Anonyme
Tentative communautaire
Résumé de "Journal d’une communauté" et de "Tentative communautaire", de Michel Bosson, Françoise Denaud et Bernard Vidal
1971 : un groupe de jeunes libertaires tombe sur S., une ferme abandonnée en Aveyron, et rédige une petite annonce dans Charlie Hebdo, pour inviter d’éventuel-le-s co-habitant-e-s à venir y bâtir avec lui une communauté. Plusieurs personnes affluent de toute la France, et forment un groupe qui oscillera autour de la quinzaine de membres. La ferme sera achetée au bout de quelques mois grâce à un héritage ; sa propriété officielle sera volontairement partagée entre 4 communautés voisines, pour qu’en cas de dissolution du groupe, le lieu reste dans le circuit, dans le " milieu ". Mais au-delà des titres de propriété, il est collectivement établi que celles/ceux qui en déterminent l’optique et les activités restent ses occupant-e-s...
L’aventure durera plus d’un an au total. Trois de ses protagonistes, Michel, Bernard et Françoise, décident d’écrire ensemble un récit de l’expérience : il s’appelle "Tentatives communautaires". Mais il ne convient pas aux éditions Stock, qui demandent aux auteur-e-s d’en rédiger une version plus légère, plus accessible au grand public : ce sera le "Journal d’une communauté". Les auteur-e-s éditeront et diffuseront quand même "Tentatives communautaires", par leurs propres moyens : il n’en reste que peu d’exemplaires. Ce résumé a été écrit à la suite de la lecture des deux ouvrages.
Une communauté fondée sur des principes libertaires
Le projet de S. est la mise en pratique d’une contestation de la société environnante. Les autres formes de contestation, plus traditionnelles, comme le militantisme, semblent tristes, creuses, limitées, spécialisées, dépassées (voir pp.193-196). Les gens de S. veulent relier leurs théories à leurs pratiques, changer leur vie, leurs comportements, leur consommation, etc., en même temps que la société, avancer au niveau personnel comme au niveau social. " Faire entrer une analyse de notre démarche dans une analyse globale de la société ". Leur idéal passe par une recherche d’autonomie, qu’elle soit individuelle ou collective, qu’elle touche aux domaines économiques, politiques, ou affectifs. S. sera une " terre libérée ".
Mais les personnes au départ du projet restent " unies par la conscience que [leur] tentative de changer [leur] vie quotidienne restera nécessairement partielle et dépendante de la société actuelle tant que celle-ci ne sera pas changée fondamentalement. " S. s’inscrit donc dans une dynamique révolutionnaire, toujours mêlée à une méfiance pour les idéologies, perçues comme des prisons. Ajoutons que le projet est issu d’une précédente vie en collectif et de son auto-critique : on remet en question l’autarcie, la liberté sexuelle, les mythes du " retour à la terre " et du " bon sauvage ". On connaît le danger de substituer une grande famille marginale à la famille patriarcale, on veut, quelque part, rester ouvert-e-s sur l’extérieur, dans une implication sociale et politique. Pari ardu : la double critique, de la société d’une part, et des " mouvements marginaux " de l’autre, conduit à un double isolement, face à l’une et face aux autres.
L’un des membres de la communauté s’appelle Michel
Elevé dans un catholicisme quasi intégriste, il cultive une foi forcenée jusqu’à une quinzaine d’années, puis, découvrant les limites de la charité chrétienne comme force de changement de la société, au travers d’un mouvement de " lutte contre la faim ", il va être emporté par la rafale contestataire de Mai 68. Il passera ainsi d’une gauche syndicale à des mouvements plus radicaux, comme les anarchistes ou les maoïstes, avec la même ferveur. Prenant conscience de l’écart entre les théories auxquelles il adhère et ses propres pratiques, notamment au niveau affectif, il deviendra progressivement critique de ces dogmes.
Mais le principal déclic qui le lancera dans des projets d’autonomie tels que S., c’est son expérience en usine, prônée avant tout par les maoïstes. Il y réalise les leurres des idéologies simplificatrices : il n’y a pas que des bon-ne-s d’un côté et des méchant-e-s de l’autre. Il y réalise le poids du travail, du quotidien, qui entretient l’individualisation et freine les mouvements sociaux, malgré toutes les réflexions anticapitalistes que les ouvrier-e-s peuvent mener. Il y réalise enfin l’atrophie de son corps, une dimension oubliée par le cloisonnement entre intellectuel-le-s et manuel-le-s, auquel nous conditionne la société.
" D’où la nécessité d’une expérimentation collective pour déconstruire tout cela et enfin en arriver à une mise en pratique. " Dans ses réflexions après coup, Michel note à quel point cette expérience lui a permis de remettre à leur place la conscience, et son expression, la théorie, comme simples reflets de situations sociales et dénuées de vérités achevées. Par exemple, sa remise en question de sa participation au patriarcat, de ses propres comportements masculins et dominateurs, s’est faite au travers de la pratique de la vie de groupe, plus que par des idéologies comme celle de la libération du désir, face auxquelles il s’était vite aliéné et limité.
Il y a aussi Bernard
Petit-fils et fils de paysan-ne-s, il rompt assez tôt avec la sacro-sainte famille, grâce à la rencontre d’un militant anarchiste, qui l’amène au-delà de l’anarchisme livresque. Après Mai 68 et diverses expériences contestataires avec des lycéen-ne-s, lors de festivals, il débarque en Aveyron en 71. Première surprise : le nombre de " marginaux/ales ", toutes ces personnes " en rupture " avec le boulot, la famille, le système... Même s’il lui semble, hélas, que bien souvent le leader remplace parmi elles/eux le père ou le chef d’équipe. Deuxième joie : il se rend compte qu’il peut " exercer [ses] sens et [son] intellect sur du vivant, du concret, et non plus échafauder sans cesse des élucubrations dingues. " Las de chercher, il rêvait d’une telle étape pratique. Troisième découverte : la libération des sens, le contact avec la nature, les délires collectifs, l’explosion des préjugés et des tabous au travers de fêtes, de danses, de moments de " communion " intenses. C’est en partie ce " magma " qui agite Bernard et le raccroche au projet, même si celui-ci n’est pas exactement ce qu’il cherchait de sécurisant.
Bernard exprime une sensibilité particulière aux questions du langage, au pouvoir implicite que celui-ci donne aux " intellectuel-le-s ". Il parle d’un état de " flottement " où il a l’impression de ne plus savoir parler ; pour lui le langage n’est pas neutre, d’où la difficulté de l’exprimer. " Le champ sémantique est un des principaux champs de bataille entre cette récupération-soumission des mots par le pouvoir établi et l’état d’esprit qui les sous-tend " : le langage n’est révolutionnaire que jusqu’à ce qu’il soit digéré par la " bourgeoisie ". D’où la question " y a-t-il une alternative révolutionnaire du langage et par le langage ? Faut-il condamner la parole ? Se taire ? ". C’est le choix de certain-e-s qui développent d’autres modes de communication, comme la musique, ou le travail désaliéné. Pourtant c’est bien la maîtrise de cette parole qui semble longtemps conduire Michel à un rôle de meneur, de manière plus ou moins consciente et volontaire. " Ce fut pendant longtemps cet enroulement dynamique leader-suiveur qui permit à la communauté d’avoir un minimum de cohérence contre l’ennemi commun : la société. " D’autant plus que beaucoup se sécurisent dans ce mi-père, mi-grand-frère et se retrouvent prisonnier-e-s de ce schéma traditionnel suiveur/euse-suivi-e. Ce sont tous ces schémas, parfois difficiles à cerner, qui amènent Bernard à un repli sur lui-même.
Et puis Françoise
Fille de la petite bourgeoisie, elle se sépare de son mari et arrive avec ses deux enfants à S., avec la préoccupation de repenser les relations adultes-enfants : remise en question de l’autorité, de la hiérarchisation par l’âge... Elle constate et décrit les différents écueils auxquels ces relations se heurtent souvent, par exemple :
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Quand on parle et réfléchit en termes de " mineurs ", on a tendance à considérer leurs envies ou besoins comme mineurs, justement, par rapport aux nôtres...
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Même si l’on n’exerce pas une autorité franche et directe face à l’enfant, on tombe souvent dans la culpabilisation inconsciente pour qu’il se conforme à ce que l’on souhaite ou juge bon...
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D’un autre côté, infliger des punitions à un enfant pour lui faire prendre la mesure de ses actes, n’est-ce pas une manière de perpétuer chez lui les idées de purgatoire et d’enfer, de cautionner les prisons, les peines avec sursis et les mises à l’épreuve, bref, de le structurer pour qu’il accepte la répression sans broncher ?...
Elle garde le souci de relier la théorie à la pratique, entreprise encore plus délicate quand il s’agit de la " chair de sa chair ", et S. devient pour elle un lieu d’expérimentation. Son idée est d’y déconstruire les comportements traditionnels, d’en expérimenter et d’en construire de nouveaux, chez les adultes, et ainsi, chez " leurs " enfants.
On débat et on théorise à S..
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Sur le patriarcat : discussions en groupe sur la famille, l’amour libre, les jalousies qui déchirent la communauté... (voir pp. 131-134)
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Sur la propriété : la propriété individuelle n’existe pas à S., tout y est mis en commun. On cultive les rapports de gratuité, la fin des calculs et des comptes, dans les échanges d’objets et de services.
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Sur l’hygiène : certain-e-s défendent leur propre saleté et critiquent l’obsession bourgeoise de la propreté et de l’ordre : " ces femmes qui astiquent toute la journée, ce gaspillage de temps et de produits... ". D’autres leur rappellent que le gaspillage est équivalent lorsque, comme il s’est fait une fois à S., l’on en vient à brûler des monceaux de vêtements tellement ils sont sales.
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Sur la psychiatrie : des gens de S. découvrent les réseaux impulsés par Deligny, de lieux et de personnes (fermes, menuiseries,...) qui s’inscrivent dans une démarche anti-psychiatrique, et accueillent des enfants psychotiques pour leur offrir un lien avec la vie sociale.
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Sur le militantisme : voir pp.193-196
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Sur la drogue : voir p.207.
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Sur le vol : voir p.230
On y vit des quotidiens
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Travaux agricoles : plantations, semis, défrichages, fumage des terres, chèvres, ruches, potager, compost, confection de confitures, bois coupé et ramassé,...
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Travaux domestiques : tâches quotidiennes, aménagement de la ferme, réfection du plancher et de la cheminée,...
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Moments de détente : fêtes, musique, danse, visites, discussions, " sorties " (théâtre militant, fête du village).
La communauté produit ses propres légumes, laitages, volailles, fruits, pain, mais reste loin d’être auto-suffisante. Elle récupère ce qu’elle peut récupérer (matériel...). Les dépenses restantes sont assurées par quelques bourses d’étudiant-e-s et quelques petits boulots périodiques (vendanges, récoltes, chantiers en ville...). Tout l’argent est mis en commun ; chacun-e annote un cahier de comptes.
" Quelques-uns parmi nous ne comprennent pas qu’ici ce n’est pas un camp de vacances, mais une communauté n’est pas non plus un camp de travail avec horaires fixes et contremaître ! Pourtant, on peut comprendre que ceux qui ont à cœur la réalisation matérielle de la communauté dégagent une certaine agressivité contre ceux qui dédaignent la bêche, le marteau, la cuisine, la vaisselle... "
Au fil des mois, les conditions de vie s’avèrent assez rudes : une cheminée comme seul chauffage, nourriture peu variée, " misère ", épidémie de poux, visiteurs/euses qui n’arrangent rien en mettant les pieds sous la table... La cadence du travail est lourde et trop routinière. Mais sa qualité (travail manuel et agricole, contact avec la nature) est appréciée, vécue comme une redécouverte.
On découvre la nature
S. se veut une communauté à vocation agricole, même si cette réalité rurale est nouvelle pour tou-te-s. Le mot " campagne " est beaucoup plébiscité : on le relie à la " reconquête d’un peu de pouvoir sur sa vie, son temps, ses désirs ", on pense y trouver des rapports à la nature et aux autres plus profonds, moins bousculés, moins contraints, moins hypocrites ou marchands. On idéalise un peu le paysan, producteur de produits sains et maître de son outil de travail. On se découvre berger, comme Bernard. On se dit qu’on va se libérer de la mécanisation agricole. On commence par des incohérences comme l’acquisition de nouveaux animaux alors que le fourrage est insuffisant. On recherche une alimentation autonome et équilibrée qu’on n’arrive pas à atteindre : pas assez de légumes cultivés, manque énorme de connaissances pratiques... On prend conscience de l’aliénation du paysan, qui doit travailler douze heures par jour, dans des conditions très difficiles, pour un faible revenu. Et certain-e-s voient vite la nouvelle forme de religion dans laquelle on risque de tomber : l’opposition de la Nature, mère et bienfaitrice, à l’Artificiel, mauvais car créé par l’Homme. Mais progressivement, par l’expérimentation, on s’affranchit de la Nature idéologique, et on apprend à mieux s’intégrer à la nature tout court. On choisit par exemple de refuser une technique agricole seulement si elle impose une spécialisation trop accaparante ou si elle entraîne la pollution ou le tarissement des ressources naturelles.
On n’oublie pas le monde extérieur
Les rapports avec les voisin-e-s sont souvent distants au premier abord, la population locale nourrit méfiance et incompréhension à l’égard des communautés qui se répandent dans leur région. Toutes sortes d’histoires circulent à leur sujet, comme la légende d’un paysan un peu simplet, qui aurait été séquestré par les gens de S., puis livré à toutes sortes de jeux débauchés : " depuis, il n’est plus le même ". Un habitant du coin prend une fille de S. en stop, propose une partie de jambes en l’air... certain que les gens de la communauté couchent à tout va sans se poser de questions.
Malgré tout, les gens de S. essayent de créer des liens affectifs et politiques avec quelques " autochtones ", en commençant par des échanges de coups de main. Par exemple, ils offrent leur aide manuelle à un couple de paysan-ne-s endetté-e-s, qui en retour leur prête du matériel agricole. L’intégration à la population locale avance plus ou moins... Les gens de S. descendent toujours aux fêtes du village... Lorsque des ouvriers électriciens viennent réparer la ligne à la communauté, illes leur proposent de rester boire un coup et discutent longuement de leurs modes et choix de vie respectifs... Certain-e-s voisin-e-s viennent régulièrement rendre visite à la communauté en lui apportant mets et victuailles... Les autorités, elles, restent évidemment sur une attitude craintive. Elles exercent une pression constante sur la communauté à travers la SAFER et la police. La SAFER (une agence locale de l’Etat) menace de racheter le lieu pour " reboisement ", comme elle le fait ailleurs pour éviter que les communautés ne s’implantent dans la région (mais le propriétaire ne cèdera pas, et vendra aux occupant-e-s). Les flics, eux, profitent du moindre soupçon pour monter à la communauté et faire des contrôles : leur prétexte est souvent la recherche de fugueurs/euses ou d’insoumis-es, dont l’hébergement devient du coup délicat... A la suite d’un attentat à la bombe à Millau (plasticage du siège de partis et de syndicats) une enquête de police fait le tour des communautés — S. est perquisitionnée, les carnets d’adresses sont saisis... S. décide collectivement d’adopter une attitude claire face aux flics : peu hostile hors du lieu, mais un peu plus ferme dedans — lorsque les flics montent à la ferme, des personnes précises vont à leur rencontre, discutent s’il le faut, mais ne montrent pas de papiers ni ne répondent à des questions personnelles.
Les gens de S. entendent parler d’une réunion préfectorale au sujet des " marginaux contestataires du Sud-Aveyron ". Illes vont rencontrer un conseiller régional du coin pour en savoir plus : celui-ci leur raconte que certain-e-s y ont prôné une politique répressive (intimidations, interdictions...), d’autres une politique d’encadrement (plus de gendarmes, plus d’écoles), et d’autres enfin un certain laisser-faire.
Enfin, au niveau militant, les gens de S. se mêlent un peu aux luttes locales. Illes tissent un embryon de contact avec des ouvrier-e-s de Millau en grève... Illes participent à des actions dans les bourgades du coin : chars, déguisements ironiques, théâtre de rue accompagnés de diffusions de tracts... Illes soutiennent les luttes du Larzac, qui ne les satisfont pas : insuffisance des mots d’ordre, manque d’organisation, discours démagogiques, figuration de stars contestataires, dangers d’un régionalisme réactionnaire... D’un autre côté, l’implication militante de S., modérée par la critique de l’activisme qu’on y mène, paraît insuffisante à certain-e-s :
" Sous prétexte que le militantisme n’est souvent que verbeux, triomphaliste, on renonce à réfléchir, à intervenir ailleurs qu’ici, à débusquer les illusions, les pièges, la récupération... "
Illes ont peur que S. aboutisse à un " défaitisme politique " et à une " fuite de la contestation ".
Entre communautés, on se serre les coudes
Des liens se construisent entre les nombreuses communautés naissantes du Sud de la France.
S. y participe, notamment, en organisant une rencontre entre communautés, une semaine de l’été 71 ; une deuxième rencontre similaire aura lieu ailleurs, en mai suivant. On y parle des problèmes communs (flics, fric, rapports internes, passage trop important, enfant trop isolés...), on y échange des tuyaux... Par exemple, au sujet du passage excessif, la communauté de A. partage la solution qu’elle a trouvé : dire aux arrivant-e-s qu’illes peuvent rester soit moins de 24 heures soit plus de 3 semaines : le but est de pouvoir dépanner les gens de passage, et de permettre à d’autres de connaître la communauté en profondeur, tout en se protégeant des visites à la fois trop lourdes et trop superficielles.
Ces rencontres permettent aussi de raffermir les réseaux d’échanges, d’information (création d’un journal)... On y met en place des " groupements d’achat " : par exemple, 6 communautés s’organisent régulièrement pour n’envoyer qu’un véhicule et 4 personnes chez un producteur de Camargue, pour acheter 650 kilos de riz complet, et réaliser ainsi de grosses économies. Ces groupes d’achat et ces voyages permettent de rencontrer d’autres communautés et d’autres fonctionnements. Par exemple, au retour d’une expédition en Camargue, les gens de S. passent une soirée dans une communauté de la Drôme, où toutes les tâches quotidiennes sont effectuées en commun, où l’on accorde une place très importante aux repas et à la bonne bouffe, où l’on se préoccupe d’une grande convivialité.
Les auteur-e-s parlent aussi de contacts et de coups de mains entre communautés voisines, avec celle du T. par exemple, plus soudée, plus proche de l’auto-suffisance que S., mais moins libérée du patriarcat et de l’autoritarisme.
Bilan positif de l’aventure
Intensité de l’aventure, redécouverte de la nature et du travail manuel, recherche de cohérence entre théories et pratiques (" fin du militantisme "), remise en cause des inhibitions intégrées, reconsidération des besoins de consommation...
Et bilan négatif
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Incohérence du groupe : différences d’âge, de personnalités, de passés, de conceptions, d’envies...
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Problèmes internes : problèmes relationnels, insécurités affectives, blocages, fuites, préjugés, coups bas, tendances autoritaires d’une personne, rapports de domination entre celleux qui savent manier la parole et les autres...
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Manque de dynamique : projet trop flou, basé sur de vagues envies communes mais sur peu de réelles discussions, manque d’analyse et de réflexion collectives pendant l’aventure, manque d’entrain, superficialité, idéalisme, spontanéisme, travail agricole trop routinier, instabilité du collectif (gens qui vont et viennent), passage excessif (l’été : " 300 personnes en deux mois ")...
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Problèmes économiques : conditions de vie difficiles, auto-suffisance loin d’être atteinte...
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Maigre portée révolutionnaire : " n’était-ce pas être dépendant-e de cette société que de s’être laissé-e-s ainsi isoler ? N’était-ce pas rester totalement sous sa coupe que de rechercher l’autarcie ou se rationner matériellement afin d’éviter à tout prix son salariat ? " " Autogestion partielle, souci écologique dépolitisé, horaires souples, travail temporaire, rotation des tâches, idéologie de la démerde individuelle... autant de moyens que ce système intègre à son mode de production matériel et culturel pour éviter la crise qui le mine. La contradiction est de taille. Le danger est de s’en satisfaire, de faire de notre lutte un moyen individualiste de sauve-qui-peut, désolidarisé du processus révolutionnaire. "
P.S.
Pourquoi un résumé ?
D’abord pour nous : pour garder une trace rapidement consultable de nos lectures, pour mieux saisir les idées des ouvrages lus, pour nous les réapproprier et les mémoriser, grâce à leur reformulation, leur réorganisation, leur clarification. Ensuite pour d’autres : pour que celles/ceux qui n’ont pas le temps ou pas l’envie de lire beaucoup, aient quand même accès aux idées de fond des bouquins. Nous ne pouvons pas tout lire, mais nous pouvons faire circuler entre nous nos notes de lecture, et partager ainsi nos efforts, nos connaissances, nos apprentissages. Attention : un résumé implique le truchement d’une personne qui résume, et avec elle celui de toute son optique, son ressenti, sa compréhension très personnelle du texte. Nous ne pouvons pas le nier ou prétendre le contraire. Alors nous choisissons de l’assumer et même de le revendiquer : ce résumé est " notre " résumé des bouquins. Il nous renvoie à nos pratiques politiques quotidiennes (et, plus bas, nous l’exprimons et le précisons).
Un résumé essaye d’être fidèle au texte original, mais ne peut remplacer sa lecture directe. Par contre il peut impulser des discussions collectives sur le livre ou les idées qui en ressortent, qui permettent d’affiner tout ce qu’il aura trop simplifié.
Qu’avons-nous retiré de ces bouquins ?
L’autogestion et les mouvements libertaires ont suscité beaucoup d’écrits théoriques, mais trop peu de récits quotidiens. Pourtant, ces derniers pourraient enrichir les tentatives alternatives actuelles, qu’on a trop souvent l’impression de retenter à zéro, alors qu’elles l’ont déjà été maintes fois... Ils pourraient les enrichir, non pas en traçant des lignes à suivre, mais au moins en évoquant des écueils, des pistes de réflexions,... Pour nous qui vivons aujourd’hui dans des squats, ou qui participons à leur vie, la découverte des deux ouvrages résumés était donc une aubaine. Nous espérions y trouver des transmissions pratiques, rares et précieuses. Pour une fois nous allions accéder au récit concret d’une expérience passée, similaire à celles que nous menons aujourd’hui ; finalement nous allions avoir un éclairage différent sur des problèmes sans doute communs, et peut-être des solutions...
Malheureusement, nous sommes resté-e-s sur notre faim : les problèmes liés à cette expérience collective, qu’en effet nous rencontrons toujours actuellement, sont effleurés, et pas développés ni explicités. Les solutions apportées sont à peine évoquées. Les textes développent des théories sur le sens de la démarche alternative, communautaire, qui peuvent éclairer des non-initié-e-s, mais que personnellement nous connaissions déjà. Ces théories nous paraissent nourries avant tout par les réflexions individuelles des auteur-e-s ; nous espérions leur expression plus collective.
D’un autre côté, le seul fait de retomber sur des questionnements communs nous a intéressé-e-s, nous a encouragé-e-s, et a relativisé l’isolement que nous ressentons parfois dans nos tentatives parallèles. Les questions posées par le bilan négatif de l’expérience sont encore en partie celles que nous nous posons : les problèmes relationnels, les manques de dynamique collective, les questions sur l’ouverture d’un lieu sur l’extérieur..., et, en particulier, l’adéquation entre une démarche alternative, d’expérimentation quotidienne, et une démarche révolutionnaire, de lutte pour un changement de société... Et quelques idées, tout de même enrichissantes, peuvent alimenter nos propres pratiques : les " groupements d’achats ", le système mis en place par A. face au passage excessif de visiteurs-euses, etc. Enfin la lecture de ces bouquins nous donne une vision plus juste des mouvements communautaires de l’époque, et relativisent les caricatures que nous en gardons parfois.
C’est qui, nous ?
Votre tante et sa boulangère préférée, peut-être, ou vos bébés-canaris. Peu importe. L’important c’est le contenu de cette brochure, pas sa source. Signer nos textes et nos résumés ne nous semble rien apporter d’essentiel, ni à eux ni à nous. L’anonymat est un choix politique, l’un de nos assauts contre la propriété intellectuelle, l’un de nos actes gratuits pour un savoir réellement libre et collectif. Cet anonymat n’est pas une fuite : nous restons joignables par une adresse électronique ; vous pouvez nous y envoyer des critiques, et nous en discuterons d’égales à égaux. Par contre, cet anonymat vous laisse le soin de vous réapproprier cette brochure, de l’améliorer, de la réécrire, de la transformer en bande-dessinée, de la photocopiller à satiété et de la diffuser sans limites. Copyleft.
N.B. : nous avons choisi de citer quand même les auteur-e-s, prenant acte d’une démarche propriétarisante tout-à-fait surprenante, et sans aucun doute irraisonnée car absolument contraire à leurs propres principes ;), afin de pouvoir transmettre les références des oeuvres.
Pourquoi féminiser le texte ?
Par " féminiser " le langage, on entend bousculer cette bonne vieille grammaire, qui voudrait faire primer le masculin sur le féminin. Cet état de fait n’est pas anodin. Le langage est un reflet de notre société patriarcale : il entretient la domination d’un genre sur l’autre. Parce qu’il est notre premier mode d’expression, il a une fonction fondamentale, et peut être utilisé à bien des fins. S’il est structuré, le langage est également structurant : il conditionne notre pensée, la formate, il guide notre vision du monde. Remodeler le langage c’est refuser une domination, construire d’autres inconscients collectifs.