur traduction allemande et avait étudié l’anglais en prison, et pouvait donc le parler, selon Kennard, « avec une assez grande facilité ».[34] Malgré ses années d’emprisonnement, il faisait preuve encore de sa vieille vitalité et exubérance. Il avait pris de l’âge, bien sûr, avait perdu ses dents à cause du scorbut et avait pris beaucoup de poids. Mais ses yeux gris-bleus avaient conservé tout leur éclat perçant, et sa voix, son éloquence, son physique imposant, se conjuguaient pour en faire le centre de l’attention. Il était, en outre, un aristocrate autant qu’un rebelle, doté, comme l’a noté E. H. Carr, d’une sorte de tempérament aristocratique qui abattait toutes les barrières de classe, lui permettant d’évoluer à son aise parmi des hommes de différentes origines sociales et nationales. « Sans la moindre réserve », écrit Kennard à ce sujet :
« Nous sommes en bons termes avec ma nouvelle connaissance, qui s’est montrée facilement et sans façon agréable, avec une complaisance cosmopolite qui dénote un gentleman intelligent et affable, et un énergique homme d’affaires. »[35]
Où qu’il se rendait, Bakounine exerçait une puissante fascination, faisait une impression favorable sur presque tous ceux qu’il rencontrait. Des années après, dit Kennard, Longfellow « demandait régulièrement les dernières nouvelles de notre invité radical, sur qui il me relatait quelques incidents amusants ».[36] La seule exception, semble t’il, fut la plus jeune fille de Longfellow, Annie, la « riante Allegra » de The Children’s Hour, qui a gardé un souvenir drôle de la visite de Bakounine. Lorsqu’elle descendit pour dîner, elle vit « un ogre » à sa place habituelle, aux côtés de son père, une « grande créature, avec une grosse tête, des cheveux en broussailles, des grands yeux, une grande bouche, une grosse voix et un plus gros rire encore ». On ne lui avait pas parlé des Contes de Grimm en vain, écrit elle :
« Aucune invitation, aucune menace n’auraient pu me faire franchir le seuil de cette porte. Je suis restée pétrifiée et même si je lui en voulais d’avoir pris ma place à table, ce dîner pour moi n’était rien à condition qu’il ne fasse pas de moi son dîner. Alors, je me suis éclipsée sans manger. »[37]
Au début décembre, Bakounine retourna à New York. Avec les lettres de recommandation obtenues là et à Boston, il avait l’intention de se rendre à Washington, comme il le dit à Herzen et Ogarev, et éventuellement « d’y apprendre quelque chose « .[38] E. H. Carr écrit qu’on ne sait pas si il a fait ce voyage. Nous apprenons cependant de Kennard qu’il ne l’a pas fait, en raison d’une « constante anxiété et d’une impatience particulière de partir pour Londres, où il s’était arrangé pour donner rendesvous [sic] à sa femme, dont il parlait souvent avec la plus tendre affection ».[39] Par conséquent, lorsque l’agent lui parvint de Londres, Bakounine réserva sa traversée sur le premier bateau, le City of Baltimore, qui partait pour Liverpool le 14 décembre.[40] Il y arriva le 27 et se rendit aussitôt à Londres, où, accueillit « comme un frère »[41] par Herzen et Ogarev, il rejoignit le mouvement révolutionnaire.
II
Quelle impression des États-Unis Bakounine avait il emporté avec lui ? Dans l’ensemble une impression favorable, mais avec de sérieuses réserve quant aux caractéristiques sociales et politiques du pays. « J’ai passé plus d’un moins en Amérique et j’ai appris beaucoup » écrit-il à un ami russe en février 1862. :
« J’ai vu comment le pays est arrivé par la démagogie aux mêmes résultats pitoyables que nous par le despotisme. Entre l’Amérique et la Russie, en fait, il existe de nombreux points communs. Mais le plus important pour moi, c’est que j’y ai trouvé une sympathie générale et inconditionnelle et une foi dans l’avenir du peuple russe qui, malgré tout ce que j’ai vu et entendu ici, qui m’ a fait quitté l’Amérique en tant que partisan convaincu des États-Unis. »[42]
Au-delà de la sympathie pour la Russie, ce qui impressionna le plus Bakounine en Amérique fut son histoire de liberté politique et son système fédéral de gouvernement. Louant la révolution américaine comme « la cause de la liberté contre le despotisme », il était « très soucieux d’obtenir, comme souvenir de son séjour en Amérique, un autographe de Washington », ce que Martin Kennard put lui offrir comme cadeau d’adieu.[43] Dans ses écrits futurs, il définira les États-Unis comme « le pays typique de la liberté politique », le pays le plus libre du monde doté des « institutions les plus démocratiques ».[44] Le fédéralisme américain lui a laissé particulièrement une forte impression, enrichissant ses propres idées sur le sujet. Il a recommandé chaudement aux progressistes européens « le grand et salutaire principe du fédéralisme » tel qu’il était incarné aux États-Unis. « Nous devons rejeter la politique de l’état » dit-il devant la Ligue pour la Paix et la Liberté en 1868, « et adopter résolument la politique de liberté des américains du nord ».[45]
Malgré ses idées anarchistes, qui ont mûri au fur et à mesure des années, Bakounine ne mettait pas tous les gouvernements dans le même panier, comme étant iniques et oppressifs. A partir de son expérience américaine, et après celles en Angleterre et en Suisse, il était convaincu que « la république la plus imparfaite est mille fois préférable à la monarchie la plus éclairée ».[46] Les États-Unis et l’Angleterre remarquait-il étaient « les deux seuls grands pays » où le peuple disposait d’une « réelle liberté et d’un réel pouvoir politique » et, où « l’étranger le plus déshérité et misérable » jouissait de droits civiques « tout aussi pleinement que les citoyens les plus riches et influents ».[47] Il avait bien sûr trouvé lui-même l’asile politique dans ces deux pays ; en outre, le gouvernement américain, durant son séjour, avait refusé de l’extrader, ce qui avait convaincu l’ambassadeur russe, le baron Stoeckel, que la république américaine ne cessera jamais « de protéger les révolutionnaires ».[48] Alors qu’il était à Boston, assez curieusement, Bakounine avait fait une première déclaration de citoyenneté américaine, l’équivalent de l’obtention de ses « premiers papiers ». « Il n’a probablement jamais envisagé sérieusement de demander la citoyenneté américaine » a remarqué Martin Kennard :
« Et cependant, avec la vague idée d’une telle éventualité ou d’un tel intérêt à long terme pour lui, il en a fait la demande préalable et l’a dûment enregistrée à Boston. »
Et durant les dernières années de sa vie, alors qu’il vivait en Suisse, il reparla d’émigrer en Amérique et de se faire naturaliser américain.[49]
Avec le recul sur son séjour américain, Bakounine se souvenait d’une société dans la quelle les travailleurs ne mourraient pas de faim et étaient « mieux payés » que leurs semblables en Europe. « L’antagonisme de classe », écrit-il, « n’y existe presque pas encore, » car « tous les ouvriers sont des citoyens », faisant partie d‘un « seul corps politique », et l’éducation est « largement répandue parmi les masses ». Ces avantages, disait il, avaient leur origine dans le « traditionnel esprit de liberté » qu’avaient importé avec eux d’Angleterre les premiers colons, et, en même temps que le principe « d’indépendance individuelle et d’autonomie [self-government] communale et provinciale », l’avait transplanté dans un milieu sauvage délivré « des obsessions du passé ». Par conséquent, en moins d’un siècle, l’Amérique avait été capable de « rattraper et même de surpasser la civilisation européenne » et d’offrir « une liberté qui n’existe nulle part ailleurs ».[50]
Selon Bakounine, L’Amérique devait ses « progrès extraordinaires » et sa « prospérité enviable » à ses « immenses étendues de terres fertiles » et à sa « grande richesse territoriale ». A cause de cette abondance, disait il, des centaines de milliers de pionniers étaient intégrés chaque année et un ouvrier au chômage ou mal payé pouvait toujours, en dernier ressort, « émigrer au far west » (en anglais) et se mettre à défricher un bout de terrain pour le cultiver.[51] La représentation de Bakounine des étendues sauvages américaines avait peut-être été modelée en partie par les histoires de Fenimore Cooper ; et il y eut des moments, en prison notamment, où il avait aspiré à mener la vie d’un montagnard de l’Ouest. Sa Confession à Nicolas Ier, écrite dans la forteresse Pierre et Paul en 1851, contient un passage frappant à ce sujet :
« Il y a toujours eu dans ma nature un défaut fondamentale : un amour pour le fantastique, pour l’insolite, pour l’inconnu des aventures, pour les entreprises qui ouvrent de vastes horizons, dont l’issue ne peut être prévisible. [...] La plupart des hommes recherchent la tranquillité qu’ils considèrent comme le plus grand bienfait. Chez moi, au contraire, elle ne m’apporte que le désespoir. Mon esprit est en perpétuelle agitation, avide d’action de mouvement et de vie. J’aurais du naître quelque part dans les forêts américaines, parmi les pionniers de l’Ouest, où la civilisation vient tout juste de commencer à s’épanouir et où la vie est une lutte sans fin contre des peuples indomptés, une nature sauvage, et non sous la forme d’une société civile organisée. Et si le destin m’avait fait marin dans ma jeunesse, Je serai probablement aujourd’hui une personne respectable, sans aucune opinion politique, et ne recherchant pas d’autres aventures et tempêtes que celles de la mer. »[52]
Bakounine, cependant, n’était pas sans critiques envers l’Amérique. Le jour de son arrivée à San Francisco, il s’était déjà plaint auprès de Herzen et de Ogarev de la « banalité de la prospérité matérielle sans âme » et de la « vanité nationale infantile » qu’il avait découvert aux États-Unis. La guerre civile, pensait il, pourrait sauver l’Amérique et lui rendre son « âme perdue ».[53] « Il avait l’habitude d’affirmer », écrit Martin Kennard, « qu’après la guerre, l’Amérique deviendrait une grande puissance, plus personnalisée, si je puis dire, plus posée dans sa vie sociale, et que cette grande épreuve engendrerait de grands hommes, plus grands qu’elle n’en avait jamais connu. »[54]
Néanmoins, Bakounine pensait que la situation privilégiée de l’Amérique n’était que temporaire. Car ces dernières années avaient vu le surpeuplement de villes comme New York, Philadelphie et Boston par des « masses d’ouvriers prolétaires », qui commençaient à connaître une situation « analogue à celle des ouvriers des grands pays industriels d’Europe. Et donc :
« Nous voyons en fait la question sociale défier les États du Nord de la même façon qu’elle nous a défié bien auparavant. »[55]
D’ici peu, le travailleur américain ne sera pas mieux payé que son semblable européen, victime de la rapacité du capitalisme et du pouvoir politique centralisé. Aucun état, insistait Bakounine, aussi démocratique fut il, ne pouvait aller de l’avant « sans le travail forcé des masses « , qui était « absolument nécessaire aux loisirs, à la liberté et à la civilisation des classes politiques : les citoyens. Sur ce point, pas même les États-Unis d’Amérique du Nord ne peuvent faire exception pour l’instant. »[56]
Même si Bakounine continuait à préférer le système démocratique des États-Unis, d’Angleterre et de Suisse au despotisme de la plupart des autres pays, sa critique du gouvernement en général s’est amplifiée avec les années. Il demandait en 1897 :
« Que constatons nous en fait dans tous les états, d’hier et d’aujourd’hui, même parmi ceux dotés des institutions les plus démocratiques tels que les États-Unis d’Amérique du Nord et la Suisse ? »
« L’auto-gouvernement des masses reste une fiction dans la plupart des cas, malgré l’affirmation que le peuple détient tout le pouvoir. »
Le gouvernement représentative, ajoutait il, ne bénéficie qu’aux classes aisées et le suffrage universel n’est qu’un outil de la bourgeoisie, alors que les masses ne sont « souveraines » qu’en droit, pas dans les faits ». Car des « minorités ambitieuses », les « chasseurs de pouvoir politique », sortent des rangs « en courtisant le peuple, en flattant leurs passions capricieuses, qui par moment peuvent se révéler foncièrement mauvaises, et, dans la plupart des cas, en le décevant ». Tout en préférant donc une république :
« Nous devons reconnaître néanmoins et affirmer que, quelle que soit la forme du gouvernement, aussi longtemps que la société humaine continuera à être divisée en différentes classes, en raison de l’inégalité héréditaire de situation sociale, de richesse, d’éducation et de droits, il existera toujours un gouvernement de classe et l’exploitation inévitable de la majorité par la minorité. »[57]
Ces thèmes reviennent souvent dans les écrits ultérieurs de Bakounine. Dans Dieu et l’état en 1871, il souligne que même les régimes parlementaires élus au suffrage universel dégénèrent rapidement en « une sorte d’aristocratie politique ou d’oligarchie. Voyez les États-Unis d’Amérique et la Suisse. »[58] Dans L’Empire Knouto-Germanique Empire et la Révolution Sociale, un ouvrage inachevé dont Dieu et l’État est une partie, il souligne de nouveau que même « dans les pays les plus démocratiques, tels que les États-Unis d’Amérique et la Suisse », l’état représente un instrument « des privilèges d’une minorité et l’assujettissement pratique d’une vaste majorité ».[59] Et à nouveau dans Étatisme et Anarchie publié en 1873, il écrit que, aux États-Unis :
« Une classe particulière, totalement bourgeoise de soi-disant politiciens ou revendeurs politiques, dirige toutes les affaires, alors que la masse des ouvriers vit dans des conditions aussi misérables que dans les états monarchiques ».[60]
Durant les dernières années de sa vie, Bakounine désespérait de tout progrès immédiat. Il écrivait en 1875 à Elisée Reclus, le géographe et anarchiste français, que « le mal avait triomphé partout », que ce soit avec la restauration de la monarchie espagnole, Bismarck à la tête d’un état allemand naissant, l’église catholique encore riche et puissante dans une grande partie du monde, l’Angleterre chancelante, la dégénérescence de l’Europe dans son ensemble « et plus loin de nous, la république modèle des États-Unis d’Amérique flirtant déjà avec la dictature militaire. Pauvre humanité ! » La seule issue à cet « égout » selon les termes de Bakounine était « une immense révolution sociale », qui ne pourrait jaillir que d’une guerre mondiale. Il disait :
« Tôt ou tard, ces énormes états militaires devront se détruire et s’entre-dévorer. Mais quelle perspective ! »[61]
III
Durant son bref séjour aux États-Unis, Bakounine ne laissa aucune empreinte visible sur les mouvements révolutionnaires et ouvriers, qui étaient dans une phase embryonnaire de développement. La International Working Men’s Association, par exemple, ne fut fondée qu’en 1864, et sa première section américaine en 1867 seulement. Bakounine lui-même ne devint membre de l’Internationale qu’en 1868, après quoi, son influence s’étendit rapidement. Au début des années 1870, au plus fort de son conflit avec Marx, il pouvait compter sur le soutien solide de la branche américaine, qui était loin d’être une organisation exclusivement marxiste, comme les historiens la décrivent souvent.
Entre 1870 et 1872, Des sections fédérales de l’Internationale étaient établies à New York, Boston et d’autres villes américaines. A New York, par exemple, les Sections 9 et 12 avaient été organisées par des libertaires en vue comme William West, Victoria Woodhull, sa sœur Tennessee Claflin, et Stephen Pearl Andrews, qui saluait Bakounine comme un « un théoricien profond, un génie authentique, un érudit et un philosophe ».[62] William B. Greene, le principal disciple américain de Proudhon, avait aidé à commencer une section libertaire de l’Internationale à Boston, pendant que son collègue Ezra Heywood prenait la parole dans des réunions internationalistes à New York et dans d’autres villes. En 1872, Heywood créa une revue mensuelle, The Word, à Princeton, Massachusetts, un des premiers journaux américains à publier les écrits de Bakounine.[63] Avec Woodhull & Claflin’s Weekly à New York, The Word devint l’organe officieux de l’aile libertaire de l’Internationale aux États-Unis, défendant les principes du socialisme décentralisé et critiquant le Conseil Général pour son orientation autoritaire. The Word déclarait en mai 1872 :
« Il n’est pas plaisant de voir le Dr. Marx et d’autres dirigeants de cette grande fraternité en plein essor pencher autant vers des méthodes autoritaires. »
« Soyons gouvernés par les lois de la nature en attendant de pouvoir faire mieux. Si l’Internationale triomphait, cela serait vrai aussi de son idée phare — l’association volontaire au service de notre humanité commune. »[64]
En plus de ces groupes américains autochtones, un certain nombre de sections de l’Internationale de langue étrangère (français particulièrement) adhérèrent à son aile bakouniste plutôt que marxiste. C’était le cas de la Section 2 de New York (composée en partie de réfugiés de la Commune de Paris), de la Section 29 de Hoboken, New Jersey, et de la Section 42 de Paterson, New Jersey, une ville qui devait bientôt apparaître comme un bastion anarchiste majeur. Bakounine avaient des partisans supplémentaires au sein de la communauté icarienne* de Corning, Iowa, où son portrait ornait la salle commune.[65]
Malgré l’exclusion de Bakounine de l’Internationale en 1872, son influence continua à croître des deux côtés de l’Atlantique. Elle ne déclina pas non plus après sa mort en 1876. durant les années 1880, au contraire, ses écrits commencèrent à être publiés aux États-Unis, faisant une forte impression sur les mouvements anarchistes et socialistes émergents. Ce fut un jeune anarchiste de la Nouvelle Angleterre, Benjamin R. Tucker, qui fit le plus pour publier les idées de Bakounine en Amérique du Nord. En 1872, Tucker était un jeune étudiant du Massachusetts Institute of Technology de 18 ans lorsqu’il assista à sa première réunion anarchiste à Boston. Là, il rencontra Ezra Heywood, William Greene et Josiah Warren (le « père » de l’anarchisme américain), qui l’impressionnèrent tant qu’il se convertit à leur cause pour sa vie durant. Après avoir travaillé comme éditeur associé de The Word au milieu des années 1870, Tucker fonda son propre journal, Liberty, qu’il dirigea de 1881 à 1908, supplantant The Word comme organe principal de l’anarchisme individualiste aux États-Unis.
Comme les hôtes de Bakounine à Boston vingt ans auparavant, Tucker éprouvait une grande sympathie pour le peuple et le mouvement révolutionnaire russes. Dans le premier numéro de Liberty (8 août 1881) la page une affichait un portrait de Sophia Perovskaya, qui un peu plus tôt cette année là, avait été pendue pour sa participation dans l’assassinat de Alexandre II. Sous ce portrait, un poème émouvant de Joaquin Miller, « Sophie Perovskaya, Héroïne Martyrisée de la Liberté, Pendue le 15 avril 1881, Pour Avoir Aidé Le Monde à Se débarrasser d’un Tyran ». Dans le même numéro, Tucker salua l’associé de Perovskaya, Lev Hartmann, qui était venu en Amérique comme envoyé de People’s Will, [Narodnaya Volya] comme « un bon écrivain, un travailleur héroïque, un grand homme ». Le numéros suivants de Liberty contenaient des nouvelles de révolutionnaires russes exilés en Europe de l’Ouest ou bannis en Sibérie par Alexandre III. En plus de Perovskaya, Tucker louait de « remarquables exemples de femmes nihilistes » comme Vera Zasulich, Vera Figner et Sophia Bardina. En janvier 1882, il publia un appel de la Société de la Croix Rouge de People’s Will, signé par Zasulich et Peter Lavrov, qui, disait Tucker, « parle d’autorité des meilleurs aspect de la vie en Russie ».[66] Il devint lui même le représentant de la branche américaine de la Société et commença une collecte de fonds dans Liberty, envoyant l’argent recueilli à Nicholas Chaikovsky à Londres.
A part Bakounine, Tucker publia des populistes et révolutionnaires célèbres comme Chernyshevsky et Tolstoï, Kropotkine et Stepniak, Korolenko et Gorki. Ce fut Tucker qui (travaillant à partir d’une édition française puisqu’il n’avait aucune notion de russe) produisit la première traduction anglaise de What Is To Be Done ? de Chernyshevky, qualifiant l’auteur de « martyr-héros de la révolution moderne ».[67] En 1890, Tucker publia The Kreutzer Sonata de Tolstoï, traduit une fois encore du français, ainsi qu’une critique du livre de N. K. Mikhailovsky, traduite du russe par Victor S. Yarros (Yaroslavsky), un ancien Narodnik de Kiev qui était l’éditeur associé de Liberty[68] En plus de tout cela, Tucker traduisit deux des essais les plus célèbres de Pierre Kropotkine, « Order and Anarchy » et « Law and Authority », à partir du journal suisse Le Révolté. Il publia aussi des informations sur l’expulsion de Suisse de Kropotkine en 1881 et sur son procès à Lyon en 1883 (déplorant le « sort cruel de Kropotkine et des ses camarade », condamnés à de longues peines d’emprisonnement) ainsi que « The Wife of Number 4237 » de Sophia Kropotkine (traduit du français par Sarah E. Holmes, une collaboratrice de Liberty), basé sur son expérience avec son mari à la prison de Clairvaux.[69] Tucker, en outre, fit appel à Kropotkine lorsque le prince anarchiste se rendit aux États-Unis pour une tournée de conférences en 1897.
La première mention de Bakounine dans les colonnes de Liberty apparut le 12 novembre 1881, lorsque Tucker annonça qu’il avait obtenu une photographie du « grand révolutionnaire » qu’il mettait en vente au prix de cinquante cents l’exemplaire. Deux semaines après, une photogravure apparaissait sur la première page de Liberty, sous-titrée « Michel Bakounine : Révolutionnaire Russe, Père du Nihilisme et Apôtre de l’Anarchie ». Elle était accompagnée d’une ébauche biographique rassemblée par Tucker à partir de sources allemandes et françaises.[70] Tucker écrivait de Bakounine :
« Nous sommes prêts à parier que l’histoire à l’avenir l’élèvera aux plus hauts rangs des sauveurs sociaux de l’humanité. Son grand visage et sa tête imposante parle d’eux-mêmes quant à son énergie débordante, son caractère ambitieux et la noblesse innée de l’homme. Nous devrions estimer comme un des plus grands honneurs de notre vie de l’avoir connu personnellement et d’avoir eu la grande chance de parler avec l’un de ceux qui le connaissait intimement, lui et l’essence et la portée de ses pensées et de ses aspirations. »[71]
La plus grande contribution de Tucker à la familiarisation des lecteurs américains avec Bakounine fut sa traduction de God and the State, son ouvrage le plus célèbre. L’édition originale française était apparue en 1882, avec une préface de deux de ses disciples les plus fervents, Carlo Cafiero et Elisée Reclus. Tucker commença à le vendre (vingt cents l’exemplaire) dès qu’il reçut la première cargaison arrivant de Genève. A peine un an plus tard, en septembre 1883, il publia sa traduction anglaise, avec la préface de Cafiero et Reclus.[72] Le livre connut un grand succès et fut réédité une dizaine de fois au moins, devenant l’ouvrage de Bakounine le plus lu et fréquemment cité, une distinction dont il jouit encore près d’un siècle plus tard.[73] Au milieu de son travail de traduction de God and the State, Tucker apprit qu’une autre anarchiste de Boston, Marie Le Compte, (d’origine française, elle se présentait comme « Miss Le Compte, Prolétaire ») préparait de son côté une traduction à Berne, en Suisse, où Bakounine est enterré.[74] La traduction de Miss Le Compte fut publiée en feuilleton dans Truth, (mentionné plus bas) en 1883 et 1884,[75] mais ce fut la traduction de Tucker qui devint le critère de la version anglaise, réapparaissant les décennies suivantes en plusieurs éditions aux États-Unis et en Angleterre.[76] Tucker, en outre, publia un autre ouvrage important de Bakounine, The Political Theology of Mazzini and the International, traduit du français par Sarah E. Holmes et publié en feuilleton dans Liberty en 1886 et 1887.[77]
Qu’un anarchiste individualiste et « philosophique » comme Tucker ait été le chef de file américain des commentateurs de Bakounine, un apôtre du collectivisme et de la révolution, découle de leur dévouement commun à la liberté et leur rejet de l’autorité coercitive, qu’elle soit religieuse ou séculaire, économique ou politique. Il n’est cependant pas surprenant que Bakounine comptât ses principaux partisans parmi ceux qui, contrairement à l’école tuckerienne, partageaient ses convictions révolutionnaires et communistes. Un exemple en fut le groupe autour de The An-archist, une « revue socialiste révolutionnaire » publiée par Edward Nathan Ganz à Boston en 1881, dont deux numéros seulement parurent, la seconde étant saisie par la police. Un autre exemple était le journal de San Francisco Truth (« Un Journal pour les Pauvres »), organe de la International Workmen’s Association, fondé par Burnette G. Haskell. Plus encore, l’esprit de Bakounine pénétra le Chicago Alarm, avec son intérêt particulier pour les chômeurs et déshérités. Édite par Albert R. parsons, le martyr de Haymarket, The Alarm vendit des exemplaires de God and the State (et de Underground Russia de Stepniak) et publia des extraits du Catechism of a Revolutionary de Bakounine/Nechaev[78] Un autre journal avec un fort parfum bakounien était le New York Solidarity, qui parut dans les années 1890. Son éditeur, John H. Edelmann, architecte de profession et hôte de Kropotkine durant son séjour en 1897, était devenu anarchiste après avoir étudié Bakounine « dont il révérait la mémoire ».[79]
Avec le flux d’immigrants à la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième, le mouvement anarchiste révolutionnaire reçut un nouveau contingent de recrues. A partir des années 1880, les écrits de Bakounine furent traduits en de nombreuses langues européennes – allemand, tchèque, russe, yiddish, italien, espagnol — par des groupes anarchistes nouvellement formés. Une fois encore, God and the State fut l’ouvrage le plus distribué et populaire. Une traduction allemande, par Moritz A. Bachmann, apparut à Philadelphie en 1884, à peine un an après la version anglaise de Tucker, et fut ensuite publié en feuilleton dans le Freiheit de Johann Most, avec un long article biographique sur Bakounine.[80] Ensuite, apparurent des éditions en tchèque, russe et yiddish,[81] en même temps que d’autres écrits de Bakounine dans toute une série de journaux anarchistes en différentes langues et lieux.[82]
Bakounine, il va sans dire, exerçait une influence particulièrement forte sur le mouvement anarchiste russe qui émergeait en Amérique du Nord après le tournant du siècle. Des porte-paroles de la Anarchist Red Cross et de la Union of Russian Workers in the United States and Canada s’activaient pour répandre les idées de Bakounine, dont des extraits d’ouvrages furent publiés dans Gobs Truda, l’organe de la Union of Russian Workers, et de son successeur, Khleb i Volia, dont le bandeau de la une reproduisait sa célèbre maxime « La passion de la destruction est aussi une passion créative. »[83] Après la première guerre mondiale, les ouvrages de Bakounine furent rassemblés pour être publiés sous forme de livres, mais durant l’hystérie de la « Chasse aux Rouges » de 1919–20, le mouvement anarchiste russe fut démantelé et ses dirigeants emprisonnés ou déportés, si bien que le premier volume seulement, de toute une série prévue, fut édité.[84]
Les années de guerre et la décennie précédente constituèrent la dernière période durant laquelle Bakounine connut une audience significative en Amérique avant une éclipse de près de cinquante années. A cette époque d’effervescence industrielle, l’idée de Bakounine selon laquelle une fédération libre de syndicats constitueraient « les germes vivants du nouvel ordre social, qui doit remplacer le monde bourgeois »,[85] fit une forte impression sur les anarcho-syndicalistes et sur les Industrial Workers of the World, fondés en 1905 à Chicago. Inspiré par des idées similaires, un Institut Bakounine fut créé en 1913 près de Oakland, Californie, par un révolutionnaire indien Har Dayal.[86] Et en mai 1914, le centième anniversaire de la naissance de Bakounine fut célébré au Webster Hall à New York, où une audience de 2 000 personnes écoutèrent des éloges funèbres prononcées par Alexander Berkman, Harry Kelly et Hippolyte Havel en anglais, Bill Shatoff en russe et Saul Yanovsky en Yiddish.[87]
Mais les répressions anti-radicales durant et après la guerre désorganisèrent les anarchistes, leur infligeant un coup dont ils ne devaient jamais se remettre. Croupissant en prison, une victime célèbre de la « Chasse aux Rouges », Bartolomeo Vanzetti, réfléchissait au destin similaire de Bakounine :
« Bakounine, un géant vigoureux comme il était, — mourut à 62 ans — tués par les prisons, l’exile et la lutte ».[88]
Durant la décennie de l’entre-deux guerres, l’influence de Bakounine déclina rapidement. Même si des extraits épars de ses écrits continuaient à apparaître dans des publications anarchistes — par exemple, dans The Road to Freedom et Vanguard à New York, et dans Man ! à San Francisco —, ses livres et pamphlets furent épuisés et de plus en plus difficiles à trouver. Gregory Maximoff, un réfugié de la dictature bolchevique, fit plus que quiconque pour garder en vie les idées de Bakounine, notamment dans Delo Truda et Delo Truda — Probuzhdenie, qu’il a publié à Chicago et New York jusqu’à sa mort en 1950.
Avec l’irruption de la Nouvelle Gauche dans les années 1960, Bakounine connut un remarquable renouveau. Auparavant, les lecteurs devaient se contenter de l’abrégé posthume de Maximoff, The Political Philosophy of Bakunin (1953), et de The Doctrine of Anarchism of Michael A. Bakunin (1955) de Eugene Pyziur. Désormais, des anthologies et biographies apparurent,[89] et sur les campus de Berkeley à Columbia, le drapeau noir de l’anarchie se déploya à nouveau, orné de slogans de Bakounine. Pour les jeunes radicaux de l’époque du Vietnam, « l’état providence » semblait donner raison aux prédictions les plus désespérantes de Bakounine, en même temps que ses formules appelant à l’auto-détermination et à l’action directe exerçaient un attrait toujours plus grand. Son message, après les leçons de la Russie, de l’Espagne et de la Chine, selon lequel l’émancipation sociale ne s’obtiendra que par des méthodes libertaires et non autoritaires et que le socialisme sans la liberté était la pire forme de tyrannie, se révélait d’une particulière pertinence. En 1976, l’année du bicentenaire américain, les anarchistes de New York commémorèrent le centième anniversaire de la mort de Bakounine, en proclamant les vertus de l’autogestion ouvrière, de la libération sexuelle, de l’égalité du droit à l’éducation et aux revenus, et la dissolution du pouvoir de l’état.[90] Des rassemblements similaires eurent lieu à Zurich, Vienne et d’autres villes à travers le monde. Pour une nouvelle génération de rebelles, un siècle après la mort de Bakounine, sa vision était aussi vitale que jamais.
[1] Kolokol (Londres), 22 Novembre 1861.
[2] Voir E. H. Carr, « Bakunin’s Escape from Siberia », The Slavonic Review, XV (1936–37), pp. 377–88 ; Libero International (Kobe), No 5 (1978). A Yokohama, par une étrange coïncidence, Bakounine est tombé sur Wilhelm Heine, un camarade qui avait participé avec lui à l’insurrection de Dresde en 1849.
[3] San Francisco Evening Bulletin. 16 Octobre 1861.
[4] Alexander Herzen, My Past and Thoughts, trad. par Constance Garnett (6 vols ; London, 1924–27), V, p. 137.
[5] Pis’ma M. A. Bakunina k A. I. Gertsenu i N. P. Ogarevu, ed. par M. P. Dragomanov (St Petersbourg, 1906), p. 191.
[6] Bakounine à Herzen et Ogarev,15 octobre,1861, ibid., p. 189. Carr indique différemment 250$ et 300$ comme somme empruntée au Rev. Coe : « Bakunin’s Escape from Siberia », loc. cit., p. 383, et Michael Bakunin (New York, 1961), p. 247.
[7] Pis’ma, p. 189.
[8] Carr, Michael Bakunin, op. cit., p. 252 ; Herzen, My Past and Thoughts, op. cit., V, pp. 131–32.
[9] Pis’ma, pp. 189–90 ; Herzen, My Past and Thoughts, V, p. 131.
[10] Pis’ma, pp. 191–92.
[11] Max Nettlau, Michael Bakunin. Eine Biographie (3 vols ; London, 1896–1900), I, pp. 138–40 ; V. Polonskii, Mikhail Aleksandrovich Bakunin. Zhizn’, deiatel’nost’, myshlenie, I (Moscou, 1922), pp. 347–48.
[12] The New York Times et The New York Tribune, 16 novembre 1861.
[13] La Liste des passagers du Champion telle que publiée dans le New York Tribune du 16 novembre 1861, indique son nom comme « M. Bakonnia ».
[14] Voir Bakounine à Solger, 14 octobre 1844, et Bakounine à Emma Herwegh, 18 octobre 1847, dans Sobranie sochinenii i pisem, 1828–1876, ed. par Iu. M. Steklov (4 vols ; Moscou, 1934–36), III, pp. 236–38, 267–68.
[15] Ibid., p. 467 ; Dictionary of American Biography, XVII, pp. 393–94. Voir aussi The Forty-Eighters : Political Refugees of the German Revolution of 1848, ed. par A. E. Zucker (New York, 1950), pp. 124, 343–44 ; Carl Wittke, Refugees of Revolution : The German Forty-Eighters in America (Philadelphia, 1952), pp. 310–11.
[16] Lorsque Bakounine rendit visite à Solger à son domicile de New York home, il écrivit une note à Herzen et Ogarev, à laquelle Solger et Kappjoignirent leurs salutations. Voir Bakounine à Herzen et Ogarev, 3 décembre 1861, Pis’ma, p. 193.
[17] The Forty-Eighters, op. cit., pp. 307–08 ; Wittke, Refugees of Revolution, op. cit., pp. 43, 62–63. Voir aussi Edith Lenel, Friedrich Kapp (Leipzig, 1935).
[18] M. Bakounine, Oeuvres (6 vols ; Paris, 1895–1913), I, p. 50. Sur Sumner, voir l’excellente biographie en deux volumes de David H. Donald, Charles Sumner and the Coming of the Civil War et Charles Sumner and the Rights of Man (New York, 1960–70).
[19] Sur Wilson voir Richard H. Abbott, Cobbler in Congress : The Life of Henry Wilson, 1812–1875 (Lexington, Ky, 1972) ; Dictionary of American Biography, XX, pp. 322–25.
[20] Jozef Hordyiiski, History of the Late Polish Revolution, and the Events of the Campaign (Boston, 1832).
[21] Martin P. Kennard, « Michel Bakounin », manuscrit à la Harvard Library, publié par Oscar Handlin, « A Russian Anarchist Visits Boston », dans : The New England Quarterly, XV (1942), pp. 104–09.
[22] Kennard décrit Solger comme un « ami estimé » qui, comme Bakounine, « fut obligé de s’enfuir, un réfugié politique de l’absolutisme de son pays ». Ibid., p. 105.
[23] Ibid., p. 107.
[24] Ibid., pp. 107–08.
[25] Pis’ma, p. 190.
[26] Handlin, « A Russian Anarchist », loc. cit., p. 108.
[27] Bakounine, Oeuvres, I, p. 172.
[28] Ibid., pp. 21–22.
[29] Handlin, « A Russian Anarchist », p. 107.
[30] Bakounine, Oeuvres, I. p. 22.
[31] Pis’ma, p. 190.
[32] Van Wyck Brooks, The Flowering of New England, 1815–1865, ed. révisée (New York, 1937), p. 510.
[33] Life of Henry Wadsworth Longfellow, ed. par Samuel Longfellow (3 vols ; Boston, 1886), II. p. 371.
[34] Handlin, « A Russian Anarchist », p. 107. diffère de Carr, Michael Bakunin, p. 261 : « Bakounine n’a jamais acquis la moindre notion d’anglais parlé ».
[35] Carr, Michael Bakunin, pp. 251–55 ; Handlin, « A Russian Anarchist », p. 105.
[36] Handlin, « A Russian Anarchist », p. 106.
[37] Annie Longfellow Thorp, « A Little Person’s Little Memories of Great People », Longfellow Papers, Craigie House, Cambridge, publié par David Hecht,’ »Laughing Allegra’ Meets an Ogre », dans The New England Quarterly, XIX (1946), pp. 243–44.
[38] Pis’ma, pp. 190–91.
[39] Carr, Michael Bakunin, p. 247 ; Handlin, « A Russian Anarchist », p. 107.
[40] Nettlau, Michael Bakunin, op. cit., I, pp. 138–40 ; The New York Times, 15 décembre 1861.
[41] Bakounine, « Herzen », dans Archives Bakounine, ed. par Arthur Lehning, V (Leiden, 1974), p. 23
[42] Bakounine à P. P. Lialin, Londres, 27 février 1862, dans M. K. Lemke, Ocherki osvoboditel’nogo dvizheniia « shestidesiatykh godov » (St Petersbourg, 1908), pp. 134–35.
[43] Bakounine, Oeuvres, IV, p. 289 ; Handlin, « A Russian Anarchist », p. 109.
[44] Bakounine, Oeuvres, I, p. 171.
[45] Ibid., pp. 12–13. Voir aussi Hans Rogger, « Russia and the Civil War », dans : Heard Round the World, ed. par Harold Hyman (New York, 1969), pp. 177–256.
[46] Bakounine, Oeuvres, 1, p. 174. http://libcom. org/files/BAKUNIN%20AND%20THE%20UNITED%20STATES. pdf
[47] Ibid., IV, p. 448.
[48] Cité dans Max M. Laserson, The American Impact on Russia : Diplomatic and Ideological, 1789–1917 (New York, 1950), p. 171.
[49] Handlin, « A Russian Anarchist », p. 108 ; Carr, Michael Bakunin, p. 491.
[50] Bakounine, Oeuvres, I, pp. 28–30. L’estime de Bakounine pour l’auto-gouvernement avait été influencée, entre autres, par Proudhon, Tocqueville et John Stuart Mill.
[51] Ibid., pp. 28–29. Ceci, comme David Hecht le souligne dans Russian Radicals Look to America, 1825–1894 (Cambridge, Mass., 1947), pp. 58–60, fut écrit vingt-cinq ans avant que Frederick Jackson Turner n’énonce sa célèbre théorie « de la « soupape de sécurité » de la stabilité sociale américaine.
[52] Bakounine, « Ispoved »’, Sobranie sochinenii i pisem, IV, pp. 154–55.
[53] Pis’ma, p. 190.
[54] Handlin, « A Russian Anarchist », p. 108.
[55] Bakounine, Oeuvres, I, pp. 29–30.
[56] Ibid., pp. 157–58.
[57] Ibid., pp. 171–74.
[58] M. Bakounine, God and the State (New York, 1970), p. 32.
[59] Bakounine, Oeuvres. I, pp. 287–89.
[60] Archives Bakounine, III (Leiden, 1967), p. 45. En une autre occasion, tout en louant les qualités du système éducatif en Amérique et en Suisse, Bakounine n’en faisait pas moins remarquer que « les enfants de la bourgeoisie » bénéficiaient d’une meilleure éducation que ceux « du peuple »qui ne « recevaient qu’une éducation primaire et, à de rares occasions, d’un bout d’éducation secondaire ». Oeuvres, V, p. 324.
[61] Bakounine à Reclus, Lugano,15 février 1875. dans : James Guillaume, L’lnternationale : documents et souvenirs (1864–1878) (4 vols ; Paris, 1905–10), III, pp. 284–85.
[62] Cité par Charles Shively, dans l’introduction à The Science of Society de S. P. Andrews (Weston. Mass., 1970, reprint of the Benjamin Tucker edition of 1888), p. 21.
[63] Voir par exemple, Bakounine, « Gospel of Nihilism », dans The Word, Avril 1880.
[64] Comme on peut s’y attendre, des journaux marxistes et non-anarchites ont dépeint Bakounine sous un éclairage défavorable. Par exemple le New York Arbeiter-Union du 20 octobre 1869 l’a qualifié d’ « agent-provocateur au service de la Russie et du panslavisme ». Voir Archives Bakounine, V, pp. 564–66.
[65] Socialism and American Life, ed. par Donald Drew Egbert et Stow Persons (2 vols:Princeton, 1952), I, p. 207. [NDT] Les communautés icariennes ont été fondés par Etienne Cabet (1788 – 1856), auteur d’un récit utopiste Voyages et Aventures de lord William Carisdall en Icarie (1840). Les premiers pionniers partirent du Havre en février 1848 et fondèrent la première communauté icarienne à Nauvoo (Illinois).
[66] Liberty, 7 et 21 janvier. 18 mars 1882.
[67] Publié par épisodes dans Liberty, 17 mai 1884, et numéros suivants, publié en livre en 1886. L’édition la plus récente de la traduction de Tucker a été publiée par Vintage Books à New York en 1961, revue et abrégée par Ludmilla B. Turkevich. [NDT] « Que faire » 1875 Nabu Press 2012
[68] Liberty, 7 juin 1890. Yarros a également écrit des essais pour Liberty sur Chernyshevsky et Herzen.
[69] Ibid., 29 octobre 1881 ; juin 1882 et numéros suivants ; 17 février 1883 ; 6 mars 1886 et numéros suivants.
[70] Ibid., 26 novembre 1881. Les sources de Tucker comprenaient probablement J. W. A. von Eckardt, Russia Before and After the War, trad. par Edward Fairfax Taylor (London and Boston, 1880), avec un chapitre de 48 pages sur Bakounine ; et un article sur Bakounine par E. de Laveleye dans la Revue des Deux Mondes de la même année. En 1908, faut il ajouter, Tucker publia une édition américaine de Anarchism de Paul Eltzbacher (traduit de l’allemand par l’associé de Tucker, Steven T. Byington), qui contient un chapitre intéressant sur Bakounine et ses idées.
[71] Liberty, 26 novembre 1881.
[72] Ibid., 22 juillet 1882 ; Tucker à Joseph A. Labadie, 18 septembre 1883, Labadie Collection, Université du Michigan.
[73] Une autorité éminente sur Tucker qualifie sa publication de « jalon dans la propagande anarchiste ». James J. Martin, Men Against the State : The Expositors of Individualist Anarchism in America, 1827–1908, ed. révisée (Colorado Springs, Colo., 1970), p. 219.
[74] Voir aussi sa lettre à Tucker du 4 juillet 1883, dans Liberty, 25 août 1883.
[75] Truth, 8 septembre 1883 — 19 janvier 1884. Elle a aussi publié une traduction de « To Young People » de Kropotkine dans Truth, 5 – 26 janvier 1884.
[76] Elle a été ré-éditée aux Etats-Unis en 1896 par E. H. Fulton de Columbus Junction, Iowa, en tant que Liberty Library No 2 ; en 1900 par Abe Isaak (un Mennonite russe devenu anarchiste) de San Francisco, comme Free Society Library No 4 ; et en 1916 (amendée par Max Nettlau) par la Mother Earth Publishing Association de Emma Goldman qui fut incorrectement qualifiée de « première édition américaine ». A la plus grande consternation de Tucker, les éditions de Liberty Library et Free Society oublièrent de le créditer de la traduction, attribuée par erreur à Cafiero et Reclus, qui n’avaient contribué qu’à la préface.
[77] Liberty, 18 septembre 1886 — 18 juin 1887. Des extraits en espagnol furent publiés dans le journal anarchiste El Despertar (New York), 1er et 15 Juin 15 1892.
[78] The Alarm, 23 janvier 1886. Bien que The Alarm attribue Le Catéchisme au seul Bakounine, la plupart des chercheurs modernes considèrent Nechaev comme le principal et peut-être le seul auteur.
[79] Freedom (London), Septembre-Octobre 1900. En 1901, pour citer un autre exemple, le Free Society de Abe Isaak lança une collecte de fonds pour décorer et entretenir la tombe de Bakounine. Free Society (Chicago), 4 août 1901.
[80] M. Bakounine, Gott und der Staat (Verlag der Gruppe II, I. a. a., Philadelphia, 1884) ; Freiheit (New York), 2 mai — 13 juin 1891, puis sous forme de pamphlet Internationale Bibliothek, No 17 (New York, 1892). Bakounine fut souvent cité par Most, l’anarchiste allemand en vue aux Etats-Unis, dont le Pittsburgh Manifesto d’octobre 1883 est largement inspiré des idées de Bakounine.
[81] Dfelnicke Listy (New York), 18 janvier 1896 et numéros suivants, sous forme de pamphlet Buh a stat [Delnicka Knihovna, No 4] (New York, 1896) ; Bog i gosudarstvo (Soiuz Russkikh Rabochikh gor. N’iu Iorka, New York, 1918) ; Fraye Arbeter Shtime, 1900–01.
[82] Par exemple, Freiheit, 16 mars et 6 avril 1895, publia une traduction allemande de trois conférences données par Bakounine en mai 1871 à Courtelary dans le Jura suissein the Swiss Jura, ré-édité comme pamphlet intitulé Drei Vortrage. une traduction espagnole apparut dans El Esclavo de Tampa, Floride, en 1895, et une tchèque dans Dglnicke Listy en 1895 sous forme de pamphlet également, TH pfednaSki [Delnicka Knihovna, No 1] (New York, 1895). Des essais et des discours de Bakounine furent aussi publiés dans des journaux comme II Grido degli Oppressi (New York, 1892–94), Germinal (Paterson, 1899–1902), Volne Listy (New York, 1890–1917), Di Fraye Tsukunft (New York, 1915–16), Free Society (San Francisco, Chicago, New York, 1897–1904), Mother Earth (New York, 1906–17), et Why ? (Tacoma, 1913–14).
[83] Golos Truda (New York, 1911–17) ; Khleb i Volia (New York, 1919). Voir aussi Rabochaia Mysl’ (New York), Août 1916, qui incluait le slogan de Bakounine et Herzen « Pour le Peuple ! » Selon un historien faisant autorité, le premier journal en langue russe aux Etats-Unis, Svoboda, fut publié en Californie durant les années 1870 par un partisan de Bakounine. L. Lipotkin [Lazarev], « Russkoe anarkhicheskoe dvizhenie v Severnoi Amerike:Istoricheskie ocherki », manuscrit, Internationaal Instituut voor Sociale Geschiedenis, p.111.
[84] M. Bakounine, Izbrannye sochineniia, I, avec une préface de Varlaam Cherkezov (Federatsia A. k. g. [Anarkho-Kommunisticheskikh Grupp], New York, 1920). Voir aussi Tak govoril Bakunin (Bridgeport, Conn., n. d. [1919?]), publié en Paris en 1914 par Bratstvo Vol’nykh Obshchennikov. Une anthologie en yiddish d’écrits de Bakounine, Geklibene shriften, fut publié à New York en 1919 par la Kropotkin Literary Society, avec un article biographique de Rudolf Rocker.
[85] Cité dans Anarcho-Syndicalism de Rudolf Rocker (Indore, n. d.), p. 88.
[86] Voir Emily C. Brown, Har Dayal : Hindu Revolutionary and Rationalist (Tucson, Ariz.,1975), pp. 116–17.
[87] Mother Earth, Mai 1914 ; The Modern School, 1er juin 1914. Havel rédigea un court pamphlet pour l’occasion, Bakunin, May 30, 1814 — July 1, 1876 (Centenary Commemoration Committee, New York, 1914. pour une célébration similaire à Paris, voir Paul Avrich, The Russian Anarchists (Princeton, 1967), p. 114 et illustration 7.
[88] Vanzetti à Alice Stone Blackwell, 15 septembre 1925, The Letters of Sacco and Vanzetti, ed. par Marion Denman Frankfurter et Gardner Jackson (New York, 1928), p.169.
[89] Par exemple, Bakunin on Anarchy, ed. par Sam Dolgoff (New York, 1972) ; M. Bakunin, Selected Writings, ed. par Arthur Lehning (New York, 1974) ; Daughter of a Revolutionary : Natalie Herzen and the Bakunin-Nechayev Circle, ed. par Michael Confino (LaSalle, 111., 1974) ; Anthony Masters, Bakunin : The Father of Anarchism (NewYork, 1974). En 1961 Michael Bakunin de E. H. Carr fut réédité par Vintage Books à New York, et en 1970 God and the State, fut réimprimé, pour la première fois depuis l’édition de 1916 par Mother Earth, par Dover Publications à New York. La première traduction anglaise de Statehood and Anarchy apparut à New York en 1976, et la Confession fut publiée en version anglaise par Cornell University Press en 1977. Voir Paul Avrich, « Bakunin and His Writings », dans : Canadian-American Slavic Studies, X (1976), pp. 591–96.
[90] Voir Freedom (London), 3 avril 1976.