19h17
A propos de quelques utopies citoyennistes
Monnaies alternatives, salaire garanti, voici une synthèse critique de ces propositions de gestion alternative qui n’en finissent pas de ressurgir dans la crise. Alors, on gère la pénurie ou on abolit le capitalisme ?
Les monnaies alternatives
Les monnaies locales institutionnelles.
Pour n’en citer que quelques-unes, l’Eusko au Pays basque, ou encore le sol violette à Toulouse. Ces monnaies institutionnelles sont au fond de simples bons d’achat au niveau local. En gros, tu achètes des bons d’achat qui ne sont valables que dans des boutiques de la région. Et ça n’a que peu d’influence. C’est juste une initiative de plus de la mairie pour brosser les commerçants du centre-ville dans le sens du poil.
Les SEL.
Les SEL existent depuis plusieurs dizaines d’années. Il s’agit pour les membres d’une même association de bosser les uns pour les autres en échange de coupons d’une valeur fixée sur le temps de travail. Ainsi, le maçon va réparer le toit de la prof de math qui va en échange donner des cours de soutien au fils du plombier qui lui même va changer les canalisations des chiottes du maçon… Sans passer par les euros. Vous vous demandez sûrement : « mais qu’est ce qu’ils ont contre ces gens qui se rendent service les uns aux autres ? ».
Déjà, ce genre de système d’échange met en place des rapports marchands à la place de simples services rendus. En ce sens, cela n’est qu’un reflet, avec un vernis « alternatif » de la période. Depuis Uber jusqu’à des applications pour s’improviser coiffeur à domicile : la vente de service entre particuliers est en pleine expansion. Cela signifie trouver toujours plus de biais pour vendre ta force de travail. Tout ce qui auparavant était de l’ordre de l’entraide est ainsi converti en monnaie sonnante et trébuchante, dans sa version classique, ou en petits coupons avec une fleur dessus, dans la version alternative. Et comme toujours, la version alternative est arrivée avant la version grand public : c’est comme pour la musique, ou les bars branchés.
Et puis, ce genre d’initiative est un peu triste. Lorsque tu objectes à des usagers des SEL que tant qu’à essayer d’être dans l »alternatif » pourquoi ne pas tenter l’entraide, la gratuité ? Ils te répondent qu’ il y a toujours des profiteurs. C’est là, où ce genre de projet se montre tel qu’il est : une simple gestion de la pénurie. Et faut le rappeler, c’est du black, souvent mal payé.
Les monnaies alternatives en période de crise.
On a pu observer un développement de ces monnaies durant la crise de 2001 en Argentine. C’est le projet à long terme qui anime les partisans des SEL. Il s’agit de réinstaller un système monétaire, là où l’officiel a fait faillite. De valoriser ( comprendre : exploiter) la force de travail vacante du fait du chômage. En Argentine, cela a tellement bien marché que certains états ( l’Argentine est une République fédérale de plusieurs états) ont accepté de recevoir une partie du paiement des impôts en monnaies locales alternatives…avec laquelle ils pouvaient payer en partie les fonctionnaires.
Bref, c’est un outil comme un autre de la relance économique. Un outil pour réinstaurer des rapports capitalistes et marchands, qui s’il marche, finit même par recevoir la bénédiction étatique. Et pour une partie des prolétaires, celles et ceux qui n’ont pas les bonnes compétences à vendre, qui sont trop vieux ou trop malades pour pouvoir travailler, cela signifie la galère, la misère.
Le revenu ou salaire garanti
La proposition de Bernard Friot.
Il l’a baptisé « le passage à la convention salariale du travail » et elle repose sur un récit historique qu’on peut résumer ainsi : Dans une partie des grands pays capitalistes dont la France, le 20e siècle aura été « LE » siècle du salariat et de la cotisation sociale. Cette montée en puissance a ensuite été battue en brèche par ce que Friot appelle « la réforme ». Celle ci a consisté depuis lors à attaquer les cotisations, le tout pour « restaurer » la valeur travail et le capitalisme. (C’est là où c’est étrange, car si en effet le salaire indirect est attaqué, les retraites, le chômage, le capitalisme n’est pas restauré, il se restructure)
Il s’agirait alors, dans l’intérêt des prolétaires, d’empêcher cette restauration, et d’instaurer un autre type de société.
Dans cette société nouvelle, les profits seraient versés comme cotisations servant à alimenter une sorte de caisse de sécurité sociale géante. Celle ci verserait ensuite de façon inconditionnelle un salaire, en fonction d’un niveau de qualification établi de 1 à 4 ( de 1500 à 6000 euros, chiffres indicatifs).
De fait, dans le monde de Friot, les patrons ont été mis à la porte de leurs boites, qui sont désormais gérées par un directeur d’entreprise (mais ce directeur peut être l’ancien patron. Là dessus, Friot n’est pas clair) ; et le financement de l’économie est assuré par une sorte de mélange entre banque d’état et crédit mutuel. De ce côté là, le Friotalisme ressemble assez au capitalisme d’état de type soviétique.
Pour revenir à ce qui nous intéresse, à Friotland, que vous travaillez ou pas, vous touchez un salaire qui vous est versé grosso modo par la sécu. Friot appelle sa proposition « le passage de la convention capitaliste à la convention salariale », car pour lui, le capitalisme est une convention sociale, pas un mode de production. Cette formule est un peu difficile à traiter sérieusement parce qu’elle semble vouloir dire que le capitalisme, c’est comme le système métrique : quelque chose qui à été institué à un moment donné, et qu’on peut rectifier pour le rendre plus efficace, par le biais de décret.
Pour citer un extrait de son livre « L’enjeu du salaire. » :
« Toutes les institutions sont des conventions car elles sont le fruit de rapports sociaux ; ce sont des constructions sociales en permanence travaillée pragmatiquement par ces rapports et qu’une action collective peut faire évoluer dans un sens délibéré politiquement. »
C’est peut-être ici que l’on peut comprendre un des problèmes central du raisonnement de Friot : Le capitalisme n’est pas une convention. C’est un mode de production. La valeur possède une existence réelle, bien que nous sommes d’accord pour dire qu’elle n’a rien de naturelle. Certes elle est issue d’un développement social et historique, mais c’est la base du système capitaliste : pour la supprimer, il faut en finir avec ce système.
Le salaire citoyen universel de Negri.
Celui-ci repose sur l’affirmation que le capital a connu une grande mutation, la révolution des « Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication » (NTIC) qui transformeraient le travail et l’ensemble du système économique et social. Dans cette nouvelle configuration, le travail serait devenu de plus en plus intellectuel et immatériel. La nouvelle figure révolutionnaire serait justement ceux bossant dans les NTIC, une masse d’intellos précaires baptisée « multitudes ». La richesse créée par cette multitude, dépendrait, pour résumer, de leur créativité , leur inventivité. Elle serait diffuse, lorsqu’une idée émerge, dans l’air du temps, en quelque sorte.
On a envie de leur répondre : allez donc en parler un peu aux millions d’ouvriers chinois qui fabriquent les iphones qui vous servent à jouer à candy crush… C’est en partant de ce constat, que les négristes mettent le salaire citoyen, qui serait la manière dont la société capitaliste paierait la création de valeur diffuse.
En dernière analyse, cette revendication à été réalisée par le capital, dans certains pays : il s’agit du RMI/RSA en France. Bien sûr, l’enjeu n’est pas celui prôné par les négristes, qui parlent donc de « vrais revenus garantis » par opposition au RSA. Ces discours, on les entend sur chaque revendication, lorsqu’elle est intégrée par le capitalisme : après les 35h, il fallait une « vraie réforme du temps de travail ».
Ces propositions ont une chose en commun.
Elles pensent que le capitalisme a des défauts mais que les bases d’une alternative viable y seraient déjà toutes contenues en germe. Pourquoi changer de voiture lorsqu’il suffit de changer de chauffeur et de repeindre la carrosserie ?
C’est en ce sens qu’on peut qualifier ces différents discours d’apologie du capital, ce qui est une constante des discours réformistes depuis le début du capitalisme. Ces réformistes voudraient le capitalisme sans les capitalistes. C’est à la fois irréalisable, et le pire c’est que si ça l’était, ce serait de la merde.
Abolir le salariat, prendre des mesures communistes : une arme contre le capital.
Si ces projets proposent de changer le capitalisme, ils ne prennent pas en compte la dynamique qui pourrait amener à ce changement : la révolution sociale. Or pour nous, l’abolition du salariat, c’est une arme contre les capitalistes. Si, dans la révolution sociale, nous organisons la société en dehors des rapports capitalistes d’échanges et d’exploitation, à quoi leur servira leur capital, leur or, argent ? Abolir le salaire, instaurer la gratuité c’est agir contre le pouvoir que procure l’argent.
Dans la crise actuelle, les différents discours réformistes ont une sacrée épine dans le pied : le capitalisme, n’est pas en état d’améliorer les conditions des prolétaires. Et même toutes nos mobilisations pour empêcher la dégradations de nos conditions de vies, participent à aggraver la crise du capitalisme.
Est-ce que ça veut dire qu’il ne faut pas se battre ? Non.
Cela veut juste dire que nous n’avons rien à attendre du capitalisme, peu importe comment on le gère : il s’agira toujours de gérer la pénurie qu’il organise. Enfin, poser la question de la révolution communiste, c’est aussi une perspective enthousiasmante. L’abolition du salariat, l’organisation révolutionnaire de la gratuité, l’abolition des classes, des genres, c’est un monde nouveau à explorer, bien loin d’un aménagement du capital qui ferait de nous des citoyens, consommateurs responsable, etc. Dans la crise actuelle, nous avons devant nous le risque effrayant d’une défaite qui serait synonyme d’un écrasement massif des prolétaires. Mais nous pouvons aussi gagner.
Et cela signifie ne pas s’arrêter au milieu du chemin. Nous voulons tout. Pour tout le monde.