collectif
Et si on parlait (un peu) de la souffrance psychique ?
Rudiments de compréhension et pistes d’alternatives à la psychiatrie classique
1 - Les politiques de santé mentale et clinique
2 - Les résistances et luttes de patient-e-s
2 - Quels sont les effets secondaires des neuroleptiques ?
3 - Pourquoi les expériences de communauté thérapeutique ne se sont-elles pas généralisées ?
4 - Comment vivre les crises ?
5 - Quels sont les chemins de la guérison ?
7 - Comment améliorer les rapports entre la personne souffrante et son entourage ?
Cette brochure est un compte-rendu d’un atelier sur la souffrance psychique organisé lors des rencontres de l’Action Mondiale des Peuples, en août 2006, à Bellevue, en France (http://pgaconference.org/fr).
Cet atelier sur la souffrance psychique a été animé par Alain Riesen, ergothérapeute travaillant à Genève, dans une structure alternative d’accueil de personnes en souffrance psychique (Arcade 84). Il s’agit d’un lieu de vie, de soins et d’activités ouvert sur la ville et ses habitant-e-s, proposant un restaurant, des ateliers de photographie, d’informatique, d’écriture, etc. Alain Riesen possède une expérience des milieux hospitaliers et extra hospitaliers en matière de psychiatrie.
Nous avons abordé de nombreux thèmes lors de cet atelier, notamment par le partage de témoignages. Ce compte-rendu est loin d’être exhaustif, mais il présente un certain nombre de pistes pour mieux appréhender la souffrance psychique.
I - Exposé d’Alain Riesen
1 - Les politiques de santé mentale et clinique
Au XVIIIème siècle s’est opérée une profonde transformation de la vision de la maladie mentale. On peut considérer la Révolution française de 1789 comme une date clé de cette évolution. Avant cela, les personnes présentant des troubles psychiques étaient considérées comme ’’possédées par le démon’’. Elles étaient généralement enfermées, il fallait leur faire ’’sortir le Mal’’. A partir de 1789 s’est développée une tentative d’expliquer les troubles psychiques de manière rationnelle, médicale. Les ’’possédé-e-s’’ deviennent des patient-e-s. Des hôpitaux pour aliéné-e-s sont créés. Cependant, les patient-e-s sont généralement considéré-es comme incurables, irresponsables, voire dangereux. Les techniques d’intervention sont l’enfermement, la camisole de force et, peu à peu, les techniques médicamenteuses. La découverte de l’anti-dépresseur et des neuroleptiques au XXème siècle introduit un changement du dispositif institutionnel, permettant une gestion plus efficace des crises psychiques. Peu à peu, les hôpitaux s’ouvrent vers l’extérieur (par exemple, les barreaux sont enlevés des fenêtres des chambres). Mais de nombreuses personnes passent des dizaines d’années, voire leur vie entière dans l’Hôpital, institution totalitaire dans la mesure où elle ne prend pas seulement en charge la vie psychique de la personne, mais toute sa vie.
Concernant le classement des troubles psychiques, le modèle dominant qui s’est imposé en Occident est le modèle dit bio-psycho-social. Il classe les troubles psychiques en trois groupes :
-
Les troubles de la pensée (schizophrénie, psychose...). Il s’agit des troubles les plus graves, qui touchent la capacité à penser librement, avec une certaine logique. Ils modifient l’identité de la personne, parfois brutalement. Ils s’accompagnent généralement d’hallucinations visuelles, odorantes, auditives, vécues comme une réalité par la personne, mais non perçue par son entourage. Cela peut aller jusqu’au délire, comme des délires de persécution, délires de toute-puissance, etc. Il s’agit parfois d’expériences intérieures extrêmement intenses, inimaginables pour le ’’sens commun’’. Ces effets sont proches de ceux du LSD ou autres psychotropes.
-
Les troubles de l’humeur (dépressions, troubles bi-polaire...). Il s’agit d’une modification durable de l’humeur (perte d’envie, d’appétit, tristesse...). Ces dépressions peuvent être réactionnelles (suite à une décès, un accident...) ou endogène (dépression persistante, impossible de trouver la cause).
-
Les troubles émotionnels (névroses, phobies, troubles obsessionnels compulsifs...). Il s’agit de réactions incontrôlées de peur ou de colère face à certaine situation. Nous sommes tou-te-s sujets de névroses, à divers degrés.
Les causes de tous ces troubles sont extrêmement difficiles à établir. Le diagnostic est très complexe et très long. Un conseil : éviter de poser des jugements hâtifs sur les personnes atteintes de troubles psychiques, on se trompe la plupart du temps ! Dans le cas des troubles de la pensée, on ne sait toujours pas, scientifiquement, pourquoi un certain pourcentage de la population, dans toutes les civilisations, semble développer ce type de troubles (grosso modo, 1% de la population). Nous avons seulement des hypothèses comme :
-
La génétique : nous aurions, selon nos gènes, des prédispositions aux troubles de la pensée. Il s’agit d’un axe majeur et très financé des recherches en neuroscience.
-
Le contexte environnemental : les conditions sociales, familiales ou encore professionnelles peuvent jouer le rôle de ’’stresseurs’’, déclenchant les troubles. Par exemple, pour les jeunes adultes, les psychotropes ou les voyages lointains (perte de repères, expériences intenses) peuvent jouer le rôle de ’’déclencheurs’’.
Mais insistons sur le fait qu’il ne s’agit là que d’hypothèses, il n’y a aucune certitude scientifique. Attention donc aux préjugés !
Concernant le dispositif institutionnel classique actuel, sans rentrer dans le détail, les services de santé mentale sont organisés par secteur géographique, un secteur regroupant une certaine quantité de population (100 000 personnes par exemple). Chaque secteur regroupe un dispositif : lieu de consultation d’urgence, centre de jour, centre de thérapie, centre d’hospitalisation brève, unité hospitalière, etc.
Concernant les techniques d’intervention, là aussi, sans rentrer dans le détail, notons qu’elles sont plurielles :
le traitement médicamenteux : par exemple les neuroleptiques coupent le délire en agissant sur le système nerveux, mais ne résolvent pas les causes du délire.
l’approche psychothérapeutique : améliorer la compréhension et le fonctionnement psychique.
l’approche cognitivo-comportementale : modifier le comportement du/de la patient-e pour agir sur le trouble.
l’approche psycho-éducative : par exemple, aider les patient-e-s à identifier ce qui déclenche les symptômes de troubles psychiques, afin d’éviter les crises.
2 - Les résistances et luttes de patient-e-s
Les années 68 ont donné lieu à une critique radicale des institutions psychiatriques qui a notamment été nourrie par les travaux de Michel Foucault, Erving Goffman ou Robert Castel (voir biliographie). Cette contestation a eu un caractère éminemment politique, parce qu’elle assimilait les soins psychiatriques à la répression sociale, la dimension asilaire à la dimension carcérale. Ces critiques se sont concrétisées à travers un ensemble d’expériences alternatives.
Par exemple en France, la psychothérapie institutionnelle (Tosquelles, 1984) tente de faire valoir le développement des thérapies relationnelles comme essentiel pour rendre la parole aux patient-e-s. Le dispositif institutionnel est ainsi conçu comme un espace de soins et non plus comme un espace d’enfermement et de contrôle des patient-e-s.
En Angleterre (Barnes et Berke, 1973), les communautés thérapeutiques accueillent les patient-e-s en crise psychiatrique en limitant au maximum l’utilisation des moyens de contention physique et des médicaments. Il s’agit notamment de ne pas brider l’expression des patient-e-s, mais créer des lieux de vie où la personne peut vivre, aller au bout de son délire, traverser son histoire de la folie pour ensuite ’’guérir’’. En Suisse, une communauté thérapeutique (Soteria, Berne) a été créée en complémentarité du dispositif institutionnel classique. En rentrant à l’hôpital d’urgence, la personne en crise peut choisir entre un internement classique (enfermement, injection, sortie rapide de la crise) ou un dispositif relationnel intensif : communauté thérapeutique sans médicament ou avec peu de médication, chambre dite douce où la personne est seule mais protégée 24h/24 par un personnel soignant. Pour la personne, ce dispositif est plus difficile, plus long, mais il peut lui permettre de comprendre pourquoi elle vit ce délire. Cela permet au patient de se réapproprier sa façon de gérer sa crise.
En Italie, la fermeture des hôpitaux psychiatriques (Basaglia, 1970) au profit de services socio-sanitaires implantés dans le territoire et les hôpitaux générax a préfiguré le développement important des structures intermédiaires en Europe : foyers, appartements protégés, appartements individuels accompagnés, services de soins et aide à domicile, entreprises sociales et solidaires, services pour la promotion des droits des patient-e-s, création de groupes de patient-e-s, espaces de formation et de placement spécialisés, lieux de rencontre et de création artistique, organisation de loisirs et d’espaces culturels en lien avec la communauté. Toutes ces réalisations ont un dénominateur commun : lutter contre toutes les discriminations et exclusions des personnes souffrants de troubles psychiques.
Concernant les luttes de patient-e-s, notons, en Suisse, la création de collectifs de personnes vivant ou ayant vécu des troubles psychiques (l’association L’expérience, l’association ATB, Troubles Bipolaires et Dépressifs, l’association des Entendeurs de voix, l’association des ’’sans-voix’’). Agissant généralement au coeur de l’institution classique, ces associations s’efforcent de réformer les dispositifs psychiatriques, pour faire reculer les pratiques autoritaires, les abus de pouvoir, la violence physique et symbolique à l’égard des patient-e-s. De nombreuses revendications portent également sur l’identité des personnes souffrantes : sortir d’une vision personne malade/saine pour faire reconnaître la singularité du vécu de chacun-e, participer politiquement aux décisions les concernant, développer l’autonomie et l’entraide, développer leur propre connaissance des troubles psychiques.
II - Questions / Réponses
1 - Quelle est l’efficacité des expériences ’’antipsychiatriques’’ par rapport au dispositif ’’classique’’ ?
Il n’existe pas d’études scientifiques comparatives. Les études épidémiologiques coûtent très chers : il faut étudier minutieusement des centaines de dossiers sur des périodes longues (10 ans ou plus). Il existe cependant au moins une étude réalisée à Lausanne sur ’’l’efficacité’’ du dispositif psychiatrique ’’classique’’ concernant la schizophrénie (troubles de la pensée). Grosso modo, cette étude montre que, sur le long terme, un tiers des patient-e-s guérit ou améliore nettement sa situation, un tiers stabilise son état à un moment donné, un tiers voit ses troubles empirer, quels que soient les modes thérapeutiques choisis.
2 - Quels sont les effets secondaires des neuroleptiques ?
Les neuroleptiques de ’’première génération’’ avaient des effets secondaires très forts : tremblements, bouche sèche, risques de diskynésies tardives (tremblements impossibles à faire cesser). Les neuroleptiques de ’’seconde génération’’ ont beaucoup moins d’effets secondaires. Les neuroleptiques, pour stopper les crises psychiques, interviennent sur la production de la pensée fantasmatique, de l’imaginaire. Certain-e-s patient-e-s vivent très mal cette impression de ’’no man’s land émotionnel’’, et demandent à arrêter leur traitement pour cette raison. Les neuroleptiques ont des effets sur la communication et la socialisation : ralentissement de la pensée, troubles de la concentration, pertes de mémoire, difficultés à planifier sa vie et faire des choix. Il peut être important, pour observer l’évolution des troubles de la pensée, de créer des ’’fenêtres thérapeutiques’’. Il s’agit de diminuer progressivement le traitement, sous contrôle médical, pour observer l’évolution du/de la patient-e. Attention, répétons-le, une modification du traitement doit se faire avec une équipe médicale. Il ne faut surtout pas arrêter un traitement du jour au lendemain, sous risques d’accidents. Notons que dans certains cas, le traitement peut durer toute la vie.
3 - Pourquoi les expériences de communauté thérapeutique ne se sont-elles pas généralisées ?
Plusieurs hypothèses peuvent être avancées. Difficultés idéologiques : primauté, au sein des professionnel-le-s de la santé, des approches classiques, orientées notamment vers la neuroscience, au détriment des approches relationnelles. Difficultés économiques : pour un-e patient-e donné-e-, une communauté thérapeutique coûte plus cher qu’un hôpital psychiatrique, car il faut un personnel soignant plus important. Difficultés sociales : la charge émotionnelle est très lourde à porter pour l’équipe thérapeutique, elle nécessite des changements profonds dans la vie de chacun-e, elle crée des peurs (peur de sombrer avec le/la patient-e à force de le/la cotoyer si proche).
4 - Comment vivre les crises ?
Nous avons le devoir de porter assistance à une personne qui peut atteindre à sa vie sous l’effet de troubles psychiques. Cette situation est la plupart du temps délicate, car la personne en délire peut refuser tout traitement tant elle est convaincue, profondément, de la réalité de son délire. Il est pourtant important que la personne se retrouve dans un lieu protégé. Si la personne est déjà suivie par un psychiatre, il faut immédiatement le contacter. La prise en charge par une institution permet de stopper la crise, éviter le point de non-retour, soulager les proches, et démarrer une relation avec un thérapeute.
5 - Quels sont les chemins de la guérison ?
Développer la communication, rompre l’isolement, aider la personne en souffrance à construire une image positive d’elle-même. Cela peut passer par l’expression corporelle, artistique, l’écriture, etc. Mais également par le sentiment d’être utile dans une communauté de vie, dans un groupe social. Cela peut passer par le travail, une activité, etc. Il s’agit de (re)trouver du sens à sa vie. Il est également important que la personne, avec l’aide d’un-e professionnel-le, puisse travailler sur la compréhension des situations ’’extraordinaires’’ (crises, troubles...) qu’elle vit.
6 - Quelles sont les possibilités de prévention de la souffrance psychique pour l’entourage de la personne ?
Quelques pistes : se documenter sur les troubles psychiques, notamment via internet ; faire des recherches de lieux alternatifs d’accueil, afin de trouver un dispositif qui corresponde à la personne en souffrance, où la personne peut vivre des choses avec d’autres personnes que l’entourage quotidien, faire des activités concrètes, ne pas être seule ; parler de la situation avec la personne en souffrance ; essayer d’identifier les signes qui précèdent la crise ; chercher une complémentarité entre les institutions (alternatives ou non), les professionnel-le-s et le soutien de l’entourage.
7 - Comment améliorer les rapports entre la personne souffrante et son entourage ?
Souvent, l’entourage cherche à jouer tous les rôles. Chaque personne est à la fois parent-e, ami-e-, thérapeut-e, assistante- social-e, flic, intendant-e, etc. Cela aboutit à des situations très difficiles à vivre ! Il est important d’effectuer un processus pour récupérer sa place propre, grâce au suivi par une équipe soignante. Dans tous les cas, l’entourage n’échappe pas au malaise, à la culpabilité, à l’incompréhension. Il ne faut pourtant pas avoir peur d’exprimer ses sentiments, être authentique avec la personne en souffrance. Le pire est quand la personne se sent en permanence observée, scrutée, à la recherche du moindre signe d’amélioration ou d’aggravation. Attention aussi aux prédictions auto-réalisatrices : à force de dire qu’une personne va retomber en crise ou de se comporter comme tel, cela peut augmenter le risque de sa rechute.
8 - La souffrance psychique peut s’accompagner d’addictions (tabagisme, alcoolisme...) - Comment aider les personnes qui souhaitent arrêter ces drogues ?
Très souvent, les réactions de l’entourage et de la société par rapport à l’échec sont négatives : reproches, moqueries, fatalisme, etc. Pourtant, c’est tout l’inverse. Les études montrent qu’il faut plusieurs tentatives, et donc plusieurs échecs, pour réussir à sortir du tabagisme ou de l’alcoolisme. Plus la personne effectue des tentatives, plus elle potentialise ses chances de succès. Voilà pourquoi il ne faut pas culpabiliser, mais au contraire féliciter les personnes qui tentent de s’en sortir, car tôt ou tard ce sera la bonne.
III - Quelques repères bibliographiques
1/ Sur la critique de l’ordre psychiatrique
-
L’ordre psychiatrique, R. Castel, Minuit, 1976
-
Les métamorphoses de la question sociale, R. Castel, Fayard, 1995
-
Histoire de la folie, M. Foucault, Gallimard, 1977
-
Asiles, E. Goffman, Minuit, 1968
2/ Sur l’antipsychiatrie
Expérience italienne
-
L’institution en négation, F. Basaglia, Seuil, 1970
-
La majorité déviante, F. Basaglia, 10/18, 1976
Expérience française
-
Guérir la vie, R. Gentis, Maspero, 1971
-
Eloge de la psychiatrie, F. Jeanson, Seuil, 1979
-
Education et psychothérapie institutionnelle, F. Tosquelles, Matrice, 1984
Expérience anglaise
-
Un voyage à travers la folie, M. Barnes et J. Berke, Fayard, 1973
3/ Sur les luttes de patient-e-s
-
Plaquette de l’association des personnes atteintes de troubles bi-polaires et de dépression (ATB), Genève, 2004
-
Troubles psychiques, carnet d’adresses genevois, brochure du Grepsy, Groupe de réflexion et d’échange en santé psychique, Genève, 2003 (Pro Mente sana, 40 rue des Vollandes, 1207 Genève)
-
Plaquette d’information de l’association L’expérience, Genève, 2004
-
Plaquette de présentation du psy-trialogue, Genève, 2005 (Pro Mente sana...)
-
Revendication des usagers de la psychiatrie et du réseau d’aide aux personnes en difficultés psychiques, J-D Michel, Genève, 2001 ((Pro Mente sana...)
-
Plaquette de présentation du Réseau d’entraide des entendeurs de voix, Genève, 2005
4/ Sur la critique du rapport travail/santé
-
Souffrance en France, C. Dejours, Seuil, 1998
-
Le facteur humain, C. Dejours, PUF, 1995
5/ Sur les structures auxquelles participe Alain Riesen
-
Classeur système qualité, Arcade 84, 2004
-
Pour ne pas perdre sa vie à la gagner, brochure du Collectif travail, santé et mondialisation, 2002