CNT-AIT
Kazakhstan
situation du prolétariat depuis l'indépendance
Dix ans ont passé depuis l'indépendance du Kazakhstan et l'invasion de l'économie de marché dans nos vies. En ayant un regard rétrospectif sur cette période il est impossible de ne pas remarquer les évidentes modifications structurelles de la classe ouvrière de notre société. Nous parlons de l'immense processus de prolétarisation qui s'est emparé de la vaste majorité de la population ; il est clair que pour presque tout le monde le lendemain réserve toujours le risque d'une dégradation sociale. Les relations basées sur la compétition nous sépare les uns des autres mais aussi de nous-mêmes. La plus grande partie des masses inertes ne trouve rien de mieux que d'éprouver une nostalgie de l'état totalitaire. La plupart des jeunes ouvriers s'engage dans une vaine poursuite des standards fantomatiques de bien-être. Finalement, la minorité pensante obtient véritablement une expérience tragique de la vie, qui bien trop souvent se finit abruptement et prématurément.
La nouvelle division de classe ne se résume pas à la transformation de la nomenklatura sans nom en des barons et magnats concrets. La fermeture de grandes entreprises et la mort lente de l'agriculture a amené la désintégration de la classe ouvrière classique et la paupérisation des paysans.
Les usines d'industrie militaire ont été privatisées à Uralsk. La privatisation occasionne l'extermination non seulement morale mais aussi quelquefois physique des travailleurs. Ainsi l'un d'entre eux était employé dans 3 entreprises, marchait 15 kilomètres de l'une à l'autre mais n'arrivait toujours pas à gagner assez pour l'éducation de ses enfants. Ses difficultés pour faire vivre sa famille ont provoqué son immolation par le feu en public. Après ses funérailles, ses camarades de l'usine, guidé par le jeune leader charismatique de la commission syndicale ont effectué un défilé pacifique sur la mairie.
Nous pouvons retirer quelques traits marquants de ce cas.
Premièrement, la crise du capitaliste et traditionnel « travailleur familial», c'est-à-dire l'homme qui gagne son pain et ses autres besoins avec son travail industriel, tandis que sa femme et les autres personnes à charge jouent un rôle passif. De nos jours ce modèle devient de plus en plus dépassé et dans l'incapacité de survivre ; nous pouvons parler d'une prolétarisation des relations familiales.
Deuxièmement, les travailleurs sont menés au désespoir par leurs conditions d'existence jusqu'au moment où une intense frustration ne trouve rien de mieux que de demander de l'aide aux autorités qui les ont condamnés à une mort lente.
Troisièmement, cette action de protestation radicale d'un individu se limite en fin de compte à lui-même et n'est pas capable d'apporter des résultats positifs ou de permettre le développement d'une série d'actions radicales généralisées.
L'auteur de ces lignes était présent au défilé et il n'a rien perçu d'autre que de la tristesse dans le regard de cette concentration silencieuse de personnes âgées. Peu de temps après une action similaire mais différente dans l'esprit s'est déroulée dans les gisements locaux de gaz et de pétrole. Dans ces lieux 3000 travailleurs ont cassé les fenêtres de la cantine quand elle a été fermée par la visite de la délégation gouvernementale, et ont obtenu la reddition du premier ministre grâce à une émeute colérique et grossière. Dans ce cas l'action a été connue par l'ensemble de la nation et une commission gouvernementale a été créée pour apaiser ce conflit du travail, bien que ceux qui connaissaient bien la liste des revendications savent que presque aucune d'entre elles n'ont été satisfaites. Un peu plus tard une action moins significative s'est déroulée à Tenghiz, le plus grand gisement pétrolier de la mer Caspienne, où environ une centaine de travailleurs ont établi un piquet de grève devant le bureau patronal turc. Les raisons de ce conflit étaient les mêmes : l'importation injustifiée d'une main d'oeuvre étrangère, les réclamations concernant une augmentation des salaires, les conditions de travail insalubres.
Généralement, si nous parlons de certains travailleurs de l'industrie nous avons conscience qu'il s'agit de la partie la plus privilégiée de notre classe, ayant en sa possession un salaire stable et payé à l'heure et un emploi, même s'il est temporaire. Déjà , les premières discriminations venant des capitalistes étrangers concernent la flexibilité des relations de travail. Ces méthodes ne sont pas toujours adaptées et sont des fois complètement révoltantes. Ainsi les travailleurs employés par Aktobe dans les gisements pétroliers de Zhanazhol, exploitées par des compagnies chinoises, étaient dans une situation révoltante et ont écrit un rapport pour les autorités étatiques.
Nous avons reçu beaucoup d'informations intéressantes de Karaganda, le plus gros centre industriel du pays avec la plus forte concentration de prolétariat industriel. Là-bas, d'après nos sources, la lutte de classe a pris une forme très avancée, sous la forme d'un conseil de travailleurs formé d'après des principes industriel et territoriaux, se composant de délégations de quelques entreprises. Les dernières nouvelles de Karaganda parlaient d'un meeting de protestation qui s'est tenu au complexe métallurgique d'Ispat-Karmet, où 26000 travailleurs sont employés. C'est la traditionnelle revendication concernant une augmentation salariale qui y est mise en avant depuis un an, mais malheureusement cette initiative repose totalement sur le comité syndical, c'est-à-dire que le sort du conflit repose sur quelques travailleurs qui étaient déjà incorporés à la commission de résolution du problème formée avant la manifestation.
D'une façon générale, nous pensons dans ces circonstances que la création d'un mouvement national unifié de travailleurs sur des bases idéologiques claires est d'avance condamnée à l'échec. Pourtant, l'existence de certains points de résistance continuelle et les actions de protestation spontanées pourraient devenir le préalable à une prise de conscience répandue des possibilités du prolétariat. Bien sûr, nous savons que l'immense majorité de la population planétaire se trouve dans des conditions de vie plus ou moins semblables. Un monde fondé sur des nouvelles relations humaines est toujours à créer.