Alfredo M. Bonanno
La guerre et la paix
Il est nécessaire, quand on s’apprête à lutter contre un ennemi qui nous menace, de se demander ce qu’il veut faire, car plus on aura de renseignements sur ses intentions, plus on aura de possibilités de le repousser, de passer à la contre-attaque, de nous défendre. Mais, il me semble qu’une question fondamentale n’a pas encore été posée avec clarté : qu’est-ce que la guerre ? On ne se le demande pas parce que tout le monde croit savoir exactement, qui d’une manière, qui d’une autre, ce qu’elle signifie et, par conséquent, croit être en mesure d’entreprendre tout le nécessaire pour combattre ceux qui entendent la faire.
En réalité, personne n’a les idées bien nettes là-dessus. Que les grands moyens d’information n’aient pas d’idées bien claires importe peu, car ce n’est certainement pas grâce à eux que nous obtiendront ce minimum d’analyse dont nous avons besoin pour donner cohérence et signification à notre action.
Plus significatif est le fait que, en lisant une grande partie de la presse anarchiste, on a plutôt l’impression de lire la Repubblica ou l’Espresso revus et corrigés, quand ce n’est pas tout simplement une revue de droit international, avec quelques modifications de langage et naïvetés en plus.
Quant à ce que pense le patronat, il ne s’agit pas tant d’un manque de clarté que d’intérêts grossièrement mis en évidence : la guerre représente pour les classes dominantes un moyen pour garantir, à l’intérieur de certaines limites, la continuation de la domination. Mais pour ceux qui s’opposent à la domination, que signifie la guerre ?
Pour les patrons, la guerre est une simple accélération dans l’emploi de moyens qui sont pratiquement en cours d’application depuis toujours. Les armées existent, les bombes aussi, et de même les armes.
Les guerres sont en action, sans discontinuer, depuis toujours. Elles éclatent ici et là, selon une géographie et une logique qui suivent les règles du développement et de la survie du capital. Les patrons n’ont pas de grands problèmes analytiques à résoudre. Ils ne sont pas en mesure de déclencher une guerre pour la bonne raison qu’ils n’ont jamais cessé de la faire.
Pour ceux qui veulent lutter contre la guerre, c’est différent. En effet, leur lutte se déploie à travers tout un éventail d’interventions et d’actions qui ne sont réalisables qu’en fonction de leur propre capacité à dévoiler le mécanisme qui régit le phénomène de la guerre. Cet éventail, à son tour, est déterminé par ses propres intérêts de classe, par les conceptions limitées qu’on a sur les phénomènes sociaux et politiques, par sa propre vision idéologique de la réalité, etc., et ce, à l’intérieur même d’une situation comme la nôtre où l’on parle de l’éventualité (nous ne savons si proche ou lointaine) d’une guerre nucléaire capable de détruire tout être et toute chose en quelques minutes.
En théorie, tout le monde devrait être contre la guerre, surtout contre cette guerre, devenue aujourd’hui possible, qui menace le monde entier d’anéantissement. Mais alors comment se fait-il que certains ne soient pas contre ? Comment se fait-il que les gouvernants trouvent encore des partisans et des exécuteurs de leur folie ? Cela s’explique par le fait simplissime et fondamental de la division de classe. Il est évident que la guerre ne fait pas peur à tout le monde ou, du moins, elle ne fait pas peur à tout le monde de la même façon. Beaucoup de ceux qui sont liés à l’exploitation et sont proches des leviers de la domination, s’ils ne sont pas eux-mêmes patrons ou exploiteurs, refoulent leur peur de la guerre dans la perspective d’un renforcement de leurs privilèges.
De là, on comprend que les élucubrations que ces gens produisent, aussi bien dans les journaux qu’à travers différents médias, ne peuvent que refléter le désir de faire admettre la guerre comme quelque chose d’imminent. Il y a de fortes chances pour que cela soit vrai, mais nous ne parviendront à une telle conclusion que par nous-mêmes, sans nous laisser remorquer par les idées pilotes de ceux qui gèrent le pouvoir.
Ainsi, revient la même et importante question : qu’est-ce que la guerre ? Les publications courantes, et même les pages anarchistes, finissent par devenir de stupides moyens de répétition de ce que la propagande étatique soutient. Elles nous disent que la guerre est proche. Et vu que la guerre est proche, nous répétons qu’il faut faire tout notre possible pour l’éloigner, pour l’éviter, car, nous, les anarchistes, nous avons toujours été contre la guerre qui est une terrible calamité qui frappe tout le monde, qui ne fait ni vainqueur ni vaincu, mais seulement des victimes, et qui constitue un crime contre l’humanité.
Ce sont là de belles idées, profondément morales, mais qui n’ont qu’un seul défaut : elles ne changent rien aux programmes de génocide du pouvoir et ne disent rien de nouveau aux gens.
Nous émettons là une hypothèse qui très souvent s’est vérifiée dans l’histoire et qui — dans le passé — a confondu plus d’un anarchiste du meilleur cru intellectuel. Comme on dit, nous sommes tous contre la guerre (en paroles). Même les partisans les plus convaincus des vertus résolutoires du conflit armé entre les États n’ont jamais eu le courage de l’affirmer ouvertement, sauf à travers quelque vain délire, aussitôt réprimé par des collaborateurs plus avisés et perspicaces. Ceux qui préparent la guerre font toujours partie des propagandistes les plus enflammés de la paix. De plus, ils imposent leur propagande de paix sur le fait qu’il faut faire tout son possible pour sauver les valeurs de la civilisation, valeurs qui apparaissent systématiquement menacées d’autant qu’il se passe la même chose dans le camp adverse (à son tour l’adversaire agit et œuvre dans le même sens). Il faut faire tout son possible pour éviter la guerre et, souvent, on finit par convaincre les gens qu’en agissant ainsi il vaut mieux faire la guerre pour éviter une catastrophe encore plus grande. Au début de la Première Guerre mondiale, Kropotkine, Grave, Malato, et d’autres illustres anarchistes, arrivèrent à la conclusion qu’il fallait participer à la guerre pour défendre les démocraties (en premier lieu la France) attaquées par les empires centraux (en premier lieu l’Allemagne). Cette tragique erreur fut possible, et continuera toujours de l’être, parce qu’on émit, à cette époque, la même considération qu’aujourd’hui : on n’a pas développé une analyse anarchiste mais on s’est fié à une réélaboration anarchiste des analyses fournies par les spécialistes et par les divulgateurs au service des patrons. C’est pourquoi, on est arrivé à la conclusion que la guerre restait une tragédie immense et terrible, mais qu’elle était préférable à un danger plus grave qui serait venu d’une victoire du militarisme teutonique. Certes, tous les anarchistes ne furent pas dupes des graves divergences de Kropotkine et de ses camarades ; Malatesta réagit violemment en écrivant de Londres, mais le mal était fait et détermina par la suite des conséquences non négligeables sur tout le mouvement anarchiste mondial.
De la même façon, aujourd’hui, beaucoup de camarades anarchistes vont au-delà des superficialités qu’on peut lire dans certains de nos journaux ou revues en creusant davantage le problème.
Revenons un instant aux affirmations générales qui abondent un peu partout. Ce n’est certainement pas avec des appels à la fraternité universelle, à l’humanité, à la paix, aux valeurs de la civilisation qu’on peut mobiliser les forces réellement disponibles pour combattre l’État. Sinon, pour quelle raison, quand nous nous trouvons à l’intérieur des problèmes relatifs à l’engagement social et économique (chômage, logement, école, hôpital, etc.), on évite soigneusement de recourir à des banalités de ce genre ? Maintenant que nous nous occupons de la guerre sommes-nous tout à coup autorisés à rabaisser nos analyses aux niveaux des généralisations des humanitaristes radicaux ?
En fait, nous avons recours à ces poncifs, qui ont comme dénominateur commun le concept de peur, parce que nous ne savons pas quoi faire, ni quoi dire, ni ce qu’en réalité signifie — aujourd’hui, dans la situation politique actuelle italienne, européenne et mondiale — le phénomène de guerre.
Pris de panique à cause de notre incapacité, profondément conscients que ce n’est pas notre glorieuse tradition antimilitariste (avec les exceptions considérées ci-dessus) ni le bagage tout aussi glorieux de la pensée anarchiste qui pourront nous sauver, nous avons recours au laboratoire analytique du pouvoir. Nous nous transformons alors en spécialistes amateurs de questions internationales. Nos pages se remplissent de réflexions, quelque peu comiques, sur les rapports entre les États-Unis et l’urss, entre l’otan et le pacte de Varsovie, entre les pays du Moyen-Orient et l’Europe ; les problèmes économiques se croisent avec les stratégies militaires ; les données techniques relatives à la bombe, A, H, N, se mêlent dans nos pages aux effets de la propagande psychologique. Il ressort de tout cela une grande confusion qui nous permet de voir combien nous sommes encore loin de la réalité de l’engagement et que toute tentative pour s’en approcher est vouée à l’échec. Alors, nous devenons pathétiquement hautains. Et nous persistons à établir nos analyses avec toujours plus de données empruntées aux manuels du pouvoir, en expliquant aux gens que la peur est plus forte que tout. Nous ne nous rendons pas compte qu’en agissant ainsi nous apparaissons fonctionnels à ceux qui sont du côté des patrons et qui jouent aujourd’hui avec la peur pour obtenir deux résultats fondamentaux : détourner l’attention des masses exploitées d’une exploitation de plus en plus pesante et les préparer justement, pourquoi pas, à la guerre. N’oublions pas que la meilleure façon de faire accepter la guerre est celle d’en diffuser la peur. Demain, et grâce à quelques savants ajustements dans la propagande étatique, cette peur de la guerre totale se transformera facilement en une volonté et un désir d’accepter une guerre limitée afin d’éviter la guerre totale, et qui sait s’il n’y aura pas un nouveau Kropotkine (parmi tous les néo-kropotkinistes qui infestent déjà nos pages anarchistes) capable de soutenir la nécessité de la petite guerre face à la guerre totale (après tout, « plus c’est petit plus c’est beau »).
Certes, nous sommes, nous les anarchistes, contre toutes les guerres, petites ou grandes. Mais, dès lors que nous limitons notre discours exclusivement, ou fondamentalement, à la peur, nous nous plaçons à l’extrême gauche du capital, tendant à ce dernier la perche dont il a besoin pour atténuer les dissensions qui se produisent automatiquement à l’intérieur des masses exploitées.
Et dès lors que nous avons largement développé notre critique de la guerre atomique totale et que nous avons montré à quel point les effets des bombes atomiques de tout poil sont terribles, ajoutant à cela, comme simple corollaire, que nous sommes non seulement contre la guerre atomique, mais aussi contre toutes les guerres entre États, parce que toute guerre est un génocide, un forfait abominable, un crime contre l’humanité, nous apparaissons, en persistant avec de pareils lieux communs, contradictoires et néfastes. Nous apportons effectivement des éléments concrets, fondés scientifiquement, contre la guerre atomique (le capital lui-même nous les fournit), mais nous nous limitons aux habituels poncifs humanitaires qu’on utilise pour la guerre non atomique, incitant involontairement les gens (qui justement ont une certaine répulsion à l’égard des lieux communs humanitaires) à se prédisposer à un refus de la guerre atomique et à une probable acceptation de la « petite guerre ». Et qui sait si ce n’est pas justement ce que le capital attend de nous ?
De tout façon, vu qu’on ne peut pas mettre en doute notre bonne foi, il ne nous reste plus qu’à travailler sur le sujet et à se demander comment peut-on mieux développer la propagande contre la guerre.
Au moment où nous approfondissons cette partie du problème nous nous apercevons que la guerre constitue une phase particulière de la stratégie générale d’exploitation réalisée par le capital.
Expliquons-nous. Pour les États il existe des aspects officiels qui scandent la différence entre état de guerre et état de paix sur le plan du droit international. Il est normal que ce type de différence ne puisse intéresser les anarchistes qui, pour saisir une situation réelle de guerre, n’attendront pas que l’État A, par l’intermédiaire de sa diplomatie, remette une déclaration de guerre à l’État B. La tâche des anarchistes est justement celle de déchirer, autant que possible et aussi longtemps que possible, le rideau officiel tendu par les États pour tromper les peuples, les exploiter et les pousser enfin vers l’abattoir. Et pour agir ainsi, nous ne pouvons pas attendre que les formalités du droit international soient accomplies, nous devons devancer les événements et dénoncer la situation réelle de guerre, même quand il n’existe pas un état de guerre officiellement reconnu.
L’idée, comme quoi il n’est pas possible d’établir une frontière nette entre la guerre et la paix, a également été soulevée, à la vérité, par les théoriciens mêmes du pouvoir. Clausewitz, à son époque, se vit contraint à développer une analyse de la guerre comme « continuation de la politique par d’autres moyens ». Même des penseurs contemporains (Bouthoul, Aron, Sereni, Fornani, etc.) se sont rendu compte du problème et ont cherché à saisir l’élément qui permettrait de faire une différenciation, quand bien même minime, entre l’état de guerre et l’état de paix. Après l’examen des éléments caractérisés par une situation conflictuelle armée, par des phénomènes de masse, par des processus de tension de l’opinion publique — tout élément qui n’est pas seulement spécifique à l’état de guerre — ces penseurs ont conclu que ce qui déterminait la guerre était son caractère juridique et que cette caractéristique apparaissait comme atypique à l’égard de la structure juridique qui règle les États belligérants en « temps de paix ». En d’autres termes, la guerre est caractérisée par la légitimation du droit à tuer, légitimation opérée à travers la sphère juridique qui en temps de « paix », normalement, ne défend ni l’homicide ni les massacres.
On voit clairement que les critères qui distinguent la guerre de la paix ne sont pas ceux que les anarchistes peuvent considérer comme valables. Nous ne sommes pas disposés à admettre que l’« état de guerre » officiellement déclaré par le pouvoir étatique soit indispensable pour identifier, dénoncer et attaquer une « situation réelle de guerre ». Et, de son côté, l’État sait parfaitement que l’aspect officiel de la « déclaration » de guerre ne fournit qu’un simple alibi juridique à un élargissement des processus de mort qu’il poursuit, en règle générale, comme étant une spécificité de sa propre existence. L’État est un instrument d’exploitation et de mort et, donc, un instrument de guerre. Parler État c’est parler guerre. Tous les États, par le simple fait de leur existence, sont des instruments de guerre. Pour s’en convaincre, et pour écarter l’objection de ceux qui nous accusent de maximalisme, il suffit de penser au fait, si évident, que ce n’est pas le nombre de morts, la spécificité des moyens employés, le terrain de l’affrontement, le but que les belligérants se sont fixé qui déterminent une différence entre l’état de guerre et l’état de paix. Tuer systématiquement une dizaine de travailleurs par jour sur leur lieu de travail est un phénomène de guerre qui ne diffère de la guerre (en ce qui nous concerne) que du point de vue du nombre de morts qui se trouvent par milliers sur un champ de bataille. Ainsi, il n’est guère possible de déterminer une situation réelle de paix dans un régime capitaliste, mais seulement un état de paix fictif qui équivaut, dans la pratique, à une situation réelle de guerre.
La guerre est donc une activité de l’État qui ne caractérise pas une période transitoire et circonscrite de son existence, mais constitue l’essence même de sa structure, dont nous avons déjà connaissance à travers l’expérience des processus d’exploitation.
Ainsi les illusions sociales-démocrates du désarmement unilatéral, du pacifisme respectable et de la non-violence bourgeoise tombent-elles. Ceux qui ne font qu’étayer les thèses du pacifisme et luttent en cela pour empêcher que l’État déclenche une guerre sont en soi des réactionnaires qui soutiennent la guerre constante de l’État en la préférant à une autre guerre (différente pour eux), alors que substantiellement elles ne présentent entre elles aucune différence, étant l’extension d’un même conflit à une échelle légèrement ou considérablement plus vaste. C’est ce qui explique que des partis au gouvernement (psi) ou des partis qui ont trahi l’idéal des travailleurs (pci), ou d’autres encore qui nourrissent les velléités humanitaires (Radicaux), peuvent faire, avec un certain aplomb ou une ignorance stupide de la réalité, des discours contre la guerre. Dans la pratique, leurs discours ne font que garantir la continuité de la guerre réelle, en préparant les masses à accepter un ultérieur (toujours possible) élargissement de la guerre en vue d’éviter une guerre toujours plus grande, et pour cela renvoyée à l’infini, tandis que l’état objectif de conflit continue de se développer et de se maintenir.
Ces principes devraient être — et au fond ils le sont de fait — plus ou moins acceptés par tous les anarchistes. Cependant, comme cela apparaît dans de nombreux articles et interventions publiés ces dernières années dans notre presse périodique, on glisse un peu trop facilement sur le thème de la guerre comme quelque chose qu’on peut éviter et qui constitue déjà en soi un objectif de lutte susceptible de coaliser les forces révolutionnaires.
Si dans les autres secteurs d’intervention nous avons des difficultés (et personne ne peut nier qu’elles existent) ; si le mouvement même dans son ensemble a du mal à retrouver ses structures, ses composantes, ses militants ; si le dialogue opérant, qui s’était ouvert avec les autres composantes du mouvement révolutionnaire réel, et qui allait au-delà des méfiances mutuelles, est maintenant devenu sourd et muet, malgré nos efforts et le prix chèrement payé pour ça ; si le niveau de la presse anarchiste d’aujourd’hui est affreusement bas et si les livres anarchistes eux-mêmes sont de moins en moins diffusés à l’intérieur du mouvement, il faut alors se demander si l’acceptation de la thématique de la guerre, même par nous, et la place qui lui reviendrait à l’intérieur de la logique spécifique de l’État, n’est pas une conséquence de notre incapacité actuelle à nous diriger vers la réalité des luttes ?
La progressive et vertigineuse atrophie de ces instruments d’intervention, dont nous nous étions donné les moyens par le passé, après de nombreux combats et sacrifices, n’est-elle pas un des éléments qui contribuent à nous faire croire que le problème de la guerre est central et prioritaire, à la fois séparé et au-dessus des autres problèmes que notre lutte contre le pouvoir nous impose chaque jour ?
Et ainsi, en pratiquant avec nos faiblesses une politique de l’autruche et en affrontant le problème de la lutte contre la guerre sans ce minimum de structure militante que nous possédions auparavant et que nous n’avons plus, ne courons-nous pas le risque — une fois de plus — d’être les porteurs velléitaires d’une idéologie maximaliste qui n’est commode que pour le capital ?
De nombreux camarades ne partagent peut-être pas toutes ces interrogations, cependant elles demeurent non résolues, comme beaucoup d’autres points sur lesquels on pourrait réfléchir et débattre.
Un approfondissement des conditions générales de la lutte de classe me paraît nécessaire. Tout comme me paraît nécessaire un réexamen de la fonction que les anarchistes peuvent avoir à l’intérieur même de la lutte de classe, soit comme mouvement spécifique, soit comme capacité organisatrice, définie en termes de structures révolutionnaires extérieures, afin d’exprimer la potentialité du mouvement général des exploités.
Il devient urgent de cerner nos faiblesses, la persistance de nos vieilles paranoïas, l’idéologisation stagnante qui pollue nombres de secteurs de notre mouvement, les infiltrations sociales-démocrates et conformistes, nos hésitations quant aux actions à entreprendre, la manie des jugements a priori, l’hermétisme religieux et obsessionnel, les résidus de l’aristocratisme qui nous faisait estimer comme de tristes porteurs de la vérité. Si nous devons tout recommencer de zéro, et ce n’est certes pas l’obstination d’un Sisyphe qui nous manque, faisons-le le mieux possible, afin de faire table rase de nos erreurs.
En poussant l’analyse de nos possibilités effectives de lutte à ses conséquences les plus radicales nous ne nous écartons en rien de l’engagement antimilitariste et du problème de la guerre. Au contraire, nous sommes bien plus en mesure de donner des réponses précises et significatives, une explication et un projet d’intervention bien plus approfondis de ce qui se fait en ce moment où on n’entend que rabâchages théoriques de la bourgeoisie et délires ordinaires d’un maximalisme humanitariste que tout le monde partage, mais que, justement à cause de ça, personne n’est disposé à soutenir.