Titre: Nolympic City
Sous-titre: Contre la candidature d’Amsterdam aux Jeux Olympiques et Paralympiques d’été 92
Auteur·e: Bilwet
Date: 31/10/1991
Source: lille.indymedia.org Consulté le 08/04/2024
Notes: Texte original disponible sur : www.ravagedigitaal.org
Traduit en écriture inclusive et mis en page en 2024. Grand merci à Momo pour la minutieuse contribution.
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Nolympic City

Contre la candidature d’Amsterdam aux Jeux Olympiques et Paralympiques d’été 92


Ce texte a été publié en 1991 dans le zine NN, soit Nomen Nescio (« nom inconnu ») la locution latine utilisée aux Pays-Bas par les flics pour désigner une personne sous X. Il fait le récit de luttes qui, entre 1984 et 1986 à Amsterdam, ont chahuté la ville dans sa candidature pour accueillir les JOP d’été 1992.

Le Comité International Olympique (CIO) désigne une ville hôte plusieurs années avant chaque édition. Les sélections pour 92 s’ouvrent donc au milieu de la décennie 1980, période riche en mouvements de contestation très affirmés en Hollande, notamment autour des squats, milieux autonomes et révolutionnaires, contre par exemple la gentrification, l’apartheid ou encore les politiques d’immigration.

La candidature finira par être rejetée, au bout de deux années d’agitations audacieuses.


« Nolympics » semble avoir été repris plusieurs fois depuis, pour désigner les antagonismes au CIO dans différentes régions du monde, lorsqu’il compte y mettre les pieds.



« Populaire ou pas, l’action directe permet de maintenir des questions importantes dans l’actualité et les conversations privées : saboter un barrage destructeur de l’environnement peut apporter ses effets écologiques, que les gens approuvent ou pas le sabotage lui-même. L’action directe peut donner à un groupe un poids politique et social : dans les années 1980, les squattereuses néerlandais⋅e⋅s faisant face à la menace d’expulsion ont démontré leur force avec une campagne ciblée de harcèlement et de vandalisme qui a fait perdre à Amsterdam sa candidature en tant que ville hôte pour les Jeux Olympiques, et ainsi gagné un avantage dans la négociation avec la ville pour leurs maisons. »


Recipes for Disaster : An Anarchist Cookbook (CrimethInc., 2004)


« Une des raisons pour lesquelles Amsterdam a perdu sa candidature pour les JO de 1992, ouvrant la voie a une gentrification agressive à Barcelone, est qu’un groupe déterminé d’autonomes, de squattteureuses, et d’anarchistes était stratégiquement attentif aux mouvements de leurs adversaires, a eu vent des projets, et lança une campagne créative, perturbatrice, tenace pour harceler le Comité Olympique et promettre un désastre si les Jeux venaient dans leur ville. »


Peter Gelderloos (ROAR Magazine, 2015)


« On ne sait pas pour le moment comment procéder. Il n’ya pas encore de projets concrets. On veut examiner comment s’est passée la campagne à Amsterdam et ce qu’on peut en apprendre. Ce qu’on a entendu jusqu’à présent nous semble très bien, en particulier le fait de rendre les choses publiques et de prendre en chasse le CIO pour ouvertement attirer l’attention. De plus on va probablement mener des actions sur les sites en construction et expliquer aux riverain·e·s les conséquences : ainsi on espère que l’opposition s’y développe également. »


Une personne de Nolympics Berlin (NN n°94, 3 octobre 1991)



NN n°96, 31 octobre 1991


La Grande Victoire des petits déchets

L’Autosatisfaction de Nolympics


Le succès de Nolympics, le nom rassembleur de toutes les initiatives anti-JO, résidait dans leur présence agaçante à chaque occasion où l’on soupçonnait un lien avec Amsterdam et les Jeux. Leur armure d’optimisme commercial a été lentement ternie par l’ambiance détériorée qui a entouré la candidature d’Amsterdam.



Durant l’année 1984, le conseil municipal d’Amsterdam s’est rendu compte que l’image de la ville avait été détruite à un point tel que les inconvénients économiques l’emportaient sur les avantages touristiques. Amsterdam, qui au début des années quatre-vingt se présentait comme un endroit où l’on pouvait voir les derniers contrastes sociaux de ses propres yeux dans les rues, s’est soudainement avérée inspirer un dégoût physique.


Les détritus le long des rues, les crottes de chien sur les trottoirs, les routes défoncées, le pillage des sacs à main et des autoradios, les dizaines de milliers de chômeureuses, les problèmes de stationnement, les seringues d’héroïne sous les porches, la lenteur de la fonction publique, la grogne des Amstellodamois·e·s, la vétusté du parc immobilier, l’épidémie de graffitis, la violence aveugle des émeutier·ères et autres "ombres persistantes" ont perdu leur caractère folkloriques et rendu le séjour dans la capitale "insupportable". La "plus grande agence de publicité du monde" a été engagée pour concevoir une campagne promotionnelle censée redonner aux Amstellodamois·e·s leur estime de soi et donner au monde extérieur l’idée que cette ville dynamique avait tout à offrir. Le concept a été résumé dans le slogan : Amsterdam a ça, en prenant soin de ne pas mettre quelque chose de défini dans le ça même de manière approximative.


Sur les affiches des journaux, une section a été délibérément laissée en blanc « pour encourager les réactions citoyennes, taguer c’est bien ». Iels étaient à la recherche de contributions positives au Concept Amsterdam. Le responsable du service de ramassage des ordures résumait ainsi la situation : « Au moyen de


slogans accrocheurs, nous essayons d’inciter les Amstellodamois à faire leur part pour le grand nettoyage de la ville. »


La mairie prévoyait qu’il faudrait une campagne de cinq ans avant que la population ne se confirme à nouveau aux "normes sociales" et les défende d’elle-même. Les autorités ont également tenté d’organiser des évènements spectaculaires aux proportions d’une grande émeute pour renforcer l’attrait (inter)national du lieu. Cela a commencé avec « Amsterdam ville de la mode » et la course de bateaux « Sail », mais les gens de la mairie ont rapidement eu de plus grandes ambitions. Iels ont posé leur candidature pour les Jeux Olympiques de 1992.


Bateau de tourisme en fumée


Les squatteureuses avaient déjà expérimenté des arguments contre ce que l’on appelle le "cityvorming". C’est le nom de la stratégie d’une coalition mafieuse d’administrateurices munipau·ll·es et de grandes entreprises visant à transformer le centre-ville en une grande chaîne hôtelière et un centre d’attractions avec des casios, des industries du sexe, des boutiques touristiques et des pédalos.


Autour de la énième expulsion imminente au Singel 114, une « attaque à haute valeur sensationnelle » a été commise contre « le produit touristique d’Amsterdam » : « À 14h23, le bateau d’excursion serait à l’endroit où nous avons l’intention de nous en occuper. Peu de temps avant cette heure, tout le monde était prêt·e avec de la peinture, des fumigènes, des filets de camouflage et des pneus, en essayant de ne pas trop se faire remarquer, ce qui n’a pas vraiment réussi étant donné le caractère féroce de l’action. »


Un câble fixé à l’avance au-dessus du canal a été tendu, de sorte que le bateau ne pouvait pas faire marche arrière, et des tuyaux d’échafaudage ont été installés verticalement au pont, de sorte que la navigation vers l’avant était également impossible. Le moment où le bateau d’excursion s’est arrêté a été le signal de l’attaque : la peinture a éclaboussé tout autour et, plus rapidement que prévu, une grande panique s’est emparée du capitaine et des passager·ères. Quelques touristes se glissaient sous les bancs. Une Américaine a crié : « So this is nice Amsterdam. » La saison de la chasse aux touristes a démarré sur les chapeaux de roue.


L’effet de l’action du bateau sur le canal a été stupéfiant. La photo du bateau barbouillé dans les nuages de fumée a fait le tour de la presse mondiale. Jour après jour, les habitant·e·s de Singel 114 ont donné des « interviews internationales » sur le nouveau phénomène de l’anti-tourisme. Le « traitement de la peinture et de la fumée » de l’image de la ville s’est avéré infiniment plus efficace que de s’attaquer aux objets de la ville ou de la spéculation.


Quelques autres mesures ont été prises dans le même sens, mais malgré toute la surprise, les gens ont rechigné à poursuivre avec constance cette stratégie. D’une part parce qu’iels n’avaient rien contre les touristes en soi, iels étaient régulièrement elleux-mêmes « touristes dans leur propre ville » (et ailleurs), et les touristes et le tourisme étaient si difficiles à séparer. D’autre part, ces actions médiatiques se déroulaient à une telle distance de l’espace-temps local que la connexion directe avec son propre lieu et sa propre expérience devenait déjà trop ténue.


La Discipline du lancer artisanal


La bonne vieille méthode artisanale du lancer d’objets était extrêmement attrayante, mais difficile à argumenter par la suite. Aussi concrète soit-elle, l’action restait trop théorique pour intéresser les gens à l’intérieur et à l’extérieur des milieux. Il n’y avait à cette sorte d’actions aucune perspective d’un mouvement qui grandit en entraînant des personnes extérieures. Les actions touristiques visaient justement à les éloigner. Le paradoxe d’un mouvement qui grandit parce que les gens sont dissuadé·e·s est insoluble.


Il est donc réservé à un petit groupe extérieur à l’ancien "mouvement" de développer le concept d’actions visant à empêcher l’évènement de se produire. L’action négative est basée sur une grande appréciation de l’existant. Elle cherche son point de départ non pas dans la critique des structures défaillantes et des erreurs passées, mais dans le rejet d’un futur imposé. Dans l’action négative, la rencontre entre les participant·e·s n’a pas besoin d’être provoquée par la force. Il n’est pas nécessaire d’adhérer à un seul dénominateur politique, il suffit d’être contre. Il suffit d’apporter sa propre identité comme signe de ce que l’on défend.


Cela a permis au petit groupe d’outsiders de respecter les « vagues »[1] innommables restant·e·s, qui formaient le mouvement à l’époque, pour leur attitude acquise à l’égard de la vie. Mais aussi d’apprécier les fabricant·e·s de bombes, qui rêvaient d’un grand coup, comme un enrichissement durable du paysage démocratique. Le fait même que le mouvement des squats se soit effondré vers 1985 a rendu l’aura d’échec autour des "squatteureuses" si forte qu’on pouvait avec elle parer à l’image du succès.


La meilleure arme contre le peptalk qui vous dit que vous vous débrouillez très bien est de vous livrer à l’exhibitionnisme éhonté de vos propres galères. C’est le concept de pollution de l’image. Autour de la candidature Olympiques, un groupe extérieur au mouvement a fait surface et a ouvert es yeux sur la force de l’échec. Il ne s’agissait pas de discréditer la culture managériale, mais de propager la beauté d’un art de vivre qui soit non-esthétique.


La Ville en campagne


Une fois la municipalité montée à bord du train Olympique, elle a immédiatement engagé des "spécialistes de la communication" pour travailler sur la population et les membres du Comité International Olympiques (CIO). Sous la devise « ensemble on peut y arriver » il fallait cultiver l’enthousiasme pour un mégaprojet sur lequel personne n’avait été consulté·e ou n’avait eu l’occasion de s’opposer.


Un mandat a été demandé afin de ne pas saboter le pot-de-vin des membres du CIO. À une époque où tous les budgets étaient réduits, la population devait être artificiellement préparée à ce gaspillage grandiose des fonds de la collectivité. La campagne de promotion devait être une version élargie de Amsterdam a ça, avec les mêmes objectifs sanitaires. Alors que sur les affiches néerlandophones, le slogan « Amsterdam a le feu olympique » polissait l’image de la capitale, les affiches étrangères mentionnaient la phrase : « Holland wants the world to win ».


Comme moyens d’action ont été utilisés : 3,5 millions d’enveloppes dans le courrier bancaire, 3 millions de tracts distribués porte-à-porte, 120 000 affiches et brochures de différents formats, 1 500 drapeaux portant le symbole de l’action, 120 000 sachets de réglisse olympiques d’une valeur de 510 000 florins. D’autres produits étaient également disponibles : des sacs de sport olympiques, des drapeaux de table, des sacs de course en papier en plastique, des bus jouets portant le logo des JO, 20 000 verres, boutons, allumettes, autocollants et épingles, ainsi que « 35 produits textiles différents avec une aura olympique ». Le single accompagné d’un clip-vidéo, Amsterdam Wants the World to Win, a été interprété par l’Académie de musique pédagogique Hilversum. Le coût total était estimé à 20 millions de florins.


Pendant ce temps, les 88 membres du CIO ont été gâté·e·s avec les moyens habituels dans ce genre de cercles, allant de voyages gratuits dans le pays hôte à une cassette vidéo accompagnée d’un magnétoscope, en passant par des dîners de gala, des buffets et d’autres voyages au "valhalla gastronomique". Des rumeurs persistantes de dons de bijoux, incrustés avec des diamants sud-africains, ont également fait surface. Les nombreux tours préliminaires de la bataille de promotion entre les douze candidats pour 92 ont fourni de nombreuses opportunités non seulement de pot-de-vin mais aussi d’actions ciblées.


Un urbanisme dévastateur


Directement après la présentation de la candidature aux Jeux de Los Angeles en juillet 84, les responsables politiques d’Amsterdam semblaient déjà s’être lancé·e·s dans la planification urbaine dévastatrice qui devait accueillir les Jeux, les joueureuses et la presse. Immédiatement, le premier groupe anti-JO est apparu dans les quartiers qui allaient souffrir le plus des stades, des parkings, des autoroutes, des abris temporaires et des mesures de sécurité.


C’est ainsi qu’est né le Comité Non aux Jeux Olympiques, issu d’une communauté de quartier. Il a organisé une manifestation des habitant·e·s et rédigé une charte anti-olympique qui a été envoyée à tous les comités olympiques nationaux du monde. « Parallèlement, quelques personnes se sont engagées dans un groupe d’action plus radical, qui se présente sous le nom Pas de pain, pas de Jeux », peut-on lire ailleurs. Ce second groupe se chargerait du travail irresponsable.


Jusqu’au 17 octobre 1986, le jour du vote décisif du CIO, pendant plus de deux ans un groupe minimal de participant·e·s aux actions a réussi à obtenir un impact médiatique maximal. Le fait que les administrateurices aient dès le début utilisé la candidature dans le cadre d’une valorisation de l’image, qui par définition fait partie de la sphère des médias, a permis de les battre par une simple présence dans les médias.


Si la ville avait par exemple tout misé sur la promotion du sport aux Pays-Bas, une telle stratégie exclusivement médiatique aurait été impossible. D’ailleurs, les Jeux Olympiques étant depuis longtemps devenus une somme argent + médias, la question de l’élément sport n’est apparue que sous forme de remords chez certain·e·s manageureuses au passé sportif.


Toute l’attention pouvait ainsi se concentrer sur la pollution de l’image. L’opposition aux Jeux d’Amsterdam 92 a certes commencé dans les quartiers concernés, mais a atteint un tel niveau méta à son apogée, que seuls les spécialistes des médias ont réellement compris où l’effet d’après pouvait être déclenché.


Nolympics


Le succès de Nolympics, le nom rassembleur de toutes les initiatives anti-JO, résidait dans leur présence agaçante à chaque occasion où l’on soupçonnait un lien avec Amsterdam et les Jeux… toujours ces gens qui traînaient avec leurs banderoles dans les hôtels et les centres de conférence où le triomphe d’Amsterdam était censé se dessiner peu à peu – ça gâchait l’aura de succès pour beaucoup d’officiel·le·s. Leur armure d’optimisme commercial a été lentement ternie par l’ambiance détériorée qui a entouré la candidature d’Amsterdam.


Celleux qui combattent leurs adversaires sur le ring médiatique ne peuvent les mettre K.O. qu’en utilisant un ensemble complet des médias. Le terme « médias » l’exprime déjà : on inonde la presse locale d’arguments locaux, on écrit dans un langage plus féroce dans leurs propres journaux, on utilise des objections d’importance nationale à la radio et on livre constamment du courrier sur divers en-têtes de papier aux membres du CIO du monde entier. L’une des lettres provenait d’un collectif d’avocat·e·s qui faisait référence à la violation des droits de l’homme à Amsterdam en lien avec la mort de Hans Kok[2]. Évidemment, on ne manque pas de se présenter à l’audience imposée sur les pages des lettres dans les quotidiens.


On copie impitoyablement toutes les méthodes et techniques de la fondation ennemie : le cadeau personnel des organisateurices aux membres du CIO est suivi d’iun sachet de marijuana, reçu par la poste, accompagné d’une lettre signée par le maire Ed van Thijn : « Après les diamants d’Afrique du Sud, nous vous envoyons quelque chose avec laquelle vous pourrez vous clarifier l’esprit. Le Comité Olympique Néerlandais aimerait vous faire connaître l’un des produits d’Amsterdam. Nous espérons ainsi exercer une influence positive sur votre décision. Notre produit national est disponible dans 500 points de vente légaux. S’il-vous-plaît, ne vous inquiétez pas de l’opposition croissante à Amsterdam. »


Lorsqu’il a été su par le lapsus d’un conseiller municipal que chaque membre du CIO avait reçu un magnétoscope gratuit, le comité [Non aux Jeux Olympiques] a demandé l’ouverture d’une enquête criminelle contre Van Thijn pour tentative de pot-de-vin. Dans le même temps, le comité a produit son propre film vidéo de bonne facture. Un porteur de la flamme olympique y traverse Amsterdam, se heurtant à des problèmes locaux. Après avoir enjambé les embouteillages, il chute sur un chantier routier, se retrouve au milieu d’une émeute de squatteureuses, donne du feu à un·e cagoulé·e avec une bombe, se retrouve dans le quartier rouge et se fait voler par un fumeur de haschisch, après avoir glissé sur une merde de chien.


Le "dossier de candidature" officiel dans lequel la ville d’Amsterdam présentait ses projets a été contré avant même sa publication par un "dossier de candidature du peuple" dans lequel « Amsterdam Never » a été soutenu. Un dossier de presse avec la collection complète des coupures de presse sur des anti-actions avec des sous-titres en anglais a été offert aux membres du CIO. Il montre, entre autres, que la municipalité a accordé des subventions à la fondation organisatrice, mais pas au comité anti-JO, qui avait fait une demande pour agacer les régent·e·s.


Il y a même eu, au sujet du droit d’auteur des cinq anneaux olympiques, que Nolympics utilisait tout le temps et partout, une petite émeute qui a attiré beaucoup l’intérêt de la presse. Le comité a tellement vidé les symboles de leur sens que, même s’ils étaient censés être joyeux et frais ils n’étaient plus capables de susciter aucun enthousiasme.


Jardinage


Un exemple : le service municipal de l’aménagement paysager a voulu contribuer à l’ambiance olympique en créant, le long d’une route d’accès à Amsterdam, un parterre de fleurs ayant la forme des cinq anneaux, des armoiries d’Amsterdam et de l’année 1992. Harry, qui ne faisait partie d’aucun comité, raconte : « Nous allions rentrer en ville un soir dans une camionnette lorsque nous avons soudain vu ce parterre de fleurs. Nous nous somme immédiatement arrêté·e·s le long de la route pour tout piétiner. »


Ces personnes passant par hasard ont ensuite envoyé un message à leur propre presse déclarant : « Là encore le tourisme et d’autres cibles politico-économiques seront visées. » L’action inspira à d’autres une idée lumineuse. Une semaine plus tard le « parterre de fleurs propagandiste » fut restauré avec des violettes et des "autonomes" sont revenu·e·s, cette fois avec des pelles et un·e photographe, pour refaire le travail en profondeur la nuit.


La photo de la destruction montre un·e jardinier·ère encagloué·e en pleine action – des mottes de terre volent autour. Une lettre a été imprimée à côté de la photo dans les quotidiens : « C’est le début d’une longue lutte, d’une guerre de sept ans s’il le faut, si cela dépend de nous. Les initiateurices de cette campagne promotionnelle gourmande en argent deviendront des cibles dans la création d’un climat aussi peu sûr que possible à Amsterdam. »


Ensuite, No Bread No Games a produit une carte postale montrant deux autonomes déployant un drapeau Nolympics dans le parterre de fleurs détruit. Ces cartes ont été largement diffusées avec les adresses des membres du CIO et pouvaient être envoyées avec des contre-arguments personnels. Le timbre était également pré-imprimé. Après cette pagaille, le parterre a dû être placé sous surveillance Beuker.


Mme Boerlage


Aussi anonymes et bizarres qu’aient été les actions Nolympiques, le Comité Non avait toujours un visage convenable contre lequel la presse et d’autres autorités pouvaient se déchaîner. Il s’agissait d’une certaine Saar Boerlage, une aimable dame d’âge moyen qui était bien connue dans les cercles politiques comme une avocate passionnée et une enseignante universitaire experte. Elle a été l’une des fondateurices du Comité Non aux Jeux Olympiques et en est restée la porte-parole du début à la fin par méconnaissance des traditions d’action. C’était un fait choquant qu’un cadre à l’intérieur duquel avaient lieu des actions violentes ait à sa tête une femme avec au nom de famille et un visage que toute la Hollande connaissait depuis longtemps.


Ainsi pouvait-elle devenir le conteneur dans lequel toustes les journalistes, managereuses et administrateurices pouvaient déverser leur frustration et aussi leur fascination. Elle incarnait l’autosatisfaction d’une nation. Car qui assumerait la tâche ingrate de constamment rappeler aux prêcheureses du sentiment-« We are the champions » les errements de l’entreprise Hollande S.A. et refuser de se laisser décontenancer par toute la calomnie, alors qu’en pleine action ça se concentre de plus en plus sur votre personne ? Pour des actions médiatiques, un·e présentateurice central·e est indispensable. Et qu’y a-t-il de plus raffiné que le style mère de famille, qui renvoie tout·e journaliste braillard·e dans un coin la queue entre les jambes ?


Les actions se sont concentrées sur deux points où les gens d’affaires sérieux·ses sont les plus faibles : l’humour et la pagaille. Les créateurices d’image savaient également qu’iels faisaient du commerce basé sur du vent et se sentaient d’avance un peu ridicules quand iels devaient mendier de l’argent auprès des entreprises privées. Dans une telle situation, toute plaisanterie arrive comme un coup de massue. En outre, une seule tache sur un costume trois pièces est plus efficace que 100 bons arguments.


Ainsi fut invitée la Fédération Sportive Internationale à tenir son congrès à Amsterdam pour se faire une bonne idée de cette ville sportive. Les invité·e·s se sont rendu·e·s au dîner avec le maire Van Thijn au musée maritime et ont marché de leur hôtel jusqu’à un bateau d’excursion qui les attendait. Là iels ont été bombardé·e·s de peinture, d’œufs et de tomates pourries par 100 manifestant·e·s.


La police a mené une charge le long du canal, d’abord pour déloger les lanceureuses, puis pour maîtriser les sportif·ves chauffé·e·s à blanc. Le président de la fédération : « Si la vaste majorité des Néerlandais sont en faveur des Jeux, nous avons apparemment rencontré la petite minorité ce soir. »


Manifestations sportives


D’autres évènements sportifs ont également reçu des visites. La veille du 67e Open international de golf à Noordwijk, trois trous de golf ont été entièrement retournés. Les participant·e·s aux championnats du monde de baseball ont eu l’honneur de passer sous une "arche Nolympique" en se rendant au musée historique et de prendre un tract avec les contre-arguments.


Et la nuit précédent les championnats du monde de hockey féminin au stade Wagener extra-gardé d’Amstelveen, le gazon artificiel a été peint avec les anneaux Nolympiques. Alors que l’on avait presque terminé, trois des cinq peintre ont été arrêté·e·s. Cela confirmait l’argument de Nolympics selon lequel les Pays-Bas ne pouvaient pas protéger de manière adéquate leurs évènements sportifs contre les attaques.


Un·e porte-parole du Comité Non aux Jeux Olympiques a déclaré qu’iel avait trouvé l’action « spectaculaire » et « ludique ». « Iels ne font que le demander. Iels n’ont jamais voulu prendre leurs adversaires au sérieux. Aujourd’hui, Van Thijn tente d’étouffer l’opposition en adoptant une approche soit-disant musclée. Naturellement, c’est pourri pour les gens qui sont enfermé·e·s, mais ce qui se passe maintenant montre le vrai visage des Jeux Olympiques. »


Piet est une des personnes arrêtées et après deux jours de garde à vue dépose directement deux plaintes. L’une pour « détention illégale » (pour vandalisme il n’aurait pas dû être détenu plus de six heures) et une pour « agression infligée par sept policiers ». Il demande des dommages et intérêts de 50 000 florins.


De l’autre côté de la frontière


Par delà tous ces creusages et gribouillages la présence agaçante de l’Anti-Comité officiel se poursuit aux meetings du CIO. Lors de la 90e session à Berlin-Est, avec Erich Honecker[3] en orateur honoraire, les opposant·e·s se sont à nouveau manifesté·e·s. Saar Boerlage, la seule des Hollandais·e·s à avoir réussi à passer la frontière, a distribué des tracts et s’est entretenue avec les équipes de promotion de Paris et de Brisbane, « qui étaient très intéressées par mes arguments ». Ses affiches étaient illustrées du logo des Jeux Olympiques, sauf que l’un des cinq anneaux a été remplacé par une bombe, censée signaler le risques d’attentats pendant les Jeux d’Amsterdam.


Lorsqu’elle a convoqué une conférence de presse internationale près de la fontaine sous la Fernsehturm, elle a été arrêtée par la Kriminal Polizei et après six heures d’interrogatoire expulsée du pays. Une lettre envoyée remarque : « Lorsque la RDA a rendu les choses impossibles pour Saar, Van Thijn aurait dû cesser ses activités. Aujourd’hui il a sous la protection d’un État totalitaire poursuivi ses activité farfelues, qui sont de toute façon vouées à l’échec. » Une autre lettre a répondu sous le titre « La débâcle à Berlin est une aubaine pour Amsterdam » : « De nombreux Amstellodamois auront noté avec approbation la présentation idiote à Berlin-Est. »


Le groupe s’est rendu à plusieurs reprises à Lausanne où le siège le CIO. En décembre 1985 toutes les villes candidates se sont réunies au Palace Hotel pour un premier tour. « Deux manifestant·e·s ont forcé l’entrée de l’hôtel principal, se sont extirpé·e·s de l’emprise désespérée de la représentante de la presse olympique et sous les yeux de l’audience choquée ont déployé leur banderole "Nolympics in Amsterdam". Sur un signal du président du CIO, le personnel de l’hôtel est intervenu et les manifestant·e·s ont été éjecté·e·s dans la rue. Le méfait s’était cependant déjà produit et dans les heures qui ont suivi la nouvelle de la manifestation d’Amsterdam a fait le tour du monde. »


Le groupe en a également profité pour prendre des photos que l’on retrouvera plus tard un peu partout. Toujours avec cette même banderole soignée tenue par deux personnes : devant le Palais Beaulieu, à côté d’une statue baraquée devant le Lausanne-Palace. La dernière photo résumait la stratégie : elle montre un photographe accroupi fixant trois officiel·le·s souriant à l’appareil, tandis qu’au fond à droite, devant les colonnes de l’entrée de l’hôtel, le duo avec la banderole vole la vedette.


Gunnar Ericsson s’est rendu à Amsterdam en tant "qu’inspecteur principal du CIO" et eu droit tôt le matin à la banderole surprise et à un petit peu de musique par 30 personnes. « Nous avons fait ça pour réveiller les trois inspecteurs du CIO. » Ericsson s’est entretenu avec Saar et trouve que c’est « un petit-déjeuner amusant ». À la fin du mois de février 1986 iels étaient de retour à Lausanne, où Amsterdam présentait son dossier de candidature. « Tout compte fait, deux manifestant·e·s transi·e·s de froid, se tenaient près du siège du CIO, le Château de Vidy, attendant la délégation de la capitale. Le binôme a même été autorisé à entrer pour présenter au président du CIO "le dossier de candidature du peuple". »


Irritation parmi les politicien·ne·s


Plus la deadline approchait et plus la fréquence des banderoles augmentait, plus la réaction des organisateurices était irritée. Dans chaque interview, iels devaient commenter les actions de Nolympics. Ed van Thijn : « Nous sommes naturellement soumis à un chantage à un niveau aussi fort que la peste. Chaque citoyen d’Amsterdam avec qui nous nous disputons peut menacer de s’adresser au CIO. »


Brodant sur le raisonnement « l’Espagne a ses Basques et nous avons tous quelque chose » Van Thijn présentait ses adversaires encore et encore comme une preuve de « la puissance de la démocratie néerlandaise ». Aussi Vonhoff[4], qui siégeait au présidium des supporteureuses des jeux, a essayé de se retenir un peu plus : « La Hollande sans groupes d’action ? C’est comme la Hollande sans tulipes, sabots de bois et moulins à vent. »


Mais alors que les meneureuses agissaient comme si de rien n’était, aux échelons inférieurs de l’organisation, les promoteureuses commençaient à stresser et à développer une allergie à la presse. À Séoul, qui se trouvait en dehors de la portée Nolympics, une dernière présentation des plans était prévue.


Le numéro d’Amsterdam fut un flop : iels avaient oublié d’apporter les maquettes de la ville olympique et ont essayé de divertir le public avec un « incroyable spectacle de magie du champion du monde Ger Kappers. » Van Thijn a été pour cela décrit comme « le nettoyeur de service, en essayant de relancer un peu le faible feu olympique ». La presse critique n’a été que dégoûtée par les montagnes de nourriture exquise. « Ce qui se trouve sur ces tables, doit bientôt sortir des narines mêmes des gourmands les plus gloutons. »


De retour à Amsterdam, iels décidèrent de faire taire les actions anti-olympiques, et les journaux leur emboîtèrent le pas. Nolympics a rapporté : « Quand nous réveillons tout l’hôtel Amstel tôt le matin, parce que le membre du CIO João Havelange[5] y séjourne, la police est là, presque en train de rire. La politique actuelle consiste à maintenir le calme. Chaque petite émeute profite au mouvement No Olympics, pensent-iels. Si le tram olympique est aspergé de bombes de peinture par des squatteureuses, rien de tout ça ne sera médiatisé. C’est autre chose que leur réaction hystérique lorsque le bateau d’excursion était la cible. »


Charge explosive


Mais alors il s’est passé quelque chose qu’on ne pouvait pas taire. Dans la nuit du 21 août 1986 deux bombes ont explosé. Furent détruites la porte d'entrée du bâtiment de la Fondation des Jeux Olympiques et la seule antenne parabolique pour le trafic téléphonique par satellite à Amsterdam. Les attaques ont été revendiquées par les Cellules Révolutionnaires commando ins Blaue hinein[6]. À ce « maillon important de la propagande pour les Jeux Olympiques », une bombe a été placée au cœur de l'antenne parabolique, mais le plus grand nombre de dégâts a été causé par un liquide chimique qui a été pulvérisé dans le chemin de câble et a détruit le câblage interne. Aux deux endroits ont été trouvés deux panneaux sur lesquels on pouvait lire : « Attention - explosifs - ne pas s'approcher ».


Dans le communiqué de presse, qui a été retrouvé dans une poubelle du complexe squatté De Binnenpret, il est écrit : « Avec ces attaques, nous avons voulu infliger des dommages directs à l’image polie de la ville d’Amsterdam. » Était jointe une affiche montrant Ed van Thijn avec une expression fanatique, qui appuie personnellement sur le détonateur des explosifs avec lesquels la parabole a explosé, avec la légende « Feu olympique à Amsterdam ».


Rapidement des hordes de journalistes ont téléphoné à Saar Boerlage pour noter sa prise de distance. À leur grande surprise une « ambiance de hourra » a prévalu sur l’ Anti-Comité officiel. Saar dans les médias :


« Nous n'aurions jamais pensé à quelque chose comme ça nous-mêmes, mais nous sommes heureux·ses de la façon dont cela s'est passé. Cet incident fait la une de la presse mondiale et c'est défavorable pour Amsterdam. Nous serions fol·s de commettre des attentats : si un tribunal découvrait que nous étions derrière tout cela, nous serions condamné·e·s à payer les dégâts. C'est un coup dur de plus pour les organisateurices. Iels essaient d'une manière grossière d'attirer les Jeux à Amsterdam et de ne laisser aucune chance aux adversaires de propager leurs objections. C'est ainsi que les autorités suscitent la violence. »


Cette réaction a prouvé la supériorité de la stratégie médiatique. L'effet multiplicateur a fonctionné : la pose de bombes par d'autres n'a pas été un frein, mais a renforcé la stratégie de dégradation de sa propre image. Le comité peut ainsi s'étonner que « nous n’y ayons pas pensé nous-mêmes » et utiliser les attaques comme un argument supplémentaire contre les Jeux. Ce raisonnement étanche devait bien être adopté par les journalistes pleurnichard·e·s.


Le nouvel argument est désormais : « On s'attend à plus d’attaques si les Jeux viennent dans la capitale ». Saar Boerlage ajoutait : « Ces garçons et ces filles n'en avaient pas après la vie ou les biens d’autrui. Les autorités devront bien sûr condamner ces actes. Mais pas en termes de crime grave, tel que l’a fait Van Thijn. »


Parade florale décorée


Deux semaines plus tard, un dernier incident s'est produit avant que les caravanes ne partent pour Lausanne afin d'assister au vote du CIO. La parade florale annuelle tournait autour des Jeux Olympiques. C'est pourquoi la police avait mobilisé des effectifs supplémentaires, notamment des brigades d'interpellation. Alors que les chars passaient devant De Binnenpret, des personnes en action muni·e·s de panneaux sandwichs ont tenté de suivre le cortège. On pouvait y lire entre autres : « Mexique 1968 : des centaines de morts », « Munich 1972 : des otages brûlés »[7], « Montréal 1976 : le peuple paie encore », « Amsterdam 1992 : ins Blaue hinein ? » La police a chassé les manifestant·e·s du cortège et celleux-ci ont enfourché leurs vélos et se sont dirigé·e·s vers Dam sous escorte policière pour aller distribuer des tracts.


Après les attaques à la bombe la tension était très forte. L'objectif était de faire monter la tension à son paroxysme à Lausanne. Tout d'abord Saar et son comité arriveraient avec les fameuses banderoles. Une arme secrète était dissimulée pour la fin de la semaine : les hordes sauvages qui viendraient confirmer la mauvaise image d'Amsterdam. « Au départ de A’dam un voyage en bus est organisé que Neckermann[8] ne peut pas égaler. Le voyage durera 4 jours et coûtera environ 90 florins. Des hébergements seront disponibles. »


Comme le Comité Non n’avait pas besoin d’une base de membres ou d’une large base pour son travail dans les médias, certains cercles ont été échauffés pour une sortie amusante. Cela a plu au groupe cible et iels ont compris ce qu’on attendait d’elleux. Deux groupes punk se sont joints pour apporter une animation musicale. Les billets de dernière minute pour ces « manif’/vacances merveilleusement soignées » ont été distribués aux adresses connues.


Le train Olympique spécial des officel·le·s était déjà parti[9]. S’est également présentée une initiative privée de supporteureuses, sponsorisée par la firme Sorbo[10], partant pour la Suisse dans des camionnettes. À Lausanne, l’autocar-action (arborant des slogans comme « No way Edje ! » [diminutif de Ed van Thijn Ndt]) et les camionnettes Sorbo se sont croisées le premier soir. Flip : « Quand ces camionnettes sont passées très près de nous on leur a donné quelques coups de pied. »


Des barbares à Lausanne


Le groupe d’action-touristes a été reçu au centre Martin Luther King, « la seule épave de Lausanne ». Il était situé au bord d'une rivière qui se jetait dans le lac de Genève. De grandes tentes ont été installées sur l'herbe à côté du bâtiment. La présence des « ordures ménagères de Van Thijn » à l'endroit où il en avait le moins besoin, a suffi à provoquer un choc culturel total parmi la presse mondiale rassemblée, la police suisse et les officiel·le·s.


Les « acolytes crasseux·ses de Saar Boerlage » ajoutent non seulement leurs vestes en cuir, portant des bottes militaires et des t-shirts jaunis avec des imprimés Nolympics, mais iels ont aussi laissé des montagnes de déchets partout où iels sont allé·e·s. Iels criaient sans cesse, sautaient debout, s'acharnaient sur les clôtures et frappaient des tiges entre les barreaux de façon à faire résonner un éclat de bruit. Iels faisaient aussi des danses dans les bacs à fleurs. Iels portaient des slogans complètement exagérés, même par rapport à leurs propres critères : « Amsterdam supports apartheid », « No games No bombs », « München '72 = Amsterdam '92 » et « München can be repeated Amsterdam fights ! ». Par ailleurs, à un moment donné, deux opposant·e·s aux Jeux venu·e·s de Barcelone sont apparu·e·s à Lausanne avec leur propre banderole. Iels ont été filmé·e·s par la télévision espagnole et ont pu rejoindre le capharnaüm d’Amsterdam, stupéfé·e·s.


Dans l'environnement propre, stérile de Lausanne il semblait que les barbares avaient envahi la civilisation. Le style d'action était basé sur la logique du Spassguerilla[11] qui suppose ce que l'adversaire déteste le plus entendre ou voir à propos de lui/elle-même, et d’en rajouter.Mais en même temps quelque chose d'autre s'est produit : de l'expérience du squat à Amsterdam on a soudainement réalisé à quel point le monde est extrêmement propre et ordonné. Du rire qui est remonté est venue la perspicacité à montrer comment sa propre saleté était merveilleuse. Jusque-là les innommables ne s’intéressaient pas au rejet de leurs apparences par les autres. Maintenant iels comprenaient que les gens biens ne pouvaient tout simplement pas supporter autant de saletés.


Flip : « Les manifs de vacarme devant la grille suivent toujours le même schéma : sauter du bus, faire du vacarme pendant une heure avec des sifflets, des hochets et des klaxons, distribuer des tracts, agiter des banderoles, puis retourner dans le bus, retourner à notre base. » L'organisation du voyage suivait un régime spartiate afin de ne pas manquer une seule occasion de donner un acte de présence. Le groupe était déjà réveillé à 06:00 pour pouvoir gâcher le petit-déjeuner au Calgary Palace Hotel vers 07:30. Les sorties étaient totalement destinées à la presse mondiale, qui se promenait frustrée elle aussi par l'indisponibilité totale des membres du CIO. Iels ne passaient qu'en bus et en voitures cossues. La police est restée amicale, afin de ne pas ternir l'image de Lausanne sous l'œil attentif des journalistes.


« Capitalist bastard »


La veille du vote, iels se remirent en route, cette fois pour l'hôtel où dormaient les messieurs. Flip : « Une horde enthousiaste saute à nouveau des bus, court dans la rue où, pour renforcer l'efficacité de l'action, le bus des membres du CIO vient d’arriver. Pour entrer dans l'hôtel, iels doivent passer devant la foule hurlante. » Ce fut la seule fois où les gentilshommes entrèrent en contact physique avec les racailles.


« Cette manif’ en particulier ça a marqué. Quelques personnes hystériques présentes à l’action ont commencé à accoster les mercedes. Un idiot au visage rouge vif d'agitation n'arrêtait pas de crier "fuck you capitalist bastard" et de faire un doigt d'honneur au visage des membres du CIO, s’embrouillant au passage avec d'autres gens de l’action qui n'aimaient pas ça. L'idée amusante est venue de coller des autocollants sur le dos des membres du CIO. Un fossile du CIO a failli souffrir d'insuffisance cardiaque et a dû compter sur le soutien de son chauffeur. Toujours plus de gens semblaient capables de devenir fol·s de rage rien qu’à la vue d’un·e membre du CIO. »


Joop : « L’histoire selon laquelle on a jeté des bouteilles de bière est une connerie. Quelqu’un·e a accidentellement laissé tomber un sac contenant quelques bouteilles. C'est tout. Tout au plus un coup porté sur un bus. » Flip : « Le prince de Monaco s’est pris un glaviot sur la figure, ça c'était drôle. Cette action a été couronnée de succès lorsque l’unité de force mobile a été envoyée à nos trousses. Iels sont venu·e·s en courant dans la rue, iels ont fait une impression mieux organisée que "notre" propre unité de force mobile. Enfin dispersé·e·s, une retraite chaotique dans l’ivresse de la victoire. Maintenant, la presse était contente aussi. »


Betsy : « On a été arrêté·e·s par les unités de force mobile parce qu’il y avait beaucoup de déchets dans la rue, et je crois que les gens ont commencé à les ramasser » Joop : « C’était une manifestation typique d’Amsterdam à l’hôtel de Lausanne. Mais pour les membres du CIO ça a dû être le sujet de la soirée au dîner. » Le soir la compagnie s’est amusée à un concert de soutien organisé dans un centre culturel de la jeunesse.


Jour J


Le jour J après la première manifestation de 08:00 devant le Palais de Beaulieu, où la décision serait prise, s’est tenue une « réu pelouse ». La question était de savoir ce qu’on ferait à l’annonce des résultats. Tout d’un coup il semble que l'on soit entré·e·s dans un débat de stratégie. Un petit groupe autour de Piet et Hein, « qui s'étaient par ailleurs tenus assez à l'écart du grand groupe », a pensé que c'était là une belle occasion de faire tomber Van Thijn.


Sandra : « Ils voulaient jouer les leaders. Les autres pensaient que les propositions qu'ils avaient faites étaient trop lourdes compte tenu de l'action policière suisse la nuit précédente. La police anti-émeute s’était approchée de nous style Brésil, avec des camionnettes qui semblaient appartenir à une équipe d'exterminateurices. Leur approche propre et leur défilé ne permettaient pas de savoir ce qu'iels avaient l'intention de faire. Voulaient-iels simplement nous chasser ou vraiment nous charger ? »


La faction de Piet et Hein n'avait pas encore compris qu'elle était prise dans une action médiatique et la stratégie consistant à être autant non-politique que possible était en passe de remporter un succès retentissant. Les choses ont atteint leur paroxysme autour de la question de savoir où et combien de fumigènes devraient être allumés. Le compromis était une « torche de fumée Nolympique » portée par l’œuvre d’art vivante Fabiola[12]. La « torche mourante avec le feu des Jeux Olympiques d'Amsterdam » a été allumée aux portes d'entrée, exactement au moment où le CIO assemblé était photographié sur sa plate-forme. La fumée flottait magnifiquement à travers le portrait de groupe.


Peu de temps après fut annoncé que Barcelone avait gagné et qu'Amsterdam avait déjà perdu au premier tour avec le plus petit nombre de voix de toutes les villes (5 sur 130). À ce moment-là le groupe est monté dans les bus en acclamant, pour rentrer à la maison. « La meilleure partie a peut-être été le sentiment hilarant de voir comment tous ces délégué·e·s néerlandais·e·s gonflé·e·s ont été réduit·e·s à presque rien. "Cinq voix !" criait tout le monde toute la journée. Pour l'élite, le monde s'est brièvement inversé. Les gens de Nolympics c’était devenu de l’actualité mondiale. Contrairement à la délégation officielle, réduite à des figurant·e·s et très peu médiatisé·e·s à l'international. »


Le Crachat d’adieu


La stratégie de la présence constante était désormais poussée à l'extrême. Les bus Nolympics étaient de retour à Amsterdam assez rapidement pour arriver en même temps que les délégué·e·s déçu·e·s. Iels devaient donner une dernière conférence de presse au World Trade Center. Certes, une partie de la compagnie du voyage Nolympics avait plutôt envie de rentrer directement chez elle, mais iels ont été déposé·e·s devant le complexe de bureaux sans qu'on leur demande. Encore une banderole a été faite : « Un beau non, haha hihi ! » et « 4 millions de florins par vote ».


Lorsque la délégation est arrivée en provenance de Schiphol au centre commercial lors de la dernière course du train Olympique, les régent·e·s ont dû marcher de la gare à l'entrée du bâtiment en passant par la voie publique. Dans la rue, iels sont tombé·e·s sur le même groupe de Nolympics qui les avait tourmenté·e·s jusqu'à l'exaspération à Lausanne.


C’en était trop pour la plupart des officiel·le·s. Maintenant, c'était à leur tour de s'approcher physiquement de l'ennemi. Iels ont repoussé les gens de l’action et ont essayé de les percuter, mais ces dernier·ères ont réagi avec agilité et voix. Le gros Vonhoff s'est fait cracher au visage. Fou de rage, Vonhoff a traîné la personne jusqu'aux policiers qui se trouvaient à proximité pour la faire arrêter, mais elle a été libérée par ses camarades.


Une fois à l'intérieur, Vonhoff demanda encore au maire Van Thijn que le garçon soit interpellé. Lorsqu'un nouveau groupe de policiers est arrivé, iels l'ont arrêté. Il a été relâché le soir même. L'excitation de la presse à propos de cet incident avait déjà atteint des sommets inouïs. D'un coup « Saar Boerlage et ses acolytes » ont été blâmé·e·s pour l'énorme flop de la ville aux yeux du monde. Un·e participant·e de l’action a demandé après-coup : « Qu'y a-t-il de si horrible dans le crachat de toute façon ? En quoi est-ce tellement plus radical qu'une tarte à la crème ? Le crachat est si horrible parce qu’il vient du corps humain. Et c’est justement quelque chose que l’élite ne veut pas être. Ce ne sont pas des corps, c’est l’Ordre. »


Au milieu de la calomnie qui s’est poursuivie pendant quelques semaines, un journal a publié une interview de Saar et de son Comité Non aux Jeux Olympiques. Saar : « Notre dernier message aux membres du CIO est que nous pensons qu’Amsterdam est une belle ville. Nous avons dit que nous voulions que cela reste ainsi. » Question : « Le maire Van Thijn a déclaré ce week-end que No Olympics était responsable de la perte de sept à douze voix à Lausanne. Qu’en pensez-vous ? » Réponse : « Il faut espérer qu’il en soit ainsi. Ce serait un grand honneur pour nous. »


BILWET
Fondation pour la promotion de la science illégale


Post-scriptum NN, « La Grande Victoire des petits déchets » de Bilwet est tiré de ARCADE, Annuaire des sciences ambulatoires n°3. Dans cet ouvrage de 200 pages au pochoir ( !), on trouve des histoires de Bart Droog « L’Amérique existe vraiment », Peter Callas « Le Post-centre commercial dans le Japon post-culturel », Geert Lovink « Une paix allemande » et Lux Wouterloot « Voulez-vous l’écologie totale ? ». Arcade n°3 a été publié par l’éditeur Ravijn en 225 exemplaires numérotés. L’histoire de No-Olympics est également parue en chapitre supplémentaire dans la récente version allemande du Bewegingsleer de Bilwet.


No Copyright














[1] « vago’s » en néerlandais

[2] Le 24 octobre 1985, un groupe de squattereuses tente de réoccuper une maison expulsée. Plusieurs sont interpellées et mises en garde à vue, dont Hans Kok, 23 ans, qui sera retrouvé mort en cellule le lendemain.

[3] Dirigeant de la RDA.

[4] Henk Vonhoff, commissaire de la reine de la province de Groningue, et qui dirigeait le Nederlands Olympisch Comité.

[5] Avocat et dirigeant sportif au Brésil (FIFA et Cie). Membre du CIO depuis 1963, il le restera jusqu’en 2011.

[6] « ins Blaue hinein » : expression allemande qu’on peut traduire par « imprévisible » (ou l’anglaise : « out of the blue »)

[7] Un commando palestinien de Septembre noir prend en otages des sportifs israéliens lors des JOP à Munich. Onze athlètes sont tués dans l’explosion d’un hélicoptère au sol, sur la base aérienne de Fürstenfeldbruck de l’OTAN. Un policier allemand est tué. Cinq membres du commando sont tués par la police, trois autres sont arrêtés.

[8] Agence de voyage, soit-dit en passant fondée par un multimédaillé olympique.

[9] Cette fois-ci c’est pas une métaphore, il y avait littéralement un train dépêché spécialement pour que les cravaté·e·s se rendent au CIO à Lausanne.

[10] Fabricant d’ustensiles de cuisine.

[11] « Guérilla amusante » cf. Tout feu tout flamme (éditions Tumult, 2023) pour resituer le contexte de guérilla urbaine assez forte chez les voisin·e·s en Allemagne : lille.indymedia.org

[12] Artiste performeur au sein des mouvements squat et pédé à Amsterdam. Son nom de scène est une référence à la reine belge, ayant vécu une grande partie de sa vie en Belgique.

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