Coordination des Groupes Anarchistes
Le système de domination raciste en France
Majorité et minorités nationales
Majorité et minorités nationales en France
Majorité et minorités nationales
La majorité nationale, c'est l'ensemble des personnes situées sur un territoire, que l'idéologie dominante définit comme les membres « naturels » du corps national. C'est-à-dire celles et ceux dont on ne conteste pas, quels que soient leurs actes, l'appartenance au corps national, la nationalité, dont on n'exige pas des preuves de loyauté pour les considérer au sein du corps national.
Les minorités nationales,[1] ce sont l'ensemble des groupes minoritaires qui sont présents sur un territoire donné, mais sont, ont été ou peuvent être considérés comme extérieurs au corps national tel que défini par l'idéologie dominante. Selon les contextes, ils peuvent être considérés comme appartenant au corps national ou lui étant extérieur, mais dans le premier cas, cette appartenance est sans cesse susceptible d'être remise en question, dans les discours, dans la pratique et notamment l'attitude des institutions.
Ce sont les groupes dont on exige des preuves de loyauté dans le cas où l'on considère qu'ils peuvent appartenir au corps national. Les actes des personnes appartenant aux minorités nationales peuvent être mobilisés par l'idéologie dominante pour dénier ou au contraire accorder l'appartenance au corps national à ces mêmes personnes.
Majorité et minorités nationales en France
En France, la majorité nationale, selon l'idéologie dominante, est de peau blanche, de culture chrétienne (que les personnes soient croyantes ou non).
Par idéologie dominante, il faut entendre ici l'ensemble des représentations dominantes, majoritaires, véhiculées tant par des références culturelles implicites que par les discours à caractère politique explicites.
Les minorités nationales sont quant à elles constituées de toutes les personnes qui ne correspondent pas à ces critères arbitraires définis, de manière explicite ou implicite, par l'idéologie dominante.
On peut ainsi lister les minorités nationales suivantes :
Celles fondées en premier ressort sur la couleur de peau dans l'idéologie raciste classique, ainsi que sur d'autres éventuels stéréotypes pseudo-culturels :
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La minorité nationale « arabe », regroupant toutes les personnes désignées comme telles par le discours dominant, sur la base de la couleur de peau et sur celle de l'association à la culture arabe (ou ce que l'idéologie dominante prétend être la culture arabe) même si elles sont par exemple amazigh.
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La minorité nationale noire, regroupant toutes les personnes sur la base de la couleur de peau.
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La minorité nationale rom.
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La minorité nationale asiatique.
Auxquelles s'ajoutent deux minorités nationales, produit d'un processus de racialisation ou d'ethnicisation de la religion par l'idéologie dominante, dans lequel les personnes sont assignées à une religion sur la base d'une couleur de peau, d'une filiation ou d'un patrimoine culturel :
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La minorité nationale juive, regroupant les personnes de culture ou filiation juive, croyantes ou non au judaïsme. L'idéologie dominante définit ici l'appartenance à la minorité juive non sur une base religieuse mais sur une base ethnique, culturelle ou raciale, la religion étant par ailleurs représentée de manière fantasmée. C'est la base de l'antisémitisme.
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La minorité nationale musulmane, regroupant les personnes de culture ou de filiation musulmane, croyantes ou non à l'islam. Sur le même modèle que la minorité nationale juive, l'idéologie dominante définit l'appartenance à la minorité musulmane non sur une base religieuse mais sur une base ethnique, culturelle ou raciale, la religion étant par ailleurs représentée de manière fantasmée.
Ces deux minorités nationales sont à distinguer des minorités religieuses du même nom, qui regroupent exclusivement les personnes croyantes aux religions judaïque et islamique.
Le discours dominant exclue les personnes appartenant à ces minorités nationales du corps national non sur la base de leur croyance religieuse, mais sur celle d'une assignation identitaire de type ethnique ou raciale, dans laquelle la religion n'est pas abordée comme un ensemble de croyances et de pratiques sociales, mais comme une identité assignée à l'individu sur la base d'une filiation.
Dans l'idéologie raciste dominante, la minorité musulmane tend aujourd'hui à se confondre, voire à remplacer pour partie, la minorité arabe. Ne pas voir que « musulmanEs » a remplacé « arabes » dans les discours de droite comme de gauche, permettant de maquiller le même racisme qu'hier, c'est passer à côté d'une réalité particulièrement significative aujourd'hui. C'est cela que nous désignons sous le terme d'islamophobie. Et dire cela, comme pour l'antisémitisme, ne relève pas de la défense d'une religion. La dénonciation de la mécanique raciste ne doit pas servir de caution aux religieux pour la défense de leur chapelle. Si nous considérons qu'il n'est pas opportun aujourd'hui de critiquer l'islam en particulier, parce que ce genre de discours est trop facilement utilisé par les racistes pour présenter leur idéologie de manière masquée, nous affirmons dans le même temps la nécessité de combattre toutes les religions en général, islam compris, puisque toutes fonctionnent sur la même logique d'asservissement des individus.
Le racisme, un système de domination
Cette division entre une « majorité nationale » et des minorités nationales n'est pas que de l'ordre d'un discours. Les stéréotypes racistes, ethnicistes, qu'elle véhicule ne sont pas que de l'ordre de « préjugés » portés individuellement, qu'il suffirait « d'éradiquer » pour combattre le racisme.
Ils sont le produit d'un système raciste, qui a été construit dans le double mouvement du développement de l'idéologie nationale et des États-nations, et de l'impérialisme colonial.
Le développement de l'idéologie nationale a été le produit d'un mécanisme de centralisation du pouvoir visant à uniformiser les territoires contrôlés, d'une part, et d'autre part de la volonté de substituer à la souveraineté de droit divin celle d'une communauté formée de manière artificielle sur la construction de mythes historiques et culturels. Cette construction s'est faite en créant l'illusion d'une continuité historique au moyen de la sélection d'éléments de l'histoire des populations et des territoires, évacuant ce qui ne collait pas au « roman national » des origines d'une communauté historique nationale. Dans le même mouvement, des éléments culturels ont été sélectionnés car considérés comme distinctifs d'un territoire, évacuant tous les traits culturels spécifiques qui viendraient contrarier cette uniformisation ayant pour but le renforcement du pouvoir politique central.
La construction de toute pièce d'une « communauté nationale » fondée sur une « histoire nationale » et une « identité nationale », dans tous les cas artificielle, a été le fait d'idéologues du pouvoir d’État, qui, à partir du mécanisme centralisateur de la monarchie absolue, poursuivi par la construction de l'Etat-nation jacobin, ont cherché à légitimer le contrôle de populations et de territoires donnés par l'utilisation sélective de l'histoire et de la culture. Ils ont ainsi cherché à définir la « nation » en lui fixant des limites territoriales et démographiques. Le corps national a ainsi été défini progressivement comme ayant des traits communs, par opposition à un « autre », ou plutôt à DES « autres » : les étrangers, mais aussi les minorités nationales considérées comme étrangères au corps national, bien qu'ayant la nationalité de l’État-nation constitué.
C'est dans ce contexte que s'est développé l'antisémitisme en Europe, par exemple, les juifs étant définis comme la figure antinationale, racisée, définie comme extérieure au corps national.
L'islamophobie se structure depuis ces vingt dernières années selon la même logique, permettant d'englober et cibler de manière globale un ensemble de minorités nationales sous la même catégorie racisée, à laquelle sont assignées toutes les personnes de culture ou de filiation musulmane, qu'elles soient croyantes ou non.
En parallèle, la colonisation de l'Amérique, puis, à partir du XIXe siècle, l'extension de l'impérialisme colonial à l'ensemble du monde non occidental, se sont appuyés sur une définition raciste des peuples non européens. Pour justifier leur asservissement et l'accaparement des territoires qu'ils habitent et de leurs richesses, les peuples colonisés furent désignés comme inférieurs, comme peuples barbares à civiliser, voire comme simples bêtes de somme afin d'autoriser le recours massif à l'esclavage, c'est-à-dire à la déportation et au travail forcé de millions d'individus.
Si les mots et les formes de l'impérialisme colonial ont évolué aujourd'hui, il est toujours sous-tendu par la même idéologie raciste. Comme hier, guerres et coups de force ont toujours pour objectif l'expansion économique capitaliste, et pour justification idéologique la prétendue supériorité de l'Occident, qui aurait la responsabilité civilisatrice de décider pour le reste du monde de ce qui est bon pour lui.
Quelle lutte antiraciste ?
La période de régression sociale que nous subissons est propice au développement du racisme. Les pouvoirs s'appuient sur ce système de domination raciste pour diviser ceux et celles qui auraient intérêt à s'unir pour contrer les effets dévastateurs du capitalisme : désigner des boucs-émissaires comme responsables du chômage, de la précarité et de la misère, permet à la bourgeoisie de détourner les classes populaires des revendications d'égalité économique et sociale. A ce titre la lutte antiraciste est un enjeu essentiel pour l'ensemble de ceux et celles qui luttent pour l'égalité.
Nous devons au niveau idéologique contribuer à démonter les mécanismes et les discours sur lesquels repose le système de domination raciste. Cela implique donc la dénonciation et la lutte contre toutes les formes de racisme que nous avons définies. Le racisme d'État, le racisme « ordinaire » intégré, le racisme masqué sous des pseudo discours sociaux ou laïques, les discriminations racistes du quotidien et/ou légales, comme les discours et pratiques racistes assumés, sont tous à combattre même s'ils ne signifient pas les mêmes choses et ne requièrent pas les mêmes réponses.
Le combat contre le racisme contient de façon évidente une dimension antifasciste que nous avons développée dans notre motion sur l’antifascisme.[2]
Il est impératif de continuer à soutenir les luttes des personnes qui subissent le racisme et les revendications égalitaires qu'elles portent (lutte contre les expulsions, lutte des personnes sans-papiers pour l'obtention des titres de séjour ou contre les centres de rétention etc.) en soutenant l'auto-organisation de ceux et celles qui luttent.
L'ensemble de ces interventions doit se faire dans un but de convergence de classe, pour contrer l'instrumentalisation du racisme par les pouvoirs à des fins de détournement des questions sociales.
Pour cesser de faire de ceux et celles qui subissent le racisme des boucs-émissaires, il faut pouvoir populariser un discours signifiant : nos ennemis sont les classes dirigeantes, nous n'avons donc pas intérêt à nous diviser sur des critères de nationalité et/ou de religion mais au contraire de nous rassembler sur une base de classe.
Cela permet de poser la question du racisme sur un plan politique au-delà d'une dynamique purement humaniste dont les travers sont nombreux (paternalisme, manque de vision globale). Nous sommes d’ailleurs persuadé-e-s que les bons sentiments, s'ils peuvent fonctionner sur des situations particulières, sont insuffisants pour construire un rapport de force large se maintenant dans la durée et pouvant réellement faire reculer le racisme, surtout dans la période de régression sociale que nous connaissons.
S'efforcer de situer le combat antiraciste sur une base de classe et internationaliste permet également de contrer les instrumentalisations politiciennes et/ou religieuses de cette lutte. Il est plus difficile pour le Parti Socialiste de venir parader dans des mobilisations anti-racistes quand la dimension de classe est affichée. Les courants religieux qui combattent les révolutionnaires peuvent plus difficilement venir sur des mobilisations antiracistes si le caractère internationaliste de classe est affirmé...
Le racisme en France est largement lié à l'idée de nation et se nourrit du passé comme du présent colonial de l'État français. À ce titre la lutte contre l'impérialisme économique et militaire français est à développer pour contrer le racisme. De même la dimension internationaliste de la lutte contre toutes les frontières fait partie intégrante de notre combat contre le racisme.
Notre antiracisme se fonde donc sur une dimension révolutionnaire et internationaliste, mettant en avant toutes les revendications d'égalité économique et sociale.
Le 30 mai 2015,
les Relations Extérieures de la Coordination des Groupes Anarchistes
[1] La notion de minorité nationale, contrairement à ce qui a pu être affirmé, n'est ni une importation marxiste/maoïste dans le mouvement libertaire, ni la reprise de concept onusien. Elle est utilisée par des militantEs anarchistes pour analyser l'antisémitisme et la négrophobie dès le début du XXème siècle. Elle apparaît par exemple dans l'article « Ghetto », rédigé par un militant anarchiste juif, Jules Chazoff de l'encyclopédie anarchiste de Sébastien Faure (1934) : http://www.encyclopedie-anarchiste.org/articles/g/ghetto.html, bien avant le maoïsme et l'ONU !
[2] Motion de la CGA « Quel antifascisme aujourd'hui ? », adoptée en novembre 2011, disponible sur : http://www.c-g-a.org/content/quel-antifascisme-aujourdhui-0