Esther Lunette
D’un mariage
Ce texte prend la forme du récit afin d’opérer la dissection chronologique d’un mariage, pour essayer d’en mieux saisir les complexités et d’en affiner la critique. Critique que l’on pourrait qualifier de « déjà faite », sujet poussiéreux que l’on penserait sans doute avoir balayé d’un revers de la brochure, avec la religion, l’école, la famille et l’armée, mais ce texte pense qu’il est important aujourd’hui de repenser ces notions qui semblent réglées. Aujourd’hui, avec la droitisation que l’on connaît en France, qui touche la gauche comme le reste, ces vielles notions font irrémédiablement surface, que ce soit la religion, la nation, ou tout récemment le service militaire, le SNU, qui revient marteler la marseillaise et faire marcher au pas les plus jeunes. En bref, la marée monte, la norme avance… Et il nous faut, comme toujours, lutter contre le courant.
En cette fin d’après-midi, un mariage se prépare. Il est 17h, les convives venus assister à la cérémonie, qui aura lieu dans quelques instants arrivent peu à peu. Comme tous les mariages, celui-ci est bourgeois. Quand il est dit tous les mariages, c’est qu’effectivement tous les mariages ont la prétention à la bourgeoisie. Que l’on soit réellement aisé ou non, on fait comme si, on se pare des vêtements et des bijoux jamais mis, on fait étalage du patrimoine, on paye pour « avoir l’air », et ce chez les plus riches comme chez les plus ou moins pauvres. Ce mariage-ci répond bien entendu à cette prétention bourgeoise, mais notons quand même qu’il part d’une richesse solide et fournie, exubérante. Le jardin, loué pour l’occasion, est grand, arrangé de façon circulaire, de façon à ce qu’il ne semble jamais possible d’en voir aisément les deux bouts simultanément. D’un coté, des tables, des chaises, blanches bien sur, par soucis d’élégance, de l’autre, l’endroit du tragique événement : un long tapis toujours blanc, déroulé jusqu’à un autel, et qui voit de ses deux cotés un bassin d’eau bleutée, de sorte qu’en marchant sur cette larme d’ange jusqu’à l’endroit de la promesse, l’eau fait barrière aux convives, disposés de part et d’autre des bassins, les hommes à droite, exclusivement en costumes, les femmes à gauches, bien évidemment en robes. L’objet de tout les regards : l’autel.
Arrêtons nous un instant sur cet autel, car cet espace va être le théâtre de la pièce tragique d’aujourd’hui, le cadre de l’ordre nouveau, le paysage de l’enfermement. Et quoi de mieux alors qu’un carré blanc de trois mètres par trois, effrayant par sa petitesse puisque pas moins d’une dizaine de personnes se tiendront bientôt là, entassées, sourire aux lèvres. Avec quatre piliers blancs, il est surmonté d’un drap blanc, orné de fleurs blanches, la pureté incarnée, une cage lumineuse. Car au fil de la cérémonie, cet autel se montrera cellule, tribunal, prison. Enfermant, accueillant toujours plus de gens en son sein, entassés dans ces quelques mètres insuffisants, où l’on attend la sentence : « Mari et Femme ». Matérialisation physique du triste fait, célébré alors, de l’obligation qu’auront les uns et les autres à vivre dans une cage dorée, plus ou moins grande selon les circonstances, tantôt lits de noces, tantôt maisons, enfin caveaux. L’enfermement suit son cours.
Voila l’ordre établit, la cérémonie peut commencer.
Deux grands cors annoncent l’arrivée du premier protagoniste de ce mariage : le Mari, entouré de ses Parents, qui lui tiennent chacun bien solidement un bras. Cet amoncellement inhabituel d’humains, caricature outrancièrement grossière de la Famille, avance, lentement, sous le silence respectueux des hommes et des femmes, puisque tels ont-ils été répartis. Leur visage est le même, humble, ces trois êtres fusionnent étrangement… N’est-il pas habituel qu’un enfant se révolte contre ses parents, d’une manière ou d’une autre ? Non, finalement non, dans cette cérémonie, tout du long, vas se faire accepter l’idée d’une immédiate fusion entre enfants et parents, symbole frappant que ce qui se joue ici, c’est bien la célébration de la Famille comme instance de pouvoir, avec tout ce que cela a de froid et d’autoritaire. Dans un moment particulièrement lent, car le cérémonial a ce don de suspendre l’instant et de serrer les gorges d’émotions, le premier bout de la Famille se dirige vers l’autel de nacre.
Viens alors l’ascendance et la descendance, les vieux et les jeunes, d’abord les grands-parents des deux familles, tremblotants, fardés, des marionnettes flétries, des feuilles bientôt mortes qui sont passées par ce tapis, elles aussi, il y a bien longtemps, et puis trois toutes petites filles, hésitantes, innocentes, se prêtant (sûrement de bon cœur, par cette magie qu’a l’enfance à sautiller sur des braises ardentes) à ce jeu morbide. Ce qui se joue à ce moment la, c’est l’assurance de la Continuité. Les vieux convives se rappellent leur mariage, les jeunes espèrent ou appréhendent. La boucle du temps est bouclée, la famille marche sur ce tapis blanc, indéfiniment.
Tandis que se joue cette assurance généalogique, le Mari observe, il attend celle qui sera sienne, il trône. Elle, la Mariée, elle se prépare à entrer en scène. Elle retient sûrement des larmes, puisque lorsqu’elle arrive, elle pleure. Curiosité que le fait que dans de pareils moments, la joie et la tristesse provoquent la même réaction… Pas le temps de se poser la question de ses sentiments, de son bonheur, puisque de toute évidence, elle DOIT. Elle doit aimer, elle doit marcher sur ce tapis blanc, elle doit être heureuse. Et elle l’est, évidemment, puisqu’elle DOIT. La question ne se pose pas. Et, finalement, c’est pareil pour tous ceux que nous avons vu passer jusque là. Tout ici fait que chacun DOIT aimer ce qu’il voit, puisque s’il n’aimait pas, cela serait bien trop grave. Serait-il acceptable qu’au dernier moment, la mariée refuse ? Non. Que l’enfant plonge dans le bassin ? Bien sûr que non. Les grands-parents, n’en parlons pas. Et donc bien évidemment, elle consent. Le mari aussi, tout ceci n’est que bon sens. Les bassins sur les cotés du tapis nacré que nous avions oubliés, prennent ici un tout autre sens, puisque physiquement, celui qui s’y aventure DOIT aller jusqu’à l’autel. Il ne peux fuir, d’abord empêché par une frontière aquatique bien tangible, puis par la barrière de la famille, qui se tient de chaque cotés, menaçante de sourires. Une barrière encore moins franchissable qu’un mètre d’eau, une barrière d’amabilité, de politesse, de courtoisie, une barrière d’ordre établi, personnalisée en cousins, grands-mères, frères et tantes. Toujours est-il, qu’heureuse, donc, elle avance, bras dessus bras dessous avec ses parents, fiers de marier leur fille, de se marier eux. Ici comme ailleurs, ce sont les Parents qui marient leurs Enfants et les Enfants qui marient leurs Parents, c’est le Mari et la Mariée qui épousent la Famille et la Famille qui les épousent. La fusion familiale est alors totale, l’ordre établi est au dessus de chacun. Comme dans un ultime élan de servilité, un climax de l’enfermement, le Mari va vers la Famille de la Mariée : Il baise tour à tour les joues du Père et de la Mère, rendant par le geste concret le pouvoir de la famille, c’est le père et la mère qui décident si oui ou non ce jeune homme leur convient, et, gracieux, ils acceptent. Ils avancent à l’autel.
Alors viens le Contrat Final, que les deux jeunes gens signent d’un « Oui » lourd en émotions. Chacun ici est réellement consentent, révélant alors l’absurdité de cette notion, puisque ici chacun DOIT consentir. Quoi de plus normal, me diriez vous. Et vous auriez raison. Les convives, les mariés, les parents, Dieu et l’Etat, tout ce beau petit monde heureux consent. Que de liberté !
Ça y est, l’autel est plein, la cellule familiale est refermée, la cage est remplie d’amour. Ici, on se marie devant Dieu, ailleurs on se marie devant l’Etat. Le mariage est de ces instants ou il est clair qu’Etat et Religion vont de pair, puisqu’ici ils occupent alors tous les deux la même place, jouent tous les deux le même rôle, la validation collective d’un système supérieur à chacun, réunissant nombre de personnes sous le même ordre, sous le même pouvoir, acceptant à l’unisson le même existant, alors en totale connivence avec le monde tel qu’il est. En cela, un mariage c’est toujours la Religion, et un mariage c’est toujours l’Etat, puisqu’un mariage c’est toujours l’ordre et la normalité.
Chacun à fait ce qu’il DEVAIT.
Oui, tout le monde est joyeux, on festoie, on rie, on chante, on danse, chacun est sans doute honnêtement heureux, puisque chacun DOIT l’être. A tous ceux qui mettent en avant le côté festif du mariage, du cérémonial, la remarque ne manque pas de bon sens. Oui, bien sur que c’est festif. Evidemment. Voyons, ça DOIT l’être, comment pourrait-il en être autrement ? Et cette festivité est bien sûr au service de l’acceptation de Dieu et de l’Etat, du pouvoir. Allons-nous nous satisfaire de ce qui nous enferme, car nous sommes contraints d’y être heureux ? Il me semble clair que rien n’est moins souhaitable.
Un mariage, c’est toujours un enfermement, un enfermement dans la Famille, qui devient tout pour chacun. Un enfermement dans l’Amour puisque quoi de moins libertaire que la contractualisation des rapports humains ? Un enfermement dans la fête, dans ce qui DOIT et dans ce qui EST, ennemi juré de l’espoir et de la perspective révolutionnaire. Un enfermement dans l’Etat et la Religion, pour le pouvoir et l’ordre établi.
Esther Lunette.