Basse Intensité
Sur un air de… Chacha
À propos de Chavez et du Chavisme
AUCUN CHEF ou leader autoproclamé révolutionnaire ne nous fera jamais rêver. Chavez pas plus qu’un autre. Il n’est qu’une icône (de plus) exotique (en prime) pour une gauche occidentale moribonde en mal de projet et de pouvoir. Il faut dire que l’actuel président du Venezuela a l’art et la manière de manier les symboles, sans compter qu’une part importante du budget étatique est consacrée à la propagande extérieure. Alors Chavez serait le sauveur de l’Humanité ? Le héros de l’anti-impérialisme ? Le défenseur des plus démunis ? L’avant-garde de la lutte contre les OGM ? Face à la ferveur suscitée par le personnage, des voies s’élèvent, portent la critique et tentent d’organiser une résistance. Citons El Libertario, un journal anarchiste.
LES LIGNES QUI SUIVENT entendent relayer les critiques émises par ce journal. Elles puisent aussi leurs sources dans un texte paru dans la revue Échanges, n°123 de l’hiver 2007-2008, dans un récit écrit par un compagnon récemment rentré du Venezuela et dans quelques autres écrits.
LE CHAVISME ne sort pas de nulle part. A la fin des années 80, une grave crise secoue le Venezuela, notamment à cause de la baisse des cours du pétrole. Situation propice à l’émergence d’un sauveur. Après un coup d’Etat raté en 1992, Chavez opte finalement pour la voie légale de prise du pouvoir : le jeu électoral et fonde en 1993 un nouveau parti : le movimiento V républica, voué à un large succès dans les années qui suivent. En 1998, il est élu président de la république et dès 1999, il modifie la constitution et fonde la 5e république du Venezuela.
CHAVEZ A SU CAPTER ET DÉTOURNER l’élan révolutionnaire du pays, la soif de changement dans un pays aux rapports de classes extrêmement violents. Les 27 et 28 février 1989, le peuple de Caracas s’était soulevé suite à une explosion des tarifs, notamment des transports en commun et les réformes économiques inspirées par le néo-libéralisme suite à des accords avec le FMI. C’est ce qu’on appelle le Caracazo. Le 2e jour, le président Carlos Abdres Perez avait envoyé l’armée contre la population révoltée, tuant 300 à 3000 personnes selon les sources.
CHAVEZ S’APPUIE sur un certain nombre de mythes fondateurs et surtout sur l’armée dont il est issu. Un militaire, élu démocratiquement, ça promet une chouette révolution ! Son « socialisme du 21e siècle » se réclame de Bolivar le grand libérateur de la domination coloniale espagnole. Une libération qui profita surtout aux riches du pays, bien plus libre, il est vrai, d’exploiter la main d’oeuvre indienne et leurs terres à partir de ce moment.
IL S’AGIT AVANT TOUT D’UN POPULISME : un discours destiné à séduire les masses à grands coups de promesses sur une meilleure répartition des richesses, sur la fin de la tutelle des états-unis, etc. Populisme aussi, dans la mesure où Chavez entend établir une relation directe entre lui et le peuple. Cela passe par exemple par une émission de télé dominicale « Alo presidente » où Chavez s’improvise animateur de talk show et répond 5 à 6 heures durant aux questions des télé-citoyens.
ALORS, ON EST POUR OU CONTRE Chavez et si l’on est contre Chavez, c’est qu’on est sans doute un suppôt du patronat et de la réaction voire même de la CIA. En décembre 2004, un général de la brigade déclarait : « comme il existe au Venezuela une mafia des droits humains, les écologistes forment une mafia verte derrière laquelle se cache la contre-révolution, les multinationales, le tout dirigé par la CIA ». Dans la revue Échanges, ce mécanisme est clairement exposé : « Les attaques de l’opposition revanchardes-conservatrices sont utilisées par Chavez pour cimenter son camp. Dorénavant, tous ceux qui ne le soutiennent pas sont qualifiés de traîtres au processus révolutionnaire ou, suprême injure, de soutenir l’Amérique de Bush. Fort de cette stratégie du double discours, Chavez et ses alliés, la gauche traditionnelle et tiers-mondiste ainsi que l’extrême-gauche trotskiste initient le show anti-impérialiste permanent pour faire face aux tensions politiques et sociales récurrentes. » Toute contestation est ainsi disqualifiée, tandis que les mouvements sociaux divers et variés se font absorber par l’hydre étatique, mettre sous contrôle, toute charge subversive s’en trouvant de fait désamorcée (par ce processus d’intégration). Il n’existe plus au Venezuela de mouvements sociaux proprement dits qui soient autonomes. Toutes les mobilisations importantes sont convoquées par le gouvernement, qu’elles concernent la guerre en Irak ou l’interventionnisme nord-américain en Amérique latine. Dans Échanges, on peut aussi lire : « Il se construit aussi un culte : le chavisme, un système où le peuple propose et lui dispose. Et comme tout système accepte son contraire, il a deux discours, celui pour le peuple, hyper-médiatisé, et celui pour les élites qui ne sort pas des salons de la présidence. Ce dernier modère nettement le discours de la rue afin de rassurer la bourgeoisie capitaliste du secteur bancaire et des USA, le principal client du pétrole du Venezuela. »
LE PÉTROLE EST LA RICHESSE PRINCIPALE du pays. Il représente en 2007 90% des exportations du pays. Il est donc le garant de la paix sociale au Venezuela. A elle seule, l’activité pétrolière représente la moitié des recettes fiscales et un tiers du produit intérieur brut. C’est le pétrole qui achète le soutien de la population vénézuelienne à coups de programmes sociaux de grande ampleur (les missions), d’augmentation de salaires des fonctionnaires, de campagnes médiatiques, de nouvelles infrastructures.
DERRIÈRE UN ANTI-IMPÉRIALISME de façade, Chavez continue d’entretenir des relations commerciales avec les Etats-unis, notamment via des accords avec les majors du pétrole que sont Chevron texaco, Exxon Mobil ou Conoco Philipp. Depuis janvier 2006, toute entreprise étrangère opérant au Venezuela doit former une entreprise mixte avec le gouvernement. La part étrangère est de 49%, les 51% restant allant à l’Etat. Augmenter le taux de captation des revenus pétroliers est aussi à l’origine du renforcement du contrôle de l’exécutif politique sur PDVSA, l’entreprise pétrolière nationale. Cette décision sera d’ailleurs le déclencheur du coup d’état avorté d’avril 2002. En décembre 2002, l’opposition utilise de nouveau PDVSA pour tenter de faire chuter Chavez. Le 6 décembre, les patrons, les capitaines de tankers, les cadres et les administratifs de PDVSA entament une grève générale. Elle est suivie de sabotages des systèmes informatiques et techniques. Après 60 jours de lock out, le mouvement se termine grâce à la mobilisation de la population vénézuelienne, des ouvriers et techniciens de PDVSA. Cela aura quand même des conséquences importantes pour l’économie vénézuelienne avec une chute de la production à 200 000 barils contre 3 millions avant la grève. La situation sera récupérée au prix d’un grand nettoyage de l’entreprise (18000 licenciements sur un total de 42000, mais 80% de cadres) et d’une reprise en main politique de la direction (le ministre actuel de l’énergie est aussi le président de PDVSA). Finalement, une pas si mauvaise affaire, cette tentative de coup d’Etat… et hop ! Une petite reprise en main de l’entreprise phare de l’économie vénézuelienne.. Et puis, ça renforce le côté petit poucet socialiste en butte aux méchants patrons… Alors, opposants, taisez-vous si vous ne voulez pas faire le jeu de la réaction ! En fait, loin de remettre en cause le capitalisme, la politique économique de Chavez vise un simple repositionnement du Venezuela et des pays alentours dans le capitalisme mondialisé. Il s’agit de constituer un pôle de puissance économique afin de tirer un maximum de profit du système. Bref, un bon vieux capitalisme d’état. Chavez veut donc encourager le développement d’un marché intégré sudaméricain sur le modèle du marché européen pour faire poids face aux USA. Et là, on retrouve les autres enjeux, beaucoup plus obscurs, de l’intégration à grande échelle du capital : constitution d’un marché unique permettant le développement d’une économie compétitive à l’échelle mondiale, accroissement de la concurrence au sein du marché intégré, flexibilité et mobilité du travail, nivellement des salaires par le bas, normalisation de tous les aspects de la vie quotidienne, renforcement des politiques répressives.
UN AUTRE EXEMPLE du double discours dont Chavez est passé maître : l’agriculture. « La réforme agraire dans les décrets-lois de 2001, loin de prévoir l’expropriation des grands propriétaires terriens a été un moyen de garantir le droit à la propriété privée et de ne redistribuer aux paysans qu’une très petite surface de terres qui appartenait à l’Etat ou à des propriétaires qui ont été indemnisés. La majorité des terres reste aux mains des militaires ou des propriétaires protégés par des groupes paramilitaires qui provoquent la violence dans les campagnes. Par ailleurs, la constitution de 1999 qui garantit aux indigènes la préservation sur leurs terres des ressources naturelles est systématiquement violée par les multinationales comme par les entreprises publiques. » (Échanges)
ALORS, L’EXPLOITATION du charbon et de l’or a notamment donné lieu à une vaste dépossession des indiens de leurs terres. Leur situation ne s’est pas améliorée, elle s’est dégradée. Mais de quoi se plaignentils ? Ils ont par ailleurs obtenu le droit de vote et aussi un arc, des flèches et un kayak sur le drapeau national ! Concrètement, l’Etat de Zulia, à l’ouest du pays, possède 95% des ressources en charbon du Venezuela. La Sierra Perija, à la frontière colombienne, est la première région concernée. Les populations de la région sont essentiellement indiennes. Elles sont venues peupler une sierra hostile sous la pression des planteurs de la plaine au cours du 20e siècle. Et de nouveau, elles se retrouvent soumises à l’arbitraire des intérêts économiques. En 1973, le gouvernement vénézuelien accorde les premières concessions minières au pied de la sierra. Il fonde trois ans plus tard la compagnie Carbozulia pour assurer l’exploitation. En novembre 2003, Chavez annonce le triplement de la production de charbon, justifié par la forte demande d’une Chine en pleine expansion. Il s’effectuera grâce à un partenariat de Carbozulia avec des compagnies occidentales (angloamerican coal, ruhrkohle…). Ce triplement s’annonce dévastateur pour l’environnement et les communautés Bari, Wayuu, Yupka et Japreria de la sierra : déforestation massive (2 à 3000 hectares), pollution des rivières alimentant les communautés et plus largement, contamination du bassin fluvial de Maracaibo (3 millions d’habitants), augmentation du nombre de maladies respiratoires… En mars 2005, plus de 1000 personnes se retrouvent à Caracas pour s’opposer à ce projet. Résultat des courses : rien ! Enfin, presque. Une commission évaluera ce qui est déjà tout évalué : la vie de milliers de personnes ne pèsera pas lourd dans la balance face aux intérêts financiers. Le projet est pour l’heure suspendu. Mais qui sait pour combien de temps. Juste assez sans doute pour que la contestation se calme.
DANS LA MÊME RÉGION est aussi prévu le complexe portuaire Simon Bolivar, aussi connu sous le nom de Puerto America. Son objectif est de permettre l’expédition de gaz, de pétrole et de charbon vers l’Europe et les Etats-unis. Pour faire bonne mesure, il inclut même une centrale thermo-électrique au charbon vénézuelien. Bien sûr, les pêcheurs des îles concernées par l’implantation du port sont contre car ils savent bien que le dragage de la zone, les constructions portuaires, la pollution atmosphérique vont faire de ce coin tranquille un enfer industriel. Il est beau le « socialisme du 21e siècle ».
CRITIQUER LE CHAVISME n’est pas chose aisée, en fait. La situation vénézuelienne était tellement dure que nul ne peut cracher entièrement sur quelques améliorations de circonstances via la redistribution de la manne pétrolière. Mais, ce qui se passe, c’est le développement d’un assistanat à outrance pour les pauvres et l’émergence d’une nouvelle bourgeoisie proche du pouvoir : la bourgeoisie bolivarienne. Chavez a réellement un projet de gauche dans un pays où 50% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Ce projet n’est pas celui libéral et répressif d’un Uribe en Colombie ou d’un Fox au Mexique. Il est essentiellement d’inspiration social-démocrate, son grand modèle restant l’Europe, un projet de société, on le sait pour le pratiquer, qui n’est qu’un aménagement de nos peines avec son lot d’oppression, de destruction et de mise au pas. L’incarcération des récalcitrants continue, qu’ils soient vendeurs de rue, ouvriers, étudiants ou indigènes. Le droit de grève est fortement limité. Plus de 400 personnes meurent violemment chaque année dans les prisons et il y a une moyenne mensuelle de 15 personnes tuées par les corps répressifs de l’Etat, etc. Par ailleurs, le pouvoir de l’armée augmente, de nombreuses zones où vivent les communautés indiennes sont détruites, le modèle industriel est glorifié, les compromis avec les entreprises pétrolières sont légion, l’ultra-nationalisme se répand… Ce ne sont pas des étapes « malheureusement nécessaires » vers la Révolution. Elles nient même toute possibilité de changement radical, car elles nourriront toujours dans leur sein une résistance forcenée de celles et ceux qui refusent de se plier au schéma imposé. D’autre part, le projet chaviste ne permet pas le développement d’individus et de communautés autonomes. Il propose juste la satisfaction bureaucratique de leurs besoins élémentaires (logement, nourriture, transport, etc.). Si une personne décide de faire autrement, elle ne peut pas car il n’existe plus d’espaces où elles le puissent, quand la loi ne l’interdit pas.
EN DÉCEMBRE 2007, Chavez a perdu ses premières élections depuis son arrivée au pouvoir. Le référendum appelant à la création de la république socialiste du Venezuela et au renforcement du pouvoir de l’Etat a été rejeté ; il semblerait qu’après 10 ans de pouvoir, le chavisme s’essouffle. En effet, tout va plus mal dans un pays pourtant de plus en plus riche au fur et à mesure que les revenus pétroliers augmentent ; les missions censées résoudre les problèmes alimentaires, sanitaires et de logement sont presque toutes en échec. La mission mercal destinée à vendre les produits de base à moindre coût ne fonctionne plus et souffre de problèmes de corruption et de marché noir. L’Etat a ainsi décidé de mettre en place un système parallèle au mercal qui sera géré par PDVSA, la compagnie pétrolière vénézuelienne. La nourriture échangée contre du pétrole sera vendue dans les stations services et d’autres commerces pour faire face à la pénurie.
AU NIVEAU DE LA SANTÉ, la mission des médecins cubains (1 médecin dans chaque communauté) fait face à de nombreuses difficultés (réduction du nombre de médecins, retard dans les constructions des dispensaires) et n’a jamais permis de pallier aux carences du système hospitalier. On retrouve les mêmes problèmes au niveau de l’habitat (44% de ce qui était prévu a été construit en 2007). La solution actuelle est la petrocasa, une maison en plastique. Cela fait un nouveau débouché pour les résidus de pétrole vénézuelien même si certains disent qu’il est toxique de vivre dans des maisons en chlorure de vinyle. Et sans parler des problèmes d’eau potable, des prisons, d’abus policiers ou militaires quand ce ne sont pas des massacres…
ALORS, ON LAISSE LA CONCLUSION aux anarchistes du journal El libertario. Ils écrivaient en janvier 2007 : « les diatribes de Chavez sont très fournies. Mais lui-même a réitéré qu’il ne fallait pas se fier à ce qu’il faisait ou disait. Ainsi, son socialisme du 21e siècle dans les faits n’a pas dépassé le simple paternalisme et capitalisme d’Etat avec comme base l’abondance de la rente pétrolière. La souveraineté populaire est la souveraineté d’une élite de militaires, d’entreprises transnationales et de la boliburgesia (bourgeoisie bolivarienne) naissante. »
DÉCIDÉMENT, il n’existe pas de capitalisme à visage humain. Ni Bush, ni Chavez !