L’Encyclopédie Anarchiste — G
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GACHIS
n. m. (de gâcher)
Au sens propre on appelle gâchis une espèce de mortier composé de chaux, de sable, de plâtre ou de ciment, délayé dans l’eau et employé généralement dans la bâtisse. On emploie ce mot par extension pour désigner quelque chose de confus, d’embrouillé : « Le gâchis social, le gâchis politique. »
Il en est qui, adversaires de toute transformation sociale, se signalent comme les défenseurs de l’Etat bourgeois et de la société capitaliste, prétendent que la révolution ne peut être que le gâchis, c’est-à-dire le désordre, et affirment avec une certaine outrecuidance que l’organisation autoritaire de la bourgeoisie est une manifestation de l’ordre le plus parfait.
Il faut être ou aveugle ou le plus parfait des crétins, à moins d’être intéressé et profiter de l’état social actuel, pour tenir un tel langage, car la société moderne, surtout depuis la guerre de 1914, nous offre le spectacle du plus profond gâchis. Ce gâchis est tel que les dirigeants de la bourgeoisie et du capitalisme en sont eux-mêmes débordés et ne savent plus de quelle façon sortir du bourbier dans lequel ils se sont enlisés. Le gâchis politique, le gâchis parlementaire, le gâchis économique, dans tous les domaines de l’activité, c’est la confusion la plus obscure, et ce gâchis total, absolu, est le résultat de l’appétit toujours grandissant des classes dirigeantes qui se laissent entraîner dans les aventures les plus périlleuses. A la faveur de ce gâchis, il faudrait que la classe ouvrière sût se livrer en bon ordre à l’attaque de la citadelle capitaliste déjà ébranlée, pour se libérer d’un seul coup de ses maîtres et de ses oppresseurs, et organisa enfin une société nouvelle illuminée par la liberté.
GAFFE
n. f.
La gaffe est un instrument composé d’un manche d’environ deux mètres de long et d’une pointe métallique munie d’un ou de deux crocs et dont se servent les marins pour pousser les embarcations, pour accrocher, accoster ou aborder.
Populairement, ce mot s’emploie fréquemment comme synonyme de « maladresse », « d’erreur ». Faire une gaffe, c’est une gaffe qui est cause de tout ce trouble. Il ne fait que des gaffes. Personne n’est à l’abri de faire des gaffes, car chacun peut se tromper. Lorsqu’elle n’engage que l’individu qui la commet, la gaffe est excusable ; elle l’est moins lorsqu’elle engage tout ungroupe, toute une association ou toute une organisation. Et c’est pourquoi un homme qui se trouve à la tête d’un organisme quelconque doit toujours, avant d’accomplir un geste ou un acte, en mesurer tous les effets, toutes les conséquences, afin de ne pas faire de gaffes et entraîner, dans son erreur, toute une collectivité.
Il ne faut jamais oublier que les gaffes, commises à certaines époques par des hommes qui dirigeaient le mouvement prolétarien, furent fatales à la classe ouvrière. Sans remonter à 1914, où l’attitude de certains chefs ne peut pas être qualifiée de gaffe, mais de crime, nous trouvons, dans l’histoire sociale d’après-guerre, un nombre incalculable de gaffes sincèrement commises qui déterminèrent la désunion des classes travailleuses. Faisons donc en sorte d’en faire moins à l’avenir, en profitant des exemples et des expériences du passé, et la tâche que nous avons à cœur de mener à bien nous paraîtra plus légère.
GAGE
n. m.
Le gage est un objet que l’on donne à un créancier en garantie d’une dette, d’un emprunt, etc.
Le prêt sur gage est autorisé par la loi, « et, à défaut de payement à l’échéance, le créancier peut, huit jours après une simple signification au débiteur (ou au tiers bailleur de gage), faire procéder à la vente publique par le ministère des agents de change ou des courtiers ». Des dispositions spéciales ont été prévues par la loi en ce qui concerne les gages immobiliers.
En certaines villes, la municipalité fait elle-même office de prêteur sur gage, par l’intermédiaire de ses « Monts de Piété ». Dans les périodes de crise, de chômage, il est pénible de voir les misérables se détacher d’objets qui leur sont parfois, non seulement chers et utiles, mais indispensables, et les offrir en gage, en échange des quelques francs qu’on leur prête avec intérêts et qui leur permettront, pendant quelques jours, de ne pas crever de faim.
Il n’est pas besoin de dire que les prêteurs sur gage ne travaillent pas gratuitement et que, d’ordinaire, ils ne prêtent leur argent qu’à un taux usuraire.
On emploie également le mot gages comme synonyme de salaire, appointement (voir ces mots), mais plus particulièrement en ce qui touche le personnel domestique. Dans ce sens, le mot gages ne s’emploie qu’au pluriel. Avoir de bons gages. Etre satisfait de ses gages.
GAIN
n. m. (de gagner)
Le gain est le profit, le bénéfice réalisé dans une affaire, une entreprise, ou encore l’avantage obtenu sur un concurrent ou un adversaire. Un gain considérable ; un gain licite ; un gain médiocre ; le gain d’une bataille ; avoir gain de cause ; être âpre au gain.
L’amour du gain, qui anime un grand nombre d’individus, est une des causes primordiales des batailles continuelles que se livrent les hommes. La course vers la fortune qui permet, à celui qui la possède, toutes les jouissances, fait de l’humanité un vaste champ de carnage où les humains, semblables à des bêtes féroces, se déchirent et se dévorent mutuellement.
Les économistes bourgeois prétendent que le gain est un facteur d’énergie, qu’il concourt au développement économique de la société et qu’il est une source de génie, que c’est grâce à lui que l’homme poursuit ses recherches, que c’est pour obtenir les avantages d’un gain matériel qu’il étudie, qu’il découvre et qu’enfin il part à la conquête du monde. Rien n’est plus faux, à notre avis. Nous n’ignorons certes pas, qu’en ce qui concerne le commerce, la finance ou l’industrie, l’appât du gain n’est pas étranger à leur développement, mais n’oublions pas que ni le commerce, ni l’industrie ne sont des facteurs d’évolution sociale et que, ordinairement, le véritable artisan du progrès, le chercheur, le savant, travaille sans aucun esprit de lucre, et que ses découvertes, dont il ne bénéficie matériellement que rarement et dans une faible mesure, sont presque toujours accaparées par les spéculateurs qui s’enrichissent honteusement du travail et de la pensée d’autrui.
Non, l’appât du gain ne fait pas jaillir la lumière et, en aucun cas, il n’est un facteur de civilisation. Au contraire, l’appétit insatiable des capitalistes, l’amour du gain toujours plus grand, plus considérable, les pousse dans des aventures guerrières dont la classe ouvrière paie tous les frais. C’est pour que leurs maîtres accumulent des gains considérables, que les travailleurs sont contraints de produire pendant de longues heures, pour des salaires de famine, et de se faire tuer sur les champs de bataille, lorsque leurs exploiteurs, pour arrondir leurs gains, cherchent des débouchés dans les pays coloniaux ou à l’étranger. Le gain, en réalité, c’est le produit du vol licite, du vol légal et, au sens propre du mot, il ne peut être moral.
Tant qu’une société, quelle qu’elle soit, même si elle se réclame de tendances, de principes socialistes ou révolutionnaires, admettra ou permettra le « gain », la question sociale ne sera pas résolue. Ce n’est que lorsque tous les organismes des vieilles sociétés bourgeoises seront détruits et que l’industrie travaillera pour satisfaire les besoins de tous et non pas pour satisfaire aux exigences immodérées d’une minorité de ses semblables, que la révolution sera un fait accompli. Le gain ne sera plus alors le fruit d’une spéculation ou d’une exploitation, mais le résultat d’un travail profitant à toute la collectivité humaine.
GALÈRE
n. f. (de l’italien Galera)
Navire de guerre des anciens, à un, deux ou trois rangs de rames. Les plus petits de ces navires avaient, à chaque rang et de chaque côté, dix rames ; les plus grands en avaient cinquante. En France, les premières galères furent construites sous le règne du roi Charles IV. Le mot galère est aujourd’hui usité comme synonyme de « bagne ». Cela tient à ce qu’il fut un temps où les forçats accomplissaient leur peine sur les galères. « C’était, dit le Lachâtre, la peine la plus communément usitée. Les femmes ne pouvaient être condamnées aux galères. On commuait cette peine tantôt en une détention à temps ou à perpétuité, le plus souvent en celle du fouet et du bannissement. Voici comment s’exécutait cette peine : les condamnés, après avoir été préalablement fustigés et flétris, étaient transférés dans une prison jusqu’à ce qu’ils fussent en nombre suffisant pour former une chaîne. On leur passait alors un anneau de fer au cou, un autre au bas de la jambe ; on reliait ces deux anneaux par une chaîne qui tenait, d’une part, à l’un des poignets, de l’autre à la grosse chaîne, à laquelle les galériens étaient attachés deux à deux, l’un à droite, l’autre à gauche. Ils marchaient ainsi à pied, de ville en ville, sous la garde de chiourmes, jusqu’au lieu de leur destination où, étant arrivés, on les détachait de la grosse chaîne pour les enchaîner dans la galère, chacun à son banc. En 1748, les navires à rames ayant cessé d’être en usage dans la marine, les galériens furent employés aux travaux des ports et des arsenaux. »
De nos jours, il ne reste donc plus des « galères » que le nom. Les forçats ne sont même plus employés dans les arsenaux, mais expédiés dans de lointaines colonies pénitentiaires et livrés, sans contrôle, à la brutalité des gardes-chiourmes. (Voir les mots bagne, travaux forcés, forçat).
Le mot galère est également usité à présent, au sens figuré, pour signaler une condition désagréable ou une situation pénible. Une vie de galère. Un travail de galère. Il n’est pas besoin d’aller au bagne pour voir des hommes condamnés à la galère perpétuelle. Face à la richesse insultante des riches, il est des êtres qui fournissent un travail au-dessus des forces humaines et mènent une véritable vie de galériens. Il faut avoir visité certaines contrées minières ou pénétré dans certaines grandes usines métallurgiques pour se rendre compte de ce que le capital exige de son prolétariat, en échange d’un salaire insuffisant pour vivre ; l’existence de certains manœuvres, qui travaillent sur les grands navires commerciaux, n’est pas non plus de beaucoup supérieure à celle des galériens de jadis ; à part les chaînes elle est à peu près identique. Que de chemin il reste encore à parcourir pour que la terre, qui est un paradis pour une minorité, ne soit plus une galère pour la grande majorité ! C’est au prolétariat, parce que c’est chez lui que se recrute le galérien, qu’il appartient de transformer tout cela. Avec un peu d’énergie, de volonté et de courage, il le peut ; mais il faut aussi pour cela qu’il se libère de tous les préjugés qui le tiennent, comme un galérien, rivé à la chaîne.
GALERIE
n. f. (du latin galeria)
On donne le nom de galerie à une pièce, ordinairement plus longue que large, et qui sert à donner des fêtes, des concerts, à réunir ou à exposer des tableaux et autres objets d’art. Les galeries d’un palais ; les galeries d’un musée ; une galerie de peinture. Au théâtre, on appelle galerie tout ce qui n’est pas le parterre. C’est un balcon fourni de banquettes pour les spectateurs. La première galerie ; un fauteuil de troisième galerie. On donne aussi le nom de galerie aux routes que les mineurs creusent au fond de la mine. On distingue plusieurs catégories de galeries. Une galerie inclinée qui suit le gîte, c’est-à-dire une masse de minerai, s’appelle enlevure, montagne, montage, etc. ; une galerie très inclinée prend le nom de fendue ; celle qui amène l’air dans tous les coins de la mine est la galerie d’aérage..
Au figuré, on donne le nom de galerie à ce que l’on considère comme l’assistance ; travailler pour la galerie, c’est-à-dire pour ceux qui observent, qui regardent. Il est quantité de gens qui ne vivent que pour la galerie et qui s’inquiètent toujours de ce que l’on pense de leurs gestes et de leurs actes. Ils empoisonnent ainsi leur existence. Il en est d’autres qui ont certaines attitudes pour la galerie et dont la vie est un éternel mensonge. C’est pour la galerie que nos politiciens se disputent durant des heures dans les parlements, car c’est toujours dans les coulisses que se traitent les grandes affaires politiques. La galerie, c’est le peuple, et le peuple se laisse tromper aisément. Les politiciens en profitent.
GALIMATIAS
n. m.
Discours confus, embrouillé, inintelligible. Le Lachâtre nous dit que ce mot provient « du quiproquo d’un avocat qui, plaidant en latin pour le coq de Mathias, à force de répéter gallus Mathiae, en vint à dire galli Mathias, ce qui fit rire tout l’auditoire, de manière que l’expression se conserva pour signifier un discours embrouillé ».
Rien n’est plus désagréable, pour un auditeur, que d’être obligé d’écouter un discours obscur, où les idées sont sans suite, les pensées développées sans aucun ordre, et qui est souvent inintelligible même pour celui qui le fait.
A celui qui veut propager une doctrine, qui cherche à faire partager ses sentiments ou ses opinions à ses semblables, la sincérité, la volonté et le courage ne suffisent pas ; il faut aussi de la clarté. « La profondeur donne à penser ; l’obscurité donne à deviner ; le galimatias est une attrape dont souvent l’auteur est la première dupe », dit Levis. Ayons donc soin, chaque fois que nous avons à charge de présenter au public nos idées, nos aspirations, nos espérances, de parler clairement, posément, simplement, afin d’être compris de tous et de toutes, pour que l’on ne puisse pas dire en nous écoutant : « Quel galimatias ! »
Laissons tous ceux qui se perdent dans la démagogie débiter leur galimatias et poursuivons notre chemin sans nous en écarter ; nous arriverons un jour à être entendus et compris, et on verra alors finir le galimatias, qui préside encore aujourd’hui aux destinées de l’humanité.
GALVANISME
n. m.
Moyen de développer de l’électricité dans les substances animales. C’est au docteur Louis Galvani, physicien, né à Bologne en 1737 et mort en 1798, que l’on doit la découverte du galvanisme, qu’il appelait, lui, l’électricité animale. C’est le hasard, qui fait tant de choses, qui lui valut cette découverte. En 1789, Galvani ayant disséqué des grenouilles pour en étudier le système nerveux, les avait suspendues à un balcon de fer, au moyen de petits crochets de cuivre, traversant les nerfs lombaires. Il s’aperçut que chaque fois que les nerfs touchaient le fer du balcon, les grenouilles, bien que mortes, éprouvaient des convulsions, et Galvani attribua ces convulsions à un fluide particulier. Volta démontra, par la suite, que ce phénomène n’était nullement dû à un fluide particulier et que l’on se trouvait simplement en présence de phénomènes électriques. C’est cependant grâce à la découverte de Galvani que Volta construisit sa pile, dite pile de Volta, et que les savants ont ensuite fait du galvanisme une science nouvelle.
GARANTIE
n. f.
Sûreté contre une éventualité quelconque ; ce qui garantit une chose. Engagement qui garantit les possessions d’un objet. Moyen de protection. Un acte de garantie ; un contrat de garantie. Constatation légale des matières d’or et d’argent. La garantie de ces métaux précieux est la marque ou poinçon dont sont revêtus les objets au titre légal.
La garantie individuelle est la protection que la loi est supposée assurer à chaque citoyen. Nous savons que cette garantie est une supercherie et que la liberté individuelle ou collective n’est nullement assurée par la loi et ceux qui sont chargés de l’appliquer ou de la faire respecter. Bien au contraire, les agents de l’Etat et plus particulièrement ceux de la police, peuvent impunément violer les prétendues lois de garantie, sans craindre les sanctions d’une « justice » asservie au capital et à la bourgeoisie. La police, comme presque toutes les institutions des sociétés modernes, ne sert de garantie qu’à la bourgeoisie contre le travailleur.
Taxe pour fond de garantie. — Selon la loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail, à défaut, par les chefs d’entreprise débiteurs ou par les sociétés d’assurances et syndicats de garantie, d’acquitter au moment de leur exigibilité les indemnités mises à leur charge à la suite d’accidents ayant entraîné la mort ou une incapacité permanente de travail, le payement en est assuré aux intéressés par les soins de la Caisse nationale des retraites pour la vieillesse, au moyen d’un fonds spécial de garantie alimenté par les centimes additionnels à la contribution des patentes.
GARROTTE
n. f. (de l’espagnol garrote)
Appareil de supplice employé en Espagne pour l’exécution des peines capitales. La garrotte fait mourir le patient par strangulation. La garrotte est composée d’une plateforme au centre de laquelle est fixé un poteau et, à ce poteau, un siège sur lequel est assis le condamné. Celui-ci a le cou pris dans un collier de fer réuni à une vis qui traverse le poteau. En serrant cette vis on ramène le collier vers le poteau et le condamné meurt étranglé. La garrotte est un supplice horrible. Il n’y a certes pas de critérium pour déterminer s’il est plus terrible que tous les autres supplices imaginés par les immondes valets de la bourgeoisie. La peine de mort, en soi, est une horreur et un crime. Que ce soit la guillotine, la chaise électrique, la pendaison ou la garrotte qui provoque la mort d’un homme, l’acte de supprimer par vengeance un être humain sans défense, est une lâcheté.
Nous connaissons l’antienne : « Il est des individus qui ne méritent pas de vivre, qui sont des dangers sociaux, et qui sont eux-mêmes chargés de crimes. Leur laisser la vie, c’est les mettre à charge de la collectivité, de la société et, en conséquence, il est préférable, à tous les points de vue, de les supprimer. » Philosophie d’imbéciles ou de jouisseurs, mais non d’hommes sensés ou raisonnables. S’il fallait garrotter tous les inutiles, tous les criminels, tous les assassins qui évoluent dans les hautes sphères de la finance, du commerce, de l’industrie et de la politique, il faudrait un nombre incalculable de bourreaux. Mais ce sont ordinairement les victimes inconscientes que l’on garrotte, alors que les véritables coupables jouissent en paix de la considération des hommes.
GAZ
n. m.
On donne le nom de gaz à tout corps invisible, élastique qui, sous l’influence de la pression atmosphérique, reste à l’état de fluide. Gaz d’éclairage ; gaz pauvre ; gaz à l’air ; gaz asphyxiant.
C’est bien à tort que l’on prête à l’ingénieur français Philippe Lebon l’invention des gaz d’éclairage. En réalité, dès 1667, les expériences du chimiste anglais Boyle avaient démontré la combustibilité des gaz provenant du bois et de la houille. Philippe Lebon ne fit que poursuivre les travaux de ses prédécesseurs et de trouver des applications pratiques d’utiliser les gaz pour l’éclairage. En France, on ne voulut pas l’entendre, et il alla porter ses découvertes en Angleterre et, lorsque ce système d’éclairage passa en France, il était déjà très répandu de l’autre côté de la Manche. Le gaz a rendu et rend encore d’immenses services, tant au point de vue domestique qu’au point de vue industriel ; mais l’utilisation du gaz, tout au moins en ce qui concerne l’éclairage et la force motrice, doit faire place à l’électricité, plus moderne, plus pratique et plus propre. Pour le chauffage, l’électricité, quant à présent, ne menace pas le gaz, mais il n’est pas douteux qu’avec le progrès, l’électricité sera le mode de chauffage de demain et que le gaz trouvera une autre utilisation.
Disons que les gaz d’éclairage et de chauffage sont des sous-produits de la houille.
A côté de ces gaz utiles à tous, il y a les gaz inutiles, les gaz criminels, destinés à détruire l’humanité, et que le génie malfaisant de l’homme a mis au service des dieux de la guerre. « Les gaz de guerre ou de combat, dit le Larousse, proviennent de substances diverses, les unes naturellement gazeuses, d’autres liquides ou solides, mais susceptibles de se volatiliser plus ou moins rapidement à l’air. Ils ont été utilisés sous forme de vagues, ainsi que dans les projectiles de tranchées, de canon et d’obusier. Parmi les substances employées, les unes sont suffocantes, déterminant la toux et la mort par asphyxie (chlore, brome, bromacétone, chlorosulfonate de méthyle, chloroformiate de trichlorométhyle, ou palite, phosgène, rationite) ; d’autres sont toxiques, agissant par arrêt d’un organe fonctionnel (acide cyanhydrique, chlorure de phénilcarbine) ; lacrymogènes, provoquant le larmoiement (chlorure et bromure de benzile, chloropicrine, iodacétone, acroléine) ; sternutatoires (éthylcarbazol, cyanure de diphénylarsine). Beaucoup de ces substances possèdent les pouvoirs suffocants et lacrymogènes ; le sulfure d’éthyle dichloré ou ypérite, est à la fois suffocant, lacrymogène et vésicant. Pour garantir le combattant, on a utilisé des masques protégeant les yeux et les voies respiratoires. »
On se garde bien, dans la grande presse, d’initier le peuple aux ravages qui résulteront de l’emploi des gaz asphyxiants en temps de guerre. On trouve, dans cette encyclopédie, au mot « désarmement » (pp. 527, 528, 529 et 530), des rapports officiels établis par des maîtres de la science pour la Société des Nations, etqui attirent l’attention des hommes d’Etat sur l’impossibilité matérielle qu’il y aurait à garantir les populations civiles contre ces gaz. Malgré cela on continue, dans toutes les grandes nations, à fabriquer des gaz asphyxiants, bien que sachant que leur emploi conduirait le monde à la ruine.
Contre de tels procédés de barbarie, prémédités, préparés consciemment par les forces mauvaises de la société, la classe ouvrière ne fait rien, parce qu’elle ignore et, ceux qui savent, se rendent complices, par leur silence, des crimes monstrueux qui se préparent.
Comment peut-il se trouver encore, dans des pays civilisés, en un siècle où les hommes savent lire, et surtout à une époque qui a été bouleversée par le plus terrible des cataclysmes pendant quatre ans et demi, des ouvriers qui consentent à fabriquer des gaz asphyxiants ? Comment peuvent-ils ne pas être troublés à la pensée que ces gaz sèmeront la mort sur leur passage, que leurs femmes, que leurs enfants en seront les premières victimes et qu’ils fabriquent eux-mêmes leur plus terrible outil de guerre ? Et comment comprendre que des chimistes, des physiciens, des savants, soient assez lâches pour mettre leur savoir à la disposition de minorités grisées par leurs appétits et qui n’hésiteront pas demain à détruire la moitié de l’humanité pour conquérir de nouveaux privilèges ? Si la classe ouvrière n’y prend garde, rien n’arrêtera ses maîtres, ses oppresseurs sur le chemin du carnage, et les gaz qu’elle fabrique ne serviront pas seulement en temps de guerre, mais aussi pour écraser le peuple lorsqu’il voudra se révolter et mener la lutte contre son patronat.
GENDARME
n. m. (pour gens d’armes)
Autrefois, homme de guerre ayant sous ses ordres un certain nombre d’hommes à cheval. C’est Charles VII qui, en 1445, institua le corps des gendarmes. De nos jours, le gendarme est un soldat policier chargé d’exercer une surveillance dans la campagne et sur les voies de communication, et de « veiller à leur sécurité ». Le gendarme est placé sous les ordres du ministre de la guerre, mais il dépend également, de par ses fonctions, du ministère de l’intérieur, de la justice et des colonies. Bref, c’est un homme à tout faire. Les officiers de gendarmerie sont également officiers de police judiciaire et, en conséquence, les auxiliaires directs du procureur de la République.
Le gendarme, tout comme le policier, est un précieux agent de l’Etat et un ferme défenseur de la propriété. C’est lui qui, sur les routes de France, fait office de flic et chasse, poursuit et arrête les chemineaux et les misérables. Les gendarmes se recrutent parmi les engagés ou les rengagés, ayant au moins trois ans de service ; la plupart sont des anciens sous-officiers et c’est assez dire ce que peut être leur mentalité. A Paris, le gendarme prend le nom de garde républicain. La garde républicaine compte trois bataillons d’infanterie et quatre escadrons de cavalerie. Ce sont les gardes républicains que les travailleurs trouvent en face d’eux dans les manifestations. Ce sont les gardes républicains, les gendarmes de Paris, qui viennent prêter main-forte à la police proprement dite, lorsque les ouvriers se révoltent contre leurs maîtres. Le gendarme est toujours sans pitié, et il faut le placer sur le même rang que tous les autres policiers. Il ne vaut pas mieux.
GÉNÉALOGIE
n.f. (du grec genos, race, et logos, discours)
La généalogie est la science qui a pour objet d’établir le dénombrement des ancêtres d’un individu, la filiation d’une famille jusqu’à son premier auteur. Dans la noblesse, en vertu d’un préjugé ridicule qui subsiste encore de nos jours malgré les progrès du démocratisme, un individu qui connaît ses origines lointaines et peut produire des titres les établissant, est considéré comme un être d’essence supérieure. Le roturier est celui qui ne connaît pas ses origines.
Voltaire a, sur la généalogie, écrit une page pleine de satire et d’ironie :
« Aucune généalogie, dit-il, n’approche de celle de Mahomet ou Mohammed, fils d’Abdallah, fils d’Abd’-all-Moutabeb, fils d’Ashem ; lequel Mahomed fut, dans son jeune âge, palefrenier de la veuve Cadisha, puis son facteur, puis son mari, puis prophète de Dieu, puis condamné à être pendu, puis conquérant et roi d’Arabie, puis mourut de sa belle mort, rassasié de gloire et de femmes. Les barons allemands ne remontent que jusqu’à Vitikind, et nos nouveaux marquis français ne peuvent guère montrer de titres au delà de Charlemagne ; mais la race de Mahomet ou Mohammed, qui subsiste encore, a toujours fait voir un arbre généalogique dont le tronc est Adam, et dont les branches s’étendent d’Ismaël jusqu’aux gentilshommes qui portent aujourd’hui le grand titre de cousin de Mahommed. Nulle difficulté sur cette généalogie, nulle dispute entre les savants, point de faux calculs à rectifier, point de contradictions à pallier, point d’impossibilité qu’on cherche à rendre possible. Votre orgueil murmure de l’authenticité de ces titres ? Vous me dites que vous descendez d’Adam, aussi bien que le grand prophète, si Adam est le père commun ; mais que cet Adam n’a jamais été connu de personne, pas même des anciens Arabes ; que ce nom n’a jamais été cité que dans les livres juifs ; que, par conséquent, vous vous inscrivez en faux contre les titres de noblesse de Mahomet ou Mohammed. Vous ajoutez qu’en tout cas, s’il y a eu un premier homme, quel qu’ait été son nom, vous en descendez tout aussi bien que l’illustre palefrenier de Cadisha ; et que, s’il n’y a point eu de premier homme, si le genre humain a toujours existé, comme tant de savants le prétendent, vous êtes gentilhomme de toute éternité ? A cela, on vous réplique que vous êtes roturier de toute éternité, si vous n’avez pas vos parchemins en bonne forme. Vous répondez que les hommes sont égaux, qu’une race ne peut être plus ancienne qu’une autre ; que les parchemins auxquels on fend un morceau de cire sont d’une invention nouvelle ; qu’il n’y a aucune raison qui vous oblige de céder à la famille de Mohammed, ni à celle de Confutzée, ni à celle des empereurs du Japon, ni aux secrétaires du roi du grand Collège. Je ne puis combattre votre opinion par des preuves physiques, ou métaphysiques, ou morales. Vous vous croyez égal au daïri du Japon, et je suis entièrement de votre avis. Tout ce que je vous conseille, quand vous vous trouverez en concurrence avec lui, c’est d’être le plus fort. »
De nos jours, cependant, il ne suffit plus d’avoir un nom, et de connaître ses origines, pour briller dans le monde. La généalogie d’un individu ne suffit pas si cet individu n’est pas en puissance d’argent. Mais la bourgeoisie est encore tellement imprégnée de vieux préjugés, tellement jalouse de la vieille noblesse déchue, qu’elle n’hésite pas parfois à échanger son argent contre un titre de noblesse et à acheter une généalogie. Le travailleur, le plébéien, n’a pas besoin de connaître le nom de ses ancêtres ; il n’a pas besoin de fouiller le passé pour connaître ses ascendants. Il sait. Il sait qu’il a faim depuis toujours, que son père, son grand-père, son aïeul eurent faim et que, depuis la plus lointaine antiquité, dans tous ses ancêtres il fut honteusement opprimé et toujours dépossédé du fruit de son travail. Qu’importe le nom des esclaves qui le précédèrent. Ce furent des esclaves et c’est tout. Mais, si le peuple ignore le nom de ceux qui le précédèrent dans la souffrance et dans la misère, il a compris que ce n’est que par la révolte qu’il arrivera à transformer une société qui l’opprime et l’empêche de conquérir le bonheur. Et il sait que, demain, il triomphera de la bataille gigantesque qui se livrera et que toute la noblesse, toute la bourgeoisie, toute la ploutocratie verra son règne se terminer pour le plus grand bonheur des hommes.
GÉNÉRALISER
verbe
Rendre général. Généraliser une idée, un principe, une doctrine, une opinion, une méthode. L’individu a toujours une tendance presque instinctive à généraliser. « Un enfant, dit Condillac, est naturellement porté à généraliser, parce qu’il lui est plus commode de se servir d’un nom qu’il sait que d’en apprendre de nouveaux ; il généralise donc sans avoir le dessein de généraliser et sans même remarquer qu’il généralise. » Quantité d’hommes sont, à ce sujet, comme des enfants. L’ignorance, la paresse, les entraînent à tout généraliser, sans même vouloir supposer que chaque chose, chaque objet, chaque être, a un caractère particulier qui mérite l’attention. Il ne faut pourtant pas porter « la particularisation » à l’absolu et tomber dans l’erreur contraire à la généralisation. En ce qui concerne les idées, les systèmes, et surtout dans la lutte sociale, on est parfois obligé de généraliser pour coordonner les efforts, les rapports d’individus à individus. L’absence de généralisation sur ce point supposerait l’égoïsme et l’individualisme le plus étroit et nuirait à ce que nous entendons par « organisation sociale ». En conséquence, nous pensons qu’il est indispensable de se former des idées générales reposant sur l’expérience et l’observation, en respectant toutefois les idées et le caractère particulier de chaque individu, si ces idées et ce caractère ne sont pas une entrave à la liberté et à la libre évolution de la collectivité.
GÉNÉRATION
n. f. (du latin generatio, de generare, engendrer)
Action par laquelle les êtres vivants se reproduisent et perpétuent leurs espèces. La génération des hommes ; la génération des insectes. « Le cheval est, dit Buffon, de tous les animaux celui qu’on a le plus observé, et on a remarqué qu’il communique, par la génération, presque toutes ses bonnes et mauvaises qualités, naturelles ou acquises. » Il en est de même pour tous les êtres vivants, hommes, bêtes, et même les plantes.
Il y a deux modes de génération : la génération agame, qui ne nécessite qu’un seul individu pour reproduire des descendants, et la génération sexuelle, où deux individus, de sexe différent se fondent et produisent l’œuf qui, en se développant, forme un individu ; mais que la génération soit agame ou sexuelle, les descendants héritent des caractères et des particularités de leurs parents, et il n’est pas concevable que la vie puisse être produite autrement que par la vie elle-même, qui se transmet perpétuellement de génération en génération. Il faut être imbu de croyance et de fanatisme, pour accepter les thèses des différentes églises qui prêtent à un Dieu tout-puissant la création des différentes espèces qui peuplent le monde. La science a depuis longtemps détruit une telle hypothèse, qui ne repose que sur l’ignorance, et démontré qu’il est absurde de croire à la génération spontanée, consécutive à la volonté d’un être suprême. « Nul animal, nul végétal, dit Voltaire, ne peut se former sans germe ; autrement une carpe pourrait naître sur un if et un lapin au fond d’une rivière, sauf à y périr. » L’être humain n’échappe donc pas à la grande loi de la génération et l’espèce humaine ne se conserve qu’en se reproduisant. Est-ce à dire que l’homme ne change pas et que, héritant des caractères physiques, moraux et intellectuels de ses ascendant, il est aujourd’hui ce qu’il était il y a dix mille ans ? Il n’en est pas ainsi : l’individu se transforme, non pas seulement au cours des siècles, en raison de révolutions brutales, mais chaque jour, au cours de sa propre vie, à tout instant de son existence. Il se transforme sans s’en apercevoir, de même que la maman ne s’aperçoit pas des transformations et du changement qui s’opère sur le bambin qu’elle voit tous les jours. Et c’est ce qui explique que l’individu d’aujourd’hui n’est pas absolument identique à celui d’hier et qu’il présente des caractères distinctifs avec l’individu d’il y a cent ans, d’il y a mille ans.
Si l’on admet que le descendant est l’héritier de l’ascendant, il faut, pour se conserver, qu’une race, qu’une espèce soit saine, qu’elle évolue physiquement comme moralement, sans quoi elle tombe en dégénérescence et se détruit d’elle-même. Et il en est de l’individu comme de la race. L’être sain, qui se reproduit, peut donner à la société un descendant utile, heureux, alors que le malade, l’ivrogne, l’alcoolique ne peuvent reproduire que des rejetons tarés, vicieux, qui traînent une vie misérable et sont une charge pour la collectivité. Sans pousser à l’absolu et demander, comme le faisaient les anciens, que l’on supprime à la naissance les individus difformes, nous pensons qu’en notre siècle de science et de progrès, l’homme devrait avoir assez de conscience pour savoir qu’il n’a pas le droit de jeter dans la vie des êtres qui, en raison de leur ascendance, sont voués à la souffrance continuelle et à la misère. La bourgeoisie, férocement égoïste, qui n’envisage nullement l’avenir, mais ne vit que dans le présent et cherche à conserver le plus longtemps possible, pour elle et ses descendants les plus directs, les privilèges acquis par des siècles de rapines et de crimes, profite de l’ignorance du peuple sur le problème de la génération. Elle favorise la reproduction dans les classes laborieuses qu’elle exploite honteusement car, pour la servir, il lui faut une génération d’asservis et d’esclaves. Le peuple, trop souvent hélas ! se laisse prendre dans les filets que lui tendent ses maîtres, et c’est ainsi que la génération présente, née de la guerre, vieille avant l’âge, semble être une fin de race, que l’on grise de promesses et qui se contente du pain et du cirque que lui accordent ses tyrans.
Nous avons dit, par ailleurs, que des civilisations aussi puissantes que la civilisation moderne se sont écroulées ; que la guerre, source d’esclavage et de misère, avait, en d’autres temps, dévasté des régions riches et prospères ; nous avons nous-même, pendant 52 mois, souffert de l’inconscience et de la folie qui s’étaient emparées de l’humanité. Allons-nous léguer à ceux qui nous succéderont demain, tout ce passé de larmes et de sang ? Il faut que le peuple sorte de sa torpeur et que, dans un sursaut d’énergie, il efface l’orgie d’hier pour ouvrir à la génération qui vient la route de la paix et de la liberté.
GÉNÉROSITÉ
n. f. (du latin generositas)
La générosité est le penchant qui pousse l’individu à secourir, à soutenir et à aider son prochain ; c’est une disposition à la bienfaisance et à la libéralité. La générosité ne consiste pas uniquement à aider pécuniairement son semblable ; on peut être généreux tout en étant pauvre, par la noblesse de l’esprit et par les sentiments louables qui nous animent.
La libéralité, d’ailleurs, n’est pas toujours de la générosité ; elle n’en est souvent qu’un artifice. Lorsque la bourgeoisie, dans ses fêtes de charité, dans ses expositions, fait semblant de secourir le malheureux, ce n’est pas par générosité qu’elle agit, mais par intérêt ; combien est plus noble la générosité du misérable qui partage son pain et sa souffrance avec un autre misérable, que celle de ce capitalisme taré et lâche qui ne sait faire le « bien » qu’en s’amusant.
La générosité n’est pas seulement la solidarité du porte-monnaie, c’est aussi la solidarité de l’âme ; c’est comprendre non seulement les souffrances physiques et matérielles, mais aussi les souffrances morales de ceux qui sont autour de nous, et chercher à les alléger par notre courage et notre énergie. Que de misères pourraient être soulagées si les hommes savaient être généreux et ne se laissaient pas pervertir par un égoïsme étroit et mesquin ! Que les libertaires donnent l’exemple de la générosité ; que partout, face à la bassesse et à la lâcheté, ils se dressent en hommes libres et généreux, et leur action sera féconde dans le présent et dans l’avenir.
GENÈSE
n. f. (du grec genesis, origine, naissance)
On donne le nom de genèse à l’ensemble des faits qui ont concouru à la formation de quelque chose. La genèse de la Révolution ; la genèse de la guerre ; la genèse d’un drame.
La « Genèse » est également le titre du premier livre du Pentateuque qui, en cinquante-deux chapitres, traite de la création du monde jusqu’à la mort du patriarche Joseph, c’est-à-dire durant une période de 2.700 ans environ. Ce livre, d’inspiration « divine », est bien à tort attribué à Moïse, le grand prophète juif, dont l’existence elle-même est douteuse ; mais de même que les chrétiens prêtent à Luc, à Marc ou à Jean la rédaction de leurs évangiles canoniques, les juifs crurent devoir, bien avant l’ère chrétienne, attribuer à Moïse un livre qui fait autorité dans la religion judaïque. Rien cependant n’est moins vraisemblable ; et même, en supposant que Moïse ait existé, il ne peut être l’auteur d’un ouvrage fabuleux, fantastique, tel que le Pentateuque, car il y a de telles contradictions dans cet ouvrage « d’inspiration divine », qu’il est impossible d’en attribuer la rédaction à un seul homme.
La création du monde est, dans la « Genèse », racontée de deux façons différentes. Dans le premier récit, « Dieu » est appelé « Elohim », dans le second « Jahveh ». On a donc donné le nom de « Elohiste » et de « Jehoviste » à chacun de ces récits. A titre de spécimen, nous donnons quelques passages de ces deux récits ; on remarquera que la création d’Eve, que le péché d’Adam n’existent que dans le récit Jehoviste.
Récit Elohiste :
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1. Au commencement, Elohim créa les cieux et la terre. 2. La terre était un chaos ; le souffle d’Elohim se mouvait sur les eaux. 3. Elohim dit : « Que la lumière soit ! » Et la lumière fut. 4. Et Elohim vit la lumière, qu’elle était bonne, et Elohim sépara la lumière d’avec les ténèbres. 5. Et Elohim nomma la lumière jour, et les ténèbres nuit ; et il fut soir, et il fut matin ; un jour. 6. Elohim dit : « Qu’il y ait un firmament entre les eaux ! » … 9. Elohim dit : « Que les eaux qui sont sous les cieux se rassemblent et que le sec apparaisse. » … 11. Et Elohim dit : « Que la terre produise la verdure, l’arbre fruitier portant le fruit suivant son espèce. » … 14. Elohim dit : « Qu’il y ait des luminaires dans le firmament pour diviser le jour d’avec la nuit. » … 20. Elohim dit : « Que les eaux fourmillent de vie et que les oiseaux volent sur la terre. » … 21. Et Elohim créa les monstres marins et tous les êtres dont fourmillent les eaux, et tout oiseau ailé. 22. Et Elohim les bénit en disant : « Soyez féconds, multipliez et remplissez les eaux des mers, et que l’oiseau multiplie sur la terre ! » … 24. Et Elohim dit : « Que la terre produise des êtres vivants suivant leurs espèces. » … 26. Et Elohim dit : « Faisons l’homme à notre image » ; mâle et femme, il les créa. … 28. Et Elohim les bénit et il leur dit : « Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre et l’assujettissez ! » 29. Et Elohim dit : « Voici, je vous donne toute herbe portant semence et tout arbre qui a un fruit... pour votre nourriture. »
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1. Et furent achevés les cieux et la terre et toute leur armée. 2. Et Elohim acheva au septième jour son œuvre ; et au septième jour il se reposa. … 4. Ceci est les généalogies des cieux et de la terre, lorsqu’ils furent créés.
Récit Jehoviste :
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… 4. Au jour que Jahveh Elohim fit la terre et les cieux. 5. Aucun arbuste n’était encore sur la terre, aucune herbe n’avait encore germé, parce que Jahveh Elohim n’avait pas encore fait pleuvoir sur la terre, et il n’y avait pas d’hommes pour cultiver le sol. 6. Mais une nuée s’éleva de la terre et arrosa le sol. 7. Et Jahveh Elohim forma l’homme de la poussière du sol et souffla dans ses narines le souffle de vie. 8. Et Jahveh Elohim planta un jardin dans l’Eden et y plaça l’homme qu’il avait formé. 9. Et Jahveh Elohim fit pousser du sol tout arbre agréable, et l’arbre de vie au milieu du jardin et aussi l’arbre de la science du bien et du mal. … 15. Jahveh Elohim prit l’homme et l’établit dans le jardin d’Eden pour le cultiver et le garder. 16. Et Jahveh Elohim ordonna à l’homme, en lui disant : « De tout arbre du jardin tu peux manger. » 17. Mais de l’arbre de la science du bien et du mal tu ne mangeras pas, car au jour où tu en mangeras tu mourras de mort. 18. Et Jahveh Elohim dit : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul ; je lui ferai une aide qui lui corresponde. » … 21. Alors Jahveh Elohim fit tomber un profond sommeil sur l’homme, il prit une de ses côtes et enferma la place avec de la chair, 22. Et Jahveh Elohim forma le côté qu’il avait pris à l’homme, en femme, et il l’amena à l’homme...
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1. Le serpent était rusé par-dessus tous les animaux des champs et il dit à la femme : « Jahveh Elohim a-t-il réellement dit : Vous ne mangerez aucun arbre du jardin ? » 2. Et la femme dit au serpent : « Nous mangeons les fruits des arbres du jardin. » 3. Mais quant au fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Elohim a dit : « Vous n’en mangerez pas et n’y toucherez pas pour ne pas mourir. » 4. Et le serpent dit à la femme : « Vous n’en mourrez pas... 5. Car Elohim sait qu’au jour où vous en mangerez vos yeux s’ouvriront et vous serez comme Elohim, connaissant le bien et le mal. » 6. Et la femme... prit du fruit de l’arbre et en mangea, et elle en donna à son mari, près d’elle, et il en mangea... … 8. Et ils entendirent la voix de Jahveh Elohim qui parcourait le jardin à la brise du soir. Et il dit : « De l’arbre dont je t’avais défendu de manger, est-ce que tu en as mangé ? » … 12. Et l’homme dit : « La femme m’a donné du fruit de l’arbre et j’ai mangé. » 13. Et Jahveh Elohim dit à la femme : « Pourquoi as-tu fait cela ? » Et la femme dit : « Le serpent m’a séduite et j’ai mangé. » 14. Jahveh Elohim dit au serpent : « Puisque tu as fait cela, tu es maudit... tu marcheras sur ton ventre et tu mangeras la poussière. 15. J’établirai une inimitié entre toi et la femme, entre ta race et sa race ; celle-ci t’écrasera la tête et tu lui blesseras le talon. » 16. A la femme il dit : « J’augmenterai la peine de la grossesse ; tu enfanteras dans la douleur. » 17. Et à l’homme il dit : « Tu mangeras dans la peine tous les jours de ta vie. … 19. Tu mangeras ton pain à la sueur de ton visage, jusqu’à ce que tu retournes au sol d’où tu as été pris ; car tu es poussière et tu retourneras à la poussière... » … 22. Et Jahveh Elohim dit : « Voici l’homme est devenu comme l’un de nous pour la connaissance du bien et du mal ; mais maintenant qu’il n’étende pas sa main pour prendre de l’arbre de vie, manger et vivre éternellement. » 23. Et Jahveh Elohim l’expulsa du jardin de l’Eden pour qu’il cultivât le sol d’où il avait été pris.
Examinons tout d’abord une des contradictions essentielles de ces deux textes. Les versets 27 et 28 du texte élohiste nous disent que « Elohim créa l’homme à son image ; homme et femme, et les créa », alors que dans le texte Jéhoviste la femme est formée d’une côte prise sur l’homme. D’un côté Dieu bénit l’homme et la femme et leur dit de peupler la terre et de l’assujettir, alors que, dans le second texte, l’enfantement est pour la femme une punition à ses péchés. Il semble donc absolument impossible que le même auteur ait pu rédiger ces deux récits.
Poussons plus loin l’analyse de ces textes qui sont acceptés, non seulement par la religion juive, mais également par toutes les autres religions occidentales, et voyons sur quoi repose cette idée, d’un dieu créateur, d’un dieu tout-puissant, qui, depuis des siècles, domine le monde. Tout d’abord, le récit Jéhoviste nous apprend qu’à l’origine le serpent parlait, et il en était probablement ainsi de tous les autres animaux peuplant la terre ; de plus, il nous faut supposer qu’il avait des jambes et était constitué physiquement comme l’homme, puisque c’est sa séduction qui lui valut la peine infligée par Dieu. C’est peut-être une explication simpliste de la variété des individus, mais certains s’en contentent. Pour nous tout cela est, en vérité, un joli conte susceptible peut-être de distraire un enfant ; mais qu’au vingtième siècle, des êtres sains d’esprit, à ce que l’on prétend, soient encore attachés à de telles croyances, c’est ce qui nous paraît inconcevable.
D’autre part, nous ne voyons pas bien quelle est la puissance de ce Dieu qui dit : « Voici l’homme devenu comme l’un de nous par la connaissance du bien et du mal », et qui le chasse du jardin de l’Eden, de crainte que, mangeant du fruit de l’arbre de vie, il ne vive éternellement. Dans l’esprit comme dans la lettre, cela veut dire que si l’homme avait mangé du fruit de l’arbre de vie, Dieu se fût trouvé dans l’incapacité de punir l’homme par la mort.
En outre, le pluriel employé, dans le texte de la « Genèse », nous porte à croire qu’il ne s’agit pas d’un Dieu, mais de plusieurs « Dieux » et, par conséquent, de « Créateurs » multiples. Les juifs devaient, en effet, être polythéistes à l’origine et le mot Elohim lui-même nous le prouve. Elohim, en hébreu est, en effet, un pluriel dont le singulier est : eloah. Que devient alors cette idée d’un « Dieu » unique, puissant, d’un Créateur maître de toutes choses, maître du monde ?
Il n’est même pas besoin de se placer sur le terrain scientifique de l’origine des espèces pour détruire la Genèse ; elle se détruit elle-même, dans l’esprit d’un homme sain, par ses absurdités.
Signalons également que la « Genèse » n’est pas une création particulière des Juifs et que d’autres religions, bien antérieures au judaïsme, avaient imaginé la création du monde de façon fantasmagorique.
« Tous les peuples dont les Juifs étaient entourés, dit Voltaire, avaient une Genèse, une Théogonie, une Cosmogonie, longtemps avant que ces Juifs existassent. Ne voit-on pas, évidemment, que la Genèse des Juifs était prise des anciennes fables de leurs voisins ?
« Jaho, J’ancien dieu des Phéniciens, débrouilla le chaos, le Khautereb ; il arrangea Muth, la matière ; il forma l’homme de son souffle, Calpi ; il lui fit habiter un jardin, Aden ou Eden ; il le défendit contre le grand serpent Ophienée, comme le dit l’ancien fragment de Phérécide. Que de conformités avec la « Genèse » juive ! N’est-il pas naturel que ce petit peuple grossier ait, dans la suite des temps, emprunté les fables du grand peuple inventeur des arts ?
« C’était encore une opinion reçue d’Asie que Dieu avait formé le monde en six temps, appelés chez les Chaldéens, si antérieurs aux Juifs, les six gahambârs.
« C’était aussi une opinion des anciens Indiens. Les Juifs, qui écrivirent la Genèse, ne sont donc que des imitateurs ; ils mêlèrent leurs propres absurdités à ces fables, et il faut avouer qu’on ne peut s’empêcher de rire quand on voit un serpent parlant familièrement à Eve, Dieu parlant au serpent, Dieu se promenant chaque jour, à midi, dans le jardin d’Eden, Dieu faisant une culotte à Adam et un pagne à sa femme Eve. Tout le reste paraît aussi insensé ; plusieurs Juifs eux-mêmes en rougirent ; ils traitèrent dans la suite ces imaginations de fables allégoriques. Comment pourrions-nous prendre au pied de la lettre ce que les Juifs ont regardé comme des contes ? » (Voltaire, Le Tombeau du Fanatisme, ou l’Examen important de Milord Bolingbroke)
La Genèse est donc définitivement condamnée pour tout être sérieux, sensé, logique. Elle est condamnée par le raisonnement d’abord et par la science ensuite. L’Eglise, cependant, ne désarme pas et elle poursuit son oeuvre de corruption intellectuelle. Pétrissant le cerveau des enfants, le bourrant d’anecdotes mensongères et ridicules, elle fait des bambins qui lui sont confiés des êtres incomplets, incapables de penser sainement et de se conduire librement dans la vie.
L’enfant est un petit être curieux et confiant. Dès son plus jeune âge il cherche à savoir et à s’expliquer tous les phénomènes de la vie. Son esprit éveillé le porte à questionner ; il veut savoir le pourquoi de toutes choses et est toujours porté à admirer ce qui lui paraît grandiose. C’est pourquoi il aime tous les contes de fées. Il admire la force et la puissance de ces êtres surnaturels, lui qui se sent si petit et si faible, et l’explication simpliste de la création du monde, qui lui évite de fouiller et de chercher, le satisfait pleinement. C’est la force de l’Eglise de savoir profiter de l’inexpérience de la jeunesse, et c’est pourquoi l’Eglise est dangereuse. Une fois que le poison a pénétré dans le cerveau d’un gosse, il est difficile de l’en extirper ; même lorsque l’enfant a atteint l’âge d’homme, un flottement, une incertitude subsistent, et cela engendre la crainte de l’inconnu qui est un facteur de lâcheté et d’esclavage. Gardons-nous donc nous-mêmes de conter aux enfants des histoires qui peuvent paraître inoffensives et cependant font des ravages. Tâchons, petit à petit, de leur expliquer les phénomènes de la vie, détruisons systématiquement toute idée légendaire de la création et nous arriverons rapidement à la genèse d’une ère nouvelle.
— J. CHAZOFF.
GÉNIE
n. m.
Le génie est la plus haute expression de la supériorité intellectuelle caractérisée par des inventions, des découvertes, des oeuvres philosophiques, scientifiques, littéraires ou artistiques, une action politique ou sociale qui intensifie notre connaissance de l’univers et contribue au progrès de l’humanité.
On a beaucoup divagué à propos du génie. Lombroso et ses disciples en ont fait un état anormal voisin de l’épilepsie et de la folie. Cette opinion ne faisait que justifier une vieille croyance.
Nihil est injenium sine aliqua stultitia, dit un proverbe latin ; il n’est pas de génie sans quelque grain de folie.
Il est possible que, les forces humaines étant limitées, l’hypertrophie d’une ou de plusieurs facultés intellectuelles soit compensée, chez l’homme de génie, par la déficience des autres. Mais il est difficile d’avoir à ce sujet une documentation sérieuse. Les tares, apparentes chez l’homme de génie, qui est un point de mire, passent inaperçues chez la masse des hommes ordinaires. L’épilepsie d’un Dostoïevski frappe tout le monde ; mais il ne faut pas oublier que la presque unanimité des épileptiques n’ont rien de génial.
L’inspiration géniale a aussi fait dévier bien des auteurs. On l’a comparée à une hallucination.
Newton, génie lui-même, réfute cette opinion lorsqu’il nous dit que « le génie n’est qu’une longue patience » et qu’il a découvert la gravitation « en y pensant toujours ».
Il n’est pas d’ailleurs, lui non plus, dans la vérité. Certes, les découvertes géniales ne tombent pas du ciel comme une communication médianimique. Celui qui n’a pas étudié une science n’y découvre jamais rien. Mais, en revanche, on peut penser longtemps à une question sans y rien découvrir de nouveau. Il faut renverser l’assertion de Newton. Si Newton est un génie ce n’est pas parce qu’il a eu la patience ; il a, au contraire, eu la patience parce qu’il avait du génie.
Il n’est pas donné à tout le monde de poursuivre pendant toute une vie la solution d’un grand problème abstrait.
Le génie est inné : l’enfant l’apporte en naissant, sous l’influence de causes qui nous sont inconnues. L’hérédité, tout en y jouant un rôle, est insuffisante à le produire. D’abord il faudrait que le couple fût génial et non pas seulement un des deux conjoints ; condition en pratique irréalisable.
La plus haute instruction, la meilleure éducation ne sauraient donner du génie à qui n’en a pas. Néanmoins, si l’instruction ne donne pas de génie, elle est la condition indispensable de son développement. C’est ainsi qu’on trouve parfois dans la classe ouvrière des hommes extraordinairement doués qui, parce qu’ils ont eu le malheur d’avoir des parents pauvres, ne produiront jamais rien de grand. Il en est qui refont des découvertes déjà faites depuis des siècles, mais qu’ils ignoraient. Le monde stupide et barbare se moque d’eux et les traite volontiers de toqués ; ils auraient été de grands hommes si la société avait été plus juste.
La société actuelle ne fait rien pour le développement des génies. L’intelligence n’est estimée que de manière secondaire ; ce qui domine tout, c’est l’argent. Pour permettre le développement d’un génie, il faut donc, outre les dons naturels, des circonstances heureuses qui sont seulement le lot d’un petit nombre de privilégiés.
On dit souvent que les obstacles favorisent les génies. C’est une erreur grossière. Il est des génies qui triomphent en dépit des obstacles ; mais on oublie tous ceux qui sont vaincus et que, par suite, on ne peut connaître, car le génie, c’est le succès.
« Le peuple n’aime pas les sages ; il supporte plus difficilement l’aristocratie de la raison que celle de la naissance et de la fortune », a dit justement Renan.
Seul, l’homme de génie qui a conquis la gloire, les honneurs et l’argent s’impose au public. Mais encore, à moins que la spécialité de l’homme illustre ne la touche directement, — Pasteur qui guérit la rage, — la masse n’aime pas les supériorités. Lombroso s’est fait l’interprète de cette masse lorsqu’il impute aux hommes de génie tous les méfaits et tous les vices. D’après l’auteur italien, ils sont impérieux, égoïstes, cruels ; les rares femmes de génie avaient de mauvaises moeurs.
Il y a cependant une part de vérité dans ces opinions malveillantes. De même que le pouvoir politique a une influence détestable sur le caractère, le pouvoir moral de l’homme illustre a pour effet de le rendre parfois insupportable dans la vie privée. Grisé par sa popularité, le génie se croit facilement au-dessus de l’humanité et il a une tendance à traiter en esclaves le reste des hommes.
Tout en admirant les hommes de génie qui sont le ferment du progrès humain, il ne faut pas les adorer sans réserves.
D’abord il ne faut pas oublier que l’homme universellement génial n’existe pas. La plupart des grands hommes ne sont que de grands spécialistes. Pasteur, génial en bactériologie et en cristallographie, n’avait pu s’affranchir de la religion.
De tels hommes doivent être écoutés avec déférence dans la matière dont ils se sont occupés mais, pour le reste, leur opinion ne saurait prévaloir. Il ne faut pas croire en Dieu parce que Pasteur y croyait.
Dans la société de l’avenir, l’intelligence sera mise à la place occupée aujourd’hui par l’argent. L’instruction, donnée libéralement à tous les enfants, permettra l’éclosion en beaucoup plus grand nombre des hommes et des femmes de génie.
— Doctoresse PELLETIER.
GENRE
n. m. (du grec genos, race)
Le genre est le caractère commun que présentent plusieurs espèces. Le genre animal ; le genre végétal ; le genre humain. « La nature, dit Buffon, n’a ni classe, ni genre ; elle ne comprend que des individus ; les genres et les classes sont l’ouvrage de notre esprit. » C’est, en effet, l’esprit humain qui a groupé en classes, en genres, les diverses espèces d’individus ayant entre eux des ressemblances importantes. Le genre, cependant, n’est qu’une idée générale que l’on se fait des différentes espèces ayant des caractères communs, et l’on est obligé de le subdiviser en variétés qui deviennent genre à leur tour. Lorsque nous parlons, par exemple, du genre animal, nous supposons les différentes espèces d’animaux qui peuplent la terre ; mais ces différentes espèces présentent des caractères particuliers, ce qui nous oblige à dire que « le loup est une espèce du genre chien ; que le lion est un animal du genre félin », etc. Grammaticalement, le genre est la propriété que possède un mot pour désigner le sexe réel d’une chose, d’un objet, d’une personne ; le genre masculin ; le genre féminin. En français, il n’y a pas de genre neutre. Le mot genre s’emploie aussi comme synonyme d’affectation : « Se donner un genre. » On dit aussi un genre de marchandises pour une sorte de marchandises. Marchandises en tous genres. Se dit également d’un mode de style, ou d’une spécialité dans les arts : « Le genre épique ; le genre didactique », etc., etc.
GÉOGRAPHIE
n. f. (du grec geo, terre, et graphein, décrire)
Description de la terre sous tous ses aspects et sous tous ses rapports. La géographie est la science qui à pour objet l’étude et l’enseignement des différentes parties de la terre, tant au point de vue économique que politique ou historique. On appelle géographie physique la partie de la géographie qui traite de la terre sous le rapport du sol et du climat ; la géographie économique s’occupe de la production du sol et la géographie politique étudie la terre sous le rapport des races, des langues, des pays, etc. Quant à la géographie mathématique, elle décrit la place qu’occupe le globe relativement aux autres planètes.
La géographie serait donc une des sciences les plus complètes, puisqu’elle étudie, fouille, cherche tous les phénomènes de la vie et se propose, non seulement de les décrire, mais aussi, par extension, de rendre habitable notre planète par les victoires consécutives de l’homme sur la nature.
« La géographie, dit Lachâtre, est la science descriptive de la terre. Cette définition explique à la fois quelle est l’étendue et quelles sont les limites du domaine affecté à la géographie. La terre, toute la terre, sans rien omettre de tout ce qui lui appartient : sa figure et sa grandeur ; les lois qui la meuvent dans l’espace et dans le temps ; la disposition relative des formes variées et la nature diverse des éléments qui la constituent ; les phénomènes constants, périodiques ou accidentels de son existence ; la distinction des êtres organisés, adhérents ou mobiles qui la couvrent et se la partagent ; enfin sa possession par l’homme, avec les démarcations multiples dont il l’a empreinte, suivant les caractères physiques et moraux, les langages, les croyances religieuses, les coutumes traditionnelles, les nationalités politiques des populations sans nombre répandues à sa surface, et tout cela dans le présent et dans le passé. Voilà quel est le domaine de la géographie. »
Ce domaine est immense comme on voit, et l’on comprend que l’étude de la géographie soit nécessaire, voire indispensable à la connaissance de la vie. Car la vie ne se manifeste pas seulement sur le petit coin du globe où nous sommes nés ; de l’autre côté des monts et des océans, des hommes luttent aussi pour leur existence, pour arracher au sol, à la nature ce qu’il leur faut pour se vêtir, pour se nourrir et pour se loger. Or, s’il est vrai que l’harmonie ne peut naître que de la solidarité entre les humains, il faut connaître ces frères qui ne sont éloignés de nous que par la distance. C’est la géographie historique et politique du monde qui nous permet de nous rapprocher de nos semblables qui, vivant en d’autres contrées, soumis à des phénomènes atmosphériques différents, peuvent avoir d’autres mœurs, d’autres caractères, mais n’en sont pas moins des hommes qu’il faut étudier pour les faire bénéficier de nos connaissances et de nos progrès et profiter des leurs.
N’est-ce pas en parcourant le monde, attiré par ses travaux géographiques, que Kropotkine est devenu anarchiste ? Il suffit de lire son admirable ouvrage sur L’Entr’aide et son autobiographie Autour d’une vie, pour s’en convaincre. Et encore, dans son dernier ouvrage, L’Ethique, on aperçoit que c’est à la connaissance des hommes et des animaux qui peuplent la terre qu’il doit cette clairvoyance et cette haute philosophie humaine qui se dégagent de ses travaux. Il en est de même en ce qui concerne notre grand Elisée Reclus, que la bourgeoisie accapare maintenant qu’il est mort, cependant qu’elle le contraignit à mener une existence d’exilé. Pour nous, anarchistes, Reclus n’est pas seulement grand par ses travaux sur la philosophie anarchiste et sur la Révolution, mais surtout par le monument de connaissances qu’il a emmagasinées dans la Géographie Universelle et dans L’Homme et la Terre qui sont, à nos yeux, de véritables productions révolutionnaires, si l’on considère que la connaissance de la terre et de ses habitants est un facteur d’évolution et de transformation sociale.
Il est regrettable que la géographie que l’on apprend dans les écoles primaires ne soit que de la géographie physique nationale et qu’on tienne les enfants presque ignorants de ce qui se passe chez nos voisins, ou dans les pays et régions assez éloignés. Mais la bourgeoisie, qui préside à l’instruction et à l’éducation de nos enfants, n’a-t-elle pas intérêt à faire ressortir les qualités de son pays, pour faire naître, dans l’esprit des petits, un nationalisme petit et mesquin ? Dans la mesure du possible, essayons de donner à nos petits les connaissances que leur refuse la bourgeoisie ; apprenons-leur la géographie ; faisons-les, par les livres, voyager à travers le monde, pour leur enseigner l’amour du prochain et en faire des hommes.
GÉOMÉTRIE
n. f. (du grec géo, terre, et metron, mesure)
La géométrie est la science qui a pour objet l’étude de la ligne, de la surface et du volume, c’est-à-dire l’étendue considérée sous tous ses aspects. Il y a plusieurs branches de géométrie ; d’abord la géométrie élémentaire, qui comprend la géométrie plane, et la géométrie dans l’espace, traitant des propriétés du cylindre, du cône et de la sphère. Dans un ordre plus élevé, nous avons la géométrie analytique, la géométrie infinitésimale, etc., etc.
La géométrie est la plus ancienne des sciences et a probablement pour origine l’observation des choses et des objets qui nous entourent. L’application de la géométrie est indispensable dans quantité de travaux et c’est pourquoi cette science est si répandue. Un architecte est un grand géomètre et l’architecture une application de la géométrie. C’est encore la géométrie qui vient à notre secours lorsqu’il faut arpenter un terrain et en fixer la figure sur le papier. Bref, nous avons recours à la géométrie à tout instant de la vie, lorsque nous voulons concevoir les volumes, les surfaces ou les lignes en dehors des corps auxquels ils appartiennent. C’est ce qui explique le nombre immense de géomètres dans le passé et dans le présent. Citons, dans l’antiquité : Archimède ; plus près de nous : Pascal, Liebnitz et Newton ; d’Alembert au XVIIIème siècle et, presque nos contemporains : Biot, Cauchy et Arago, qui se signalèrent par leurs études et leurs découvertes géométriques.
GÉRANCE
n. f. (du latin gerere, faire, porter)
Fonction de celui qui gère, qui dirige, qui conduit. Obtenir une gérance ; avoir la gérance d’un magasin, d’une entreprise industrielle, d’une coopérative ; la gérance d’un journal. Le gérant est un employé, un fonctionnaire, dirigeant une entreprise, une affaire, qui ne lui appartient pas en propre, pour le compte du ou des propriétaires. Commercialement il n’est pas responsable devant la loi et ne doit des comptes qu’aux propriétaires de l’affaire qu’il dirige. Il n’en est pas de même en ce qui concerne la gérance d’un journal, où le gérant est légalement le propriétaire et le premier responsable devant la loi.
En France, pour avoir droit et qualité pour remplir les fonctions de gérant dans un organe de presse, il faut être Français et jouir de ses droits civils. La demande d’autorisation de gérance doit être faite sur papier timbré et remise au bureau de la presse, à la préfecture de police.
Il va sans dire que la gérance des organes révolutionnaires et plus particulièrement des organes libertaires, est confiée à des camarades susceptibles de prendre les responsabilités inhérentes à la fonction et de revendiquer l’attitude du journal, lorsqu’ils ont à comparaître devant les tribunaux. La gérance d’un journal anarchiste n’est pas longtemps exercée par le même camarade, la bourgeoisie les emprisonnant les uns après les autres, et une gérance ne pouvant légalement être assumée par un prisonnier.
GERMINAL
n. m.
Dans le calendrier républicain, Germinal était le septième mois de l’année.
« Le peuple, a dit Michelet, se souviendra de la Convention, de la grande assemblée humaine, bienfaisante, de celle qui entreprit d’ouvrir l’ère de fraternité, de celle qui, d’un si grand cœur, prodigua son sang pour le droit. » Michelet peut ainsi juger de la Convention ; mais nous, malgré le recul de l’Histoire, tout en reconnaissant les bienfaits qu’elle eut en certains instants le désir d’accomplir, nous ne pouvons pas oublier que, par les erreurs de Robespierre, de Saint-Just et de leurs amis, c’est au sein de la Convention que se trama la terrible journée du 9 Thermidor, si funeste à la Révolution. La réaction thermidorienne était une provocation au peuple, et celui-ci, qui avait applaudi à l’exécution de Robespierre, s’aperçut bien vite que la fin du dictateur profitait surtout à la bourgeoisie qui l’avait préparée. Et le peuple des faubourgs se souleva. La journée du 12 Germinal, An III (1er avril 1795), fut sanglante. Le peuple fut vaincu. Mais, aujourd’hui, il se souvient encore des luttes et du sacrifice de ses aînés, et le mot « Germinal » symbolise pour lui toutes les espérances qu’il met en la Révolution libératrice, qui l’arrachera à l’esclavage imposé par ses maîtres et ses tyrans. Il nous faudra sans doute subir encore bien des journées terribles, mais nous vaincrons un jour parce que nous avons pour nous le droit et la raison, et aussi la force, et « Germinal » sera alors l’aube d’un printemps qui nous remplira de bonheur et de liberté.
GHETTO
n. m. (d’origine italienne)
Le ghetto est le quartier de Rome que le pape Pie VI, à la fin du XVIe siècle, assigna aux Juifs habitant la ville, avec interdiction pour eux d’en sortir la nuit, sous peine de mort.
Ecrire l’histoire des ghettos ce serait écrire l’histoire lamentable du peuple juif, depuis le triomphe du christianisme jusqu’à nos jours. Nous nous bornerons, ici, à en tracer brièvement les origines et les conséquences qui découlèrent de leur établissement.
En un âge de croyances, d’ignorance absurde et de fanatisme criminel, lorsque le cruel décret du pape Pie VI fut connu, chaque grande ville chrétienne de l’Europe qui comptait des Juifs parmi sa population les parqua dans des quartiers infects, leur défendant tout commerce avec les chrétiens, leur interdisant d’employer des domestiques catholiques et les obligeant à porter sur leurs vêtements des signes distinctifs qui les différenciaient du reste de la population.
Ce que fut, durant des années et des années, le calvaire gravi par le peuple juif, nomade et vagabond, est indescriptible, et il n’y a pas d’excuses aux mesures odieuses prises contre les Israélites.
Les ghettos ne tardèrent pas à se multiplier. Enfermés dans leurs camps, les Juifs essuyèrent les persécutions les plus cruelles, les plus humiliantes, les plus inhumaines ; et « comme l’homme est ainsi fait, dit Maurice Muret dans L’Esprit Juif, qu’il s’attache à ce pour quoi il souffre », ils perpétuèrent le judaïsme avec ses rites, ses coutumes, ses mœurs, qui sont encore de nos jours les mêmes que ceux des premiers âges.
Rien ne pouvait faire prévoir une amélioration au triste sort des Juifs, parqués dans leurs ghettos, lorsqu’un événement historique, indépendant de la volonté juive, vint changer la destinée de ce peuple de parias. La Révolution française passa, balayant de son souffle puissant les vieilles erreurs ancestrales. Elle jeta une lumière éblouissante sur ces pauvres êtres chargés de toutes les iniquités, de tous les opprobres et, en abolissant la féodalité, en libérant le peuple du joug seigneurial, elle libéra aussi les Juifs, qui purent enfin sortir de leurs ghettos, prendre les mêmes places et revendiquer les mêmes droits que les autres citoyens français.
Une révolution n’est jamais spécifiquement nationale, si l’on considère la révolution comme un événement, un accident qui remue les vieilles couches de l’état social. L’idée qui inspire une révolution franchit tous les obstacles, elle passe au-dessus des frontières et si, au XVIe siècle, l’exemple de Pie VI fut malheureusement suivi par les autorités civiles et ecclésiastiques des autres nations, en 1789, l’ouverture des ghettos français précéda l’ouverture des ghettos étrangers.
Hélas ! la marche de la civilisation est terriblement lente, et certains pays, tels l’Allemagne, la Russie, la Roumanie, etc., se refusèrent à accorder aux Juifs les droits et les libertés dont bénéficiaient les autres nationaux. Cependant, on cessa de parquer les Juifs dans des quartiers spéciaux, sauf en Russie où un régime arbitraire subsista jusqu’en 1917.
« En Russie, où ils sont plus de 7 millions, les persécutions n’ont pas cessé, malgré les dispositions tolérantes d’Alexandre II (1855–1881). L’avènement d’Alexandre III fut marqué par des scènes de pillage, à la suite desquelles le ministre Ignatieff fit promulguer les lois dites provisoires de mai 1882, qui aggravèrent la condition des Juifs, déjà astreints à la résidence dans certaines provinces ; on leur interdit d’habiter hors des villes (par conséquent de se livrer à l’agriculture) ; on expulsa du pays ceux qui ne possédaient pas la nationalité russe. Ces lois, appliquées surtout depuis 1891, ont motivé une énorme émigration. Mais la situation devint encore pire sous Nicolas II, conseillé comme son père par le procureur du Saint-Synode, Pobedonoszew, que Mommsen a flétri du nom de « Torquemada ressuscité ». Avec la complicité tacite du gouvernement et la coopération active de la police, les Juifs suspects de tendances révolutionnaires furent assommés en foule à Kichineff, à Odessa, à Kiev, dans cent vingt autres villes ou bourgades. Des femmes et des enfants furent hachés en morceaux. L’Europe, qui avait laissé Abd-ul-Hamid massacrer en pleine paix 300.000 de ses sujets arméniens (1896), se contenta de ne pas applaudir à ces nouvelles tueries. Un homme de cœur, le comte Jean Tolstoï, ancien ministre de Nicolas II, réclama en 1907 l’égalité des Juifs russes devant la loi, et cela dans l’intérêt même de la Russie où les lois d’exception contre les Juifs perpétuaient la corruption et l’arbitraire. Ces lois d’exception n’ont disparu qu’avec l’autocratie (avril 1917). » (S. Reinach, Histoire générale des Religions, pp. 307–308)
Les ghettos russes ont donc disparu, et l’on pouvait espérer qu’à la suite du terrible carnage de 1914, qui fit couler tant de larmes et de sang, les hommes, unis dans un unanime désir d’amour et de paix, briseraient les barricades religieuses qui divisaient l’humanité.
Il n’en fut rien. Et malgré les progrès de la science, de la philosophie, qui eussent dû détruire le fanatisme, facteur d’esclavage et de cruauté, des ghettos se dressent encore en certaines contrées de l’Europe. On persécute, aujourd’hui comme hier, les Juifs en Roumanie, en Bulgarie, en Arménie, etc., etc.
Naturellement, les ghettos n’empruntent plus maintenant les mêmes caractères que ceux du passé, dont on a encore des vestiges dans les grandes villes d’Europe, où les Juifs persécutés de Pologne, de Roumanie, de Bulgarie, se sont réfugiés. Même dans les pays où ils sont les plus misérables, on n’oblige pas les Juifs à habiter un lieu déterminé, mais l’oppression crée un lien de solidarité entre les opprimés, et c’est d’eux-mêmes, alors, que les Juifs se groupent et forment des ghettos.
Il n’est pas possible de parler des ghettos, sans déborder un peu des cadres et rechercher quelles sont les causes de cet acharnement sur une catégorie d’individus ni meilleurs, ni plus mauvais que les autres. La cause moderne de l’oppression des Juifs est toute politique. L’antisémitisme n’est jamais sincère et si, par hasard, il l’est, c’est par stupidité. Politiquement, il s’explique et il est facile à comprendre.
De même qu’il y a des athées qui estiment qu’une religion est indispensable au peuple, il est des politiciens qui considèrent que l’antisémitisme est nécessaire pour distraire le peuple, l’occuper et l’empêcher de s’intéresser aux problèmes sociaux et économiques d’une actualité et d’une réalité souvent brutales. C’est à la faveur de l’antisémitisme que Nicolas II put gouverner son peuple ignorant. Lorsque, cependant, malgré la main de fer de la police, le peuple russe menaçait de se soulever, alors jésuitiquement on faisait circuler le bruit que les Juifs étaient cause de la misère ou de la famine, et le peuple, déchaîné, pénétrait dans les quartiers juifs, dans les ghettos, pillait et massacrait sans merci, sous l’œil complice des cosaques. C’est cette même politique qui inspire les gouvernants roumains à l’heure actuelle. Le Juif est un morceau de choix que l’on jette à la populace affamée. Mais le jeu est dangereux pour la bourgeoisie et elle peut être prise demain à son propre piège.
Bref, ces persécutions consécutives, qui se perpétuent depuis des siècles à travers le monde, ont donné naissance à un certain nationalisme juif : le sionisme, dont il nous faut dire quelques mots. Le sionisme repose sur l’idée de restauration de la nation juive. Nous savons que certaines tentatives antérieures à la guerre échouèrent et que, lorsqu’en 1896, le docteur Herzl publia son ouvrage L’Etat Juif, une division de tendances s’opéra au sein du mouvement sioniste, certains éléments estimant que seule la Palestine pouvait servir de refuge aux Juifs opprimés de Russie, de Roumanie et de Pologne.
Les causes de division ont aujourd’hui disparu, le traité de Sèvres ayant jeté les bases d’un foyer juif en Palestine. Quantité de révolutionnaires militent en faveur de cette réalisation. Nous pensons que c’est une erreur.
Nous comprenons le sentiment honorable qui anime certains propagandistes du sionisme. Ils souffrent moralement du sort douloureux de leurs frères opprimés de Roumanie, de Bulgarie, d’Arménie, etc. Ils veulent arracher des griffes des bourreaux les malheureuses proies de l’ignorance, de la lâcheté et de la méchanceté des hommes, et ils veulent rendre un peu de vie, un peu de soleil, un peu de liberté à ces déchets d’humanité en qui la douleur a annihilé toute force et toute volonté. L’intention est louable et il n’est pas un être sensible pour ne pas applaudir à un tel programme. Est-ce une raison suffisante pour fonder une nation juive ? Non.
Les Juifs sont persécutés, objectera-t-on. C’est vrai, mais ils ne sont pas les seuls et ils ne sont pas les plus nombreux. Leur sort n’est-il pas absolument identique à celui des nègres d’Amérique qui, eux non plus, ne jouissent pas des mêmes droits et des mêmes privilèges que leurs frères blancs. Les nègres ont, eux aussi, leurs ghettos dans la « libre » Amérique du Nord. Leur sort, comme celui des Juifs, est lié à celui de toutes les minorités nationales auxquelles est appliqué un régime spécial, et qui sont victimes d’un état social imparfait qui, cependant, s’améliore et se transforme chaque jour, grâce aux progrès de la civilisation.
Et puis, est-ce vraiment l’époque de fonder une nation, alors que tout nous appelle à l’internationalisme au sens le plus complet de ce mot ? D’autre part, l’oppression ne crée parmi les opprimés, qu’une affinité passagère, superficielle, qui disparaît avec la cause. Que les travailleurs juifs ne quittent donc pas leurs ghettos modernes pour partir dans des régions inconnues, où leur sort ne sera vraiment pas plus enviable.
Un fait subsiste cependant. Des hommes gémissent parce qu’il plaît à certains gouvernements de spéculer sur la bêtise humaine et d’élaborer leur politique sur l’antisémitisme, comme il a plu à d’autres gouvernants, hier, de spéculer sur le protestantisme. Allons-nous les abandonner à leur pénible condition ?
Quelle que soit leur religion, nous devons les défendre, les soutenir, les encourager dans la lutte qu’ils mènent contre la tyrannie et pour la liberté. A côté d’eux, près d’eux, nous devons être toujours, car leur bataille est notre bataille, leur vie est notre vie, leur mort serait notre mort. Travailleurs, nous avons nous aussi, en France, nos ghettos, et nous oeuvrons chaque jour pour en ébranler les murailles. Que les prolétaires juifs viennent avec nous, ils nous aideront et nous les aiderons. Mais alors que nous sortons du plus terrible des carnages qu’ait enregistré l’Histoire, que les causes de cette effroyable guerre sont les frontières nationales qui séparent les peuples, il serait fou et criminel de penser à élever de nouvelles barrières et à fonder de nouvelles nations : ce serait alimenter la source de nouveaux conflits.
Que les Juifs opprimés sortent de leurs ghettos. La Révolution ne leur offre pas la Palestine, elle leur offre le monde libéré. Avec tous les hommes de coeur, avec tous ceux qui travaillent pour étancher leur soif d’idéal, avec tous ceux qui espèrent en une humanité meilleure, avec tous ceux qui pensent voir un jour se réaliser leurs rêves d’avenir, qu’ils viennent. Nous partirons ensemble à la conquête de la civilisation.
— J. CHAZOFF.
GIROUETTE
n. f. (du latin gynare, tourner)
On appelle girouette une plaque légère, placée à une certaine hauteur, autour d’un axe vertical, pour indiquer la direction du vent. On donne aux girouettes des formes diverses, mais le plus souvent celle de la flèche, du coq ou du drapeau. La girouette tournant à tous les vents, au sens figuré on se sert de ce mot pour désigner une personne qui change fréquemment d’avis ou d’opinion. Nous ne pensons pas qu’il soit utile de rappeler les noms de tous les hommes politiques qui, durant ces trente dernières années, sacrifièrent leurs convictions à leurs intérêts et qui, véritables girouettes, se laissèrent guider par les vents de la politique. Certains de ces politiciens, débutant dans le socialisme pour finir dans la réaction, resteront célèbres. S’ils laissent leur nom à la postérité, ce sera plus en raison de la rapidité avec laquelle ils renièrent les idées qui les rendirent populaires et les firent sortir de l’obscurité, que par le travail utile qu’ils auront accompli durant leur existence.
La girouette proprement dite tourne d’autant mieux qu’elle est plus haut placée. En ce qui concerne les girouettes politiques, il faut qu’elles sachent tourner lorsqu’elles sont en bas pour pouvoir espérer se placer bien haut dans l’échelle sociale. N’est-ce pas le but de tous ceux qui quémandent les suffrages des électeurs naïfs, de gravir un jour les marches du Pouvoir ? Dans tout député, il y a l’axe de la girouette, et tous les parlementaires sont prêts, le cas échéant, à aller de la gauche à la droite, si cette évolution doit être pour eux source d’honneurs et de richesses.
Le peuple ne s’apercevra-t-il jamais que si les girouettes tournent au vent, les girouettes parlementaires, elles, ne donnent que du vent ?
GISEMENT
n. m.
On donne le nom de gisement aux masses de minéraux disposées en couches dans le sein de la terre. Des gisements de fer ; des gisements de houille. On distingue plusieurs catégories de gisements : 1° les gisements en couche, dont la formation s’est opérée au sein de l’eau ; 2° les gisements en filon, qui sont des crevasses remplies de matière utilisable ; 3° les gisements en amas, qui ont ordinairement la forme d’un oeuf.
Nous savons que la terre renferme en son sein des richesses incalculables, et la géographie économique nous a enseigné tout le parti que l’on pouvait en tirer. Chaque contrée du globe possède des richesses particulières. Si l’Angleterre et l’Allemagne sont riches en gisements de houille, par contre la France tient la première place en Europe pour le fer, et les pays de l’Est, tels la Russie et la Roumanie, sont les plus fortes contrées pétrolifères d’Europe. Les Etats-Unis de l’Amérique du Nord, eux, dépassent de beaucoup les contrées d’Europe pour la production de la houille et du pétrole.
Cependant tous les gisements de matière utilisable que renferme la terre sont loin d’être exploités, et l’extraction de minéraux, indispensables à la vie de l’homme, pourrait s’intensifier, si elle n’était pas entravée par une organisation sociale dans laquelle les intérêts privés dominent les intérêts collectifs. C’est ainsi, par exemple, que la Russie, qui pourrait subvenir aux besoins pétrolifères de l’Europe, n’est pas en mesure d’exploiter tous les gisements qui se trouvent sur son territoire, parce que les moyens mécaniques lui manquent pour extraire le précieux liquide et que divers capitalismes nationaux se disputent les bénéfices qui pourraient résulter de cette exploitation.
Il en est des gisements, comme de toutes les richesses sociales de la terre. Entre les mains du capitalisme, la production est ralentie et c’est le peuple qui en souffre. Lorsque le travailleur sera maître de sa machine et que le peuple présidera lui-même à ses destinées, un rendement intensif de la production rendra chacun plus heureux et plus libre.
GLAIVE
n. m. (du latin gladius)
Arme à deux tranchants parallèles, terminée par une pointe et munie d’une simple poignée, dont se servaient les anciens. Par extension, on donne le nom de glaive à toutes sortes d’épées. Dans le passé, le glaive étant à peu près l’arme unique utilisée dans les corps à corps, au sens figuré, tirer le glaive signifiait déclarer la guerre. Cette expression s’est conservée jusqu’à nos jours.
On se sert aussi de ce mot pour désigner la Justice, la Puissance, la Force, etc., etc. Le Glaive de Dieu. Proverbe : « Celui qui se servira du glaive, périra par le glaive. »
GLÈBE
n. f. (du latin gleba, morceau de terre)
Au Moyen-Âge, on désignait sous le nom de glèbe un fonds de terre appartenant à un seigneur et auquel le serf était attaché. Le serf, véritable esclave du régime féodal, n’avait pas le droit de quitter sa glèbe. Lorsque le seigneur vendait sa terre, comme un vil bétail il vendait son esclave avec, et ce dernier était obligé de travailler cette terre durant toute sa vie.
Bien que nous n’ayons nullement à nous glorifier du régime social que nous subissons présentement, il faut cependant reconnaître que les diverses révolutions qui ont ébranlé le monde depuis le Moyen-Âge ont permis au travailleur agricole de sortir de la situation misérable qu’il a subie durant des siècles. Certes, nous sommes loin de prétendre que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, et nous savons fort bien que nous avons un travail formidable à accomplir pour libérer tous les esclaves de la terre ; mais nous savons aussi que ce n’est qu’à force de révoltes successives des masses travailleuses que nous arriverons à arracher l’exploité à la glèbe capitaliste. Que les négateurs de l’évolution, que ceux qui nient les bienfaits de la Révolution, jettent un coup d’œil en arrière, qu’ils comparent la vie des serfs du Moyen-Âge avec celle de nos travailleurs des campagnes, et qu’ils nous disent si la situation est la même.
Aujourd’hui encore, le travailleur des villes et celui des campagnes est attaché, l’un à sa machine et l’autre à la terre de ses maîtres ; mais l’un et l’autre, de haute lutte, ils ont acquis ce droit de changer de maître, de ne plus se laisser vendre comme un animal et, ce droit, ils l’ont acquis par les jacqueries successives, par les guerres qu’ils ont livrées aux détenteurs de la richesse. Lentement, mais sûrement, les travailleurs se libèrent et, demain, quand ils auront chassé définitivement leurs maîtres, la glèbe ne sera plus qu’un souvenir du passé lointain et les hommes nouveaux s’étonneront que leurs ancêtres aient pu subir un tel esclavage.
GLOIRE
n. f. (du latin gloria)
Au sens bourgeois du mot, la gloire est un honneur, une célébrité que l’on acquiert en accomplissant des actes éclatants présentant de grandes difficultés à surmonter. Et pourtant, la gloire n’est pas toujours, loin de là, la conséquence d’actions louables et vertueuses, si l’on se place sur le terrain social et humanitaire. La gloire qu’un homme de guerre conquiert sur les champs de bataille, en sacrifiant des milliers et des milliers de vies humaines, nous apparaît, à nous révolutionnaires, abominable ; et, si la postérité est acquise aux grands généraux, ce ne devrait être que pour signaler aux générations futures l’erreur et la barbarie qui les guidaient vers le crime monstrueux de la guerre.
Heureusement pour l’humanité que la gloire n’est pas toujours le fruit de l’assassinat et du meurtre. Des philosophes, des chercheurs, des penseurs, des savants, des littérateurs, sont portés vers la gloire en accomplissant des œuvres utiles à leurs semblables. Et ceux-là, à nos yeux, sont vraiment glorieux. Mais hélas ! en notre société de rapines et de vols, le plus souvent les bienfaiteurs de l’humanité n’acquièrent la gloire qu’après leur mort, alors que, de leur vivant, ils n’avaient même pas de quoi subvenir aux besoins les plus élémentaires de l’existence.
Combien de gens sont aveuglés par la gloire et combien se rencontre-t-il de gloires surfaites. C’est un des grands défauts de l’homme de vouloir être admiré de ses semblables, et l’individu, pour satisfaire son ambition, sa vanité, son orgueil, commet fréquemment des bassesses. Un être vraiment grand n’aime pas la gloire, n’est pas avide de gloire. Il y est appelé involontairement mais ne la recherche pas, et c’est en cela qu’il est vraiment grand, car il trouve sa satisfaction et sa récompense, non pas dans l’admiration qu’il provoque, mais dans la jouissance du travail utile accompli.
Les libertaires ne glorifient personne et, pour eux, la gloire ne peut être que le souvenir que laissent en leur esprit les gestes, les actes, les travaux des hommes qui se sont signalés par leur savoir, ou qui se sont sacrifiés pour le bonheur de l’humanité.
GLORIOLE
n. f. (du latin gloriola, diminutif de gloria)
La gloriole est une vanité, un orgueil excessif que l’on tire de petits faits et d’actions mesquines. La gloriole est une parodie de la gloire et une foule de gens qui ne peuvent aspirer à la gloire ne sont pas insensibles à la gloriole. De même qu’un être véritablement valeureux ne recherche pas la gloire, un homme réellement intelligent reste sourd à la gloriole. « La gloriole des arlequins politiques est grande, lorsqu’ils paradent dans les cérémonies publiques », dit d’Alembert. C’est que la gloriole des politiciens n’est pas toujours une simple vanité, mais le plus souvent un sentiment intéressé pour dominer ceux qu’ils ont besoin de tromper.
L’éducation du peuple est longue à faire et son ignorance le pousse à admirer aveuglément ce qui dépasse sa compréhension. Lorsque les hommes auront appris et qu’ils sauront juger ceux qui veulent les guider, toute gloriole sera vaine et les fantoches de la politique ne pourront plus se glorifier de petits faits insignifiants et ridicules qu’ils exploitent aujourd’hui pour tromper la foule des électeurs naïfs et confiants.
GLOSE
n. f. (du grec glôssa, langue)
Explication des mots obscurs d’un texte par d’autres mots plus compréhensibles. On donne aussi le nom de glose aux commentaires qui accompagnent certaines œuvres inintelligibles. C’est surtout dans le passé, lorsque les philosophes et les poètes n’écrivaient que pour une minorité de lettrés, que la glose était indispensable pour donner un peu plus de clarté à leurs œuvres. En ce qui concerne les écritures saintes de toutes les religions, les théologiens et les chefs de l’Eglise glosèrent — et glosent encore — à perte de vue, afin de donner une interprétation acceptable à toutes les contradiction et toutes les âneries qui fourmillent dans les œuvres religieuses ; mais on peut dire que le but poursuivi ne fut pas atteint ; car, le plus souvent, la glose était encore plus obscure que le texte original ; c’est du reste la raison pour laquelle toutes les religions sont obligées de s’appuyer, non sur la raison et sur la logique, mais sur la violence et l’autorité.
Au sens péjoratif, on se sert de ce mot comme synonyme de critique, de commérage, de médisance : Gloser sur ses voisins, sur ses camarades. Les gloses des concierges.
GNOSTICISME
n. m. (de gnostique, du grec gnôstikos)
Le gnosticisme est un système de philosophie religieuse professée par certains docteurs et théologiens au début de l’ère chrétienne. En opposition avec les autorités chrétiennes se fondèrent, pour diffuser les principes et les opinions des gnostiques, une trentaine d’écoles qui ne tardèrent pas à être fermées, sans pour cela arrêter la propagation du gnosticisme qui laissa des traces jusqu’à la fin du XIIIe siècle..
Le gnosticisme est un amalgame ahurissant des religions perses, juives et chrétiennes. Il se divisa, du reste, en plusieurs sectes dont les unes furent nettement hostiles au christianisme, alors que les autres étaient particulièrement hostiles au judaïsme.
Le gnosticisme repose sur ce principe essentiel que le monde est sorti d’un Dieu indicible, c’est-à-dire qui ne peut s’exprimer par la parole ; qu’il était, à l’origine, composé de pur esprit et qu’ensuite seulement est venue la matière, principe et source du mal. Les gnostiques méprisaient, en conséquence, tout ce qui se rattachait à la chair et tout ce qui n’était pas la vie spécifiquement spirituelle.
En réalité, le gnosticisme trouve sa plus parfaite expression dans la doctrine de Mani qui fonda, au début du IIIe siècle, la religion manichéenne.
« L’idée dominante de la doctrine de Mani, nous dit Salomon Reinach, dans son Histoire générale des Religions, est l’opposition de la lumière et des ténèbres, qui sont le bien et le mal, Le monde visible résulte du mélange de ces éléments éternellement hostiles. Dans l’homme, l’âme est lumineuse, le corps obscur ; dans le feu, la flamme et la fumée représentent les deux principes ennemis. De là découle toute la morale manichéenne, qui a pour but l’affranchissement des parties lumineuses, celui des âmes qui souffrent dans la prison de la matière. Quand toute la lumière captive, quand toutes les âmes des justes seront remontées au soleil, la fin du monde arrivera à la suite d’une conflagration générale. Dans la pratique, les hommes se divisent en « parfaits ou élus » et en simples fidèles ou « auditeurs ». Les premiers forment une sorte de clergé, doivent s’abstenir du mariage, de la chair des animaux (sauf toutefois des poissons), du vin, de toute cupidité et de tout mensonge. Les fidèles sont soumis aux mêmes règles morales, mais ils peuvent se marier et travailler comme les autres hommes ; seulement ils ne doivent ni accumuler des biens, ni pécher contre la pureté. »
On comprendra, par ce qui précède, que le gnosticisme fut combattu par les puissants de l’Eglise chrétienne. On prétendit, pour persécuter les manichéens, qu’ils avaient des mœurs infâmes ; mais ce ne sont là que des calomnies. Ce qui a nui principalement au gnosticisme et ce qui fut sa faiblesse, ce fut sa diversité de sectes. On n’en compte pas moins de 70, et cela permit au christianisme d’en avoir facilement raison. Serait-ce suffisant pour démontrer, une fois de plus, que des forces éparpillées ne peuvent rien contre des forces unies ? Il faut, du reste, souligner que le gnosticisme a été un des facteurs indirects de l’unification de l’église chrétienne ; c’est pour combattre les diverses sectes qui évoluaient autour du christianisme, pour mettre un frein à la propagande décousue de certaines écoles, que les théologiens se mirent à élaborer un code intangible qu’il fallait respecter si l’on ne voulait pas être accusé d’hérésie. « C’est à Marcion, vers 150, que l’Eglise eut la première idée d’un canon, d’un recueil autorisé des écrits concernant la Nouvelle loi », dit encore S. Reinach. « C’est pour répondre aux gnostiques qu’elle fut amenée à formuler ses dogmes, sa profession de foi (dite à tort symbole des apôtres) et, sans doute, de publier l’édition définitive des quatre évangiles dont elle affirma l’inspiration. »
Nous voyons donc qu’à son origine même, l’Eglise chrétienne eut à lutter contre une foule de petites organisations qui gravitaient autour d’elle et qui, parfois, pénétraient en son sein. Nous avons dit plus haut que si les gnostiques furent vaincus, bien que dans la pratique le gnosticisme présentât un caractère plus humanitaire que le christianisme orthodoxe, cette défaite fut surtout due à la division des gnostiques en face de l’ordre et de la persévérance de leurs adversaires. Que les libertaires s’inspirent de ce passé et qu’ils se rendent compte des ravages que provoquent la désorganisation et le désordre ; qu’ils s’unissent pour être une force, et ils ne pourront pas alors être écrasés par les Eglises modernes comme le furent les gnostiques dans le passé.
GOUPILLON
n. m. (du vieux français goupil, renard, le goupillon étant fait, autrefois, d’une queue de renard ou, suivant d’autres, de guipon [Larousse])
Tige garnie de poils, ou baguette métallique, surmontée d’une boule creuse à petits trous, qui sert à l’Eglise pour faire des aspersions d’eau bénite.
Voici ce que dit Malvert, dans Science et Religion, du goupillon :
« Dans les anciens sacrifices païens, le prêtre, habillé de blanc, purifiait d’abord le temple et les fidèles en les aspergeant d’eau lustrale, remplacée depuis par l’eau bénite, avec un goupillon fait de crin (aspergilium). Le goupillon est resté tel qu’on le voit dans la main d’un prêtre païen, sur une peinture du temple d’Isis, à Pompéi (Musée Guimet, salle égyptienne). Les vases d’eau lustrale, placés à la porte des temples, dont les fidèles s’aspergeaient, sont remplacés par les bénitiers. Aux mystères de Mithra, la prêtresse trempait un rameau, emblème du phallus, dans du lait dont elle aspergeait les assistants par trois petits coups réitérés, pour simuler l’éjaculation séminale, symbole de la fécondité universelle. Les trois petits coups éjaculatoires ont été conservés. »
L’eau bénite dont, à l’aide du goupillon, on asperge les assistants, a la propriété de purifier, d’absoudre, d’apporter la bénédiction de Dieu sur l’aspergé. Or, c’est par ce geste que, toujours, le prêtre bénit les drapeaux et absout les porteurs de sabres des massacres qu’ils ont commis au nom de la Patrie ou de l’Ordre. C’est, accompagnés de la bénédiction, que les soldats s’en vont tuer et mourir, d’où ce proverbe éternellement vrai : L’Autorité est l’union du sabre et du goupillon.
— A. LAPEYRE.
GOUVERNANT
n. m.
Qui gouverne. Ce mot ne s’emploie qu’au pluriel, lorsqu’il sert à désigner ceux qui gouvernent un Etat. Pris dans ce sens, il devient synonyme de ministres. Les gouvernants de France se réclament tous de l’esprit républicain. Nous avons dit, au mot Gouvernement, qu’un gouvernement ne peut être que d’essence bourgeoise et qu’il ne pouvait défendre que les intérêts des classes privilégiées. Il ne nous paraît donc pas utile d’insister sur ce fait que la plupart des gouvernants sont d’origine bourgeoise et qu’ils font dans l’Etat la politique de leur classe. Du reste, les gouvernants, tout comme les députés et autres politiciens, ne sont que des mannequins entre les mains de la ploutocratie de leur pays qui, elle, dirige dans les coulisses les affaires économiques et politiques de la nation. Il est un fait cependant à souligner : c’est qu’à de rares exceptions, les gouvernants sont choisis parmi les plus corrompus et les moins sincères de tous les politiciens. Cela se comprendra du reste assez facilement lorsque l’on saura que les places de ministres sont relativement rares, et qu’il faut savoir intriguer pour obtenir un portefeuille. Ne nous étonnons donc pas de la basse moralité des gouvernants. Pour être à la tête de la nation, récolter tous les avantages avoués, et surtout inavoués, d’une telle position, il est indispensable de se dresser contre tous les aspirants avides de pouvoir, et c’est au plus malin et au moins scrupuleux, à celui qui n’hésite devant aucun moyen, même le plus abject, que revient alors l’honneur de gouverner les hommes.
Le peuple n’a donc rien à attendre de ses gouvernants, que du mal. Guidés par l’ambition et l’intérêt, une fois en possession du Pouvoir, les gouvernants n’ont qu’une crainte : c’est de le perdre ; et, pour le conserver, aucune action ne leur semble blâmable, et cela explique toute l’ignominie des luttes politiques, où les besoins et les intérêts du peuple n’entrent même pas en ligne.
Les hommes ne seront heureux que lorsqu’ils sauront se passer de gouvernants. En réalité, la plus grosse part de responsabilité dans la corruption politique qui nous étouffe, incombe au peuple qui permet à ses gouvernants de se jouer de sa misère. Le travailleur perpétue, par sa propre faute, un état social condamné depuis longtemps par tous ceux qui pensent sainement et ont compris l’incohérence du régime capitaliste. Prétendre que les gouvernants sont indispensables pour maintenir l’ordre dans une société, est une aberration, un préjugé entretenu savamment dans l’esprit populaire, pour maintenir le peuple dans l’esclavage. Les gouvernants sont des fauteurs de désordre et il n’y a pas de précédent de gouvernants ayant agi avec probité et loyauté pour le bien du peuple. Le peuple est assez vieux, il doit savoir se passer de gouvernants et diriger lui-même ses propres affaires. Elles ne sont du reste pas si difficiles à gérer, et point ne lui est besoin de maîtres pour qu’il sache qu’il lui faut, pour vivre, du travail et du pain. Les gouvernants sont une entrave à la libération de l’homme et, à ce titre, il est indispensable de les combattre, jusqu’au jour où ils seront engloutis sous les décombres des gouvernements.
GOUVERNEMENT
n. m.
Action de conduire, d’administrer, de diriger, de gouverner. Le gouvernement est l’organisme qui se trouve à la tête d’une nation, d’un Etat. Un gouvernement républicain ; un gouvernement impérial ; un gouvernement monarchiste. Il y a plusieurs formes de gouvernement dont les deux principales sont : le gouvernement absolu et le gouvernement représentatif. Dans le premier cas, le Pouvoir est exercé par un souverain, un monarque ou un chef, qui ne sont soumis à aucune règle, sauf celle du bon plaisir, et à aucun contrôle ; dans le second cas, le Pouvoir est confié par un Parlement à des délégués supposés représenter la majorité de la nation. Nous verrons, par la suite, qu’il n’y a, en réalité, que peu de différence entre ces deux formes de gouvernement.
De nos jours, il n’y a plus, à proprement parler, de gouvernements qui s’avouent absolus ; presque tous se réclament de la démocratie et prétendent être l’émanation de la volonté populaire. Ce qu’il y a de plus paradoxal, c’est que, généralement, les peuples ne s’aperçoivent pas que les gouvernements changent d’étiquette mais que la chose reste la même.
La première question qui se pose est de savoir si le gouvernement répond à un besoin social et s’il est possible de se passer de gouvernement. Nous ne tiendrons pas compte des arguments apportés en faveur du principe de gouvernement par les éléments de conservation sociale, puisque ces derniers se condamnent eux-mêmes en empruntant des drapeaux qui ne sont nullement le reflet de leurs opinions. Ce qui est intéressant à considérer, c’est la thèse soutenue par les hommes de progrès, d’avant-garde, qui, malgré les enseignements de l’Histoire, restent des chauds partisans du principe d’autorité et, par conséquent, en matière sociale, du principe de gouvernement.
Une des meilleures apologies que nous ayons lues en faveur du gouvernement, ou plutôt du principe gouvernemental, est celle que développe Lachâtre dans son Dictionnaire Universel, et dont nous reproduisons quelques passages afin de mieux combattre ensuite cette idée de gouvernement qui nous apparaît comme une erreur séculaire que l’on veut perpétuer. « Lorsque l’on prend la nature humaine non dans l’idée, mais dans le fait, dit Lachâtre, on est frappé du plus affligeant spectacle. L’homme, hélas ! qui devait faire les délices de la société, est devenu le scandale et l’effroi de son semblable. La passion triomphant des nœuds les plus doux, des amis, des frères, des époux, ne peuvent vivre ensemble sans trouble et sans discorde. Que dire des haines déclarées et de la guerre ouverte ? Les hommes, changés en bêtes féroces, se dévorent entre eux : l’homme est un loup pour l’homme. Insociables par leurs vices et exposés à tant d’attaques, les hommes ne vont-ils pas se fuir d’une fuite éternelle ? Mais l’instinct social parle plus haut que les périls : le besoin d’aimer et d’être aimé rapproche les cœurs, malgré tous les défauts. D’ailleurs, la terre a des bornes, il faut s’entendre pour la cultiver. De la diversité des aptitudes naît spontanément la division des travaux et, celle-ci établie, les individus ne peuvent se quitter sans périr. Dès lors, il ne s’agit plus de renoncer à l’état social, mais de l’affermir contre la corruption humaine : c’est l’objet des gouvernements. A l’idée de droit se lie naturellement celle d’inviolabilité. Le droit n’existe pas s’il est permis de l’outrager impunément ; il renferme la faculté de repousser les atteintes qu’on lui porte et c’est ce qui fonde l’emploi légitime de la force. Le droit de défense et de punition, comme tout autre droit, réside primitivement et ne peut résider que dans les individus ; mais ces individus sont des êtres sociables et, comme tels, ils sont tenus de l’exercer, autant que possible, en commun. »
« Cependant, la défense commune n’est réellement assurée que quand tous se concertent d’avance pour constituer un centre de protection sociale, une force publique redoutable aux malfaiteurs, et, par la certitude d’une répression énergique, prévenir la plupart des attentats. Dès lors, à la société naturelle ou exclusivement fondée sur la raison et les affections, vient s’ajouter la société positive, appelée aussi société politique ou Etat. Selon l’idée la plus générale qu’on s’en puisse former, c’est l’organisation permanente et régulière de la force au service de la justice. »
« Le gouvernement n’est, en réalité, que l’organisation sociale du droit de punir. Or surveiller, réprimer, punir, c’est faciliter l’action libre des bons citoyens ; ce n’est point se substituer à eux pour agir à leur place. » (Lachâtre)
Voilà donc la thèse que soutenait, il y a un peu plus de cinquante ans, un savant révolutionnaire, et que soutiennent encore tous les révolutionnaires, qui affirment que les hommes ont besoin d’être dirigés et gouvernés ! Car il faut avouer que la grande majorité des humains ne conçoit pas l’organisation d’une société sans autorité ni gouvernement, et c’est ce qui explique que l’on a fait du mot Anarchie le synonyme de désordre. Les Anarchistes sont, par conséquent, les seuls qui combattent l’idée de gouvernement, et ils s’appuient, pour cela, non seulement sur la logique et le raisonnement, mais aussi et surtout sur l’exemple et l’expérience du passé.
Deux formules sont surtout à souligner sur l’idée que se fait Lachâtre du gouvernement : 1° « C’est l’organisation permanente et régulière de la force au service de la justice. » Or la justice et la force sont deux principes qui ne peuvent se mêler, s’associer et qui, bien au contraire, se combattent. En aucun cas la justice ne peut reposer sur la force. La violence momentanée, provisoire, accidentelle, peut être un moyen pour lutter contre l’arbitraire et l’injustice, et c’est le cas pour ce que nous appelons la révolution ; mais sitôt que la force, la violence, sont érigées en principes, qu’elles se confondent pour former une organisation permanente, même au service de la plus noble des causes, elles deviennent un facteur de régression et de répression, au lieu d’être un facteur d’évolution et d’humanité.
L’erreur primaire de tous ceux qui croient en la faculté progressive et civilisatrice d’un gouvernement, est de s’imaginer que l’égalité et la justice peuvent s’exercer dans les cadres de la légalité. Par extension ils deviennent fatalement partisans de la loi, de ceux qui la font et de ceux qui sont chargés de la faire respecter. Or, il a été, à maintes reprises, démontré que la loi n’était nullement un facteur de progrès, mais qu’au contraire, elle sanctionnait ordinairement des mœurs passées et bien souvent tombées en désuétude. Ce n’est qu’en se dressant contre la loi, contre les gouvernements et contre l’ordre établi, que se poursuit l’évolution des sociétés. Si nos ancêtres ne s’étaient jamais dressés contre les gouvernements monarchiques, jamais la république n’aurait vu le jour et jamais nous n’aurions bénéficié des bienfaits indiscutables, bien qu’incomplets, que nous a légués la Révolution française.
Un gouvernement est, par essence, conservateur ; il ne peut pas ne pas l’être, et il coule de source qu’il ne peut pas être alors révolutionnaire. C’est un paradoxe d’être en même temps révolutionnaire et gouvernemental, car un gouvernement est toujours adversaire de la révolution ; s’il en était autrement, le gouvernement lutterait contre lui-même et signalerait ainsi son inutilité ; ce qui est ridicule.
« Le gouvernement, dit ensuite Lachâtre, n’est, en réalité, que l’organisation sociale du droit de punir. » C’est la plus belle formule qui, à notre esprit, démontre le rôle régressif que jouent tous les gouvernements, quels que soient leurs drapeaux. En effet, c’est bien là le rôle essentiel de tous les gouvernements. Mais ce qu’il faudrait démontrer, c’est que le droit de punir, dans les cadres de la loi, est conforme au droit d’égalité, de justice et d’humanité. Punir ? Mais punir qui ? Ceux qui se mettent en marge de la loi, ceux qui considèrent que tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes, et qui se révoltent contre l’injustice qui règne en maîtresse sur toute la surface du globe. Nous avons dit et nous ne cesserons de répéter que la loi, dans une société reposant sur des principes de propriété, ne peut être que favorable à ceux qui possèdent et que la répression ne peut s’exercer que contre ceux qui ne possèdent pas. Il en résulte donc que le droit de punir, qui incombe au gouvernement, ne s’exerce, en fait, que contre ceux qui ne possèdent rien, et la formule de Lachâtre, pour être complète et raisonnable, devrait être : « Le gouvernement est l’organisation sociale du droit de punir ceux qui ne possèdent pas de richesses sociales. »
Il suffit, du reste, d’ouvrir les yeux sur tout ce qui nous entoure pour se rendre compte qu’un gouvernement est toujours asservi à une classe et que cette classe est toujours la classe possédante. Et il ne peut pas en être autrement, puisque le gouvernement est une formation politique et que la politique n’est que l’organisation de l’économie sociale au profit de la richesse. Et c’est pourquoi nous paraît ridicule l’espérance que nourrissent certains révolutionnaires en un gouvernement prolétarien. En quelque nation que ce soit, une formation gouvernementale suppose un désaccord entre les divers éléments sociaux de la population. Nul n’ignore que le désaccord fondamental est de caractère économique, puisqu’il réside en l’inégalité économique des individus ; or il est matériellement impossible à un gouvernement de se situer en faveur des éléments les moins favorisés de la population ; même le voudrait-il, il ne le pourrait pas, et nous en avons eu la preuve en ce qui concerne le gouvernement bolcheviste. Du fait même que la société est divisée en classes, le gouvernement est contraint de défendre la classe privilégiée ou de céder sa place à un autre. Et c’est là toute l’erreur du bolchevisme comme doctrine révolutionnaire. Oh ! nous ne contestons pas aux bolchevistes qui résident hors la Russie une certaine activité révolutionnaire ; mais ce que nous contestons, c’est la valeur révolutionnaire du gouvernement bolcheviste russe, qui ressemble, à s’y méprendre, à tous les autres gouvernements. Un gouvernement prolétarien n’est d’aucune utilité au prolétariat, et nous nous en rendons compte lorsque nous lisons, dans La Vie Ouvrière du 7 mars 1924, qui est pourtant un organe communiste, l’entrefilet suivant :
« Au cours des derniers temps, plus de 600 ouvriers à domicile ont participé aux grèves dans l’industrie des cuirs et peaux. Toutes ces grèves se terminèrent par la victoire complète des ouvriers à domicile et la conclusion de contrats collectifs. »
Il faut en conclure que, dans ce pays à gouvernement prolétarien, le gouvernement fut incapable de faire respecter ou d’imposer les revendications prolétariennes, puisque les travailleurs furent obligés d’user de la vieille arme classique : la grève, pour obtenir satisfaction. Ce n’est donc pas sans raison que Chazoff dit, dans son Mensonge bolcheviste :
« Pour nous, un gouvernement est un gouvernement, qu’il soit rouge ou qu’il soit blanc. Partout où la bourgeoisie exerce encore son influence, le gouvernement la soutient, — en Russie comme ailleurs, -et toutes les institutions sont mises à son service pour la défendre. Et c’est ce qui explique la répression dont sont victimes des centaines de révolutionnaires qui gémissent dans les bagnes et les prisons bolchevistes. »
Incontestablement, quelles que soient les aspirations et les idées sociales ou philosophiques des hommes qui le dirigent, un gouvernement est réactionnaire et conservateur. S’il nous en fallait une dernière preuve, nous n’aurions qu’à prendre le gouvernement démocratique français, issu des élections législatives du 11 mai 1924. Le peuple français, confiant en sa souveraineté, envoya au Parlement des hommes de gauche, espérant mettre un frein à la politique belliqueuse d’un gouvernement nationaliste. M. Poincaré lâcha le Pouvoir et le remit entre les mains de M. Herriot ; mais rien ne changea, les forces obscures de la finance et de la grosse industrie étant plus puissantes que les forces politiques d’un gouvernement. Le Bloc des Gauches, constitué pour appliquer un programme démocratique, s’écroula piteusement, et les électeurs n’eurent, pour se consoler, que le souvenir des belles promesses qui leur furent faites.
« C’est entendu, diront certains adversaires de l’anarchisme ; tout gouvernement est imparfait et ne répond pas à nos désirs ; mais par quoi le remplacer et que feriez-vous, si vous assumiez la responsabilité de diriger l’Etat ? » C’est mal poser la question. Il est évident que si, dans l’ordre social actuel, il nous prenait la fantaisie de diriger les affaires publiques, nous ne ferions pas mieux que les autres. C’est la raison pour laquelle les anarchistes sont révolutionnaires. Ils savent fort bien que, tant que subsistera le capitalisme, que tant que le monde sera divisé en classes, l’existence d’un gouvernement se légitimera. Une société sans gouvernement suppose tout d’abord la suppression de l’exploitation de l’homme par l’homme et l’égalité économique de tous les êtres. Tant que ceci ne sera pas acquis, le gouvernement subsistera. « Vous ne réaliserez jamais votre programme », nous objectera-t-on. Ce ne sont pas les anarchistes seuls qui le réaliseront, mais le peuple, car chaque jour qui passe discrédite un peu plus les diverses formes de gouvernement qui se sont manifestées incapables de réaliser l’union entre les hommes. Le Capital s’écroulera, il a atteint son point culminant et, maintenant, sa chute sera rapide. Et lorsqu’aura disparu la propriété, qui est la source principale des divisions humaines, les gouvernements s’éteindront et disparaîtront d’eux-mêmes pour faire place à l’harmonie et au bonheur universels.
GRADATION
n. f.
On appelle gradation l’augmentation par degrés, l’accroissement progressif d’une chose. La gradation de la lumière, de la chaleur, etc., etc. En toute chose il faut une mesure, et ce n’est que par gradation que l’enfant devient homme et qu’il acquiert les connaissances de la vie. En musique, on appelle gradation la progression insensible d’un ton à un autre ton, et, en rhétorique, on donne ce nom à une figure présentant un assemblage de mots ou de pensées suivant une progression ascendante ou descendante. Boiste, le célèbre savant du XIXe siècle, nous offre un bel exemple de gradation littéraire :
« Les besoins, les désirs, les passions assiègent le cœur de l’homme. Vous ignorez mes peines, mes chagrins, ma misère. L’humeur mène à l’impatience, l’impatience à la colère, la colère à l’emportement, l’emportement à la violence et la violence au crime ; et, par cette gradation, on va d’un fauteuil à l’échafaud. »
GRADE
n. m. (du latin gradus, degré)
Dignité ; chacun des échelons d’une hiérarchie. Obtenir des grades universitaires. C’est surtout à l’armée que le grade signale le chef à ses inférieurs. Dans la carrière militaire on distingue deux sortes de grades : les grades inférieurs et les grades supérieurs. En France, seuls les hommes titulaires de grades supérieurs ont le titre d’officier, et l’appellation de leur grade doit être précédée du terme : mon. On dit : mon colonel, mon commandant, mon général ; mais on dit : sergent, caporal, ces derniers n’étant titulaires que de grades inférieurs. Par contre, on dit : Monsieur le maréchal, monsieur le médecin-major, etc., etc. Est-il besoin de dire que le grade — et à l’armée plus qu’ailleurs — confère à celui qui en est pourvu une autorité arbitraire sur ses semblables ? Si l’on peut admettre que les grades universitaires supposent de ceux qui les détiennent des connaissances supérieures et que, de ce fait, ils peuvent exercer une certaine autorité morale sur ceux qui les entourent, il n’en est pas de même en ce qui concerne les grades militaires, et surtout pour ce qui est des grades inférieurs. Cependant, à l’armée, le gradé est un petit roi dont les ordres ne doivent pas être discutés et sont exécutés sans la moindre protestation ou la moindre critique. Que de malheureux ont payé de leur liberté et, parfois, de leur vie, leur geste de révolte contre la bêtise et la méchanceté des gradés ! Nous avons dit, par ailleurs, ce que nous pensons de l’armée ; nous avons souligné tout ce qu’avait de ridicule cette discipline devant laquelle devait se courber, sans broncher, des milliers et des milliers d’êtres humains ; le respect du galon, du grade, est le fondement de toute discipline. Qu’importe, si celui qui possède un grade est un dégénéré ou un ignorant, le grade lui confère l’intelligence, la clairvoyance, et sa supériorité devient incontestable. C’est ainsi qu’est constituée notre belle société qui se prétend démocratique.
Combien de temps devrons-nous lutter encore pour détruire, dans l’esprit du peuple, le respect des titres, des galons et des grades. Ce n’est, en vérité, que lorsque les hommes se seront libérés de toute admiration pour les héros d’opéra-comique, portant sur leurs manches ou sur leur poitrine leurs distinctions honorifiques, qu’une égalité saine et bienfaisante pourra régénérer l’humanité.
GRAMMAIRE
n. f. d’un mot grec qui signifiait : peinture, trait, ligne, lettre
Littéralement, la grammaire est l’art de tracer des signes qui fixent la pensée. C’est l’écriture. Elle est le langage écrit et elle est née, non seulement bien après le langage parlé, mais aussi bien après la poésie et l’éloquence, qui ont été les premières formes de l’art de parler. Elle n’en a pas moins été produite, comme l’a dit Voltaire, par « l’instinct commun à tous les hommes », instinct « qui a fait les premières grammaires sans qu’on s’en aperçût ».
Les premières écritures, ou grammaires, furent symboliques, créées par des civilisations qui se bornèrent à l’idéographie, reproduisant l’image des choses. Ainsi se forma l’écriture hiéroglyphique ou picturale des Egyptiens, des Mexicains, des Chinois, insuffisante pour suivre la pensée et la langue dans leurs modifications et produisant, a dit Ph. Chasles, « une matérialisation intellectuelle qui pèse toujours sur ces peuples ». Le même auteur ajoute : « Jamais nation n’est parvenue à un développement social grandiose et vrai sans décomposer les sons qui forment les mots, sans transformer ces mêmes sons en caractère, sans recomposer la parole qui vole et fuit, sans l’immobiliser à jamais sur une substance solide au moyen de lettres juxtaposées : immense et incroyable travail. » Le moyen de ces opérations fut l’alphabet, dont Ph. Chasles dit avec enthousiasme :
« Il n’y a qu’une création dont l’esprit humain doive être fier : l’alphabet. » Et il l’appelle : « père des sociétés, seul moteur de tout perfectionnement. »
On a cru pouvoir fixer l’époque de la plus ancienne écriture ; des découvertes nouvelles l’ont toujours reculée. Les hommes écrivirent sur du fer, du marbre, de l’airain, du bois, de l’argile. Dans l’Inde, en Scandinavie et ailleurs, des rochers sont couverts d’inscriptions. On employa ensuite des peaux tannées, puis des plaques de bois recouvertes d’une couche de cire, des tablettes d’ivoire sur lesquelles on écrivait avec un crayon de plomb, des feuilles de plomb où l’écriture se marquait avec un poinçon de métal. Vinrent ensuite l’usage du parchemin et celui du papyrus, devenu le papier. L’invention de l’alphabet est généralement attribuée aux Phéniciens. L’Anglais Isaac Taylor composa, en 1883, un ouvrage pour démontrer que toutes les écritures alphabétiques sont dérivées de Phénicie. Mais Taylor était insuffisamment informé. L’écriture alphabétique ne fut pas la création spontanée d’un peuple ; elle se forma lentement, chez plusieurs, en suivant le développement de leur civilisation. Depuis Taylor, on a découvert des inscriptions alphabétiques plus anciennes que l’écriture phénicienne et indépendantes d’elle. Les pays du bassin méditerranéen en possèdent des traces préhistoriques.
L’écriture n’arriva à donner toute sa contribution au développement social que lorsque l’imprimerie permit de la répandre à l’infini. L’imprimerie, dont la découverte est attribuée à l’époque de Gutenberg, était connue des Romains qui employaient des caractères mobiles bravés pour apprendre à lire aux enfants. Ce qui manquait pour la répandre, c’était le papier à bon marché, qu’on inventa au XVe siècle.
« L’imprimerie, c’est la mémoire du genre humain fixée. » (Ph. Chasles)
Mais, pour fixer exactement cette mémoire dans la forme imprimée, il faut d’abord l’étudier et la fixer dans les formes de la pensée. C’est par ce travail que la grammaire étendit son premier domaine, celui de l’écriture, à l’observation de la pensée pour être d’abord l’art de la bien exprimer, dont Platon a parlé, puis l’ « ars legendi et scribendi » de Diodore de Sicile, c’est-à-dire l’art de lire et d’écrire, qu’on appela Grammatistica. après qu’Aristote et Théodecte en eurent donné les premiers principes.
Dépassant la grammatistica, — science grammaticale, — la grammaire devint l’art du langage dans un sens de plus en plus étendu. Parmi les sept arts libéraux des anciens, elle engloba tout ce qui était littérature. Par la suite, en se développant encore, l’étude du langage se divisa en plusieurs branches spéciales. La grammaire proprement dite revint à son premier emploi : l’art de parler et d’écrire selon des règles. C’est celui qu’elle a encore aujourd’hui.
Dans l’antiquité, au Moyen-Âge et jusqu’au XVIe siècle, on appela grammairiens tous ceux qui s’occupaient de belles-lettres et étaient savants dans tous leurs genres, sans même s’intéresser spécialement à la grammaire. On donnait cette qualité comme un titre d’honneur à tous ceux qui se distinguaient dans les travaux de l’esprit. En 1580, elle fut décernée au jurisconsulte italien Thomas d’Aversa, bien qu’il n’écrivit jamais que sur le droit. Cela n’empêchait pas de railler les grammairiens étroitement préoccupés des règles, d’autant plus tyranniques qu’elles étaient plus fausses. L’écrivain satirique Pontano faisait dire à Virgile qu’il montrait fuyant devant ces pontifes :
« O grammairiens, que vos lettres humaines sont inhumaines ! »
Trop souvent les grammairiens, tout en rendant au langage des services incontestables, se sont montrés ridicules par des exigences arbitraires et ont justifié la méfiance et la raillerie. Un auteur écrivait en 1530 :
S’abuse manifestement.
Combien que grammaire profère
Et que lettre soit la grand’mère
Des sciences...</em>
Il est peu de grammairiens qui n’aient pas justifié cette méfiance et il faut arriver à Littré pour en rencontrer un d’un esprit parfaitement objectif, ayant su dégager les richesses véritables de la langue française et montrer leur emploi judicieux.
Trop souvent, en grammaire, le mauvais usage l’a emporté sur des vieux principes qui s’accordaient avec la raison. Trop souvent aussi, le pédantisme a fait sacrifier le bon sens de l’usage général et condamner la simplicité, la clarté, la grâce naturelle à des excentricités, des formes artificielles et des modes éphémères. Le XVIe siècle, qui fut l’époque des études les plus sérieuses sur la langue française, avant celles du XIXe siècle, et le temps du plus magnifique épanouissement de cette langue dans les œuvres des Rabelais, Ronsard, Amyot, Montaigne, vit aussi les pires horreurs du langage et n’a été en cela dépassé que par notre époque d’aprèsguerre. (Voir Etudes sur le XVIe siècle en France, par Ph. Chasles, et voir notre article Langage). Il y a, entre l’observation rigide des principes et la liberté sans frein, un juste milieu qu’il est nécessaire d’observer pour ne pas conduire les principes à une momification et la liberté à une licence aussi funestes l’une que l’autre. En grammaire, comme en toutes choses, ce juste milieu a été trop souvent inobservé. Trop souvent les grammairiens, comme les écrivains de tous genres, ont oublié que les seules mais véritables fautes, dans l’emploi d’une langue, sont les locutions qui l’obscurcissent, la rendent équivoque, incompréhensible, ne lui font pas dire nettement et clairement ce qu’elle a à dire, même lorsqu’elle exprime les nuances les plus subtiles des sentiments.
Rivarol, occupé à écrire une grammaire, disait :
« Je ressemble à un amant obligé de disséquer sa maîtresse. »
Mais, en même temps, il apprenait à rendre cette maîtresse plus belle. R. de Gourmont a dit de lui :
« Il ne faut pas oublier que, comme presque tous les écrivains exacts, Rivarol était grammairien ; il n’aimait les idées nues que pour avoir le plaisir de les couvrir de vêtements beaux, élégants et inattendus. »
A. France n’a formulé qu’une boutade lorsqu’il a écrit :
« Je tiens pour un malheur public qu’il y ait des grammaires françaises. Apprendre dans un livre aux écoliers leur langue natale est quelque chose de monstrueux, quand on y pense. Etudier comme une langue morte la langue vivante : quel contresens ! Notre langue, c’est notre mère et notre nourrice, il faut boire à même. »
A. France est un des plus purs écrivains de langue française ; il n’a pu le devenir que par l’observation des règles communes à tous ceux qui parlent cette langue, mais s’il a pu observer ces règles dans la langue même, en dehors de l’œuvre des grammairiens, tous ne peuvent s’en passer, même pour ne connaître que très incorrectement le français. Car la langue, la mère, la nourrice, ce n’est pas, pour la plupart des Français, surtout ceux de la campagne, le langage d’A. France ; c’est le patois local qui est, suivant les régions, plus étranger au français qu’à l’espagnol, à l’italien, à l’allemand. S’il n’y avait pas eu des grammairiens pour réunir un vocabulaire commun, dégager les règles communes du langage dispersées dans les diverses régions qui ont formé l’unité française, comment se serait faite cette langue si variée, si riche d’expression, si harmonieuse et si plastiquement belle, dans laquelle pensent, parlent et écrivent quarante millions de Français ?
Voltaire a raillé fort justement les « enfileurs de mots » qui prétendent faire, défaire et refaire la langue ; mais il a reconnu dans la grammaire « la base de toutes les connaissances », et dans le grammairien, tel qu’on l’entendait dans l’antiquité, « l’homme de lettres » proprement dit qui les possédait toutes. A. Karr a pu dire aussi :
« Les grammairiens, en général, manquent d’esprit et, la plupart du temps, sont des écrivains fruits secs qui sont restés à la grammaire faute de pouvoir s’élever plus haut. » Mais il n’y a pas de grand orateur ou de grand écrivain qui n’ait été grammairien, c’est-à-dire qui n’ait sérieusement étudié sa langue, avant de parler ou d’écrire. Epicure fut grammairien avant d’être philosophe. Les grands orateurs et écrivains ont été ces « grammairiens de génie à qui les hommes d’une race doivent d’avoir gardé un peu le sens de la beauté de leur langue. » (R. de Gourmont)
La grammaire n’est dédaignée qu’aux temps de décadence du langage. Grégoire le Grand se faisait gloire de manquer à ses règles. Il n’était pas le seul à son époque, aussi la langue littéraire était-elle devenue un véritable jargon. Il en est de même aujourd’hui. Le titre de « grammairien » est presque péjoratif, surtout auprès de ceux qui auraient le plus besoin de connaître la grammaire. Les grammairiens sont considérés comme des Brid’oisons desséchés dans la conservation des formes désuètes du langage. Ceux qui s’occupent de la langue ont pris, en renouvelant leur science, les noms plus distingués de philologues, linguistes, paléographes, lexicologues, etc. Ces titres ronflants offrent-ils plus de garantie de bon savoir que celle de grammairien ? Qu’on en juge par ces deux traductions d’un même texte assyrien données par deux assyriologues différents. La première dit :
« O Eulil, qui, comme le fleuve du pays, te dresses puissamment ; ô héros, tu leur parles ; ils ont le repos. »
Et la seconde :
« Eulil, comme constructeur d’un canal de montagne, mettant des pierres dans le courant, les a placées au fond. »
Les textes assyriens sont-ils changeants comme ce nuage d’Hamlet qui avait successivement les formes d’un chameau, d’une belette et d’une baleine ?...
La littérature ne fait plus partie de la grammaire. Elle tend même à l’ignorer complètement, aussi devient-elle la plus bizarre des choses, le langage littéraire consistant surtout dans un galimatias composé de toutes les langues et auquel personne ne comprend rien. Mais c’est, paraît-il, l’expression de cette « clarté » qui, dans les temps « réalisateurs » d’après-guerre, oppose l’intelligence à la sensibilité. Et la littérature française est aujourd’hui aussi « claire » que la comptabilité d’un profiteur de la guerre.
L’art de lire et d’écrire se développa avec la formation de ses règles et leur observation, avec la recherche des origines des langues, avec l’explication des différents auteurs. Il constitua l’étude du langage qui, dit M. Mondry-Baudouin, a un double but :
« 1. Découvrir les lois des faits qui constituent le langage ; 2. parler, écrire, comprendre les textes écrits dans les différents idiomes. » (Grande Encyclopédie).
La première forme de la. grammaire, l’écriture, avait laissé des monuments des anciennes langues disparues. La nécessité de comprendre ces monuments fit naître de nouvelles formes chez les Indiens, pour l’interprétation des Védas, chez les Grecs, pour l’explication des poèmes homérides. Successivement, cette science passa des Indiens chez les Chinois, des Grecs chez les Romains, les Syriens, les Persans, les Arabes. Chez les Grecs, après Platon, Aristote et Théodecte, Epicure, Chrysippe et les stoïciens ajoutèrent à la grammaire. Elle atteignit sa perfection avec les philosophes d’Alexandrie : Aristophane de Byzance, Aristarque, Denys de Thrace, Apollonius Dyscole, Hérodien, « réputés pour bien entendre la grammaire », dit Moreri, et dont les ouvrages sont demeurés les meilleurs éléments de l’enseignement du grec.
Chez les Latins, l’enseignement de la grammaire fut introduit à Rome par Cratès Mallote. Ils eurent de nombreux grammairiens, entre autres Donat, le maître de saint Jérôme (IVe siècle), et Priscien, professeur à Constantinople (VIe siècle). Tous les grammairiens du Moyen-Âge ont puisé chez eux. Un abrégé de l’Ars minor, de Donat, a été en usage jusqu’au XVIe siècle pour l’enseignement du latin.
L’esprit scolastique du Moyen-Âge s’occupa de l’étude théorique de la grammaire et des ouvrages qui faisaient autorité plus que de l’art de parler et d’écrire. La Renaissance, en étendant le champ des études antiques, rechercha au contraire cet art dans les usages des écrivains anciens et d’après leurs œuvres. Lorenzo Valla renouvela ces études suivant la formule de Denys de Thrace :
« La grammaire est la connaissance expérimentale de ce qui se rencontre le plus communément chez les poètes et chez les prosateurs. »
Il appliqua ce principe au latin. Ses traditions, continuées au XVe et au XVIe siècle, furent utilisées par Lancelot dans sa Grammaire latine de Port-Royal (1644). Les mêmes traditions furent établies pour le grec par les grammairiens humanistes : Chrysoloras, Théodore Gazis, puis Lascaris, continués par le flamand Clénard, le toscan Canini et les savants du XVIe siècle. De tous ces travaux, Lancelot s’inspira pour faire sa Grammaire grecque de PortRoyal (1655).
Par la suite, les études grecques et latines devenant plus complètes, les travaux des grammairiens devinrent plus scientifiques. Ils s’étendirent à la connaissance d’autres langues anciennes, comme le sanscrit, et des langues modernes étrangères.
Ce n’est qu’au XVIe siècle qu’on se mit à étudier la langue française. Elle n’avait pas eu de grammairiens au Moyen-Âge ; elle avait été une luxuriante végétation qui s’était développée en toute liberté, puisant sa sève dans de nombreuses traditions, mais surtout dans la terre, le climat et l’instinct populaire. On se mit à l’étudier d’abord, à la réformer ensuite, pour extraire du parler populaire le langage académique. La forêt inculte et échevelée devint un jardin à la française. (Voir Langue). L’étude, commencée par l’Anglais Palsgrave, en 1530, et le Français Giles de Wez, son contemporain, fut continuée par Jacques Dubois dit Sylvius, Meigret qui voulait « renverser toute l’ancienne orthographe et rétablir entre la parole écrite et le langage parlé une complète harmonie » (Ph. Chasles), Ramus, Robert et Henri Estienne, du Bellay, Ronsard qui donna « à la fois une syntaxe et un vocabulaire poétique » (id.), et tous les grands écrivains de la Renaissance qui enrichirent la langue et la grammaire. La réforme qui suivit trouva sa formule classique dans Vaugelas, dont les Remarques sur la langue française parurent en 1647. Elle fut basée sur le « bon usage », c’est-à-dire non sur l’usage fait jusque-là par les écrivains français qui avaient plus ou moins écrit ou modifié la langue populaire, mais sur celui des écrivains de cour. Le travail de Vaugelas fut adopté par ces écrivains réunis dans l’Académie Française qui publia, en 1604, la première édition de son Dictionnaire. Vaugelas était un médiocre grammairien ; il négligea les origines et le développement naturel et historique de la langue pour établir des règles trop souvent arbitraires. Les académiciens étaient encore au-dessous de lui sur ce sujet. Ménage essaya bien de donner à la grammaire des bases plus scientifiques, mais il avait plus de bonne volonté que de savoir et il échoua.
L’Académie fit de la grammaire, suivant la définition de son Dictionnaire : « l’art qui enseigne à parler et à écrire correctement », c’est-à-dire en respectant le bon usage et d’une manière exempte de fautes contre les règles et le goût fixés par elle. Par la suite, la grammaire fut complétée suivant les mêmes directives par d’Olivet, Dumarsais, de Wailly , Domergue et d’autres au XVIIIe siècle. Girault-Duvivier, au commencement du XIXe siècle, fit la Grammaire des grammaires qui les réunissait toutes. L’Académie Française, malgré ses fonctions qui devraient être celles de conservatrice de la langue, fut rarement soucieuse de la grammaire. Le monde et la politique l’intéressent plus que les belleslettres. Elle a toujours eu le dédain des grammairiens, espèce d’hommes peu bruyants et insuffisamment décoratifs qui ne se trouvent pas parmi les maréchaux, les ducs et les prélats dont elle fait sa parure. Aussi s’attira-t-elle d’assez dures semonces, entre autres celle-ci, de Bescherelle, lui reprochant de ne voir dans les grammairiens que ceux qui enseignent la grammaire et d’ignorer leurs travaux :
« Nous engageons l’Académie à être un peu moins irrévérencieuse envers une classe de savants qui ont rendu de si grands services à la philosophie du langage, et qui, certes, seraient beaucoup mieux placés à l’Académie que certains grands personnages que leur inutilité complète peut seule faire remarquer, et Dieu fasse grâce à tous ceux qui sont dans ce cas. »
Durant le XIXe siècle, des travaux plus complets et plus sérieux furent faits par les savants qui s’occupèrent de la grammaire dans ses différents genres, savoir : la grammaire proprement dite, la grammaire générale, la grammaire comparée et la grammaire historique.
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GRAMMAIRE PRQPREMENT DITE
D’une façon générale, on appelle grammaire un livre qui formule les règles d’un art ou d’une science. Au point de vue du langage, la grammaire proprement dite ou grammaire particulière, est celle qui expose les règles d’une langue. Elle comprend trois parties : la phonétique, qui traite des sons et des articulations de la langue et donne les lois de leurs combinaisons ; la morphologie, qui est l’étude biologique de la langue dans la forme des mots (étymologie), et leurs transformations (morphologie proprement dite) ; la syntaxe, qui est la construction et l’arrangement des mots pour l’expression de la pensée. La syntaxe est la partie principale de la grammaire, celle qui est à sa base et d’où sont sortis tous ses développements. Elle est, dans la grammaire, la véritable grammaire ; elle présente les règles du langage dans leur ordre à la fois logique et pratique et les accords des différents genres de mots. C’est elle qui :
« ..... du verbe et du nominatif,
Comme de l’adjectif avec le substantif
Nous enseigne les lois..... » (MOLIÈRE)La syntaxe s’inspire de l’orthologie, qui est la manière de bien parler, et de l’orthographe, qui est la manière de bien écrire ; elle est un de leurs éléments par l’examen des mots réunis, comme la lexicologie par l’explication des mots séparés.
Alors que la syntaxe et l’étymologie ont été les premières recherches de la grammaire, la phonétique et la morphologie n’y ont été introduites que bien après. Elles ont créé ses formes nouvelles et ont pris une importance qui ne remonte généralement pas plus loin que le XIXe siècle.
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GRAMMAIRE GÉNÉRALE
Est celle qui s’occupe des règles communes à toutes les langues, qui les recherche dans leur essence première, dans leur structure intérieure, pour déterminer leur rapport avec les opérations de l’esprit. Cette grammaire est appelée aussi philosophique. La première fut celle de Port-Royal (1660). Elle s’efforça d’établir que les diverses langues sont sorties d’un type unique, mais elle s’inspira plus des principes d’Aristote que de l’observation scientifique. Dans la même voie continuèrent, au XVIIIe siècle, Dumarsais, Beauzée, Condillac, Destutt de Tracy, et d’autres. Leur système empirique perdit de plus en plus de sa valeur devant les découvertes des langues primitives et orientales, particulièrement du sanscrit, qui firent naître la grammaire comparée.
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GRAMMAIRE COMPARÉE
Son point de départ fut la connaissance du sanscrit, à la fin du XVIIIe siècle. Elle recherche les affinités des langues entre elles, leurs ressemblances et leurs différences pour les classer en groupes ou familles, en trouver les types primordiaux et suivre l’évolution de chacune. Ce sont ces études qui ont formé la linguistique proprement dite, étude scientifique des langues, principalement par la méthode comparative qui permet de découvrir le fonds commun d’où elles sont sorties et les transformations particulières qu’elles ont subies. (Voir Langue). La grammaire comparée a apporté à la grammaire proprement dite une contribution importante par le développement qu’elle a donné à la phonétique et à l’étymologie.
Franz Bopp fut le premier qui écrivit une Grammaire comparée du sanscrit, du zend, du grec, du latin, du lithuanien, du gothique et de l’allemand, parue de 1833 à 1852 et traduite en français par Michel Bréal en 1865. Elle étudia la commune origine des langues indo-européennes. Les travaux de Bopp ont été successivement complétés par Schleicher, Brugmann et Delbrüc. D’autre part, les langues romanes furent spécialement étudiées par Frédéric Diez, puis par Meyer-Lübke. On est beaucoup moins avancé dans les recherches sur les autres familles de langues, celles des groupes ouralo-altaïque et chamito-sémitique. On l’est encore bien moins dans celles relatives aux langues des peuples primitifs.
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GRAMMAIRE HISTORIQUE
A été la forme primitive de la grammaire comparée appliquée à une seule langue. Elle en est aujourd’hui une des parties en ce qu’elle étudie les différents moments des langues et leur enchaînement pendant toute leur durée. Elle se sert de la diplomatique, science assez restreinte qui examine les documents officiels de tous les temps pour authentifier les indications qu’ils fournissent, et de la paléographie, science plus récente et plus étendue, qui procède à la recherche des anciennes écritures et à l’art de les déchiffrer. C’est la paléographie qui donne l’histoire de l’écriture et de ses transformations vers des formes devenues tellement personnelles que la graphologie prétend révéler le caractère des individus par leur écriture.
La grammaire se complète de la lexicologie qui s’occupe des formes des mots, de leur nomenclature selon ces formes et de leur définition dans des ouvrages appelés vocabulaires, glossaires, lexiques ou dictionnaires. La lexicographie est la science de la composition de ces ouvrages.
On donne le nom de vocabulaire à des listes de mots accompagnés d’explications succinctes et qui sont particuliers à une profession, un art ou un auteur.
Le glossaire énumère et explique les mots anciens ou peu connus d’une langue. Le Glossaire de Reichenau (VIIIe siècle) a facilité l’étude des langues romanes.
Le lexique est un dictionnaire abrégé ou spécial aux formes rares ou difficiles d’une langue. Il est aussi un vocabulaire réservé aux locutions propres à un auteur.
Des vocabulaires, glossaires, lexiques ou dictionnaires furent écrits dès l’antiquité. Trois siècles avant J.-C., Callimaque composait son Musée. On a encore le lexique Latin de Verrius Flacus (Ier siècle) d’après l’abrégé de Festus, le lexique grec d’Harpocration Valérius (IIe siècle), l’Onomasticon de Julius Pollux (même époque), et d’autres. Au XIe siècle, Suidas fit son Lexicon et Papias son Vocabularium. La Renaissance vit plusieurs auteurs de lexiques, latins pour la plupart. Les Estienne, au XVIe siècle, commencèrent les travaux de lexicographie les plus sérieux sur les langues grecque et latine. Leur Thesaurus qrœcœ linquœ est devenu le lexique grec le plus complet avec les additions qu’Ambroise Didot lui apporta au XIXe siècle. Au XVIIIe, Forcellini composa un lexique latin très complet aussi, et Du Cange publia, en 1678, un ouvrage de la plus grande valeur sur le latin du Moyen-Âge.
Ce n’est qu’en 1638 qu’on entreprit de faire un dictionnaire de la langue française. Ce fut l’Académie Française qui se mit à cette œuvre sous la direction de Vaugelas. Depuis la première édition (1694), l’Académie n’a pas cessé de s’en occuper ; plusieurs éditions ont suivi. Malgré le temps qu’elle y emploie, le nombre et l’illustration de ceux qui y travaillent, son œuvre est médiocre ; elle est loin d’avoir, auprès des lettrés, l’autorité qui devrait être la sienne. Le Dictionnaire de l’Académie Française est fait avec si peu de sérieux, sans doute par des gens qui ont le sentiment de la vanité de leur travail, que ses définitions sont, dans la plupart des cas, incomplètes et insuffisantes, quand elles ne sont pas inexactes et contradictoires. C’est ainsi qu’en 1878, année de la 7e édition de ce dictionnaire, ses auteurs n’avaient pas encore pu s’entendre pour savoir lequel, du chameau ou du dromadaire, n’a qu’une bosse !... On lit, dans cette édition :
« Bosse. — La bosse d’un chameau, les deux bosses du dromadaire.
« Chameau. — Quadrupède qui a deux bosses.
« Dromadaire. — Chameau qui a une seule bosse. »
A côté de l’Académie Française, d’autres firent des œuvres plus sérieuses : Moreri avec son Grand Dictionnaire historique (1674), les auteurs du Dictionnaire de Trévoux (1704), mais surtout Bayle avec son Dictionnaire historique et critique (1696) et, au XIXe siècle, Littré dont le Dictionnaire de la langue française (1877–1878) est, à tous les points de vue, l’ouvrage le plus parfait.
Dans le dictionnaire de Bayle, Voltaire, qui fit le Dictionnaire philosophique (1764), voyait non seulement un recueil de littérature et un ouvrage très savant, mais surtout une « dialectique profonde » qui en faisait « un dictionnaire de raisonnement encore plus que de faits et d’observations ». C’est ainsi que l’œuvre de Bayle renfermait en germe l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.
Citons encore, parmi les dictionnaires :
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Le Dictionnaire National, de Bescherelle (1843–46), qui fut le meilleur avant l’apparition du Littré. Il est demeuré intéressant à consulter pour certaines appréciations originales et les très nombreuses citations d’auteurs qui en font un « ouvrage vivant » et non un « squelette », selon le mot de Voltaire sur les « dictionnaires sans exemples ».
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Le Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle, par Godefroy (1881).
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Le Dictionnaire de la langue française du commencement du XVIIe siècle jusqu’à nos jours, par Darmesteter, Hatzfeld et Thomas (1889).
Nous reparlerons des dictionnaires au mot Langue.
Il y a, enfin, les ouvrages encyclopédiques qui sont des dictionnaires étendus à toutes les connaissances humaines. On comprend qu’ils doivent être de plus en plus considérables pour suivre le développement de ces connaissances, et il y a longtemps qu’ils n’y suffisent plus. Les encyclopédistes ne peuvent que se borner à une oeuvre d’enseignement général et de vulgarisation plus ou moins étendue, même lorsqu’ils se spécialisent dans une science ou un art pour faire, par exemple, une encyclopédie du droit, de la médecine, de la peinture ou de la musique, etc.
Au Ve siècle, il y avait déjà une certaine présomption dans l’idée de Marcianus Capella de réunir en un seul ouvrage toutes les connaissances humaines. D’autres suivirent avec la même prétention et on eut Les Etymologies ou Origines, d’Isidore de Séville (VIIe siècle), le Dictionarium universale, de Salomon de Constance (IXe siècle). Vincent de Beauvais fit, au XIIIe siècle, un ouvrage semblable. Au XVIIe siècle, plusieurs tentatives encyclopédiques se produisirent. Les travaux de Mathias Martins, d’Alsted, de Bacon, furent d’utiles éléments que Chambers employa pour son Cyclopedia ou Dictionnaire des arts et des sciences, publié en 1728, à Londres. C’est cette œuvre qui donna à Diderot l’idée de l’Encyclopédie dont l’esprit fut celui du dictionnaire de Bayle et des philosophes, ses principaux collaborateurs : Voltaire, Montesquieu, J.-J. Rousseau, etc. Le Discours préliminaire de l’Encyclopédie, écrit par d’Alembert, est toujours une belle introduction à une étude raisonnée des connaissances humaines.
L’Encyclopédie méthodique, de Panckoucke, commencée en 1781, terminée en 1832, suivit. Mais on peut négliger ce gros ouvrage, et d’autres d’importance quelconque, pour arriver aux deux plus remarquables du XIXe siècle. Le premier est le Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle, de Pierre Larousse, publié de 1866 à 1876. Il a été composé dans un esprit qu’on regrette de ne plus trouver dans ceux qui sont présentés comme le continuant, tel le Nouveau Larousse illustré, réduction encyclopédique qui paraît conçue pour fournir aux gens du monde les notions conventionnelles et « bien pensantes » qu’ils doivent avoir de toutes choses. Le second, la Grande Encyclopédie (1885 et années suivantes), est l’oeuvre encyclopédique française actuellement la plus complète. Des travaux du même genre et aussi importants ont été publiés à l’étranger, particulièrement en Angleterre et en Allemagne.
— Edouard ROTHEN.
GRANDEUR
n. f. de grand
Ce qui est grand ; ce qui est étendu. La grandeur d’un pays, d’une ville, d’un parc. La grandeur d’un bâtiment, d’un vaisseau, d’un immeuble. De même taille, de même grandeur. Le frère et la soeur sont de même grandeur. En mathématique, on appelle grandeur tout ce qui est susceptible d’être augmenté ou diminué.
Le mot grandeur s’emploie souvent au figuré pour désigner l’autorité et la puissance. La grandeur d’un monarque. La supériorité : la grandeur d’âme. Un air de grandeur, c’est-à-dire un air fier et dédaigneux. Grandeur est également le titre que l’on donne aux princes de l’Eglise : Sa Grandeur l’évêque de Paris.
« Pouvoir, dignité, honneurs. La philosophie nous met au-dessus des grandeurs ; rien ne nous met au-dessus de l’ennui. » (Mme de Maintenon)
GRANDILOQUENT
adj. (du latin grandis, grand, et loqui, parler)
Qui parle ou qui écrit avec grandeur, avec emphase et affectation. Un discours grandiloquent ; un style grandiloquent. La grandiloquence n’est pas le caractère du grand orateur ou du grand écrivain, au contraire. Le plus souvent, la grandiloquence ne couvre que de l’ignorance et de la présomption.
L’éloquence est une qualité, la grandiloquence est un défaut. L’homme simple et sincère s’exprime modestement, sans faste et sans pompe, et de façon à être compris par tous, tandis que l’individu grandiloquent ne dit fréquemment que des choses banales et vides de sens qu’il entoure d’exagérations. Soyons toujours sobres dans nos paroles comme dans nos écrits et gardons-nous d’être grandiloquents ; nous serons mieux compris.
GRAND-LIVRE
n. m.
On appelle Grand-Livre la liste établie par le Ministère des Finances en vertu de la loi du 24 août 1793 et qui contient le nom de tous les créanciers de l’Etat et tout ce qui a trait à la Dette publique. Si l’on tient compte de toutes les opérations financières auxquelles se livrent les gouvernements ; si l’on considère l’accumulation toujours plus importante de la Dette publique, on peut s’imaginer ce que signifie le Grand-Livre. Ce qui n’empêche pas, du reste, les conservateurs sociaux de déclarer que toute cette paperasserie est une manifestation de l’ordre. Nous ne sommes pas de cet avis et, sans contester l’utilité qu’il y a, et qu’il y aura toujours à tenir des comptes, nous pensons cependant que ceux-ci pourraient être singulièrement simplifiés dans un organisme qui ne présenterait pas le caractère désordonné de l’Etat bourgeois et capitaliste.
Commercialement, le Grand-Livre est un registre sur lequel on classe par compte toutes les opérations du Journal. MM. O. Garnier et C. Pinsart, professeurs de cours commerciaux, nous décrivent, dans leur Cours pratique de Comptabilité, l’utilité du Grand-Livre. « Le Grand-Livre, bien que livre auxiliaire, n’est pas moins indispensable que les livres obligatoires ; c’est un des plus importants au point de vue comptable. »
En effet, si, à un moment donné, le commerçant veut, soit établir sa situation générale, soit dresser le compte d’un tiers, il peut évidemment, à cet effet, avoir recours au Journal, qui contient toutes ses opérations ; mais celles-ci y étant inscrites par ordre de date, sans aucun classement méthodique, le travail à faire sera long et difficile. Ce dernier inconvénient disparaîtra complètement par l’emploi du Grand-Livre, où les opérations relatives à une même valeur ou à une même personne sont centralisées au compte correspondant.
Le Grand-Livre est, en conséquence, un outil indispensable à tous ceux qui entretiennent des relations commerciales avec leurs semblables et qui sont obligés, par cela même, de tenir des comptes. Il est évident que dans une société où sera abolie l’exploitation et d’où aura disparu l’argent, cause de tant de bassesses, le crédit n’ayant plus de raison d’exister, la comptabilité sera réduite à sa plus simple expression et ne sera plus embarrassée par une foule de Grand-Livre qui ont aujourd’hui leur utilité, mais qui la perdront demain.
GRAPHIQUE
adj., (de graphie, du grec graphê, action d’écrire)
Se dit de tous les objets, descriptions, opérations qui, au lieu d’être simplement énoncés, sont représentés par des dessins, des lignes ou des figures. Les signes graphiques d’une langue sont les caractères de l’écriture de cette langue. On trace un graphique pour établir une ligne de chemin de fer et la marche des trains sur cette ligne ; pour déterminer la marche d’une machine, etc. Le mot graphique est également employé comme synonyme de diagramme ; dans ce cas il n’est plus adjectif mais nom masculin et désigne le tracé que décrivent certains appareils enregistreurs.
En minéralogie, on donne le nom de graphique à des minéraux dont la forme rappelle celle des caractères d’écriture ou qui sont assez tendres pour servir de crayon.
GREDIN(E)
n.
Race de petits chiens appelés couramment Epagneuls d’Angleterre parce qu’ils sont originaires de ce pays. C’est surtout au sens figuré que ce terme est connu et employé dans le langage populaire pour désigner un individu sans scrupule, une personne vile et sans moralité. « A quoi cela servirait-il, si les gredins triomphent encore ? », disait d’Alembert. Le fait est que si la Révolution française a exécuté une quantité de gredins, d’autres se sont enfuis pour échapper au juste châtiment du peuple ; depuis, la République a donné naissance à une nouvelle catégorie de canailles, et la gredinerie s’exerce sur une grande échelle. La grande guerre du « Droit et de la Civilisation » a permis aux gredins de se multiplier et, aujourd’hui, leur nombre est incalculable. On les remarque dans toutes les branches de l’activité humaine. Ils ne se cachent pas : le monde leur appartient. Sans probité, sans honneur, sans amour-propre, sans scrupules, on les voit partout où il y a à piller, à rafler, à voler. Rien ne les arrête ; ils sont certains de l’impunité, puisqu’ils ont leurs complices dans les parlements et jusque sur le banc des gouvernements.
Jamais satisfaits ; avides toujours de plus de richesses et de plus de jouissances, ils participent à toutes les opérations louches et sales qui sont susceptibles de leur apporter quelques bénéfices. Ils espionnent et ils trahissent, et ils n’ont d’amis que dans la mesure où cela leur rapporte. Les gredins sont les maîtres de la terre. Par leurs rapines ils ont conquis le globe. Pour acquérir plus de puissance encore, lorsque leurs privilèges sont menacés ils jettent les hommes les uns contre les autres dans des guerres meurtrières, et dans le sang de leurs victimes ils récoltent encore des honneurs et des richesses.
Mais tout a une fin ; la gredinerie a atteint son apogée et les peuples se rendent compte, à la longue, qu’ils sont honteusement exploités par les gredins qui dirigent la chose publique. Ivres de liberté, les asservis se révoltent aux quatre coins de la terre contre tous les bandits qui, depuis des siècles, les grugent en les grisant de belles paroles. L’évolution et la Révolu1ion accomplissent leur besogne historique et l’heure ne tardera pas à sonner, ou, tous les gredins étant définitivement châtiés, la terre ne sera plus peuplée que d’hommes probes et honnêtes.
GREFFE
n. m. (du latin graphium et du grec graphion, stylet à écrire)
On appelle greffe l’endroit où l’on dépose et où l’on conserve toutes les pièces et documents ayant trait à un jugement. Tous les actes, jugements, arrêts, rapports déposés au greffe y sont sous la responsabilité d’un greffier. On donne également le nom de greffe aux bureaux des prisons où se fait tout le travail administratif des maisons pénitentiaires.
En matière judiciaire, le greffier est un fonctionnaire public dont le travail consiste à écrire les actes dictés par le juge et à en assurer l’expédition. Il assiste parfois le juge en certaines occasions.
GREFFE
n. f. (du latin gravare, imposer)
Action qui consiste à unir une partie d’une plante à une autre plante sans arrêter la végétation de cette dernière. Cette opération a pour but la reproduction ou la multiplication d’arbres à fruits ou à fleurs. La greffe ne se fait pas seulement entre des plantes de même nature, mais fréquemment on greffe sur un arbuste une branche d’un arbre de nature différente, et ce rapprochement produit des fleurs ou des fruits d’un caractère particulier. Il existe au moins 200 façons de greffer ; mais les trois types classiques de greffe sont : la greffe par approche ; la greffe par rameau détaché, et la greffe par oeil ou bouton.
La greffe ne s’exerce pas seulement sur les arbres, mais aussi sur les êtres vivants. C’est un médecin italien de la fin du XVIème siècle, Tagliacozzi, qui inventa cet art médical, consistant à rétablir sur le corps humain, aux dépens des parties voisines, les parties détruites. La chirurgie a, depuis cette date éloignée, fait d’immenses progrès et, de nos jours, les maîtres de la science chirurgicale accomplissent de véritables miracles. Lors de la dernière guerre, qui provoqua tant de ravages physiques, les savants purent, par la greffe, arracher à une vie misérable une quantité de pauvres victimes de la bêtise humaine. Par leur science, ils allégèrent sensiblement les souffrances physiques et morales de milliers d’hommes. Pourquoi faut-il que tout ce savoir soit mis au service de la brutalité et du crime ? Notre siècle de connaissances ne devrait-il pas assurer à chacun le maximum de bien-être et de liberté ?
GRENOUILLE
n. f. (du latin ranuncula, diminutif de rana, grenouille)
Les grenouilles sont des petits batraciens de la famille des ranidés, qui sont répandus sur toute la surface du globe. Il y en a 117 espèces, mais trois seulement sont communes en France : la grenouille verte, la grenouille rousse et la grenouille agile. Il y a, en Amérique du Nord, une catégorie de grenouilles surnommées grenouilles taureaux et qui atteignent 50 centimètres de longueur. Les membres postérieurs de la grenouille sont comestibles et constituent un mets délicat très recherché des gourmets.
Au sens figuré et dans le langage populaire, on donne le nom de grenouille à une caisse commune ; de là l’expression manger la grenouille, qui signifie que le dépositaire de l’argent contenu dans la caisse a volé les fonds qui lui étaient confiés par ses camarades. En argot, on nomme grenouilles les femmes qui se livrent à la prostitution.
GREVE
n. f.
La grève est l’acte par lequel tous les travailleurs ou une partie d’entre eux signifient au patronat, à l’employeur : État ou particulier, leur volonté de cesser le travail, soit pour obtenir des conditions, matérielles ou morales, de vie meilleure ; soit pour protester contre l’arbitraire patronal ou gouvernemental ; soit encore pour déclencher une action de classe ayant pour but de transformer le régime par la voie révolutionnaire.
Il y a plusieurs sortes de grèves. Ce sont : la grève professionnelle, la grève de solidarité, la grève de protestation, la grève industrielle et inter-industrielle, la grève générale insurrectionnelle et expropriatrice.
Chacune de ces grèves peut revêtir les aspects suivants : local, régional, national, international, selon le cadre qui est fixé à son déroulement.
Grève professionnelle ou de métier
Une grève de cet ordre est presque toujours locale. Encore qu’elle tende à disparaître, une telle grève n’englobe souvent que les ouvriers d’un même métier et travaillant pour un seul patron. Il peut se faire cependant que la grève professionnelle ou de métier intéresse la plupart ou tous les ouvriers d’un même métier, d’une même localité et, parfois, de plusieurs localités voisines.
La grève professionnelle est, généralement, motivée par une demande d’augmentation de salaire non satis-faite par le patronat, par une revendication d’ordre général non accueillie, par la violation d’une loi de protection ouvrière, par l’inapplication d’un règlement d’administration publique, etc.
Cette sorte de grève devient de plus en plus rare et difficile, en raison de la “cartellisation” et la “trustification” des entreprises patronales qui créent une soli-darité très grande, parfois absolue, entre les exploitants d’une spécialité ou d’une industrie de base ou de transformation.
De toute évidence, la grève professionnelle est en voie de disparition, pour faire place à la grève industrielle et inter-industrielle.
Grève de solidarité
La grève de solidarité est déclenchée par tous les ouvriers d’une localité, d’une région, d’une industrie, d’un pays, de tous les pays, pour appuyer l’action qui se déroule dans l’un de ces cadres et qui intéressent un ou plusieurs métiers, une ou plusieurs industries, un ou plusieurs pays.
La pression exercée par les autres ouvriers pour amener le triomphe de leurs camarades engagés dans la lutte a généralement pour but de hâter la fin d’un conflit ou de démontrer au patronat intéressé, que tous les ouvriers sont décidés à lutter aux côtés de leurs frères des métiers, industries, régions ou pays en conflit.
Les grèves de solidarité sont le plus souvent limitées 24 ou 48 heures. Elles peuvent, cependant, être illimitées et ne prendre fin qu’avec le conflit initial.
Grève de protestation
La grève de protestation a pour but de protester contre un acte arbitraire, une injustice, une iniquité du pouvoir ou du patronat, contre une mesure draconienne ou une menace dangereuse dirigée contre une partie de la classe ouvrière ou contre cette classe tout entière.
Comme la grève de solidarité, la grève de protestation est généralement limitée à 24 ou 48 heures.
De même, elle peut être locale, régionale, nationale ou internationale.
Grève industrielle et inter-industrielle
Prolongement normal de la grève professionnelle de métier, la grève industrielle est relativement récente. Elle est devenue une nécessité par suite de la transformation des entreprises patronales.
En effet, sauf en ce qui concerne la petite et la moyenne industrie, les entreprises patronales de nos jours affectent la forme de firmes à succursales multiples tant pour l’extraction, la transformation que pour la vente.
C’est ainsi qu’une entreprise a des établissements dans toutes les régions qui dépendent d’un Conseil d’administration unique.
Cette nouvelle organisation de la production a nécessairement eu pour conséquences d’élargir, dans une même proportion, les conflits entre les ouvriers et les patrons. Les uns et les autres, obéissant à la loi d’association, défendent leurs intérêts au moyen de syndicats, qui sont à la fois des organismes de défense et d’attaque sur le terrain local, régional et national, dans le cadre industriel.
Il n’est pas rare que le patronat esquisse une bataille dans le Nord pour lutter dans le Nord, pour tenter de battre les ouvriers du Sud-Ouest ou de l’Est, et vice-versa. De leur côté, les ouvriers sont forcément obligés de pratiquer la même tactique.
Pour être victorieuse, la grève industrielle doit être sérieusement organisée par les Fédérations d’industrie et leurs Régions industrielles. C’est une grève de statistiques, de renseignements, autant que d’habileté et de cohésion !
Il faut, pour lutter avec chances de succès, qu’une Fédération connaisse l’ensemble des Firmes qui composent l’industrie, ainsi que toutes les filiales que ces firmes possèdent sur tout le territoire d’un pays.
Le temps n’est pas éloigné, s’il n’est déjà révolu, où les luttes sociales ne se livreront plus que sur le terrain international.
En effet, de même que l’industrie a éliminé le métier et donné aux conflits un caractère national, le cartel et le trust élimineront l’industrie. Et les ouvriers de Brest, par exemple, pourront avoir leur sort lié avec ceux de Varsovie ou de Hambourg, dans une même industrie et plus étroitement que les ouvriers d’une même région exerçant des métiers différents.
De toute évidence, une telle évolution du capitalisme, qui lui permet de faire effectuer ses commandes à tel ou tel endroit, si tel autre est en grève, — et sans que les ouvriers le sachent, — a complètement bouleversé toute la tactique des grèves employée jusqu’à ce jour. De même qu’il faudra — qu’il faut déjà — envisager l’arrêt des entreprises d’une façon différente en paralysant la production par l’abandon du travail par les seuls ouvriers qualifiés et en laissant au compte du patron tout le personnel non qualifié, il faudra aussi envisager la lutte nationale et internationale contre le cartel et le trust.
La première condition du succès sera de connaître la composition exacte de ce cartel ou de ce trust, afin de faire porter l’action partout et, en premier lieu sur son entreprise de base, puis de grande transformation et, en dernier lieu, sur les firmes de finissage et de vente.
Une telle conception de la grève s’appliquera parfois sur des bases régionales ; d’autres fois, sur des régions voisines ou très éloignées l’une de l’autre ; parfois en des pays différents.
Dans tous les cas, le but essentiel à atteindre doit être double
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Paralyser complètement l’entreprise (cartel ou trust) dans toutes ses parties, par l’arrêt du travail effectué par les ouvriers qualifiés qui constituent l’armature du système patronal ;
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Laisser à sa charge les frais les plus élevés possibles en ne débauchant pas les ouvriers et le personnel qui ne peuvent travailler et produire sans le concours des ouvriers et du personnel qualifiés.
Cette tactique nouvelle, que l’expérience seule permettra de mettre au point, suppose que les Fédérations internationales fonctionneront réellement et seront en mesure de renseigner les industries intéressées dans chaque pays et de coordonner l’action des Fédérations nationales.
C’est donc une véritable révolution qu’il faut effectuer en matière de grèves industrielles et inter-industrielles. Avec les trusts en largeur, la tactique pourra être celle que j’expose ci-dessus. Avec les trusts en profondeur, c’est-à-dire avec les groupements de plusieurs industries différentes mais dépendant l’une de l’autre, qui vont souvent depuis le minerai jusqu’à la presse et la banque, il sera encore plus difficile d’organiser la lutte et une étude toute particulière de la question doit être, dès maintenant, envisagée par les organisations ouvrières.
Un adversaire de cette taille sera presque insaisissable et invulnérable, si on ne tonnait pas, dans toutes ses parties, son organisation, son fonctionnement et son point faible.
On voit par là, quelle besogne gigantesque incombe aux Fédérations nationales et internationales d’industrie.
Tant quelle ne sera pas menée à bien, toute méthode ne sera qu’empirique et tout succès demeurera problématique, presque impossible.
La grève industrielle peut se transformer en grève générale et englober toutes les industries d’un pays et s’étendre, même, à plusieurs pays.
Jusqu’à ce jour, ces grèves se sont, cependant, limitées à un seul pays, mais il n’est pas douteux que la forme nouvelle que prend chaque jour le capitalisme en voie de concentration définitive, sous la direction de l’état-major bancaire, va obliger les ouvriers à envisager très sérieusement la nécessité de recourir à des grèves générales industrielles ou générales internationales.
Il y a là toute une étude à faire par les organisations intéressées et je ne puis, au pied levé, aborder ici un tel problème dont l’examen et les solutions demanderont des années d’efforts et de nombreuses expériences, au cours desquelles, à la lueur des faits, des tactiques se modifieront et s’élaboreront.
Les grèves, les plus importantes furent, en France la grève des postiers en 1909, celle des cheminots en 1910, puis encore des cheminots en 1920, suivie d’une grève générale déclenchée par la C.G.T. pour la nationalisation des chemins de fer.
En Angleterre, la grève des mineurs en 1922, et la grève des mineurs en 1926, transformée en grève générale par le Conseil général des Trade-Unions et rendue à sa première destination après l’abandon des mineurs par les autres corporations.
En Italie, en 1920, la grève générale aboutit à la prise des usines que les ouvriers durent abandonner par la suite.
En Espagne, à Barcelone, les grèves se succédèrent sans interruption de 1918 à 1923. Elles s’étendirent à toute l’Espagne.
En Suède, en Norvège, aux États-Unis, de très importants conflits eurent également lieu. Ils sont si nombreux qu’il est impossible de les relater.
En Allemagne, la grève générale fut déclenchée par la C.G.T., d’accord avec le gouvernement, pour barrer la route aux fascistes en 1923.
La grève générale
Examinons maintenant la grève générale insurrectionnelle et expropriatrice.
Avant tout, il importe de donner une définition aussi exacte que possible de ce moyen de lutte.
Donc, qu’est-ce que la grève générale expropriatrice ?
C’EST LA CESSATION CONCERTÉE, COLLECTIVE ET SIMULTANÉE DU TRAVAIL PAR TOUT LE PROLÉTARIAT D’UN PAYS. Elle a pour but :
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de marquer l’arrêt total et la fin de la production en régime capitaliste ;
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de permettre à ce prolétariat de s’emparer des moyens de production et d’échange et de propagande ;
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de remettre en marche tout l’appareil de production et d’échange pour le compte de la collectivité affranchie ;
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d’abattre le pouvoir étatique et d’empêcher l’instauration de tout pouvoir nouveau.
La grève générale expropriatrice, premier acte révolutionnaire, sera nécessairement violente.
Elle peut être décrétée par les Syndicats soit :
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Pour déclencher eux-mêmes l’action révolutionnaire ;
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Pour répondre à un coup de force politique de droite — ou de gauche ;
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Pour répondre à une tentative fasciste de prise du pouvoir.
La grève générale expropriatrice est une arme spécifiquement syndicaliste. Elle ne peut être maniée par aucun groupement politique.
Elle peut régler décisivement toutes les situations révolutionnaires, quels qu’en soient les facteurs initiaux.
Elle s’oppose directement à l’insurrection, seule arme des partis politiques.
Elle est, de beaucoup, plus complète que celle-ci. En effet, tandis que l’insurrection ne permet que de prendre le pouvoir, la grève générale donne la possibilité non seulement de détruire ce pouvoir, d’en chasser les occupants, d’en interdire l’accès à tout parti, mais encore elle prive le capitalisme et l’État de tout moyen de défensive en même temps qu’elle abolit la propriété individuelle pour instaurer la propriété collective.
En un mot, elle a un pouvoir transformateur immédiat et ce pouvoir s’exerce au seul bénéfice du prolétariat, auquel la possession de l’appareil de production et d’échange donne le moyen de modifier radicalement l’ordre social.
La grève générale expropriatrice, par l’usage forcé de la violence, est d’ailleurs nettement insurrectionnelle. Son action se fait sentir à la fois sur le terrain politique et sur le plan économique, tandis que l’insurrection ne permet d’agir que sur le plan politique.
Ceci suffit à expliquer que, de tout temps et dans tous les pays, les partis politiques ouvriers aient constamment tenté d’asservir les syndicats, afin que ceux-ci, commandés et dirigés par ces partis, appuient le mouvement insurrectionnel par une grève générale, sans laquelle toute insurrection est, désormais, irrémédiablement vouée à l’échec.
Les tentatives constantes de mainmise des partis sur les syndicats n’ont pas peu contribué à faire comprendre à ceux-ci qu’elle était la force qu’ils représentaient et la véritable puissance de cette force.
C’est ainsi que les syndicats, force essentielle, seule force véritable du prolétariat révolutionnaire, se sont trouvés conduits à revendiquer l’autonomie et l’indépendance du syndicalisme vis-à-vis dé tous les autres groupements politiques et philosophiques.
Aujourd’hui, malgré la réussite partielle et momentanée qui vient de couronner les efforts des partis socialiste et communiste, les syndicats révolutionnaires de tous les pays, groupés au sein de l’Internationale de Berlin (A.I.T.), ne se contentent plus de réclamer leur indépendance et leur autonomie. Ils affirment leur doctrine et l’opposent à celle des partis sur tous les terrains.
Il ne s’agit plus de « mendier » une neutralité plus ou moins bienveillante des partis vis-à-vis des syndi-cats, mais, pour ces derniers, de déclarer la guerre aux partis et de réaliser la formule de la 1ère Internationale, fortifiée par l’expérience : la libération des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes.
De même que les syndicats opposent :
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L’action directe des masses au bulletin de vote ;
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L’organisation sociale par les travailleurs au gouvernement des partis, ils ne pouvaient manquer d’opposer la grève générale expropriatrice et insurrectionnelle à l’insurrection.
La grève générale, arme syndicaliste et seulement syndicaliste, est l’acte suprême par lequel le prolétariat se libérera.
* * * *
Voyons, maintenant quelles sont les caractéristiques de la grève générale.
J’ai dit qu’elle marquait, d’abord et avant tout, la cessation de la production, l’arrêt du travail, en régime capitaliste.
Cela veut dire que les ouvriers, puis les paysans, doivent simultanément abandonner le travail ? Ceci implique-t-il qu’ils doivent quitter le lieu du travail, l’abandonner aux patrons ? Non. A l’encontre de ce qui se passe généralement en cas de grève, les ouvriers devront, en même temps qu’ils cesseront le travail, occuper le lieu de production, en chasser le patron,l’exproprier et s’apprêter à remettre en marche l’appareil arrêté, mais au compte de la révolution.
La cessation du travail, l’arrêt de la production n’ont donc pour but que d’exproprier les possédants capitalistes et de prendre en mains les instruments de production et d’échange, en même temps qu’on se débarrassera du pouvoir étatique.
De la durée de cet arrêt dépendra, tout l’avenir du mouvement révolutionnaire. Il conviendra donc :
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De réduire le temps d’arrêt au strict minimum ;
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De reprendre, aussi rapidement et aussi complètement que possible, les échanges entre les villes et les campagnes, et vice-versa.
Il ne faudra pas renouveler les expériences passées, perdre son temps à fêter la victoire. Il faudra l’organiser et immédiatement.
Du fait de la révolution, les besoins seront considérablement accrus. Il faudra les satisfaire aussi largement que possible.
De nos jours, une révolution qui ne permettrait pas d’augmenter rapidement la production, de réaliser un progrès tangible et presque instantané, serait infailliblement vouée à l’échec.
On peut en conclure que, selon que les syndicats seront ou non capables d’accomplir les tâches ci-dessus, la révolution VIVRA OU MOURRA. C’est toute la révolution qui se jouera donc dès les premiers jours.
Comment peut-on réduire au strict minimum le temps d’arrêt de la production et reprendre au plus vite les échanges ?
En utilisant immédiatement, sur le plan syndical, les forces conjuguées qui, de tout temps, ont assuré et assureront la vie de la société : les manœuvres, les techniciens et les savants.
Si cette conjugaison est opérée au préalable, toutes les forces de la production seront à pied d’œuvre et immédiatement — aussitôt la dépossession — la remise en marche de l’appareil de production et d’échange s’effectuera, sans à-coups, normalement, pour satisfaire les besoins de tous, pour donner à manger à la révolution.
Si cette concentration des forces n’est que partielle, le succès sera plus lent, plus difficile, moins complet. La vie de la révolution pourra être en danger. Si ces forces ne se soudent pas au plus tôt ; si, enfin, la conjonction n’est pas commencée,si les manuels, les techniciens et les savants n’opèrent pas, TOUT DE SUITE, leur groupement au sein du syndicat, c’en sera fait de la révolution. L’insurrection politique triomphera et, avec elle, un nouveau pouvoir étatique.
Il n’y a, à ce sujet, aucun doute à garder, aucune illusion à conserver. Le peuple se sera donné de nouveaux maîtres. Sa libération ne sera pas encore pour cette fois.
* * * *
En examinant la question des techniciens, j’ai déjà exposé les raisons essentielles qui devaient inciter tous les travailleurs :manuels, techniciens et savants, à réaliser étroitement et aussi rapidement que possible la fusion de tous les éléments de la production, sans attendre l’ouverture de la période révolutionnaire pratique.
J’y reviens avec la plus grande insistance et j’insiste avec plus de force que jamais auprès des éléments dont il s’agit pour que tous les travailleurs fassent au plus tôt leur unité de classe.
Cette unité de classe est le facteur décisif de la lutte qui s’engagera lors de la déclaration de grève générale insurrectionnelle et expropriatrice, premier acte de la révolution.
La suppression de la propriété individuelle qui permet, seule, de réaliser l’égalité sociale, par le nivellement des classes, obligera les travailleurs à jeter immédiatement les bases d’un nouveau système, dont le syndicat sera le fondement industriel et l’union locale (ou commune) le fondement social.
Le nouvel ordre social, comme tous ceux qui l’ont précédé, sera conditionné par le caractère de la production, par son organisation, sa répartition, son utilisation, son échange.
C’est donc essentiellement sur le plan du syndicat, dans son sein, suivant ses directives, que doit s’effectuer le groupement de tous les éléments qui concourent à la production, à l’échange.
Si l’on veut bien se rappeler que la révolution doit abolir la propriété individuelle dès le premier jour, on conviendra quetout individu valide, quel que soit le genre de son activité, doit trouver place dans un syndicat.
En période révolutionnaire, et longtemps après, toujours peut-être, le syndicat doit être et sera la cellule essentielle de l’ordre nouveau.
C’est lui qui aura charge, non seulement de provoquer l’arrêt du travail par la grève générale ; d’occuper, par ses membres, le lieu de la production ; d’organiser la production, sous le contrôle de l’Union locale ; mais encore de défendre les instruments de travail, par les armes, contre les entreprises réactionnaires.
Il est l’agent d’exécution permanent, dans tous les domaines, des décisions locales, régionales et nationales sur son plan particulier, dans toute l’étendue de sa sphère. C’est lui qui, pratiquement, organisera la grève générale, suivant les décisions prises. C’est donc un organe complet, qui doit continuer à être la base du système nouveau, comme il est la base de notre organisation ouvrière actuelle.
Les Conseils d’usine, les Comités d’ateliers ne doivent être que les agents du syndicat, constamment contrôlés par lui. C’est le syndicat qui coordonne l’action des Conseils d’usine et centralise leurs renseignements. Le syndicat est un organisme industriel. Le Comité d’atelier et le Conseil d’usine, de chantier, de magasin, de bureau, de gare, de port, etc., ne sont que des sous-organismes industriels, de métier. Cette différence suffit à assigner aux uns et aux autres leur véritable place dans l’ordre industriel et social.
* * * *
Après cette digression nécessaire, revenons à la grève générale elle-même.
Je déclare tout de suite qu’elle doit être préparée soigneusement par un Comité de grève générale, secret autant que possible, fonctionnant au sein de tous les organismes syndicaux : syndicats, Unions locales, Unions régionales et C.G.T.
Chacun de ces organismes, guidé par les décisions des Congrès et des Assemblées syndicales à tous les degrés, a pour mission de préparer, sur son plan, l’action générale du prolétariat.
A la C.G.T., il appartient de dresser le plan général et de le transmettre à l’Union régionale ; à l’Union régionale, il incombe de dresser le plan d’action de la région, en accord avec les directives confédérales ; aux Unions locales, il est dévolu d’organiser l’action locale, selon les indications du plan régional ; aux syndicats, est réservé le rôle d’exécuter l’action locale, en utilisant les moyens qui leur paraîtront les meilleurs.
C’est la deuxième partie du cycle du mouvement fédéraliste qui s’accomplit. A la discussion succède la décision et à celle-ci succède l’action. Cette dernière est la conséquence des délibérations des syndicats réunis en Assemblées générales et en Congrès, dont les Unions locales et régionales et la C.G.T. sont les organes d’exécution des décisions.
On comprendra aisément que je n’entre pas ici dans le détail de l’organisation, à tous les degrés de la grève générale insurrectionnelle et expropriatrice.
Je me borne à demander très instamment aux organismes qualifiés de préparer ce travail aussi activement que possible.
De la façon dont sera préparée la grève générale expropriatrice et insurrectionnelle dépend le salut de la classe ouvrière.
— Pierre Besnard.
GRIMOIRE
n. m. (de grammaire)
Livre dont se servaient les sorciers et les magiciens pour se livrer à des opérations surnaturelles et évoquer les démons. Les charlatans ont existé de tous les temps et les sorciers des siècles passés prétendaient, en consultant leurs grimoires, composés avec des signes cabalistiques et des mots étranges, dévoiler le présent, le passé, et l’avenir. Les naïfs et les ignorants se laissaient influencer par cette comédie.
Il ne faut pas trop se moquer de nos ancêtres qui croyaient en la puissance révélatrice des magiciens. Nous assistons, de nos jours, à des stupidités aussi grossières et les gens qui consultent les cartomanciennes pour connaître leur destinée, ne sont nullement supérieurs à leurs aînés qui consultaient les sorciers. Et puis, toutes les paroles prononcées dans les églises par les prêtres de toutes les religions, et auxquelles une foule de gens accordent une certaine vertu, ne sont-elles pas dignes de figurer au grimoire, qui est l’évangile de tous les imbéciles ?
Au figuré, on appelle grimoire une écriture ou un texte difficile à déchiffrer. Les lois que votent nos parlementaires sont généralement de véritables grimoires. Les textes en sont si obscurs, que les magistrats qui sont obligés de les appliquer ne sont jamais d’accord sur l’interprétation qu’il faut leur donner, et tout naturellement c’est le peuple qui a à subir ces lois, qui en est victime.
GRIPPE-SOU
n. m.
Autrefois, on donnait ce nom à celui qui recevait les rentes moyennant une petite remise. Aujourd’hui, ce terme s’adresse à l’individu, homme ou femme, qui cherche à gagner, à soutirer, à dérober de l’argent en employant de petits moyens sordides. II ne faut pas confondre le grippe-sou et l’avare. L’avare a un amour immodéré de l’argent et, lorsqu’il en a en sa possession, il ne le laisse pas échapper, mais il n’usera pas forcément de moyens condamnables pour s’en procurer. Au grippe-sou, tous les moyens sont bons. Le mendiant qui use de subterfuges, de tromperies, de ruses, pour apitoyer le passant et lui soutirer quelques pièces de monnaie, est un grippe-sou.
GRISERIE
n. f. (de griser)
La griserie est une demiivresse. Lorsqu’un individu n’est plus dans son état normal par suite d’une consommation excessive de boissons alcoolisées, sans pour cela avoir perdu conscience de ses actes, on dit de lui qu’il est gris. L’état dans lequel il se trouve est la griserie.
La griserie est souvent accidentelle ; si elle se répète trop fréquemment, elle devient de l’ivresse, et l’individu qui s’y livre est un ivrogne. On ne se grise pas seulement avec des boissons alcooliques. L’emploi de certains soporifiques, tels l’opium, la morphine, la cocaïne, vous jette également dans un état de griserie. Un grand nombre d’êtres faibles et désabusés se laissent entraîner à la griserie pour les sensations qu’elle procure, sans s’apercevoir que, petit à petit, ils s’orientent vers la folie et la mort.
Le mot griserie s’emploie aussi au figuré pour désigner l’état de surexcitation et d’exaltation morale dans lequel se trouve un individu. La griserie du succès ; la griserie de l’espérance. C’est une véritable griserie qui s’empare d’une population au moment des élections et qui lui fait accomplir, malgré l’expérience et l’exemple du passé, l’acte ridicule et inutile du vote. Faut-il tant s’en montrer surpris lorsque l’on sait tous les procédés employés par les candidats pour griser les foules ? Espérons que l’heure est proche où les peuples, enfin dégrisés, ne seront plus composés que d’hommes sains d’esprit, débarrassés du narcotique politique, et qu’ils pourront poursuivre ainsi la marche ascendante de la civilisation.
GRISOU
n. m. (nom wallon)
Le grisou est un gaz hydrogène carboné, mélangé plus ou moins d’azote et d’acide carbonique. Il est moins combustible que tous les autres gaz, mais il devient explosif lorsque, dans un certain espace, il forme plus que la treizième partie de l’air atmosphérique auquel il est mélangé.
Formé dans les pores de la houille par la décomposition de matières végétales, le grisou s’accumule et séjourne dans des poches naturelles existant au sommet des couches de charbon. Lorsqu’une de ces poches crève, le grisou s’en échappe et le moindre contact avec la flamme produit l’explosion.
Comme il est impossible au mineur de travailler sans lumière, on comprend tout le danger que comporte ce métier. Des milliers et des milliers de malheureux esclaves du sous-sol ont déjà laissé leur vie au fond de la mine et chaque jour la liste macabre s’allonge. Le grisou fait à chaque moment de nouvelles victimes malgré la lampe inventée en 1815 par Davy et qui, dans une certaine mesure, met le mineur à l’abri des coups du grisou.
Il faut dire que, bien souvent, les catastrophes minières sont dues à la négligence coupable et intéressée des compagnies exploitantes. Les bénéfices scandaleux réalisés par les possesseurs du sous-sol devraient permettre de donner aux travailleurs le maximum de garanties ; mais les compagnies minières ne sont touchées que par les sommes de profit réalisé et n’hésitent pas à pousser la production au point de mettre en danger l’existence du personnel. Chaque fois qu’un coup de grisou se produit au fond d’une mine, jetant sur le pavé veuves et orphelins, des promesses sont faites assurant les travailleurs que, dans l’avenir, toutes précautions seront prises pour que de semblables catastrophes ne se reproduisent plus. Mais le temps passe, l’oubli aussi, et les morts s’ajoutent aux morts. Le grisou poursuit ses ravages.
Quand donc les progrès de la science seront-ils mis au service de la collectivité ? La houille blanche pourrait de nos jours, si des intérêts particuliers n’entraient pas en jeu, répondre aux besoins des populations et ainsi se terminerait l’effrayant cauchemar du grisou. Notre société bourgeoise et capitaliste, conservatrice à l’excès, semble ignorer toutes les richesses naturelles qui, sagement exploitées, n’obligeraient plus le mineur à travailler dans la profondeur de la nuit, pour arracher à la terre, la lumière et la chaleur.
C’est justement parce que la société moderne, mue par des intérêts particuliers, ne veut pas mettre au service de la collectivité tout ce qui pourrait être utile aux humains, que nous sommes des révolutionnaires. Il serait, certes, fou de prétendre que, dans les conditions présentes, au lendemain d’une révolution victorieuse, la nouvelle société serait immédiatement à l’abri de toutes catastrophes minières et que le grisou ne ferait plus de victimes. Mais nous pensons que, dans une société organisée sagement, les catastrophes seraient de moins en moins fréquentes, tous les progrès de la science étant mis au service du travailleur et toutes les précautions étant prises pour garantir la vie de ceux qui œuvrent péniblement pour assurer le bien-être de l’humanité.
GROTESQUE
adj. (de l’italien grottesco ; de grotta, grotte)
Caractère de ce qui est inharmonique et incohérent. Image ou figure qui rend risible la nature en la contrefaisant. Une peinture grotesque ; un dessin grotesque.
Au figuré, le mot grotesque s’emploie comme synonyme d’extravagant ou ridicule. Un homme grotesque ; une idée grotesque.
Tout ce qui est grotesque ne porte pas toujours à rire. En ce triste monde, il y a une foule de personnages grotesques émettant des idées stupides et dangereuses pour le bien de l’humanité, qui sont pris au sérieux par le pauvre peuple ignorant. Les grotesques ne se rencontrent pas seulement sur la piste du cirque ou sur la scène du théâtre. On les trouve aussi dans les couloirs et sur les bancs des parlements ; on peut les voir dans les prétoires et dans les chambres de justice où ils jouent la plus sinistre des comédies humaines ; on les rencontre dans toutes les armées, chamarrés d’or, de médailles et de galons, travaillant à préparer les futures boucheries. Et lorsque l’on songe à tout le mal qu’ils ont fait, qu’ils font et qu’ils feront encore, le sourire se traduit par des larmes amères.
« Le ridicule tue », dit un proverbe. Si cela était vrai, il y a longtemps déjà que nous serions débarrassés de tous les grotesques qui nous entourent et que nous pourrions vivre heureux dans un monde régénéré et libre.
GROUPEMENT
n. m. (du mot italien groppo)
On appelle groupement un ensemble d’individus partageant les mêmes opinions ou liés par les mêmes intérêts. Un groupement politique ; un groupement industriel ; un groupement social.
De plus en plus, à la faveur des événements, par l’étude et par l’observation, et cela dans toutes les branches de l’activité humaine et sociale, les individus se rendent compte que l’isolement leur est néfaste et que, seule, l’association peut leur permettre de soutenir et défendre les intérêts qui leur sont propres. Que ce soit politiquement, socialement ou économiquement, l’individu est sacrifié à la collectivité et, à mesure que se développeront les progrès de la science et de l’industrie, cette immolation s’accentuera et s’intensifiera démesurément.
Nous n’en sommes plus à l’époque légendaire où l’homme partait seul à la conquête du monde. L’âge est passé où l’individu, travailleur, négociant ou artisan, pouvait, dans une certaine mesure, vivre entouré uniquement de sa famille, détaché de toute l’ambiance. Le siècle du travail individuel est passé. Les découvertes nombreuses qui ont enrichi l’humanité depuis une centaine d’années, leur application à l’industrie, le développement du commerce, ne permettent plus à l’individu d’ignorer ses semblables. Il est obligé, à moins de se laisser écraser, de rentrer dans la grande association humaine et de participer au concert collectif.
Le capitalisme, le premier, fut obligé d’avoir recours au groupement pour se développer. Quel serait, aujourd’hui, l’homme assez puissant, assez riche, pour financer à lui seul les immenses réseaux de chemins de fer qui sillonnent le monde ; où trouverait-on le Crésus qui serait susceptible d’entreprendre l’exploitation de toutes les richesses souterraines : charbon, fer, pétrole, dont l’intensité de la vie moderne a développé les besoins ? Les grandes compagnies, les sociétés anonymes, ont remplacé le patronat isolé, le patronat individuel, car aucun homme n’est assez grand pour entreprendre seul, et à son seul profit, l’exploitation de toutes les richesses sociales.
Nous savons que la situation économique d’une puissance influe directement sur sa situation politique ; nous avons dit, d’autre part, que les parlements n’étaient que des institutions subordonnées à la ploutocratie financière et industrielle d’une nation, et de même que le capitalisme fut obligé de se former en groupements, le parlement se divise en groupes, chacun d’eux représentant une fraction du Capital.
Cette situation de fait a automatiquement déterminé tous ceux qui souffrent de l’ordre social établi à rechercher les moyens propres à lutter contre les forces d’exploitation qui ne se présentaient plus sous le même angle que dans le passé. On ne bataille pas contre le patronat organisé et groupé, de la même façon qu’on bataillerait contre un patronat individuel. A une force organisée, il faut opposer une force organisée, et c’est ce qui a entraîné le prolétariat à fonder sur le terrain économique, c’est-à-dire dans les cadres de la corporation, des syndicats groupant, à quelque tendance qu’ils appartiennent, les travailleurs qui, individuellement, seraient incapables de se dresser contre les prétentions de ceux qui, non seulement détiennent la richesse économique, mais qui dirigent aussi tous les rouages des sociétés modernes.
Nos lecteurs trouveront par ailleurs (voir Confédération générale du Travail, etc., etc.) tout ce qui peut les intéresser et les initier sur les différentes formes de groupements de travailleurs. Nous ne pouvons, une fois de plus, que déplorer que les divisions politiques, qui sont nées au sein de la classe ouvrière, ne permettent pas l’union de toutes les forces travailleuses en un vaste groupement unique, capable de résoudre en une formule lapidaire les buts qu’il se propose et les moyens dont il dispose pour les atteindre.
Le groupement, en une seule organisation, de toutes les forces prolétariennes, n’empêcherait du reste pas l’existence d’autres groupements d’avant-garde, luttant pour un but précis et bien déterminé. Pour les libertaires communistes, qui considèrent le syndicalisme comme un moyen et non comme un but, l’unification des forces ouvrières ne serait pas une raison suffisante pour dissoudre leurs groupements. Nous avons, à maintes reprises, déclaré que les groupements syndicaux ne pouvaient s’étendre et se développer que s’ils ne se couvraient d’aucune étiquette politique et philosophique, de façon à ce que chaque adhérent se sente bien chez lui, quelles que soient ses opinions politiques ou philosophiques. Chaque travailleur, s’il est exploité et, par conséquent, victime de la forme économique arbitraire de notre société, a sa place dans le groupement syndical. Le syndicalisme, à nos yeux — et nous l’avons déjà dit — est d’essence réformiste ; il devient révolutionnaire à la faveur des événements, parce que les événements sociaux sont déterminés par la situation économique qui évolue de façon méthodique ; quant à donner une couleur révolutionnaire, un esprit révolutionnaire au syndicalisme, ce fut une erreur qui se perpétue encore de nos jours et qui entrave le développement du syndicalisme mondial.
Et c’est précisément parce que nous ne prêtons aux groupements syndicaux aucun principe révolutionnaire, mais seulement une valeur révolutionnaire, que nous sommes des anarchistes communistes et que nous considérons que, quelle que soit l’activité bienfaisante du syndicalisme, il nous faut intensifier notre propagande pour former, plus nombreux toujours, des groupements d’anarchistes.
Il en est de l’anarchisme comme de toutes les autres opinions philosophiques, économiques, politiques ou sociales. Il fut un temps où certains paradoxes trouvaient chez nous une oreille sympathique. La formule : « l’homme fort, c’est l’homme seul », ne fera plus maintenant de ravages dans nos rangs. Les anarchistes qui, plus que tous autres peut-être, étudient les problèmes de la vie, se sont rendu compte que ce n’était que par le groupement de leurs forces qu’ils pouvaient espérer exercer une influence, et ils ont entrepris, ces dernières années, de s’organiser sérieusement et méthodiquement.
Certes, il y a un certain flottement qui se manifeste encore au sein des groupements anarchistes. L’anarchisme sort à peine de son stage philosophique et idéologique ; il a cherché sa voie ; il s’est trouvé en butte à une foule de difficultés qu’il a cependant réussi à surmonter et, maintenant, il n’est pas un mouvement d’avant-garde qui ne soit obligé de compter avec les forces de l’anarchisme qui s’organise.
La peur des mots et des formules nuit encore présentement au développement des groupements anarchistes. Ceux qui n’ont rien appris de la catastrophe de 1914, les « en dehors », ceux qui perpétuent la confusion et se refusent à reconnaître à l’anarchisme un rôle social et révolutionnaire, rendent difficile la besogne à laquelle se livrent les libertaires communistes, en interprétant d’une façon erronée leurs gestes et leurs paroles.
On prétend que l’organisation est une forme de l’autorité et qu’il ne peut y avoir organisation s’il n’y a pas autorité. Cela est une profonde erreur et tous les anarchistes communistes se refuseraient à participer à un mouvement élaboré sur des bases unitaires. Mais nous pensons cependant qu’un groupement anarchiste ne peut pas être le refuge de tous les dévoyés, de tous les mécontents, de tous les rebuts de la société bourgeoise, vomis de toutes les autres organisations.
La vie d’un groupement n’est possible que si chacun accepte un minimum de discipline sans laquelle il est matériellement impossible de faire œuvre utile. Nous avons cru, un moment, qu’un groupement composé d’éléments anarchistes de différentes tendances était viable ; nous nous sommes trompés et nous reconnaissons notre erreur. Que les anarchistes se groupent ; une fois bien déterminé le genre d’action et de propagande auxquelles ils veulent se livrer, que rien ne les arrête, puisque les décisions sont prises en commun. Est-ce là faire de l’autorité ? Nous ne le pensons pas. Personne n’est contraint par la force d’entrer dans un groupement anarchiste ; mais une fois qu’un membre adhérent a pris un engagement, il est de son devoir de le tenir, ou de se retirer de l’organisation, du groupement avec lequel il n’est plus en accord.
Personne ne conteste plus aujourd’hui l’utilité du groupement, et le plus farouche individualiste se trouve lui-même désorienté lorsqu’il est seul. Le groupe est le pilier sur lequel reposent les sociétés autoritaires, parce que les puissants ont compris qu’il était de leur intérêt de s’unir pour retarder le plus possible le démembrement et l’écroulement de la société bourgeoise. Il nous faut, si nous voulons vaincre, et si le révolutionnarisme n’est pas qu’un vocabulaire utilisé par les politiciens pour tromper le peuple, que nous nous groupions pour organiser la société de demain.
L’individu libre dans son groupe et le groupe libre dans la société, ce n’est pas, que nous sachions, une formule autoritaire ; mais pour pouvoir réaliser cela demain, il nous faut aujourd’hui avoir le moyen de diffuser nos idées, de les faire comprendre, de les faire admettre par le plus grand nombre d’individus, et c’est pourquoi il est indispensable que les anarchistes communistes se groupent, pour trouver, en joignant leurs efforts, les ressources financières et morales que nécessite un tel travail.
Ayons confiance en l’avenir ; les groupements anarchistes deviendront de plus en plus nombreux, de plus en plus féconds. A mesure que la faillite des partis politiques se développe, que les politiciens perdent la confiance que le peuple leur accordait, l’anarchisme gagne en surface et en profondeur et sera demain maître du monde, parce que seule la forme communiste anarchiste d’une société peut assurer à l’humanité la stabilité et la paix.
— J. CHAZOFF.
GUERRE
n. f.
On fait la guerre « pour gaigner », disait Blaise de Montluc. Ces paroles résument les causes de toute guerre. Chez les primitifs, disséminés en tribus isolées, ce sont des coups de main organisés par des jeunes gens aventureux dans le dessein de piller. Les montagnards, vivant chichement dans leurs rochers, descendent en plaine, après les moissons, pour razzier les récoltes, amassées par les cultivateurs. Les nomades du désert, les pirates de la mer, font aussi des incursions rapides dans les territoires civilisés et riches, et s’enfuient en emportant leur butin. La guerre d’aventure s’est perpétuée à travers les âges ; mais dans les temps modernes elle devient de plus en plus difficile ; la guerre est maintenant une industrie officielle, réservée aux grandes puissances.
Il y a aussi, chez les primitifs, de grandes guerres d’émigration. La surpopulation oblige une partie d’un peuple à essaimer ; ou bien une tribu ou un ensemble de tribus, vivant sur un sol appauvri, part à la conquête d’un territoire fertile en vue d’un nouvel établissement. Les peuples primitifs ont chacun leur religion strictement nationale, avec des rites et des initiations qui interdisent toute assimilation, tout mélange. Ils sont férocement xénophobes. Ils refoulent les autochtones, ou, comme les anciens Israélites, les massacrent jusqu’au dernier.
D’autres asservissent les populations conquises. Le mode de conquête dépend d’ailleurs de la masse des envahisseurs, ou plus précisément, du rapport des densités des populations aux prises. S’il s’agit d’une émigration en masse, elle fait territoire net. Si les conquérants sont peu nombreux, ils deviennent parasites des vaincus, tout en conservant leurs dieux, leurs coutumes, leurs totems particuliers ; ils forment une caste privilégiée et rejettent les vaincus dans une caste inférieure avec laquelle il est interdit de se mélanger par mariage. Pourtant, si les vaincus ont une civilisation supérieure, les nouveaux maîtres se contentent d’imposer leurs dieux au-dessus des divinités indigènes, et finissent assez souvent par s’amalgamer à la population conquise, tout au moins par en prendre les mœurs.
Dans les temps modernes, lorsque les conquérants européens arrivent dans un territoire habité par une population dense et industrieuse, ils en font une colonie d’ « exploitation ». Quand ils se trouvent en présence d’une population clairsemée et arriérée, ils la refoulent peu à peu, comme il est arrivé des Peaux-rouges et des Australiens, et s’installent à sa place. Il faut toutefois tenir compte du facteur climatique ; les régions équatoriales ne peuvent pas être des colonies de peuplement, elles restent colonies d’exploitation.
Lorsque, dans l’histoire des peuples, les royaumes se sont constitués, que les populations, fixées au sol, ont acquis une technique leur permettant de vivre de la culture, la guerre devient affaire de princes. Les seigneurs et les rois font la guerre pour acquérir profit d’abord, et gloire ensuite. Si, parfois assez longtemps, subsistent les mœurs primitives, mœurs effroyables, sans merci pour les vaincus, condamnés en bloc à mort ou à l’esclavage, les conquérants arrivent à comprendre que leur intérêt bien entendu est de laisser travailler les populations librement, au moins en apparence, et de leur imposer redevance. Les rois cherchent à tirer rançon de leurs rivaux et, mieux encore, à les réduire en vassaux et tributaires. La classe noble vit, elle aussi, de la guerre. Elle la considère comme le seul métier qui lui convienne. Elle tire profit du pillage, elle tire aussi profit des rançons obtenues des adversaires de son rang. Le métier des armes arrive à être pratiqué comme un sport, avec une règle de jeu, mais seulement entre gens de la même caste, et de caste aristocratique. La période féodale, chez presque tous les peuples, a donné des récits de défis, de combats singuliers, de prouesses individuelles. Gentillesse, courtoisie, loyauté sont l’apanage des chevaliers bien nés, à quelque nation qu’ils appartiennent — vertus, bien entendu, idéalisées par les poètes. Le pauvre peuple, exposé aux massacres, aux violences et au pillage, aux dépens duquel se fait la guerre, qui paye rançons, tributs et redevances, dus par ses maîtres, est considéré comme un vil bétail. Quant aux soudards et simples gens de pied, qui font le gros des armées, ce sont, pour la plupart, individus sans aveu et voleurs professionnels.
Le résultat de toute conquête est d’augmenter les ressources du roi vainqueur, en augmentant le nombre de ses tributaires. L’impôt n’est pas autre chose qu’un tribut dû au monarque, au seul usage du monarque, d’essence divine, et destiné à l’entretien et à la splendeur de la maison royale, un gouffre. Un roi n’est jamais rassasié de richesses. Il conquiert pour l’agrandissement de sa puissance et de son faste. Un conquérant heureux crée un empire qui s’écroule un jour, disloqué par la coalition des peuples menacés ou par la révolte des peuples asservis.
Les empires tiennent plus longtemps, au fur et à mesure qu’ils s’appuient sur une civilisation plus développée et une administration mieux comprise. Quand la République romaine a étendu sa domination, les conquêtes se sont faites non d’après le caprice d’un roi, mais soi-disant dans l’intérêt du peuple, au début intéressé directement aux guerres d’offensive ou de défense, en réalité d’après la politique et le profit d’une aristocratie. L’assimilation a suivi la conquête. Le soutien et le maintien de l’empire romain reposent sur cette assimilation et sur la participation des classes moyennes et des classes riches de toutes les provinces à la civilisation gréco-romaine. L’empire s’est écroulé plus tard par l’effet d’une inégalité sociale excessive, devant l’invasion des Barbares.
Il ne pouvait guère y avoir de sentiment national, ni de patriotisme, dans un tel empire étatisé, ni même de rivalités provinciales, puisque l’assimilation était générale. Le patriotisme et le sentiment national ont continué à faire défaut sous la féodalité, où la religion était individuelle et universelle à la fois, où les guerres étaient affaires de princes et non du peuple. La renaissance du sentiment national et du patriotisme s’est faite avec la Révolution française, avec la formation des démocraties modernes. Ce sont les guerres de Napoléon qui ont fait surgir les nationalismes actuels, avec ce sentiment de supériorité sur les autres peuples qui est une reviviscence de la mentalité des primitifs.
Le sentiment patriotique a été un admirable instrument pour l’ambition politique des rois, ou, dans les pays constitutionnels, pour la cupidité des oligarchies capitalistes gouvernantes. De nouveaux impérialismes sont nés. Mais ils ont pu difficilement se développer et s’étendre en Europe même, à cause de l’existence et de la résistance des nationalismes voisins et concurrents, surtout dans l’occident du continent. Ils se sont en grande partie développés sous forme d’empires coloniaux. Cette sorte d’impérialisme a d’ailleurs existé à différentes époques de l’histoire humaine, mais à des époques relativement modernes. Une oligarchie de marchands a entrepris des conquêtes, souvent fort éloignées de la métropole, pour s’assurer des monopoles de matières premières, des marchés et des débouchés. Sa politique s’est affirmée avec autant de cruauté et de mauvaise foi, mais avec moins de brutalité et plus d’habileté que celle des conquérants de caste guerrière. Carthage dans l’antiquité, Venise et Gênes au Moyen-Âge, l’Angleterre et la France dans les temps modernes, sont des exemples de cet impérialisme.
Les conquêtes coloniales ont heurté les peuples dans l’antiquité (Carthage et Rome), au Moyen-Âge (Venise et l’empire d’Orient). Elles sont une possibilité de conflit général à l’époque moderne. Les Etats-Unis d’Amérique et les grandes puissances européennes affrontent leurs impérialismes. Et il faut compter maintenant avec l’éveil des populations asservies. Déjà celles d’Asie paraissent vouloir conquérir leur indépendance.
La guerre de 1914. — La guerre de 1914 est justement née du heurt des impérialismes, s’efforçant d’imposer leur hégémonie à leurs rivaux. Nous n’avons pas souhaité cette guerre, nous avons fait toute la propagande possible contre le militarisme et le nationalisme. Mais devant le fait accompli, quelle attitude convenait-il de prendre ? celui des tolstoïens, celui des individualistes ou celui des ouvriéristes à la façon marxiste ? Je dirai ici le point de vue de Kropotkine, qui apparaîtra dans cette encyclopédie comme un point de vue hérétique. Les idées de Kropotkine ne sont pas des idées de circonstances, il les avait depuis longtemps exprimées et notamment lors de son dernier voyage à Paris en 1913.
« Ce serait un recul pour toute la civilisation européenne que le triomphe du militarisme allemand, militarisme modèle, que s’efforcent d’imiter les militarismes rivaux et qui est, sinon leur raison d’être, du moins la raison de leur force et de leur splendeur. Le triomphe du militarisme allemand serait celui de l’Autorité et la prédominance de l’esprit d’obéissance et de discipline, qui règnent en Allemagne, même chez les social-démocrates. C’est l’Allemagne qui est la citadelle de la réaction en Europe. Son progrès technique couvre une véritable servitude morale ; les conquêtes morales de la grande Révolution ne l’ont pour ainsi dire pas entamée. Or le facteur moral a une importance énorme pour le progrès humain. C’est pourquoi la France doit être défendue. — Le tzarisme, tout aussi réactionnaire que l’autocratie allemande, est beaucoup moins à craindre, car il ne dispose que d’une civilisation technique très arriérée, et il ne peut vaincre que grâce à l’appui des démocraties occidentales. Même victorieux, il sera fortement ébranlé et il ne peut rien imposer. Mais ce serait un danger immense pour l’Europe que la Russie passât sous la tutelle allemande. La victoire germanique restaurerait l’autorité tzariste et le régime des hobereaux avec une administration plus serrée, plus stricte, plus méthodique, avec une organisation technique moderne au service de la réaction féodale, qui scelleraient pour des siècles la servitude des moujiks et le silence effrayé du monde entier. »
Les rivalités impérialistes n’ont pas disparu après la guerre de 1914–1918. Mais sans doute ne pourront-elles pas reproduire un tel cataclysme. Certes, les expéditions coloniales continueront, tant que les peuples exotiques ne seront pas arrivés à l’esprit d’émancipation. Mais les grandes guerres demandent argent et crédit, un crédit énorme. Elles ne payent pas. Elles sont un j eu dangereux. Elles obligent les gouvernements à armer la nation toute entière. En cas de démoralisation, c’est-à-dire en cas où le sentiment d’obéissance faillirait (ce qui se produit avec la défaite), les gouvernements risquent d’être balayés, et le régime capitaliste en même temps. Voilà pourquoi le risque des grandes guerres parait écarté en Europe.
Que reste-t-i1 au bénéfice de la guerre, en général ? Peut-être celui d’avoir brassé les peuples et d’avoir aidé aveuglément à la disparition des vieilles coutumes et à la suppression de quelques barrières. Le progrès humain peut désormais utiliser consciemment d’autres moyens.
— M. PIERROT.
GUERRE
Nous entendons, par le mot « guerre », un état d’hostilité déclarée, entre deux peuples, ou groupes de peuples, et qui comporte des luttes armées.
Ce mot désignait, dans le passé, deux sortes de conflits armés : les uns, entre nations différentes, appelés guerres étrangères, ou guerres internationales ; les autres, entre deux fractions importantes d’une même population, appelés guerres civiles.
Autrefois, les guerres entre provinces avaient, en effet, les mêmes caractéristiques que les guerres entre nations, l’organisation féodale ne comportant pas la centralisation ni l’unification des pouvoirs. Chaque seigneur pouvait lever une armée, sa vassalité à l’égard du souverain n’entraînant pas sa sujétion ou sa subordination complètes.
Mais, aujourd’hui, la guerre civile se distingue très nettement de la guerre internationale, tant par son caractère intrinsèque que par la nature des groupes qu’elle met en présence. Elle exprime, le plus souvent, des conflits entre classes sociales. C’est donc, à présent, la guerre internationale, la guerre entre peuples, qui est la guerre proprement dite, et que doit désigner le mot guerre lorsqu’il n’est accompagné d’aucun qualificatif.
Remarquons qu’au sens juridique du mot, il n’y a guerre que lorsqu’il y a un état d’hostilité entre Etats.
Nous ne pouvons accepter cette définition, qui a notamment comme résultat de ne pas faire considérer comme guerres les actes de brigandage colonial contre des peuples non reconnus comme nations.
C’est pourquoi nous faisons remarquer que, pour nous, la guerre est l’état d’hostilité et de lutte armée entre peuples.
Notons aussi que le mot guerre est pris quelquefois dans un sens figuré et qu’il signifie alors un état d’hostilité durable entre individus ou entre petits groupes, alors même qu’aucun acte de violence ne se manifeste.
C’est par la confusion, parfois involontaire, et parfois volontaire, entre ces deux acceptions du même terme, que certains détracteurs des idées pacifistes nient la possibilité de supprimer la guerre entre les nations, tant qu’elle existera entre les individus et les familles.
Ajoutons, enfin, que le terme guerre de classe désigne soit une guerre civile, c’est-à-dire un état de discorde entre deux classes sociales d’une même population, comportant des combats à main armée, soit simplement la lutte de classes se manifestant avec un certain degré de violence.
La guerre, au sens propre du mot, c’est-à-dire le violent conflit international, est devenue aujourd’hui le pire des fléaux, dépassant considérablement en horreur toutes les formes de guerres aux sens dérivés ou figurés.
Une nouvelle grande guerre européenne, avec les moyens nouveaux de destruction (gaz asphyxiants, microbes, tanks, avions, canons géants à longue portée), pourrait causer la mort de 80 millions d’êtres humains et entraîner la ruine de notre civilisation.
En face de la guerre, trois attitudes morales sont possibles.
La première tend à justifier la guerre en général, la prétendant moralisante et bienfaisante.
M. de Vogüé écrivait, à la fin du dernier siècle :
« Je crois, avec Darwin, que la lutte violente est une loi de nature qui régit tous les êtres ; je crois, avec Joseph de Maistre, que c’est une loi divine ; deux façons différentes de nommer la même chose. Si, par impossible, une fraction de la société humaine — mettons tout l’Occident civilisé — parvenait à suspendre l’effet de cette loi, des races plus instinctives se chargeraient de l’appliquer contre nous : ces races donneraient raison à la nature contre la raison humaine ; elles réussiraient, parce que la certitude de la paix — je ne dis pas la paix, je dis la certitude de la paix — engendrerait avant un demi-siècle une corruption et une décadence plus destructives de l’homme que la pire des guerres. J’estime qu’il faut faire pour la guerre, loi criminelle de l’humanité, ce que nous devons faire pour toutes nos lois criminelles : les adoucir, en rendre l’application aussi rare que possible, tendre tous nos efforts à ce qu’elles soient inutiles. Mais toute l’expérience de l’Histoire nous enseigne qu’on ne pourra les supprimer, tant qu’il restera sur la terre deux hommes et du pain, de l’argent, et une femme entre eux. »
Rares sont ceux qui osent soutenir de telles idées sous une forme aussi accentuée, depuis la guerre de 1914, qui a montré expérimentalement le caractère profondément démoralisant des boucheries humaines, ce que les autres guerres, plus courtes, avaient moins fait ressortir.
Aujourd’hui même, les nationalistes prétendent considérer la guerre comme un mal, mais employer, pour l’éviter, de meilleurs moyens que les pacifistes.
La deuxième attitude morale, est celle qui condamne certaines guerres et en admet d’autres :
-
La théologie catholique distinguait entre les guerres justes et les guerres injustes.
Selon saint Augustin, « on a coutume d’appeler guerre juste, celle qui a pour but de venger des injustices, lorsqu’il faut châtier une ville ou une nation qui n’a pas voulu punir une mauvaise action commise par les siens, ou restituer ce qui a été pris injustement ».
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Le mouvement pacifiste d’avant-guerre proclamait que les nations n’ont pas le droit, plus que les individus, de se faire justice elles-mêmes, mais affirmaient leur droit de légitime défense. C’est aussi l’idée d’une très grande partie des socialistes et des démocrates.
En conformité avec ces derniers principes, l’assemblée des délégués de la Société des Nations de 1927 a proclamé que toute guerre d’agression était un crime.
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Les communistes et certains socialistes révolutionnaires condamnent les guerres de défense en régime capitaliste, mais acceptent de prendre les armes pour défendre un régime prolétarien. Ils admettent aussi les guerres de libération de populations coloniales opprimées par les impérialismes.
La troisième attitude morale consiste à condamner toute guerre, quels que soient son but et son motif, à proclamer que tous les combats meurtriers sont criminels.
Ceux qui pensent ainsi sont aujourd’hui de plus en plus nombreux. En France, notamment, une évolution importante s’est produite depuis la grande guerre.
Autrefois, seuls étaient intégralement antimilitaristes les anarchistes, certains socialistes révolutionnaires antipatriotes, et quelques rares chrétiens tolstoïens, interprétant selon leur lettre les principes évangéliques.
Aujourd’hui, on trouve des démocrates, des socialistes réformistes, qui sans nier la nécessité et l’importance de l’indépendance nationale, n’admettent plus la guerre comme moyen de la défendre ; ils considèrent qu’à présent, les guerres défensives causent au peuple même qui se défend, un préjudice plus grand que celui qu’elles ont pour but d’éviter. De plus, l’expérience de la dernière guerre a également confirmé la difficulté de reconnaître l’agresseur et de départager les responsabilités au moment même où se déchaîne le conflit.
Nous affirmons qu’il est possible de supprimer les guerres, mais nous considérerions comme chimérique d’espérer, à bref délai, l’universalisation du refus de combattre, malgré l’évolution que nous signalons plus haut. La nécessité s’impose donc d’apporter des solutions positives au problème de l’organisation de la paix ; ces solutions, en tant qu’elles comportent le désarmement des Etats et la Fédération des Peuples, doivent avoir toute la sympathie des adversaires de l’autorité, puisqu’elles enlèveront aux pouvoirs nationaux une grande partie de leurs moyens d’oppression.
Tout transfert de souveraineté du national à l’international doit être approuvé, même par ceux dont l’idéal est l’abolition de toute souveraineté.
Pour rendre les guerres impossibles, les uns disent qu’il suffit d’obliger les nations à soumettre leurs conflits à un règlement juridique ; les autres disent qu’il faut supprimer complètement toutes les causes de conflit. Nous croyons que c’est à une solution moyenne qu’il faut tendre.
Rendre obligatoire la soumission de tous les différends entre nations à un arbitrage et enlever aux Etats le moyen de se faire justice eux-mêmes, constituerait, certes, un grand progrès ; mais la vraie paix devra être surtout fondée, non sur la force, même pas celle d’une puissance internationale, mais sur l’apaisement et le consentement. La garantie suprême du désarmement matériel, ce sera le désarmement moral, et celui-ci ne pourra être complet que lorsque, par l’organisation de la solidarité politique et économique des peuples, les causes essentielles des conflits auront disparu.
Tous les moyens doivent être mis en œuvre pour nous l’approcher du jour où tous les peuples du monde seront unis en une Fédération Politique, Economique et Intellectuelle.
— René VALFORT.
GUERRE (La guerre et le point de vue anarchiste)
Du 17 au 22 août 1926, s’est tenu, à Bierville (France), un Congrès dit : « Congrès sur la Paix par la Jeunesse ». Trente nations y étaient représentées par cinq mille délégués. Mais, hormis quelques rares délégués appartenant aux partis et groupements d’avantgarde révolutionnaires, tous les délégués appartenaient à la bourgeoisie capitaliste. Des vœux fervents en faveur de la Paix y ont été déposés et acceptés. De vibrants réquisitoires contre la Guerre y furent prononcés et accueillis de façon enthousiaste. Quelques moyens favorables à la lutte contre la Guerre y ont été proposés et votés. Diverses mesures destinées à favoriser l’avènement de la Paix y ont été proposées et consenties. Mais le fond même du débat n’a point été abordé ; on peut même affirmer que pas un délégué n’a prononcé sur les causes fondamentales et profondes de tout conflit armé, en cette époque d’Impérialismes rivaux et déchaînés, les paroles décisives qu’il fallait à tout prix taire entendre. Tous ces pacifistes purement sentimentaux se sont plus ou moins bornés à stigmatiser les horreurs de la Guerre et à célébrer les beautés de la Paix. Pas un n’a exprimé la conviction que la Guerre est inhérente au régime politique, économique et moral découlant du principe d’Autorité. C’est cette vérité que j’ai tenu à mettre en lumière, c’est cette impardonnable lacune que j’ai voulu combler, dans la lettre suivante, que j’ai adressée, le 20 août 1926, aux cinq mille congressistes :
« Messieurs,
Vous vous proposez de jeter les bases de la Paix par la Jeunesse.
Travailler pour la Paix est une des œuvres les plus augustes et les plus urgentes qu’il soit possible d’imaginer, et faire appel à la Jeunesse, c’est confier sagement à l’avenir le soin de réaliser cette œuvre magnifique.
Comme l’enfer, Messieurs, vous êtes pavés d’excellentes intentions et il ne peut venir à personne l’idée de vous refuser l’hommage que méritent ces intentions admirables.
Mais permettez à un homme qui possède quelque expérience et qui, depuis de nombreuses années, se penche, fervent et angoissé, sur le problème de la Paix, de vous faire connaître, loyalement et sans ambages, le résultat de ses longues cogitations.
Et d’abord, vous apprendrai-je quelque chose en vous disant que je n’ai jamais rencontré quelqu’un -homme ou femme — se déclarant, en principe, pour la Guerre ? Je ne pense pas et je ne dis pas que personne ne veut, n’appelle, ne désire la Guerre ; je dis simplement que personne n’ose, en temps de paix, s’affirmer ennemi de la Paix et partisan de la Guerre.
Il serait, au surplus, plus que jamais prodigieux qu’il en fût autrement : la Guerre maudite de 1914–1918 a laissé dans toutes les mémoires des souvenirs si horribles que, d’instinct, la conscience de chacun envisage comme une épouvantable calamité le retour d’une telle catastrophe et que, d’instinct aussi, tous forment des vœux en faveur de la paix.
Haine de la Guerre ; amour de la Paix ; si on fouillait dans les cœurs, ce sont deux sentiments qu’on trouverait à peu près dans tous.
Il serait donc banal et inutile de vous réunir en Congrès par centaines et par milliers, si vous deviez vous borner à vous affirmer partisans de la Paix, à pousser des acclamations, à chanter des hymnes, à organiser, en faveur de la Paix, de solennelles et grandioses cérémonies.
Je ne vous fais pas l’injure, Messieurs, de penser que ce soit là tout votre programme.
Votre programme doit avoir, il a certainement pour but d’étudier et d’arrêter les moyens pratiques propres :
-
A empêcher la Guerre ;
-
A fonder un régime de Paix stable et, si possible, définitif.
C’est ainsi, Messieurs, que se pose le problème de la Paix : tout le reste n’est que mise en scène, décor, solennité, faconde, attitude et pose sans sincérité, sans courage, sans signification précise, et sans influence sur le cours des événements d’où sortira demain ou la Guerre ou la Paix.
Il s’agit donc avant tout, et même uniquement, d’empêcher la Guerre. Un seul moyen s’offre à toute personne sensée. Ce moyen consiste à rechercher loyalement la cause véritable, profonde, essentielle, fondamentale des guerres et, cette cause étant découverte, à travailler de toutes ses forces à sa suppression.
Il est évident que, tant que ne sera pas abolie la cause, l’effet persistera.
Il sera possible, en certaines circonstances, de prévenir un conflit imminent et d’en ajourner le déclenchement ; mais cette victoire, purement occasionnelle, n’aura en aucune façon fortifié la cause de la Paix, celle-ci restant à la merci du lendemain.
Il est donc tout à fait indispensable, et avant toutes choses, de découvrir la cause véritable et essentielle d’où sort la Guerre, afin de dénoncer publiquement, de combattre et d’abattre cette cause.
Eh bien ! Messieurs, cette cause est aujourd’hui connue et, depuis plus d’un demi-siècle, les Anarchistes la dénoncent sans se lasser et sans qu’il ait été possible d’en nier sérieusement l’exactitude.
Cette cause, c’est le principe d’Autorité : principe qui, d’une part, fait surgir les conflits et, d’autre part, les résout et, au demeurant, ne peut les résoudre que par la force, la contrainte, la violence, la Guerre, indispensables corollaires de l’Autorité.
Car c’est l’Autorité, dans sa forme économique présente : le Capitalisme, qui suscite les convoitises, exaspère les cupidités, déchaîne les compétitions et dresse en bataille les impérialismes effrénés et rivaux.
Et c’est l’Autorité, dans sa forme politique actuelle : l’Etat, qui, ayant partie liée avec le Capital, manœuvre diplomatiquement et agit militairement sur le plan tracé par la Finance Internationale ; puis, l’heure venue, prépare, chauffe, entraîne les esprits, décrète la mobilisation, déclare la Guerre, ouvre les hostilités, établit la censure, réprime l’insoumission, emprisonne ou fusille les hommes courageux qui, s’étant affirmés contre la Guerre en temps de Paix (ce qui est fréquent et sans risque) persistent à se déclarer contre la Guerre en temps de Guerre (ce qui est rare et périlleux).
Je vous le répète, Messieurs, la cause de toutes les guerres, à notre époque, c’est l’Autorité : c’est le Capital et l’Etat.
Aussi, de deux choses l’une : ou bien, franchement, loyalement, vaillamment, inlassablement, vous pousserez vos recherches jusqu’à la découverte de la cause que les Anarchistes vous signalent et, dans ce cas, vous ne vous séparerez pas sans avoir pris l’engagement d ‘honneur de dénoncer publiquement cette cause et de la combattre par tous les moyens en votre pouvoir jusqu’à ce qu’elle ait été totalement et définitivement anéantie.
Ou bien, reculant devant l’immensité, les difficultés, les périls et les conséquences de la lutte implacable à entreprendre contre l’Autorité, vous vous arrêterez à mi-chemin, peut-être même dès les premiers pas ; et, dans ce cas, je vous le dis tout net, Messieurs, et sans la moindre hésitation, tellement j’ai la certitude de ce que j’avance : vous quitterez Bierville sans avoir rien fait et, par la suite, vous ne ferez rien qui soit de nature à empêcher la Guerre de demain et à fonder la Paix sur des assises de quelque solidité.
Au surplus, Messieurs, si vous êtes réellement et sincèrement des adversaires résolus de la Guerre, et des partisans irréductibles de la Paix, si vous ne l’êtes pas seulement en paroles et du bout des lèvres, mais en fait et du fond du cœur, vous ne vous séparerez pas sans que chacun de vous ait signé le serment que voici : « Je jure, en toute conscience, de consacrer désormais au triomphe de la Paix le plein de mes efforts et si, pourtant, la Guerre vient à éclater, je prends l’engagement sacré de répondre à l’ordre de mobilisation par un refus formel ; je jure de ne prendre, ni au front ni à l’arrière, ni directement, ni indirectement, une part quelconque aux hostilités ; et je m’engage à lutter, quels que soient les risques courus, contre la continuation de la tuerie et en faveur d’une paix immédiate.
Messieurs,
Si, de votre Congrès, sortait la double décision dont je viens de parler : lutte contre l’Autorité (l’Etat, le Capital), source de toutes les guerres ; et serment unanime et sacré de se refuser catégoriquement à prendre une part quelconque aux hostilités ; ah ! Messieurs, quel retentissement auraient, aux quatre points cardinaux, vos assises de Bierville ! Et, d’ores et déjà, quel coup mortel vous porteriez à la Guerre infâme et quel pas immense vous feriez faire à la cause de la Paix ! » (Sébastien FAURE)
Plusieurs camarades anarchistes firent le voyage de Paris à Bierville pour y distribuer aux congressistes cette lettre, tirée à un grand nombre d’exemplaires. Mais les faux apôtres du pacifisme bourgeois interdirent cette distribution et firent expulser les distributeurs. Nous présumions qu’il en serait ainsi ; car nous savions que prenaient part à ce Congrès nombre d’hommes d’Etat et de chefs de partis politiques, de curés et de pasteurs, de mercantis et d’industriels, peut-être même — ô formidable hypocrisie ! — des fabricants de canons, de munitions et d’outillage de guerre. Nous étions certains d’avance que, en dépit du battage de la presse mondiale, il ne sortirait de ce Congrès que comédie, verbiage, mariage symbolique de drapeaux de toutes nationalités, pompes oratoires, congratulations, accolades et balivernes de même insignifiance pratique. L’événement a confirmé nos prévisions.
La Paix ne viendra pas d’en haut, mais d’en bas. L’intérêt des classes possédantes et gouvernantes de tous les pays, la sauvegarde des privilèges qu’elles détiennent, le maintien du régime social dont elles sont les cyniques bénéficiaires exigent que persiste le régime de paix armée d’où sort fatalement et périodiquement la Guerre.
L’abolition du principe d’Autorité, cause de la Guerre est, seule, de nature à en faire cesser l’effet. Les peuples commencent à comprendre que la Guerre est une folie et un crime : folie de la part des peuples qui consentent à la faire, bien qu’ils ne peuvent qu’en mourir ; crime, de la part des Gouvernants qui en vivent.
Cette vérité qui, de nos jours, atteint l’éclat de l’évidence, les prolétaires de toutes les nationalités sont appelés à la percevoir de plus en plus nettement. Quand cette vérité pénétrera assez profondément la conscience des foules odieusement immolées sur les champs de carnage, alors, mais alors seulement, la Guerre disparaîtra, parce que la colère des masses laborieuses, en tuant l’Autorité, tuera du même coup la Guerre.
— Sébastien FAURE.
GUET-APENS
n. m. (de l’ancien français guet apensé, guet prémédité)
Action d’épier, d’attendre, durant un temps plus ou moins long, le moment propice d’accomplir une mauvaise action au détriment d’un ou de plusieurs individus. Action de dresser des embûches pour voler ou assassiner quelqu’un. Le guet-apens suppose donc la préméditation et est un crime puni par la loi.
Tous les guets-apens, ou plutôt ceux qui les organisent, ne sont cependant pas toujours déférés devant la justice. On pourrait même dire qu’ils se dressent avec la complicité de la magistrature. Le guet-apens, tout comme le complot, est une arme fréquemment utilisée par les agents de la bourgeoisie pour écraser, au moment opportun, la révolte ouvrière. Les provocations honteuses auxquelles se livrent les policiers au service du capitalisme, ne sont que des guets-apens que ne savent pas éviter toujours ceux qui en sont les victimes.
Il n’y a pas lieu de s’étonner que ce soient toujours contre les organisations d’avant-garde et contre leurs militants les plus actifs que s’échafaudent des guets-apens ; nous devons donc veiller à ne pas tomber dans les embûches qui nous sont tendues et à nous méfier de ceux qui cherchent à nous entraîner dans des aventures douteuses.
Que les opprimés fassent le guet et ils tomberont moins souvent victimes des guets-apens de la bourgeoisie et du Capital.
GUEUX
n. et adj. (mot d’origine argotique)
On appelle gueux, le malheureux, le misérable, le nécessiteux qui ne trouve pas de quoi satisfaire aux besoins les plus élémentaires de l’existence et qui en est réduit, pour vivre, à avoir recours à la charité publique. Sans foyer et sans famille, le gueux traîne sa lamentable personne dans les coins obscurs des grandes villes ; il est l’hôte habituel des asiles de nuit, lorsque ceux-ci veulent bien, pour quelques heures, lui donner l’hospitalité ; sans quoi on le retrouve sous les ponts, déguenillé et sale, cherchant dans le sommeil un peu d’oubli à ses misères.
Le jour il vagabonde, espérant trouver au hasard du chemin la croûte de pain qui lui permettra de ne pas crever de faim. Sous le soleil brûlant, sous le froid glacial, ou sous la pluie qui pénètre ses pauvres hardes en loques, il attend, durant des heures, à la porte des soupes populaires, pour consommer le bol d’eau grasse que l’assistance publique lui accorde quotidiennement. Véritable déchet humain, animé par aucune espérance, car son sort ne peut pas changer, chaque jour se répète pour lui aussi misérable, aussi terriblement vide. Les gueux ne se révoltent pas ; ils ne peuvent pas se révolter ; ils sont tombés trop bas ; ce ne sont plus des hommes.
La société ne devrait-elle pas rougir de comprendre en son sein de tels êtres ? Quoi ! la terre est fertile et capable de nourrir tous ceux qui l’habitent ; les magasins regorgent de vivres et, chaque jour, se perdent des millions de tonnes d’aliments, et il est encore des êtres humains qui crèvent littéralement de faim ! Et c’est cela que l’on voudrait nous faire accepter comme une manifestation de l’ordre ?
Qui donc ne s’est pas senti profondément émotionné à la lecture de la belle œuvre du poète qui a mal tourné : Jean Richepin, La chanson des gueux ? Qui n’a pas senti monter en lui un ferment de colère, de pitié et de révolte en lisant les poèmes si vivants de Jehan Rictus ? Mais ceci est de la vie pourtant, de la vie vraie, de la vie vécue, et ce n’est pas une légende qu’en notre vingtième siècle il existe des hommes qui ne mangent pas, qui ne dorment pas, qui n’ont rien, qui ne possèdent rien et qui ne posséderont jamais rien.
Non, il n’est pas possible que cela dure ; une organisation sociale qui permet une telle inégalité, qui accepte que des êtres vivants n’aient pas le nécessaire, l’indispensable, alors que d’autres se vautrent dans l’opulence et le superflu, une telle société est appelée à disparaître.
Il ne faut pas croire que les gueux sont tous des êtres ignorants et incapables de se rendre utiles. Ce sont presque toujours des faibles. Il faut savoir jouer des coudes dans notre belle société, et celui qui ne sait pas se faire valoir est impitoyablement écrasé. Et c’est pourquoi les gueux sont nombreux. Pauvres errants, ils n’ont rien à attendre de l’organisation sociale actuelle, sinon la mort. La philanthropie et la charité ne sont que des pis-aller qui, loin d’adoucir le sort des gueux, perpétuent leur calvaire, et ce n’est que dans la transformation totale de la société que l’on peut trouver un remède à ce mal social.
La bourgeoisie, qui est responsable de cette gueuserie, prétend que les gueux ne sont que les victimes de la paresse et de l’ivrognerie ; c’est une lâche calomnie à laquelle il n’est même pas utile de répondre, car la bourgeoisie se sent bien incapable d’ouvrir une porte aux gueux qui peuplent la terre. Et lorsque nous assistons à toute cette misère qui s’étale pitoyablement, lorsque nous rencontrons sur notre route, ces gueux qui sont nos frères, nous sentons se développer en nous, plus intensément encore, notre désir de révolte, puisque c’est par la révolution seulement que l’on pourra mettre un terme à ce régime d’injustice et d’inégalité qui nous étreint.
GUIDE
n. m. (du latin guida, même signification)
Ce qui sert à guider. Celui ou celle qui dirige, qui conduit, qui montre le chemin. Un bon guide ; un guide expérimenté ; un guide fidèle. Dans les excursions, dans les ascensions dangereuses, on emploie des guides qui connaissent le pays que les voyageurs veulent explorer.
Pour s’orienter sur la voie de sa libération et de son émancipation, le peuple a, lui aussi, besoin de guides. Malheureusement il ne sait pas toujours les choisir, et c’est l’unique raison pour laquelle il s’égare et s’éloigne si souvent de la bonne route. La plupart de ceux qui acceptent de servir de guides au peuple ne cherchent, en réalité, qu’à devenir leurs maîtres pour profiter de son ignorance. Mais le peuple a si souvent été trompé qu’il s’aperçoit à présent de ses erreurs et se détache petit à petit de ses mauvais guides.
A force d’emprunter les mauvais chemins où le conduisaient des guides intéressés, il a trouvé la bonne route et n’a plus maintenant qu’à la poursuivre. Qu’il se détache de la politique et, bientôt, ses efforts seront couronnés de succès.
GUILLOTINE
n. f.
Instrument de supplice utilisé en France pour les exécutions capitales. Empruntons au Larousse sa brève description de la guillotine :
« L’échafaud se compose essentiellement de deux montants élevés sur des madriers posés en croix sur le sol. Entre les deux montants descend une lame triangulaire, dont la chute est commandée par un simple bouton. Le corps du patient, posé sur une planche, est amené sous le couteau, de façon que le cou soit pris et maintenu entre deux planches dont la supérieure est mobile et qui, au moyen d’un évidement semi-circulaire de chacune d’elles, forment un trou (la lunette). »
C’est bien à tort que l’on attribue à Guillotin l’invention de la guillotine. Le médecin Guillotin était membre de l’Assemblée Constituante et proposa, le 10 octobre 1789, de soumettre tous les condamnés à mort au même supplice, et demanda qu’une machine simple et rapide soit substituée au bourreau. Il ne fournit aucune description de cette machine.
La guillotine était déjà utilisée depuis le début du XVIe siècle dans certaines contrées du Midi de la France et en Italie. Ce n’est que vers la fin de 1791 que l’ordre fut donné à un célèbre chirurgien de l’époque, le docteur Antoine Louis, de faire construire une machine pour trancher les têtes. Ce dernier adapta la machine en usage dans le Midi de la France et que l’on appelait la mannaja et commença ses expériences.
Le 19 avril 1792, le docteur Louis écrivait au ministre Rolland : « Les expériences de la machine de Schmitt ont été faites à Bicêtre sur trois cadavres, qu’elle a décapités si nettement qu’on a été étonné de sa force et de la célérité de son action. » Ajoutons que c’est un facteur de pianos, nommé Schmitt, qui avait fourni le modèle rénové de la guillotine. La première exécution eut lieu à Paris, le 25 avril 1792.
Combien de pauvres diables ont, depuis, mis la tête sous le couperet ? Nous n’insisterons pas sur la nécessité brutale des exécutions en période révolutionnaire. Nous savons, et nous le regrettons, qu’une révolution ne se fait pas sans effusion de sang. La révolution est une manifestation violente de l’évolution, et il ne tient qu’à ceux qui détiennent arbitrairement toutes les richesses sociales, de ne pas pousser les opprimés à la violence.
Mais en période de calme, et non pas seulement en nous plaçant au point de vue anarchiste, mais seulement au point de vue humain, la peine de mort est une iniquité sans nom.
Qu’importent les moyens employés pour arracher la vie d’un individu. Certains semblent glorifier la guillotine, prétendant que trancher la tête avec une machine est moins barbare que de la couper avec une hache. Ce n’est simplement qu’une question visuelle, que nous ne voulons même pas discuter, car nous voyons plus haut. Nous disons que personne n’a le droit de disposer de la vie d’autrui ; qu’il n’appartient pas à un individu, quel qu’il soit, d’ordonner la mort d’un de ses semblables, et si un crime est horrible, le châtiment qui se traduit par un autre crime n’est pas moins horrible. Et les peuples feraient bien de penser à faire abolir, dans leurs pays respectifs, la peine de mort, qui est une honte pour une humanité qui se targue d’être civilisée.