Jean Grave
Sur le traité de paix
Après des mois et des mois de bavardages qu’il ne fut pas permis à la presse de divulguer au public ; après beaucoup de marchandages que, si la censure n’existait pas, je qualifierais de honteux ; après je ne sais quels maquignonnages qu’il a fallu tripatouiller pour arriver à satisfaire les appétits en présence, le public a été, enfin, admis à connaître quelles étaient les conditions de paix, que l’on allait, en son nom, imposer à l’Allemagne et quelles étaient les mesures que comptent prendre nos augures en vue d’alléger le fardeau qui va peser sur les peuples épuisés, et en vue d’assurer la Paix.
Nous ne pouvons discuter que ce que nous connaissons. Nous devons présumer, du reste, que, dans ce long défilé de clauses ce sont les plus importantes que l’on nous fait connaître.[1]
Une chose est certaine, c’est que personne n’en est satisfait : les Allemands, cela va de soi, gueulent connue des putois, que c’est une paix de haine qu’on leur impose ; que c’est l’asservissement du peuple allemand que l’on cherche, que c’est la fin de l’Allemagne que l’on veut.
Dans les pays alliés, réactionnaires, chauvins, jiugos, irrédentistes, militaristes, trouvent que les conditions imposées à l’Allemagne ne sont pas, assez dures, que l’on aurait dû élargir et prolonger la durée de l’occupation, qu’il n’a pas été opéré assez d’annexions ; que tous les frais de la guerre auraient dû être payés par les Allemands.
Socialistes, syndicalistes, trouvent que ces mêmes conditions sont trop dures pour le vaincu, que l’on ne s’est pas assez inspiré des quatorze points de Wilson !
Que les Allemands ne soient pas satisfaits, cela se comprend. Avoir rêvé la conquête de l’Europe, avoir eu l’ambition de lui imposer son commerce, et de lui arracher, sous le nom d’« indemnités de guerre », de nombreux milliards, c’est une déception cruelle d’avoir à payer soi-même, et de se voir enlever le fruit de ses extorsions antérieures au lieu d’en ajouter de nouvelles.
Selon eux, si on en croit M. le comte de Brockendorff-Rantzau, s’ils sont un peu, très peu, responsables pour le déchaînement de la guerre, les pays alliés le sont aussi, pour leur grande part. « Eux, les Allemands s’ils se sont laissé entraîner à cette guerre, c’est qu’ils avaient la conviction de se défendre !
« Est-ce que la politique d’armements des autres pays, et leur impérialisme n’étaient pas une menace à la Patrie allemande ! »
Si les diplomates et politiciens allemands, ou plutôt prussiens, puisque ce sont eux qui mènent la politique allemande, sont étonnants à ourdir des intrigues secrètes, à machiner toutes sortes de difficultés pour leurs adversaires, par contre, il faut l’avouer, ils manquent, tout aussi étonnamment, de tact, du sens des proportions et de la vérité, que de sens critique, et de psychologie.
Cette nation ne s’est constituée que par une politique continue de violence et de fraudes, s’agrandissant des extorsions exercées sur ses voisins ; et ses représentants ont le toupet de parler de l’impérialisme de leurs victimes, de leur reprocher leurs armements alors que ce sont eux qui, par leurs prétentions, et leur propre politique de menaces et d’armements, justifièrent la méfiance et les précautions de ceux qui se sentaient menacés. Chez les Alliés, sans doute, il y avait des politiciens qui rêvaient d’impérialisme, de revanche, qui poussaient à la surenchère des armements. Si on jugeait les gens sur leurs intentions, ceux-ci devraient passer en cour martiale avec le Kaiser.
Mais les intentions ne sont justiciables que lorsqu’elles passent à l’action. En France, en Angleterre, il y avait une opinion publique pour réfréner ces velléités guerrières. La preuve, c’est que, lorsque la catastrophe a éclaté, nos politiciens, même ceux qui « voulaient présider à la Revanche », se crurent obligés de faire tous leurs efforts pour l’empêcher d’éclater.
À part quelques manifestations à Berlin, il semble que l’opinion publique en Allemagne a accepté, sans protestations, que l’agression partît de chez elle, et que à part quelques individualités, – sur 70 millions d’habitants – chaque Allemand s’est fait le complice, passif, – quant à la volonté : actif dans l’action – des plans des bandits qu’ils avaient comme maîtres, et, les a aidés jusqu’au bout, sans murmurer.
Les social-démocrates, tous, jusqu’au dernier, ont voté les crédits de guerre en 1914. Si Liebknecht fut le premier à se rattraper, les autres continuèrent à voter ces crédits. Ce ne fut que lorsque la certitude de la victoire commença à être des plus douteuses, et que le besoin d’éviter le sort dont on avait menacé les autres se fit sentir, que, redevenant internationalistes, les social-démocrates commencèrent à parler de « conciliation », et que quelques-uns refusèrent de voter, plus longtemps, les crédits de guerre.
« Ils s’étaient crus menacés ! Leur conviction fut qu’ils participaient à une guerre de défense ! »
Tas de blagueurs ! Est-ce que, dans les Congrès internationaux antérieurs à la guerre, ils ne se sont pas toujours refusés à se prononcer pour la grève générale en cas où l’un ou l’autre des gouvernements partirait en guerre ? Est-ce qu’ils n’ont pas déclaré qu’ils étaient Allemands avant tout ?
Est-ce qu’ils ne se sont pas toujours opposés à la propagande antimilitariste ? Sauf Liebknecht qui fut le seul à la tenter, mais ne fut pas suivi.
Est-ce que nombre de leurs meneurs ne se sont pas fait les apôtres du pangermanisme le plus échevelé ? La guerre ne faisait que leur apporter l’occasion de réaliser leurs rêves de domination.
Ils votèrent les crédits de guerre, et marchèrent comme un seul homme derrière le Kaiser.
L’État-Major allemand ayant décrété que le plus sûr moyen d’écraser la France, c’était par la Belgique qu’il fallait commencer l’attaque, ses diplomates déclarèrent que les traités n’étaient que « des chiffons de papier » que l’on pouvait déchirer sans remords. Et, de cet avis, les social-démocrates allèrent trouver les socialistes belges dans l’espoir de les décider à coopérer avec les autorités allemandes qui venaient de violer la neutralité de leur pays.
Plus vite la France serait écrasée, plus vite la guerre serait finie ! C’est par humanité que, militaires, diplomates, politiciens et socialistes-internationalistes allemands approuvèrent la violation de la neutralité belge !
Ils manquent autant de tact que de psychologie. Ils ne comprirent pas que violer la neutralité belge, c’était le plus sûr moyen de lancer l’Angleterre dans la lutte ; que massacrer des femmes et des enfants, c’était surexciter la colère des combattants, renforcer leur volonté d’en finir avec une nation de sauvages.
Les premières années de la lutte, les Américains gagnaient de l’argent en prêtant aux combattants : côté France, côté Allemagne ; fournissant vivres et munitions à n’importe lequel des belligérants. Ils n’éprouvaient aucun désir d’entrer eux-mêmes dans la lutte. Quand les combattants en auraient assez, ils (les Américains), trouveraient bien le moyen de s’imposer comme arbitres.
Ce fut l’outrecuidance allemande qui les lança dans la lutte, en s’entêtant à couler leurs transports de voyageurs civils.
Les Allemands se plaignent de ne rencontrer que des haines, d’être traités durement ! Ils ne font que récolter ce qu’ils semèrent.
N’est-ce pas un de leurs chefs actuels, Scheidemann, qui, en avril 1916, s’écriait au Reichstag : « Le retour à l’ancien état de choses est simplement une impossibilité après une guerre comme celle-ci ! »
Lorsque je dis les Allemands, le peuple allemand, je parle, bien entendu, de ses maîtres, de ceux qui le menaient, parlaient et agissaient en son nom. Ce furent les pires coupables, puisque ce furent eux qui imposèrent, qui conçurent toutes ces horreurs. Malgré tout mon internationalisme, malgré tout mon désir que les peuples de toute langue, de toute couleur, de toute race se traitent mutuellement en frères, je trouve que ce serait faire œuvre de dupes de déclarer, comme le voudraient quelques-uns parmi nous, qu’il n’y a plus qu’à s’embrasser, et que chacun panse ses blessures.
Ce serait trop commode que les Allemands aient supporté que leurs maîtres fassent, pendant près d’un demi-siècle, trembler l’Europe sous la menace d’une guerre toujours à la veille d’éclater, pour la déchaîner à la fin sans aucune raison valable ; qu’ils les aient soutenus, pendant toute cette guerre, moralement et matériellement, pour venir dire ensuite que le peuple allemand n’est pas responsable.
Mais sont encore bien moins responsables ceux qui eurent à se défendre contre l’agression, qui eurent leur pays détruit, saccagé, et qui, en plus des frais formidables qu’a entraînés la guerre elle-même, auront à réparer les ruines qu’elle a causées.
Entendons-nous ; je ne demande, pour les Allemands, aucun traitement qui ressemble à une punition. Qu’ils en aient mérité une, c’est une question qui n’a rien à voir en ce qui concerne la paix.
La paix à envisager pour ceux qui avaient mission de la préparer, devait être que tout en étant la plus juste possible pour le vainqueur, elle ne violât pas le droit des gens chez le vaincu et qu’elle n’imposât pas des réparations qui fussent un esclavage économique déguisé, si justes qu’elles puissent être en fait.
Si les paiements qu’on leur impose n’entraînent, pour eux, qu’un léger excès sur les charges que les victimes de l’agression auront elles-mêmes à supporter, les Allemands ne peuvent avoir aucun motif de se plaindre.
Les Allemands gueulent qu’on veut les dépouiller. Il ne faut pas oublier que c’est leur méthode de gueuler, lorsqu’on les empêche de dominer et de voler les autres. Ne leur serait-il imposé aucun remboursement de ce qu’ils ont volé, aucune réparation des ruines qu’ils ont faites, sans autre raison que de ruiner les industries concurrentes, qu’ils gueuleraient que la justice est violée en leur personne, parce qu’on se refuserait à leur payer les innombrables milliards qu’ils avaient rêvé d’arracher à ceux qu’ils voyaient déjà sous leurs talons. Leurs gueulements ne sont pas une preuve de leur mauvais traitement.
Le résumé de ces conditions qu’on a bien voulu nous laisser connaître, comporte trop de connaissances spéciales diverses pour qu’un seul individu puisse donner un avis parfaitement motivé. Je me borne donc à la seule critique de ce que je comprends.
Ceux qui ont élaboré ces conditions, se sont-ils tenus dans cette juste mesure ? Tout est là.
C’est au fur et à mesure que devront s’exécuter ces différentes conditions que nous verrons comment elles travaillent.
Comme M. Scheidemann l’avait déclaré, c’est de toute impossibilité de retourner à l’état de choses d’avant la guerre. On arrache donc à l’Allemagne les pays qu’elle a volés dans le passé, et on reconstitue leur nationalité, ce n’est que justice.
Ce que l’on peut dire, d’ores et déjà, c’est que si on a cherché à ne pas trop heurter le sentiment des peuples, dans l’ordre politique et même cherché à lui donner satisfaction, en fait, dans l’ordre économique, ce sont les capitalistes qui ont dicté leurs conditions, leur volonté primant sur celle des peuples, lorsque l’intérêt de ceux-ci était en conflit avec l’intérêt de ceux-là.
M. de Rantzau s’élève contre, sous prétexte que la reconstitution des dites nationalités risque de ressusciter l’esprit de nationalisme chez ces peuples, et occasionner de nouvelles difficultés ! M. de Rantzau en a de bien bonnes !
Le parti socialiste français, dans un manifeste, fait une objection plus sérieuse, si elle est exacte. « Pour reconstituer ces nationalités, la Pologne entre autres, on attribuerait à celle-ci des portions de territoires dont la population n’aurait rien de polonais. Si c’est ainsi, c’est une violation du droit des gens, c’est un crime et une faute. Et toute faute se paie tôt ou tard. »
Est-ce à dire que, à part cette légère critique, je trouve le traité de paix parfait, et ses clauses excellentes ? Loin de là.
Tout le long de la guerre, on nous avait affirmé que c’en était fini avec les intrigues de la diplomatie secrète ; que les peuples devaient être consultés sur leur propre sort, et redevenir maîtres de disposer d’eux-mêmes.
Et tout le long de cette guerre, cela a été des marchandages à n’en plus finir, des maquignonnages innommables ; les concours se sont fait acheter par des promesses de cessions de territoires qui n’appartenaient pas plus à ceux qui en disposaient qu’a ceux qui les réclamaient.
Tout le long de la guerre, il ne fut pas, dans la presse, permis de discuter de ce que devrait être la paix ni de ses conditions.
Et, enfin, lorsque est venu le moment de discuter de ces conditions, les gouvernants se sont entourés du mystère le plus épais ; il n’a été permis à la presse de ne publier des discussions que ce qu’il plaisait au gouvernement. Quant au peuple, non seulement on ne l’a pas consulté, mais la censure a continué à interdire la discussion des points qu’il ne plaisait pas aux maîtres de l’heure de laisser discuter.
Pour la presse, elle n’a que ce qu’elle mérite. Sous prétexte d’« entente sacrée » mais, en réalité, parce que les propriétaires de journaux préféraient sacrifier le bien public que leurs intérêts particuliers, elle s’est prêtée à la censure la plus arbitraire, la plus anti-libérale, sans tenter le moindre effort de résistance.
Quant au peuple ! puisque, lui aussi, accepte d’être muselé, et qu’il laisse faire, on peut dire qu’il est traité selon ses mérites.
Mais si la presse a été invitée à se taire, si le peuple n’a pas été consulté, on a, par contre, mobilisé des milliers et des milliers de diplomates, de politiciens, d’experts de toutes sortes, on vue de l’élaboration de ces conditions. Et connue ces conditions se sont cuisinées dans l’ombre et le mystère, on accuse ceux qui les ont cuisinées, de s’être inspirés davantage des intérêts de combinaisons financières privées que des véritables intérêts des populations. La défiance et la suspicion sont le résultat le plus net d’une politique secrète.
On nous avait juré qu’on se battait pour que les peuples puissent disposer d’eux-mêmes, pour rétablir dans leur indépendance ceux qui étaient opprimés ; que les Alliés répudiaient, d’avance, tout esprit de conquête ou d’annexion ! Et, au cours de la guerre, on achetait les concours par des promesses d’annexions. Voilà six mois que la guerre est virtuellement finie, et nous n’avons pas la paix, parce que l’on ne sait comment satisfaire tous les appétits contradictoires qui réclament, aujourd’hui, d’être satisfaits.
On rétablit bien l’indépendance des petites nations qu’opprimaient l’Allemagne et ses Alliés, usais, semble-t-il, plus en vue de nouvelles combinaisons politiques qu’en vue du respect du droit des peuples.
Pour satisfaire à l’impérialisme des chauvins français, on fait une annexion déguisée du bassin de la Sarre, au lieu de faciliter à la population de se donner un régime indépendant, de son choix.
Pour satisfaire l’impérialisme italien, on veut italianiser des territoires dalmates, croates, violant le droit des peuples que l’on se vantait de défendre.
Pour satisfaire l’impérialisme des colonies anglaises, l’Australie, notamment, on procède à un partage déguisé des colonies allemandes, au lieu de les placer sous l’administration d’une Commission internationale ; non pas de politiciens, mais d’hommes capables, connus pour leur droiture, pour leur largeur de vues, qui auraient administré ces territoires pour les occupants, y compris, et surtout, les indigènes, et non pour des maîtres.
Il est entendu que, après tout le mal qu’a fait le contact prolongé des blancs et des populations indigènes, il n’est plus possible de remettre aux indigènes seuls le gouvernement de leur pays. Autant pour leur propre bien que pour les relations à entretenir avec les Européens, ces Commissions internationales auraient pu être le moyen de préparer l’évolution qui, peu à peu, aurait amené l’effacement et l’oubli du mal fait par les Européens, et préparer les indigènes à reprendre leur indépendance.
Mais, dira-t-on, c’est sous le mandat de la « Société des Nations », et non pour leur profit personnel, que les nations européennes qui auront l’administration des territoires qui leur seront répartis, devront les gérer.
Quelle bonne blague ! La « Société des Nations » n’existe que de nom, et n’est qu’un prétexte à établir quelques nouvelles sinécures bien payées.
« La Société des Nations » n’a pas été établie, mais loin d’en faire un reproche à ceux qui ont maquignonné la paix, je me félicite de ce qu’ils ont échoué.
« La Société des Nations » qu’il voulait nous « coller », n’était pas une « entente des peuples », mais une entente des syndicats gouvernementaux.
Ce qu’ils sont parvenus à accoucher ne fera, certainement pas le bien qu’une véritable entente des peuples aurait fait, au point de vue du maintien de la paix, mais sera, certainement, incapable de faire tout le mal que serait capable de faire un gouvernement international surajouté aux gouvernements nationaux.
L’entente des peuples que se sont refusés à faire les gouvernements, peut se faire en dehors d’eux, par l’internationalisation des diverses associations qui se forment dans les différentes branches de l’activité humaine.
On nous avait promis la fin du militarisme, et, pour la France, tout ce que l’on trouve, c’est de continuer la politique des armements et la militarisation de la population.
On tente de détruire le militarisme allemand, en ne lui permettant qu’une armée réduite, c’est vrai ; mais, faute d’avoir recours au vrai désarmement, au désarmement général, on inflige à l’Allemagne une armée de mercenaires, une armée de métier, la pire forme des armées.
C’est que, diplomates et politiciens – qui en sont arrivés à croire que ce sont eux, et non leurs peuples, qui ont gagné la victoire, – ont une peur bleue d’avoir, un jour, des comptes à rendre.
Toutes leurs combinaisons tournent autour de cette crainte d’une révolution sociale. Toute leur action est en vue de fortifier la réaction en Allemagne, en Autriche, en Russie, dans la Pologne reconstituée, en vue d’établir des barrières contre ce qu’ils appellent le « bolchevisme ».
Les insensés qui ne voient pas que le meilleur moyen de retarder la révolution serait de gouverner honnêtement, ouvertement, pour le plus grand bien de tous, et non en favorisant les tripotages des agents des coalitions industrielles ou financières ; que le plus sûr moyen d’exciter les colères et les troubles, c’est d’aller contre le courant populaire, en favorisant la réaction.
Pour satisfaire l’impérialisme japonais, – tout aussi insatiable, sinon plus, que l’impérialisme allemand – on arrache à l’Allemagne KiaoTcheou, c’est vrai, mais au lieu de le retourner à la Chine à qui il appartient, on le donne aux Japonais, avec une province, Shantung, de 30 millions d’habitants.
Or, paraît-il, cette contrée contient toutes les mines de fer et de charbon de la Chine, ce qui explique les convoitises japonaises, mais ne les justifie pas.
Tout le long de la guerre, on a empêché les républicains grecs qui étaient avec les Alliés, de proclamer la république chez eux, pour protéger cette vieille fripouille de Constantin qui faisait le jeu des Allemands !
J’ai entendu dire, par quelqu’un qui était à même de savoir, qu’il fallait attribuer cette longanimité des Alliés aux agissements d’un de nos anciens ministres ! Possible que ce fut une des raisons. Les agissements de l’Italie n’y étaient-ils pour rien ?
Pourquoi, à l’armistice, n’a-t-on pas exigé le désarmement total de l’armée allemande ? Parce qu’on voulait réserver une force capable d’étouffer les revendications du vrai socialisme.
Et en Russie, sous prétexte de combattre le bolchevisme, on protège les anciens complices du tsarisme au détriment des socialistes, voire de simples républicains. C’est ainsi que des officiers de marine, français et réactionnaires, bombardèrent Odessa pour soutenir les troupes de l’hetman Sporopasky, hostile à la ville, réactionnaire et notoirement germanophile, contre celles de Petioura, républicain, et ami des Alliés !
On nous avait promis la punition des véritables auteurs de cette guerre. Dans les conditions de paix, cela se borne à la demande de mise en jugement du Kaiser, et de ceux coupables d’actes contraires aux lois et coutumes de la guerre.
Ce n’est pas suffisant. Ceux des politiciens qui, pendant presque un demi-siècle, ont tout fait pour préparer cette guerre, la rendre inévitable, ont commis le pire des crimes contre l’humanité. Ils vont rester impunis.
Même pour le Kaiser, c’est pure comédie. La Hollande n’accordera pas l’extradition ; mais on aura fait semblant de vouloir tenir ses promesses. Les loups ne se mangent pas entre eux.
Du reste, il n’y avait qu’une peine valable, pour le Kaiser et ses complices : la confiscation de leurs biens. On se garde bien de le faire ou de l’exiger. Si la révolution allemande avait été une véritable révolution, et non un camouflage du kaiserisme ç’aurait dû être un de ses premiers actes.
Si on s’est caché du public pour discuter des conditions de la paix, c’est que, d’avance, on était honteux des appétits qui allaient se trouver en présence, et des maquignonnages auxquels il faudrait se livrer pour arriver à des transactions boiteuses, dans l’impossibilité de les concilier.
D’imbéciles politiciens, en France, en Angleterre, avaient promis à leurs électeurs que les Allemands « paieraient tous les frais de la guerre » ! sans se rendre compte qu’il aurait valu autant leur promettre la lune. Il fallait jeter de la poudre aux yeux d’autres imbéciles, en vue de cacher la faillite. De là, un fouillis de clauses où une truie ne reconnaîtrait pas ses petits.
Il y avait un moyen d’atténuer la répercussion que vont avoir sur le coût de la vie les charges effroyables qui vont peser sur les peuples, c’était de balayer, pour ceux d’entre eux qui en sont affligés, les tarifs protecteurs qui n’ont qu’un seul et unique effet : rendre le coût de la vie plus cher.
Loin de là. On continue les restrictions plus que jamais. Et, en Angleterre, pays qui, jusqu’ici, avait été libre de cette tare, M. Austen Chamberlain, dans son dernier budget, vient de faire un premier pas, timide, mais c’est un commencement, dans la voie du protectionnisme, en instituant « un tarif de préférence en faveur des colonies anglaises » pour les alcools.
Quant à l’Amérique, ce champion de toutes les libertés, elle entend s’en tenir de plus en plus à la « doctrine de Monroë », c’est à dire, à la guerre des tarifs. En attendant, elle augmente son armée et sa marine de guerre.
Tel qu’il est, le traité de paix où tant de gens ont été consultés, sauf les seuls qui y étaient les plus intéressés — les peuples — est plein de chausse-trappes, capables d’occasionner une demi-douzaine de guerres, au moins, si les peuples étaient assez fous de s’attacher à en exiger la réalisation intégrale.
Heureusement, que, au-dessus de la volonté des gouvernants, il y a celle des peuples. Ceux-ci, qui ont, si passivement supporté que les premiers agissent sans les consulter, sauront-ils, le temps venu, sortir de leur passivité, pour exiger que l’on en revienne au bon sens, et à la justice ?
Osons l’espérer. Car, en dernier ressort, il y a les circonstances qui, parfois, forcent les individus à agir droit, lorsque l’intelligence ne leur en vient pas d’eux-mêmes.
Pliant sous des charges fiscales énormes, il sera impossible aux peuples de continuer à supporter les frais du militarisme. Quel que soit l’aveuglement de leurs gouvernants, il leur faudra bien trouver un moyen, moins coûteux de se protéger, et d’en finir et avec les armées et avec les armements.
De même pour les difficultés que suscitera l’exécution des clauses du présent traité, ils auront à les résoudre pacifiquement. La guerre actuelle ne les aurait-elle pas sevrés, pour toujours, du désir de guerroyer, — ce qu’il est impossible de croire — que l’impossibilité de recommencer la guerre, les forcerait d’arranger leurs différends à l’amiable.
Quelle qu’ait été leur courte vue, les diplomates alliés ont été obligés de consacrer la réparation de quelques injustices. Ce sont des semences qui, après tout, fructifieront, et prépareront d’autres réparations.
Le traité de paix qui vient d’être si péniblement élaboré est simplement écrit sur le sable. Les peuples peuvent le signer sans crainte. Il ne sera besoin d’aucun tremblement de terre pour l’effacer complètement. La réalité suffira.
[1] Écrit avant la publication complète du traité.