Des anarchistes sans parti
Pour en finir avec la Fédération Anarchiste
Une nécrologie
La FA et la question carcérale : « traiter et gérer la déviance »
Autour de l’affaire Tarnac : entre dissociation et appel à créer son entreprise
Monomanie de l’Islam, liberté d’expression et compagnons de route puants
« Et pourtant ils existent »… La FA est une vieille chose d’un autre temps. Une Organisation anarchiste (oxymore) en veille, en attente. Mais cela ne l’empêche pas, avec sa politique de visibilité et de recrutement (mais pour quoi faire ?), d’être la vitrine de l’anarchisme français malgré son opposition radicale à toute praxis anarchiste, forcément offensive. Ces quelques notes partielles ont été rédigées en septembre 2012 dans le but d’une discussion au sein d’un groupe affinitaire composé d’anarchistes. Elles contiennent quelques pensées et quelques études de cas sur certaines polémiques liées à cette organisation archaïque. Nous avons choisi de les rendre publiques, afin que chacun puisse se faire son opinion sur la question et choisir son chemin en connaissance de cause.
Ravage Editions, mars 2013.
« Nous ne pouvons pas concevoir que les anarchistes établissent des règles à suivre systématiquement comme des dogmes fixes. Parce que, même si une uniformité de vues sur les lignes générales des tactiques à suivre est assumée, ces tactiques sont portées d’une centaine de façons différentes lorsqu’elles sont appliquées, avec un millier de détails variants. Cependant, nous ne voulons pas de programmes tactiques, aucun, et par conséquent nous ne voulons pas d’organisation. Ayant établi le but, le but auquel nous nous tenons, nous laissons chaque anarchiste libre de choisir parmi les moyens que son sens, son enseignement, son tempérament, son esprit de combat lui suggèrent de meilleur. Nous ne formons pas de programmes fixes et nous ne formons pas de petits ou de grands partis. Mais nous nous rassemblons spontanément, sans critères permanents, selon des affinités momentanées, dans un but spécifique, et nous changeons constamment ces groupes aussitôt que le but pour lequel nous nous étions associés cesse d’être et aussitôt que d’autres buts et besoins surgissent et se développent en nous et nous poussent à chercher de nouveaux complices, des gens qui pensent comme nous dans les circonstances spécifiques. » — Giuseppe Ciancabilla (1872 – 1904)
La Fédération Anarchiste française (FA) est une vitrine archaïque des idées anarchistes de l’après seconde guerre mondiale. Période pendant laquelle l’ensemble du mouvement anarchiste en France a durement peiné à retrouver l’espoir qu’il avait pu porter avant la première guerre, tant dans ses aspects quantitatifs que qualitatifs, ce qui vaut pour toutes les tendances qui le composent, des partisans de l’organisation formelle à ceux de l’organisation informelle et/ou affinitaire, des communistes libertaires aux anarchistes individualistes. La FA telle que nous la connaissons aujourd’hui est née en 1945 de diverses scissions et unions d’autres organisations. L’histoire précise de ses diverses scissions n’est en soi pas tellement intéressante puisqu’elle n’est rien d’autre qu’une suite de querelles internes concernant finalement très peu de personnes, dont une majorité de petits chefs de clans ou d’intellectuels qui n’ont laissé au final aucune trace réelle dans l’histoire des idées et des pratiques anarchistes. La FA d’aujourd’hui, celle dont nous voulons parler ici, est finalement le produit de cette histoire assez médiocre.
La FA est une organisation synthésiste, c’est-à-dire qu’elle a pour objectif de faire cohabiter toutes les tendances de l’anarchisme, hormis bien sûr celles qui considèrent que s’organiser de façon formelle et permanente est un moyen aliéné incompatible avec des perspectives anti-autoritaires. Suivant le principe du fédéralisme, elle est composée de divers groupes locaux de petites tailles (ce qui n’est pas un choix), ce qui ne l’empêche pas malgré tout, d’être centralisée autour de divers secrétariats et administrations souvent localisés à Paris. C’est à Paris d’ailleurs qu’est édité le journal de toute la FA, Le Monde Libertaire (publié depuis 1954 de façon mensuelle puis hebdomadaire), et que se trouve la radio officielle de l’organisation, Radio Libertaire (Fondée en 1981). Ce paradoxe de la FA, celui d’une fédération de groupes considérés comme autonomes les uns des autres mais dont une instance centralisée contrôle la ligne politique nationale et est chargée de l’exécutif formel et des plus gros outils de communication (bien que les groupes locaux y participent), a toujours fait couler beaucoup d’encre à l’intérieur de l’organisation, donnant lieu à de nombreuses jalousies et conflits internes.
Aujourd’hui, la FA ne jouit plus d’aucun prestige, même si en fait cela n’a jamais vraiment été le cas. Souvent raillée,[1] elle fait l’objet de nombreuses moqueries parmi les autres anarchistes ou chez d’autres radicaux, ses aspects « franchouillards » y étant pour beaucoup, ainsi que sa façon très personnelle de réagir à l’actualité de façon presque toujours décalée par des pétitions de principes sous forme de « communiqués » exprimés façon XIXe siècle, mais sans la verve, et toujours dans le sens d’un idéal de paix, à la manière des quelques anarcho-pacifistes du début du siècle en France, largement intégrés depuis à la mythologie nationale et républicaine française.
Le pacifisme a d’ailleurs depuis longtemps pénétré la pensée FAiste, et il n’est pas rare de voir la FA diffuser les publications (et les idées) de l’Union Pacifiste de France (UPF) qui s’exprime d’ailleurs sur les ondes de Radio Libertaire dans l’émission hebdomadaire « Si vis Pacem ». C’est en adéquation avec cette passion pour la paix qui anime ses militants, que la FA, de ses débuts à nos jours, a toujours utilisé un type particulier d’iconographie pour renier l’histoire de l’anarchisme. Tout le monde a déjà vu un jour ou l’autre cette affiche indémodable où l’on voit un être effrayant au rire pervers de serial-killer avec un chapeau de sorcière et une bombe à la main, à côté de l’inscription « défaites vos idées toutes faites sur l’anarchie ! ». On ne peut décemment pas séparer l’histoire des anarchistes de la violence révolutionnaire qu’ils et elles ont toujours porté par le biais de la propagande par le fait, de l’assassinat, des braquages, vols, cambriolages, incendies, émeutes et les nombreuses tentatives d’insurrections armées. De cette façon la FA ne fait pas que se dissocier de l’histoire des idées anarchistes en tant que FA, ce qui en soi ne serait pas tant un problème, mais elle tente de réécrire l’histoire de tout un mouvement révolutionnaire international et séculaire en gommant tout ce qui ne correspond pas à son idéal de paix sociale.
Par exemple, dans son communiqué du 8 novembre 2005, à l’apogée des émeutes des cités en France, la Fédération Anarchiste affirme : « Oui, il y a des raisons de se révolter, mais brûler des voitures, frapper au hasard ne fait que du tort ». Parler de « frapper au hasard » est pour le moins hasardeux lorsque l’on sait que les cibles de cette vague d’émeutes étaient principalement des entrepôts de marchandises, des écoles, bâtiments administratifs, bibliothèques d’Etat, police etc. Car à lire ce communiqué en décalage total avec la vie des gens mais en adéquation avec la volonté de se conformer à « l’opinion publique », on croirait, comme le présentaient les médias étrangers, à des hordes de barbares déferlant sur les villes et massacrant tout le monde. Et si étonnés que nous sommes de voir la FA condamner l’incendie de voitures après son virage officiel depuis quelques années vers la « décroissance », nous qui les pensions partisans d’un monde sans bagnoles, nous sommes encore plus émerveillés de les voir défendre la propriété privée.
Mais si la FA et toutes les autres organisations de ce type (Organisation Communiste Libertaire, Alternative Libertaire, Coordination des Groupes Anarchistes etc.) sont tant l’objet de moqueries de la part des anarchistes, c’est aussi qu’il est toujours cocasse de voir que ces poussiéreuses organisations pourtant si grandes (la FA compte une centaine de groupes et « liaisons ») ne sont pas capables de produire la moitié de l’agitation que produisent quelques poignées d’anarchistes anonymes en ordre dispersé. La FA et ses compères n’ont jamais vraiment donné d’autre impression que celle d’une organisation en veille, en attente de quelque chose, peut-être de la révolution anarchiste parfaite et non-violente, rêve qui prête bien plus au sourire attendri qu’à une perspective réelle.
Comme nous l’avons vu et allons le voir encore, la FA s’exprime régulièrement contre de nombreuses formes de révoltes comme le sabotage, les émeutes de banlieues et tant d’autres pratiques ou événements s’inscrivant sans leur médiation contre la paix sociale. Elle s’est également toujours distanciée de l’anarchisme (pas le mot, les idées et l’histoire) à des moments ou les anarchistes étaient pointés du doigt, ou même lorsqu’ils pouvaient juste potentiellement l’être.
Mais si la FA fait si souvent sourire, il est pourtant réellement triste de voir tant de jeunes compagnons sincères, qui par défaut, par paresse, par peur de l’autonomie, s’engouffrent dans des organisations où ils n’auront certes pas à fournir trop d’efforts pour diffuser leurs idées, puisque la plupart des outils de diffusion arrivent déjà pensés et emballés toutes les semaines, mais où ils apprendront l’apathie. Où ils apprendront que l’anarchisme n’est qu’une vue de l’esprit, un folklore, un courant philosophique excentrique, un hochet pour étudiants en recherche de hobby. Un constat qui ne serait pas si triste à faire si les autres anarchistes, ceux qui veulent foutre ce monde en l’air pour de bon, n’étaient pas si isolés. Mais c’est bien connu, les vitrines et les devantures attirent l’œil, chacun avec ses intentions, et la FA n’est autre que la vitrine officielle et spectaculaire de l’anarchisme en France. Mais de nombreux compagnons et compagnonnes ont trouvé le courage, passé le côté grisant de la découverte de personnes se réclamant comme eux d’un idéal libertaire, de quitter cette petite famille ou une autre, au profit d’un développement moins frustrant en dehors de toute organisation politicienne.
La FA a été, depuis le début des années 2000, l’objet de nombreuses polémiques, selon nous, assez graves. Nous allons essayer d’en retracer quelques unes, de façon rapide et non-exhaustive (car nous n’aurons jamais assez de temps et d’efforts pour toutes les retracer, bien que certaines dont nous ne parlerons pas ici sont tout aussi importantes, voir parfois très graves lorsqu’il s’agit du comportements abject de certains de ses militants). Nous ne parlerons même pas de certains de ses épisodes les plus tragi-comiques, comme l’appel à voter Chirac en 2002 ou leur gestion très personnelle des voix discordantes. Voici donc quelques exemples de polémiques de ces dernières années, retracées de façon partielle et rapide, avec l’appui de textes et de critiques existants dont nous nous sommes aidés.
La FA et la question carcérale : « traiter et gérer la déviance »
Sur la question de la prison, la FA tient une position pour le moins ambiguë. Alors que dans une motion du 66e Congrès de la FA à Besançon en juin 2009, celle-ci affirmait avec une verve qu’elle ne réserve qu’aux pétitions de principe ou à l’islam (nous verrons cela plus tard), « la prison doit être détruite. Elle a fait son temps. QU’ELLE CRÈVE ! ». Cela n’a pas empêché le groupe Idées Noires de la FA, alors que se déroulait une semaine contre les longues peines, de diffuser un tract dégueulasse nous parlant du traitement des « déviants » en société libertaire.[2]
On pouvait y découvrir quelques propositions d’alternatives à la prison pour les « déviants ». Oui, les déviants… ce bon vieux terme de criminologue. Comme on ne peut être déviant que par rapport à une norme imposée, l’emploi de ce terme par la FA implique clairement sa volonté d’imposer une norme dans sa société future, qui comme dans le monde d’aujourd’hui, produira sa « déviance », et cela devrait nous inquiéter. Surtout lorsqu’il est proposé de « gérer » ces « déviants »… Sont donc proposés psychiatrie, travaux pour la communauté, réhabilitation par le travail et autres horreurs. En fait, tout ce qui existe déjà.
Le sous-titre du tract en dit déjà long : « construire des prisons pour enrayer la délinquance, c’est comme construire des cimetières pour enrayer l’épidémie », il nous signifie que le but de la FA est de « traiter la délinquance » mais que la prison dans sa forme actuelle, n’est pas la meilleure méthode. Il est difficile d’imaginer que dans ce modèle de société proposé par la FA, les anarchistes, par exemple, ne soient pas vus comme des déviants à traiter, exactement comme dans cette société.
Des inconnus ont d’ailleurs été bien inspirés de venir taguer la façade de Publico (librairie de la FA) au détour d’une Croix-Rouge dans le cadre de la semaine contre les longues peines et tous les enfermements. « FA Collabos », « FA Sales Traîtres » et comme un écho à leur motion précédemment citée :« La FA veut des taules plus humaines, qu’elle crève avec ! ». Ce que bien sûr, dans la plus pure tradition gauchiste, ses militants dénoncerons comme un « complot policier » ou une « attaque fasciste déguisée » afin de se sentir menacés car importants.
Mais le mieux reste encore de lire un extrait du tract en question :
« Dépourvue d’Etat et de lois, quelles réponses la société anarchiste propose t-elle à la gestion de la déviance ? D’abord, il est évident, que la suppression des inégalités économiques et sociale et l’abolition de l’Etat et de toute forme de gouvernement et de coercition mettraient fin à de nombreux délits liés à la pauvreté (les délits d’ordre économiques) ou à la révolte contre l’oppression et l’injustice. Néanmoins, on ne peut nier l’existence de déviances. Chaque société –aussi anarchiste soit-elle ! – a sa part de crimes passionnels ou pathologiques. Alors comment traiter et gérer la déviance dans une société sans prisons et sans asiles ? Pour les anarchistes, le traitement du déviant ne doit pas se faire sous l’égide d’un cadre moral ou juridique. Il ne s’agit pas de venger la société, mais bien de réparer les dommages commis par ce déviant et de donner à la société les moyens de s’en défendre. Dès lors, les réponses de la société anarchiste aux actes de déviance ne reposent pas sur un corpus de lois, mais sur le cas par cas, sur le moment, en fonction des circonstances. De même, elle n’est pas l’apanage de quelques uns – qui seraient professionnels en la matière – mais de la collectivité dans son ensemble. Le traitement du déviant par la psychologie peut être une des réponses si, toutefois, il ne s’exprime par à travers l’enfermement physique ou psychique. Les travaux d’intérêt, en réparation aux dommages faits à la collectivité (travaux d’intérêt généraux) ou à l’individu (travaux d’intérêt à la victime), sont aussi une autre alternative à l’enfermement, pourvu qu’ils soient réalisés décemment et sans aucune forme d’exploitation. Selon les actes de déviance et les circonstances dans lesquels ils ont eu lieu, la réconciliation entre les déviants et les victimes peut aussi être une forme de réponse, quels qu’en soient ses termes (indemnisation, pardon, etc. »
Autour de l’affaire Tarnac : entre dissociation et appel à créer son entreprise
En juillet 2009 sont publiés dans le journal anarchiste Non Fides deux articles. le premier Sur l’affaire de Tarnac et l’anarchisme respectable, mise au point à propos des « camarades » de la Fédération Anarchiste et autres libertaires, traitait d’un communiqué de la FA du 11 novembre 2008, intitulé Sabotages sur les lignes SNCF. Voici un passage du texte en question :
« Le jour même des arrestations, alors que les divers syndicats de cheminots et partis d’extrême gauche affirmaient ne pas être impliqués dans ces sabotages, "le responsable de la Fédération anarchiste nationale" réagissait dans le journal de France 3 Limoges à 19h. Il y affirmait qu’aucun militant de la FA n’était impliqué et que de toute manière, ces pratiques de sabotages n’étaient pas celles de la FA. Rebelote, la FA qui a toujours prétendu lutter contre l’image de l’anarchiste incendiaire de la belle époque, "l’anarchiste poseur de bombe", réaffirme son intégration au système et la condamnation systématique de toute attaque contre ce qui nous détruit (avec ou sans bombes) comme par exemple, le TGV et le monde qui le produit. […] D’abord elle affirme ne pas être impliquée, facilitant le bon déroulement de l’enquête. Que dire d’anarchistes plus prompt à affirmer leur innocence qu’à affirmer une solidarité de principe contre ce monde ? Il y a déjà un peu de la balance ou de l’indic dans celui qui, alors qu’on ne lui avait rien demandé, affirme son innocence en montrant patte blanche au supposé ennemi pour l’aider à pointer du doigt et à isoler (pour mieux réprimer) les "méchants", ceux qui passent à l’acte sans attendre. Elle s’arroge également la place convoitée du "gentil", de l’anarchiste de gauche, certes un peu contestataire, mais qui ferait pas de mal à une mouche, ou à l’Etat. Les "méchants" en l’occurrence, sont tous ceux qui, ne jouant pas la carte de l’innocentisme, font le choix d’assumer leurs idées et de garder la tête haute face à l’ennemi. Ceux qui croupissent en prison depuis trop longtemps dans l’indifférence totale de nos libertaires, certains d’entre eux sous juridiction antiterroriste. Est-ce vraiment là le rôle d’une organisation qui se prétend anarchiste de distinguer les bons saboteurs des mauvais saboteurs ? »
Le deuxième texte, intitulé Suite de l’adresse aux militants de la FA, s’intéressait plus précisément au discours politique de fond de la FA au moment des arrestations de Tarnac. Plus précisément à celui du porte-parole de la Fédération Anarchiste Française (ainsi qu’il se présenta lui-même), Hugues Lenoir, dans une interview donnée à la chaîne parlementaire (LCP), canal interne de télévision de l’assemblée nationale et du sénat créée en 1993 ayant « mission de service public, d’information et de formation des citoyens à la vie publique, par des programmes parlementaires, éducatifs et civiques. ». Le tout à l’occasion d’un numéro de l’émission « Ca vous regarde » consacrée à « l’ultra-gauche » et diffusée le Lundi 4 mai 2009.
Lenoir, un historique de la FA, se présente lui-même sur son site « hugueslenoir.fr », comme un « enseignant-chercheur en Sciences de l’Education à l’Université Paris Ouest Nanterre-La Défense, responsable de la Licence professionnelle de Formation de Formateurs et membre du Conseil scientifique et de l’évaluation de l’Agence Nationale de Lutte contre l’Illettrisme (ANLCI). » Dans l’interview, il fait deux affirmations importantes :
« [Les inculpés] sont relativement anti-organisationnels, de ce fait ils ne sont pas complètement les amis de la fédération anarchiste qui justement pense qu’il faut organiser le mouvement anarchiste pour qu’il soit un petit peu plus présent et efficace du point de vue des évolutions sociales. » et « ces jeunes gens, de façon contradictoire, développent des pratiques qui nous sont extrêmement sympathiques ; par exemple installer une épicerie dans un village rural, développer des pratiques d’autogestion, développer une espèce de culture locale, ça c’est des choses que nous aussi on fait ici ou là. »
Un éloge du petit commerce qui n’est pas sans rappeler Poujade ou le MEDEF.
Monomanie de l’Islam, liberté d’expression et compagnons de route puants
En 2009, en co-édition avec la Fédération Nationale de la Libre Pensée, sort aux Editions Libertaires, le bouquin L’Impasse islamique d’Hamid Zanaz, préfacé par Michel Onfray, philosophe auto-proclamé « anarcho-capitaliste » que l’on ne présente plus. Sans doute ont-ils senti qu’ils s’aventuraient en terrain glissant quand, avant même la publication du livre, les éditeurs ont adressé à l’ensemble des éditeurs libertaires ou apparentés une sorte d’appel à soutien préventif. Ce que, à la lecture de l’opuscule, une bonne partie – Libertalia, Le Chien rouge, Alternative libertaire, L’Altiplano, Ab Irato, Spartacus, Rue des Cascades, Acratie – ont refusé. D’où une lettre publique assez aigre accusant tout ce petit monde d’être des adeptes du « marxisme, du néomarxisme, du cryptomarxisme, du postmarxisme, du paramarxisme ». Pour citer AL (une fois n’est pas coutume) « les Éditions libertaires peuvent comprendre qu’on n’ait aucune envie de donner l’absolution à un livre confus, préfacé par le gaulliste de gauche Michel Onfray… »
Dans sa préface, le philosophe de plateau TV nous refait le coup du choc des civilisations… Il nous parle des « valeurs de l’occident » qu’il faudrait préserver.[3] Les Éditions Libertaires restent totalement acritiques sur ce point, au contraire, elles nous présentent le livre comme tel : « ce livre assassine l’idéologie islamique comme jamais encore. La critique y est sans insulte, mais radicale, totale, implacable, féroce. Elle a la précision du scalpel d’un médecin légiste ».
Le 27 avril 2009 sur Radio Libertaire, la radio de la FA, l’animateur de longue date de « La Philanthropie de l’Ouvrier Charpentier », Philippe Raulin,[4] invite deux membres du groupe Riposte Laïque à l’occasion de la promotion de leur ouvrage Les dessous du voile : 1989-2009, vingt ans d’offensive islamiste. Celui-ci nous présente l’organisation Riposte Laïque comme des compagnons de route de la FA. Riposte Laïque, groupe de la nouvelle extrême-droite républicaine, est à la fois compagnonne de route de la Fédération Anarchiste et du Bloc Identitaire ou du Front National. Ils sont dans une stratégie d’alliance avec tous ceux qui comme eux considèrent qu’il faut combattre les personnes désignées comme musulmanes. Il fallait bien trouver des idiots utiles chez les anarchistes pour montrer à quel point ils ne sont pas sectaires, heureusement, il y a la FA.
Riposte Laïque est donc aujourd’hui une organisation sœur de nombreux groupes d’extrême-droite, des plus nostalgiques du national-socialisme ou du pétainisme aux plus en vogue Bloc Identitaire et autres groupuscules d’extrême-droite relookés sociaux, auprès desquels elle organise des « apéro saucisson-pinard » en plein Barbès à Paris, et autres « assises contre l’islamisation de l’Europe ». Ce n’était pas encore le cas de façon aussi dénuée d’ambiguïté à l’époque de l’émission, mais on pouvait déjà lire sur le site de cette organisation des textes aux titres laissant rêveurs, comme « Assumer notre héritage chrétien pour que survivent la laïcité et la démocratie » et aux contenus encore plus nauséeux et finalement pro-religieux, en ce qu’il s’agit toujours d’opter pour une stratégie d’alliance avec les autres religions pour combattre « l’islamisation de l’Europe ». Comme le soulignait avec justesse le texte Radio Courtoisie, en direct sur 89.4 FM publié par Luftmenschen en novembre 2009, Riposte Laïque assume parfaitement la hiérarchie entre le danger représenté par les différentes religions monothéistes, et donc, la dénonciation prioritaire de l’islam, au nom d’une « offensive » de celui-ci contre la République. Par dessus le marché, cette organisation a toujours fait l’éloge de l’identité nationale française (qui serait menacée par « l’immigration islamiste »), de l’Union Européenne (notamment contre l’intégration de la Turquie) et d’autres sujets toujours ambigus, et toujours en faveur ou autour de l’Etat, de l’UE, de la république et des problématiques identitaires et racialistes.
Et tout cela, Philippe Raulin et la FA n’ont pas pu le rater, il suffisait de lire quelques lignes de n’importe quelle publication de Riposte Laïque ou de passer quelques secondes sur son site pour s’en rendre compte. Tout au long de cette émission de Radio Libertaire, Riposte Laïque martèle sans cesse sa thèse de « l’offensive structurée et programmée », et notamment à propos des femmes qui refusent d’être examinées par un homme à l’hôpital, de celles qui portent plainte pour discrimination lorsqu’on leur interdit, en raison du port du voile l’accès à un lieu public ou même privé. Les mots ont un sens : évoquer des prises de position individuelles, comme reflétant une offensive « structurée et organisée », ce n’est pas autre chose que faire de chaque musulman l’agent conscient d’un « complot islamiste ». Raisonnement qui a une parenté évidente avec celui du « complot juif », parenté qui ne s’arrête pas là. On est bien en tout cas dans un discours raciste qui s’attache à la personne et non à la religion.
Dans cette émission, toujours disponible sur le site de Riposte Laïque qui s’en sert encore pour sa promo, la complaisance de café du commerce de l’animateur Raulin avec ces xénophobes est insupportable, d’autant plus que celui-ci n’hésite pas à surenchérir dés qu’il s’agit de verser dans le préjugé franchouillard de la horde d’arabes venus voler le pain des lardons des bons français. On pourra se demander tout de même à quel jeu joue le sordide Philippe Raulin au sein de son organisation…
Mais la FA et Raulin n’en étaient déjà plus à leur premier coup d’essai. Yves Coleman est un communiste antiautoritaire qui signe de son nom la revue Ni Patrie Ni Frontières. Celle-ci est assez connue pour ses prises de position anti-identitaires et pour sa vigilance contre les dérives nationalistes et xénophobes au sein de l’extrême-gauche, une revue souvent intéressante et contre-informative sur les évolutions de la confusion, bien qu’elle ne sorte jamais réellement du cadre de la social-démocratie. Depuis 2007, NPNF a dénoncé à plusieurs reprises les laïcs et les athées qui flirtaient avec Riposte laïque ou avec la xénophobie. En réponse aux critiques de NPNF, c’est au salon du livre libertaire de la FA en 2008, que Philippe Raulin et Radio Libertaire viendront à la rescousse des laïcards xénophobes en organisant un débat-traquenard avec Jocelyn Bézecourt (responsable du site Athéisme et collaborateur de Riposte Laïque) contre Coleman, en direct sur Radio Libertaire.[5] Le débat commence d’ailleurs par une présentation de Bézecourt par Raulin, celui-ci le présentant comme « une personne que je connais très bien, avec qui cela fait plusieurs années que l’on travaille ensemble, que l’on écrit des textes et que l’on fait des émissions ensemble », il présente d’ailleurs d’emblée, avant même que celui-ci n’ait pu s’exprimer, la critique de Coleman comme « nulle à chier ». Le « débat » sera d’ailleurs ponctué des sarcasmes permanents du présentateur à l’encontre de Coleman.
Raulin s’insurge contre le fait que lorsqu’il s’attaque à l’islam, il est immédiatement qualifié de raciste, selon un discours victimisant typique, et en oubliant de préciser qu’à plusieurs reprises celui-ci faisait de la croisade contre l’islam une priorité sur celle contre les autres monothéismes. Bézecourt, lui, peine à défendre son anti-racisme par des arguments de type « j’ai organisé un colloque avec une arabe », nous rappelant les grandes heures du Le Pen de notre enfance.
Mais, s’enfonçant toujours plus dans l’héritage voltairien des prétendues « Lumières », de la libre-pensée, du pacifisme et de ses continuateurs de la gauche laïcarde actuelle, la FA n’étonnait déjà plus personne lorsqu’elle organisait une journée de rencontre avec entrée payante à la CIP autour du thème de « la liberté d’expression » avec comme invités principaux, Jean Bricmont et Normand Baillargeon. On ne s’étendra pas ici sur le concept républicain de « liberté d’expression » qui selon nous n’a rien à faire chez de prétendus ennemis de l’Etat qui ne devraient rien avoir à lui demander. Mais intéressons-nous donc à ces deux intervenants.
Bricmont a été président de l’Association française pour l’information scientifique de 2001 à 2006. Depuis 2006, il en est président d’honneur. Il est surtout connu pour deux choses qui se recroisent : il fait partie de la mafia altermondialiste qui gravite autour du label Noam Chomsky, un linguiste connu aux Etats-Unis comme étant « l’anarchiste le plus connu de l’histoire », qui a soutenu le régime de Pol Pot, le régime de Chavez et autres dictatures de gauche en Amérique Latine ou le Hezbollah au Liban.[6] Il est aussi connu pour ses prises de position et contributions diverses à l’intérieur des médias d’extrême-droite et son soutien aux négationnistes contre la loi Gayssot. Il prend position notamment pour le célèbre Faurisson ou encore pour Vincent Reynouard (un néo-nazi incarcéré pour négationnisme). Il milite dans sa cause avec Paul-Éric Blanrue, l’auteur du livre Sarkozy, Israël et les juifs, dénonçant le retour en force du Complot Juif.
Pas étonnant donc que le bonhomme s’intéresse à la question de la liberté d’expression, en l’occurrence celle de nostalgiques ou de négationnistes des camps d’extermination nazis.
Baillargeon, lui, est un universitaire québécois qui se revendique « libertaire ». Il est chroniqueur dans des journaux de la presse bourgeoise et à la TV québécoise, en France, il écrit dans Le Monde Libertaire où il expose des positions toujours très modérées et parfois en faveur de l’Etat. En 2008, il participe à une campagne lancée au Québec pour que lors des prochaines élections, qu’elles soient fédérales ou provinciales, un débat entre les candidats ait pour objet la science et la technologie. De façon générale, il participe régulièrement aux débats électoraux locaux dans lesquels il ne remet jamais en question le principe même des élections, au contraire, il cherche à améliorer les candidats dans la pure tradition lobbyiste nord américaine.
Lors de ses interventions à la tribune de Radio Libertaire à la CIP,[7] il n’a pas cessé de promouvoir une pétition initiée par Blanrue pour défendre les négationnistes attaqués en justice sans que quiconque ne réagisse dans la salle, en tout cas, pas de manière audible à l’écoute de l’émission. Son intervention se trouve maintenant en vidéo sur le site de l’antisémite Blanrue sous le titre « un libertaire signe la pétition », comme un parfait exemple de l’idiot utile. Une vidéo d’ailleurs filmée par les animateurs du site « Enquête et débat » d’un certain Jean Robin (ex d’Acrimed) qui sur son site interviewe régulièrement des personnes qu’il n’est malheureusement plus nécessaire de présenter comme Alain Soral, Kemi Seba, Christian Vanneste ou Philippe Randa.
Mais est-il utile de préciser que ces débats étaient animés par Philippe Raulin ?
Aucune prise de position publique là-dessus, ni de la part de la Coordination des Intermittents et des Précaires (CIP-IDF), ni de la FA, qui assoit de plus en plus sont statut officiel d’idiote utile de l’extrême-droite sans que cela ne semble déranger personne en son sein. Celle-ci a été déjà interpellée plusieurs fois par des anti-fascistes,[8] mais son absence totale de remise en question et d’esprit critique, au final, renvoie le message que la FA ne considère pas toutes ces erreurs graves comme des problèmes et qu’elle les assume au point de penser qu’il ne s’agit pas d’erreurs et que l’ouverture de ses micros à des pro-fascistes de ce genre est un choix conscient.
En guise de Post-Scriptum, nous aimerions anticiper l’offuscation de quelques militants en affirmant sans conditions que tous les militants de la FA sont responsables des propos tenus en leur nom, dans la mesure où ces militants gardent le silence d’une part, mais surtout, ne quittent pas l’organisation. Il est possible d’être anarchiste partout ailleurs qu’à la FA ou dans n’importe quelle organisation formelle et permanente, il n’y a donc aucune raison valable pour ne pas déchirer sa carte d’adhésion à la FA comme l’ont déjà fait nombre de travailleurs avec leurs syndicats lorsqu’ils se sentaient « trahis ». Nous appelons cautionner le fait de prendre part à une organisation dirigée par des individus comme Raulin et ses amis, qui élabore des plans pour nous punir même après la destruction de toutes les prisons, qui se dissocie de tous les actes de révolte qui n’appartiennent ni au passé ni à un quelconque exotisme, qui participe à la répression des anarchistes en aiguillant les doigts accusateurs des flics et des juges en direction de tout ce qui n’est pas eux, qui dans sa librairie installe des bornes antivols (et les dispositifs RFID qui vont avec), qui réécrit l’histoire du mouvement anarchiste en permanence, qui travaille main dans la main avec toutes les organisations politiques qui pourrissent déjà nos vies au quotidien (partis, syndicats etc.), qui voit du complot partout où elle est critiquée, qui laisse s’exprimer en son nom sous couvert de liberté d’expression les pires défenseurs du fascisme et leurs idiots utiles d’extrême-gauche, qui laisse s’exprimer en toute complaisance sur son antenne des racistes patentés avec ou sans carte de membre, qui refuse systématiquement toute remise en question du sexisme de nombre de ses militants, etc. Ceci est donc un appel aux militants sincères et anti-autoritaires de la FA à déchirer leurs cartes et à cesser d’être des militants pour devenir des anarchistes, donc des individus iconoclastes, sans foi ni loi, sans parti et sans organisation permanente.
[1] La FA est souvent appelée la "tendance camembert-saucisson de l’anarchisme". Au-dela de la blague cela fait référence à son combat passionné contre l’anti-specisme, allant jusqu’à l’agression physique, mais surtout à la beauferie d’une partie de ses militants, anarchistes de folklore plus que de combat.
[2] On peut le lire ici.
[3] « On ne distingue pas bien ce qu’une telle position a de libertaire, du moins si cet adjectif désigne une personne qui tenterait de se dégager des poncifs de la propagande politique officielle et du bourrage de crânes médiatique et produirait une pensée autonome de celle des classes dominantes – “occidentales” ou pas. Pas plus qu’on ne perçoit ce qu’ont de “libertaires” les allusions positives de Hamid Zanaz aux “avancées radicales” permises par Bourguiba, Bismarck, Kemal Ataturk ou Napoléon. […] On ne voit pas bien ce que viendrait faire dans son Panthéon laïque Bourguiba, grand tortionnaire et dictateur devant… l’Eternel. Ou Napoléon et Bismarck, qui ont persécuté les républicains pour le premier (Bonaparte ayant de surcroît rétabli l’esclavage avant de devenir empereur), les syndicalistes et les socialistes pour le second. » — Extrait de Ni patrie ni frontières, février 2010.
[4] Par ailleurs secrétaire mandaté par les adhérents de la FA pour Radio Libertaire.
[5] On pourra écouter l’émission ici.
[6] A propos de Chomsky, Bricmont, Baillargeon et leurs amis, voir la brochure Noam Chomsky et ses amis… Une imposture au sein de l’anarchisme, Ravage Editions, juin 2011.
[7] CIP-IDF - Coordination des intermittents et précaires d’Ile-de-France.
[8] On pourra lire par exemple le texte De la liberté d’expression en général, et du cas Bricmont en particulier, publié sur Indymedia Paris le 13 décembre 2010.